mercredi 20 janvier 2010

DE L'ÂME HUMAINE ET DU CHRETIEN ORTHODOXE


SAINT JEAN DE CRONSTADT

(Extrait de son Journal, 1894‑1899)

L'âme de l'homme est créée à l'image et à la ressemblance de Dieu. C'est là sa dignité et son plus grand sujet d'honneur. La sainteté et la lumière, la justice, la simplicité, la bonté, la douceur, l'humilité, l'absence de méchanceté, la spiritualité, la vigilance, la prière, l'amour ardent de Dieu, tout cela était inné chez elle. Jusqu'à la chute honteuse et pernicieuse, Dieu Lui‑même avait fait Sa demeure dans les premiers hommes. L'Esprit Saint les parait, les éclairait, les consolait. Mais avec la chute, l'âme se modifia totalement : elle devint pécheresse, ténébreuse, maligne, voluptueuse, orgueilleuse, méchante, envieuse, désobéissante, inamicale, avide, adultère, s'aimant elle‑même au lieu d'aimer Dieu. Mais puisqu'elle avait été séduite et dépouillée par le Diable, le meurtrier déchu, le repentir lui fut accordé ; elle peut désormais se relever lumineusement de la chute par la grâce et la miséricorde de Dieu.

Sois attentive, âme chrétienne ! Le Seigneur t'a honorée d'un amour suprême. L'Epoux t'a choisie pour fiancée à des fiançailles incorruptibles, spirituelles, immaculées, éternelles et bienheureuses. Tu dois Lui rester fidèle chaque jour, à chaque instant, jusqu'à ton dernier souffle. Et là‑bas, dans l'éternité, tu seras pour toujours en sûreté dans un continuel présent. La vie ici‑bas est brève, mais c'est par elle que s'achète l'éternité. Ne t'endors pas, ne t'affaiblis pas, ne trahis pas Dieu, ne te souille pas par les passions terrestres et charnelles. Prie, jeûne, fais des bonnes œuvres.

L'homme, créé à l'image et à la ressemblance de Dieu avec une âme immortelle, raisonnable et libre, élevé au‑delà de toute mesure au‑dessus de toutes les créatures déraisonnables, prédestiné à la béatitude éternelle par l'accomplissement du commandement de Dieu et la soumission de sa volonté imparfàite et limitée à la volonté céleste, très sage, et infiniment parfaite de Dieu, fut séduit par le fruit défendu et tomba dans le péché de désobéissance, d'orgueil, d'insubordination, par manque d'attention, ingratitude et corruption, le bien et le mal. Si elle aime le monde, elle éprouve de l'inimitié pour Dieu. L'amitié pour le monde est inimitié contre Dieu (Jac.4,4). Pour détourner l'homme de l'amour de Dieu, des choses saintes et de la vérité, l'ennemi dirige avec malignité et violence ses pensées et son cœur vers le monde, l'amour terrestre et impur, le lustre et la douceur de la terre, et surtout la douceur féminine et la beauté, car l'homme est passionnel et réfléchit peu. C'est pourquoi ceux qui désirent sincèrement servir Dieu et Lui plaire doivent dédaigner les jouissances terrestres, la richesse de ce monde et sa pompe, et diriger leurs cœurs vers les jouissances célestes et élevées, vers la beauté céleste et incorruptible, vers la lumière sans déclin.

Homme ! Essaie de toutes tes forces d'implanter, de développer et d'affermir dans ton âme l'amour et une sincère bienveillance pour chaque homme ! Chasse toujours et sans pitié de ton cœur toute envie ou malveillance, qui engendreront le mépris, l'inimitié, ou la haine, ces engeances du Diable. Laisse au juste Juge qui scrute les cœurs le soin de juger les hommes iniques. De ton côté, prie pour eux avec zèle, afin qu'ils se tournent vers la justice pour ne pas périr et pouvoir être sauvés. Il arrive que nous nous irritions contre les hommes iniques, que nous les jugions sévèrement, que nous leur souhaitions un châtiment ou des souffrances, et même la mort, en oubliant qu'ils ont une âme raisonnable capable de sentiment, d'amour, de repentir, d'amendement, d'amélioration. Essaie de toutes tes forces de donner de l'amour à tous, de souhaiter du bien à chacun, afin qu'on t'en souhaite à toi aussi et qu'on t'aime. Imite non le mal (le Diable) mais le bien (Dieu) (3Jn. 1, 11).

Garde ton cœur pur plus que toute autre chose car de lui viennent les sources de la vie (Prov.4,23). Ne laisse pas pénétrer dans ton cœur les convoitises terrestres et passionnelles. Une petite convoitise passagère souille l'âme et la sépare de Dieu. Fais en sorte que ton cœur soit constamment attiré vers le ciel et non vers la terre, vers Dieu et non vers les idoles, afin qu'il désire l'incorruptibilité, l'amour, la vertu, la douceur, l'humilité, la simplicité, l'absence de méchanceté, et non la corruption terrestre, fut‑elle douce ou brillante. La corruption terrestre nous met constamment en danger. L'homme pécheur est attiré vers tout ce qui est défendu. Garde ton cœur de la colère, de la méchanceté, de l'envie, de la volupté, de l'orgueil, de la présomption, et de la tendance à se mettre en avant devant les autres.

L'attachement déraisonnable de l'âme à la vie d'ici bas brise son intégrité, sa paix, sa liberté et sa santé, alors qu'elle tend naturellement vers Dieu, qui l'a créée. Alors surviennent des tribulations, des afflictions et des blessures. Elle tombe dans une vanité infinie et se détache de Dieu. L'amitié pour le monde est inimitié contre Dieu. Si quelqu'un aime le monde, l'amour du Père n'est pas en lui (IJn.2,15). Tout m'est permis mais je ne me laisserai dominer par rien (lCor.6,12).

Tout est accompli ! Le conseil éternel a été tenu. La volonté de Dieu sur le salut du genre humain a été réalisée. Le conseil du serpent assassin sur la perdition du genre humain et les œuvres du Diable ont été détruites. L'homme est sauvé ! L'existence bienheureuse avait été perdue, mais une existence meilleure, plus heureuse encore, a été accordée aux cieux dans l'avenir : la divinisation. L'homme, qui avait d'abord désiré être Dieu, ne l'est pas devenu, et a perdu même ce qu'il avait. Mais Dieu est devenu Homme afin que l'homme devienne dieu. Ô, merveilleux conseil divin, que Tes œuvres sont ineffables ! A présent, il dépend de la volonté de l'homme lui‑même d'être sauvé ou de périr.

Notre créateur, l’Initiateur des combats, a établi dès le commencement que le temps de notre vie terrestre était un temps de préparation à l'éternité, un temps d'apprentissage, un temps de combats et d'exploits, un temps de guerre spirituelle, et non un temps d'inaction, d'oisiveté, de vaines préoccupations. Il a également établi que notre état futur et immortel serait un état de rétribution, de gloire et de béatitude éternelle, ou bien un état de déshonneur éternel, de souffrances terribles endurées pour l'inaction, la paresse, la négligence et les autres innombrables péchés.

Chaque chrétien, chaque chrétienne, doit connaître et bien mémoriser la véritable destination que le Créateur de toutes choses en ce monde a assignée aux puissances de l'âme et aux membres du corps : le bien personnel, le bien d'autrui et la gloire de Dieu. Mais nous, à cause de nos passions, de nos péchés et de la cécité de notre âme, nous oublions l'objectif bienfaisant du Créateur et détournons Ses bonnes intentions vers le mal, vers notre perdition

et celle des autres, soit en dépassant la mesure, soit en œuvrant de façon inopportune, soit en travaillant à contre sens. Et alors, que de nuisances morales ou physiques, que de désordre, que de corruption de l'âme et du corps !

Chez le véritable chrétien, tout, dans son esprit, dans son corps, et dans sa vie, prend un tour à part : ses pensées sont spirituelles et saintes, ses désirs célestes et spirituels, sa volonté juste, sainte et bonne, son imagination pure et sainte, sa mémoire autre, son regard pur, simple, saint, sans malignité. Bref, le chrétien doit être un homme différent, céleste, nouveau, saint, vivant divinement, pensant, sentant, parlant, agissant par l'Esprit de Dieu. Tels sont les saints. Lisez leur vie, écoutez, instruisez‑vous, imitez !

Scrute avec davantage d'attention ton monde intérieur et spirituel, plein d'intérêts intellectuels et moraux, et ne sois plus attiré par le monde extérieur, matériel, temporel. Le ciel et la terre passeront, est‑il dit dans les paroles immuables du Créateur, mais Mes paroles ne passeront point (Mc. 13,3 1). Dans ce monde intérieur, beaucoup de labeur et d'efforts t'attendent. L'homme en effet pervertit l'ordre spirituel et les lois de la création, et son âme et son corps s'en trouvent corrompus. Le royaume de Dieu est au milieu de vous (Lucl7,21). Le royaume des cieux souffre violence et les violents s'en emparent (Mt. 11, 12). Souviens‑toi du figuier stérile (Mt.21,18‑22), de la vigne et du Vigneron (Mt.21,33‑43), du serviteur redevable à son Maître d'une multitude de talents (Mt. 18,28‑3 5).

Le Seigneur connaît ceux qui Lui appartiennent ; quiconque prononce le Nom du Seigneur, qu'il s'éloigne de l'iniquité (2Tim.2,19). Qui sont ceux qui Lui appartiennent ? Ceux qui vivent non pour la chair et le sang, mais par l'esprit et l'intelligence du Seigneur, qui combattent leurs passions et les vainquent, qui œuvrent pour la justice, qui réfléchissent à ce qui est élevé et ne regardent pas en bas, qui ont constamment dans leur cœur les commandements du Seigneur et les suivent infailliblement (ou bien se relèvent immédiatement s’ils chutent par faiblesse ou par habitude), qui donnent leur vie pour le Seigneur et ne refusent pas de mourir pour Lui, pour la justice et la vérité.

Dans cette vie d'épreuves et d'exploits spirituels, le chrétien se tient constamment entre deux courants : le bien et le mal, l'épreuve et la tribulation venant des ennemis et la consolation et l'aide venant de Dieu. C'est une sorte de compétition entre Dieu, qui est juste, saint et magnanime, et l'ennemi malin et totalement pernicieux. Tantôt l'homme est sous l'influence de l'ennemi, tantôt sous la grâce de Dieu. L'ennemi l'entraîne vers des fautes et des péchés de toutes sortes, et le Seigneur pardonne aux pécheurs qui se repentent, les purifie, les sanctifie, les justifie, les apaise, les renouvelle et les fortifie. Cette compétition et la victoire de la grâce sur le péché ont lieu surtout pendant la Liturgie Eucharistique, ce merveilleux, pacifiant et sanctifiant sacrifice de Dieu, la miséricorde de paix, le sacrifice de louange.

Ce n'est pas contre des adversaires de sang et de chair que nous avons à lutter, mais contre les Principautés, contre les Puissances, contre les Régisseurs de ce monde des ténèbres (Eph.6,12). Notre vie sur la terre est une guerre, une guerre permanente. Nos ennemis invisibles nous combattent constamment à travers nos innombrables passions. Notre chair elle‑même, soumise aux passions, nous combat aussi. Le monde adultère et pécheur nous combat par ses tentations, ses injustices. Notre chair nous combat par l'amour de nous‑mêmes, par les plaisirs, par la paresse pour la prière et toute bonne oeuvre, par l'hypocrisie, la malignité, la dissimulation, la volupté, les pensées d'adultère, la convoitise, la méchanceté, la rancune, la malveillance, l'envie, l'irritation, l'acédie, le murmure, la lâcheté, le mensonge, la tromperie, l'injustice, les pensées blasphématoires, la passion de juger les autres, l'intempérance, l'ivrognerie, la gourmandise, l'avidité, l'impiété, la libre pensée, l'insoumission, la désobéissance, la Froideur, le zèle pour tout péché et l'éloignement de tout bien. C'est pourquoi notre Seigneur a dit dans l'Evangile : le Royaume des Cieux souffre violence et les violents s'en emparent (Nit.11,12). Mais nous devons toujours croire et nous souvenir que Dieu est avec nous, aide invisible et compagnon d'armes contre le péché, protecteur rapide et tout-puissant, et vainqueur de nos ennemis ; avec nous aussi notre Souveraine la Mère de Dieu, notre conductrice invincible; avec nous aussi les anges gardiens ; avec nous encore les saints, qui par leurs prières intercèdent auprès du Seigneur et par leur vie nous montrent toutes les manières de résister constamment au péché, de prier, d'être attentifs à nous‑mêmes, de vaincre le péché par la grâce du Christ.

Garde ton cœur plus que toute autre chose car de lui viennent les sources de la vie. Par tous les moyens, garde ton cœur des convoitises charnelles qui apportent la souillure, le trouble, l'enténèbrement, l'esclavage, la corruption. C'est par la convoitise charnelle que le péché se glisse le plus facilement en nous car la chair aime la douceur, et la corruption entre facilement par la douceur.

Le chrétien doit se préoccuper résolument de son éducation spirituelle. D'abord, il renaît dans les fonds baptismaux par l'Esprit Saint, reçoit le renouvellement spirituel, est marqué par le Miron et le don du Saint Esprit, devient digne de communier au Corps très pur et au Sang du Christ. Selon la volonté de Dieu, la Sainte Eglise est la première éducatrice des âmes chrétiennes et la plus appropriée. Il n'y a pas d'œuvre plus importante que l'éducation des âmes chrétiennes. Jugez et comprenez vous‑mêmes combien sont chères à Dieu ces âmes raisonnables et immortelles rachetées par le Sang du Fils de Dieu Lui‑même, rappelées des ténèbres à la connaissance de Dieu par le Seigneur Lui‑même, fiancées et unies au Seigneur comme des vierges pures à un Epoux tout‑pur. Comme est précieux le salut de ces âmes auxquelles Dieu propose en nourriture et en boisson Son Corps et Son Sang très purs, ces âmes que Lui‑même S'est engagé à instruire spirituellement par ces admirables, terribles, vivifiants et bienfaisants Mystères. Occupez-vous tous de votre éducation spirituelle, avec toute l'attention et tout le zèle qui conviennent. Occupez‑vous d'élever vos pensées vers Dieu, de prier, de vous scruter vous‑mêmes, de vous juger vous‑mêmes, de vous amender. Exercez‑vous dans les vertus, dans la douceur, l'humilité, l'obéissance, la patience, la miséricorde, la chasteté, la simplicité, la bonté. Retranchez toutes les pensées de convoitise, les habitudes et passions pécheresses.

La vie du chrétien est un combat et un exploit spirituel. Ce combat doit avoir comme but et aboutissement l'affermissement dans la foi, et l'amour de Dieu et du prochain. L'ennemi combat l'humanité, il s'associe des combattants puissants et des serviteurs volontaires ou involontaires, comme les hérétiques, les membres des sectes, les libres penseurs, les blasphémateurs, les traîtres à Dieu et au souverain, les adultères, les ivrognes, les envieux, les orgueilleux, les meurtriers, les voleurs, les fauteurs de trouble... Par eux, il agit contre Dieu, contre les hommes, contre les pouvoirs en place. Plus ces hommes‑là satisfont leurs passions, plus ils deviennent forts, et plus ils servent le Diable et deviennent d'encore plus grands adversaires de Dieu et des hommes (pensons à Judas le traître, à Léon Tolstoï. La justice de Dieu exige que l'homme, qui est devenu un être déchu par sa propre volonté, œuvre consciemment contre le péché, le combatte, et le vainque en appelant avec zèle la grâce de Dieu à son aide. Sans cette grâce, il ne pourra jamais vaincre le péché, ni mériter la rétribution éternelle de Dieu.

Dans l'Evangile, la vie du chrétien est comparée aux multiples gardes du soldat, la première, la seconde, la troisième... Ceci suggère la vigilance constante du chrétien sur ses pensées, ses sentiments, les mouvements de sa volonté, sa vigilance contre les ennemis incorporels qui l'attaqueront jusqu’a la fin et tenteront de l'engloutir. De jour comme de nuit, les saints sont spirituellement de garde. Ils prient sans cesse, jeûnent, peinent, mènent une vie à la fois active et contemplative. Toute notre vie en vérité, nous devons être de garde. Notre vie est brève, et nous avons à résoudre un problème grand et compliqué ; or, une multitude d'ennemis nous attaque avec force, malignité et méchanceté. Soyons prudents comme les serpents et purs comme les colombes (Mt. 10, 16).

Que Ton Nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que Ta volonté soit faite ! Le chrétien doit se souhaiter et souhaiter aux autres que le Nom de Dieu soit glorifié constamment en lui et dans les autres ; il doit s'affliger lorsque ce Nom n'est pas glorifié, mais blasphémé par divers péchés. Il doit désirer que tous soient des temples de Dieu non faits de main d'homme. Ne savez‑vous pas que vous êtes le temple de Dieu, et que l'Esprit de Dieu habite en vous ? (ICor.3,16)

Tout est pur pour les purs. Mais pour ceux qui sont souillés et qui n'ont pas la foi, rien n'est pur. Leur esprit même et leur conscience sont souillés (Titel,15). Tout scandalise l'homme impur, les choses saintes elles‑mêmes lui paraissent impures. Voilà comment le péché contamine le cœur et l'être humain tout entier. Homme, purifie donc ton cœur jour et nuit par la prière, le repentir et les larmes, tant que dure le temps de la pratique et de l'épreuve.

La description que l'Apôtre Paul fait des mœurs de ses contemporains ne conviendrait‑elle pas aussi à nos contemporains ? Il écrivait alors : ils sont remplis de toute injustice, de perversité, de cupidité, de malice ; ne respirant qu'envie, meurtre, dispute, fourberie, malignité ; diffamateurs, détracteurs, ennemis de Dieu, insulteurs, orgueilleux, fanfarons, ingénieux au mal, rebelles à leurs parents, insensés, déloyaux, sans cœur, sans pitié (Rom. 1,29‑3

Chrétiens orthodoxes ! Savez‑vous, croyez‑vous, comprenez-vous que le Seigneur notre Dieu voit constamment nos pensées, nos désirs, nos intentions, nos actes, et juge avec justesse chaque homme ? Vous souvenez‑vous que votre conscience est le témoin de la justice de Dieu qui vous éprouve et vous guide, et que c'est selon elle et selon l'Evangile du Seigneur que vous serez jugés le jour du jugement ? Souvenez‑vous de ce que le prophète et roi David a répété à plusieurs reprises : le Seigneur vient pour juger la terre, Il jugera l'univers dans la justice et les peuples dans la droiture (Ps.97, 8‑9). Si vous l'aviez oublié, je vous le rappelle...

Au jugement de Dieu tu sauras, pécheur impénitent, que tu te trouvais dans l'union vénérable, sainte, et pleine d'honneur de l'Eglise et du Ciel, et tu verras combien tu en étais indigne. Tu sauras quels intercesseurs puissants tu avais devant Dieu pour ton salut, intercesseurs que tu n'appelles pas à l'aide par impiété, orgueil et dépravation, car tu comptes en tout sur toi‑même et sur ton intelligence myope et passionnelle.

A Dieu la gloire dans les siècles des siècles. Amen.


mercredi 13 janvier 2010

VIE DU SAINT APÔTRE MATTHIEU


(Par Saint Dimitri de Rostov)

Seul sans péché, le Fils de Dieu et Dieu Lui‑même se fit semblable aux hommes pour sauver les pécheurs. Un jour, comme il sortait de Caphamaüm, il vit un dénommé Matthieu installé au péage et lui dit : « Suis‑Moi!»

Ces mots entendus par ses oreilles charnelles ayant aussi touché les oreilles de son cœur, Matthieu se leva sans tarder et abandonna tout pour suivre le Christ. Le Seigneur entra dans sa maison et il Lui servit un festin, auquel participèrent aussi ses voisins, ses amis, de nombreuses connaissances, des publicains et des pécheurs, qui se mirent à table avec Jésus et Ses disciples. Des scribes et des pharisiens se trouvant là aussi, ils virent que le Seigneur, loin de dédaigner les pécheurs, s'attablait à leurs côtés. Aussi dirent‑ils aux disciples : « pourquoi votre Maître mange‑t‑Il et boit‑t-Il avec les publicains et les pécheurs ? » Les ayant entendu, le Seigneur répondit : « Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler les justes au repentir, mais les pécheurs. » Et à partir de ce moment, saint Matthieu devint le disciple et l'adepte du Christ, et fut digne d'être compté parmi les Douze Apôtres.


Saint Matthieu était fils d'Alphée et frère de Jacques. Dans les autres Evangiles il est appelé Lévi fils d'Alphée, car ses frères Evangélistes se sont efforcés de cacher son premier genre de vie de publicain derrière un nom peu connu. Mais dans son propre Evangile, saint Matthieu fait preuve d'une grande humilité en se faisant connaître à tous sous son véritable nom et en confessant devant le monde entier sa vie passée de pécheur, escomptant, par cet humble repentir, ôter aux pécheurs la honte de confesser leurs fautes et de se tourner vers le Seigneur.

Après avoir reçu le Saint Esprit, saint Matthieu fut le premier à écrire son Evangile, huit ans après l'Ascension du Seigneur, et ceci en langue hébraïque à cause des juifs qui avaient cru au Christ. Il prêcha cet évangile dans de nombreuses contrées, traversant les pays des Parthes, des Mèdes, puis faisant le tour de l'Ethiopie pour laquelle il avait été choisi par tirage au sort, afin d'y prêcher le Christ et de l'éclairer de la lumière de la connaissance. Enfin, instruit par l'Esprit Saint, il parvint sur une terre où vivait un peuple ignare, cruel, et anthropophage.

Là, dans la ville de Myrmène, il convertit quelques âmes au Seigneur, intronisa son disciple Platon comme évêque, et édifia une petite église. Puis il gravit une montagne voisine où il vécut dans le jeûne, priant Dieu avec ferveur pour la conversion de ce peuple infidèle. Le Seigneur lui apparut bientôt sous l'aspect d'un très beau jeune homme qui tenait un sceptre dans sa main. Après avoir donné la paix à l'Apôtre, Il tendit Sa main pour lui donner le sceptre, lui recommandant de descendre de la montagne et de le planter près des portes de l'église qu'il avait édifiée. « Il prendra racine par Ma force. Il deviendra un grand arbre qui donnera beaucoup de fruits qui surpasseront par leur majesté et leur douceur tous les autres fruits du verger. De ses racines jaillira une source d'eau pure, qui donnera beau visage aux anthropophages qui s'y laveront. Ceux qui goûteront ces fruits abandonneront leurs mœurs cruelles pour devenir des hommes bons et doux ».

Matthieu prit le sceptre dans la main du Seigneur, descendit de la montagne, et se rendit à la ville pour accomplir l'ordre reçu. Le prince de cette ville, un dénommé Fulvian, avait une femme et un fils qui souffraient des démons. Rencontrant l'Apôtre en chemin, ils proférèrent des menaces de leurs voix étranges et dépravées : « Qui t'a envoyé ici avec ce sceptre pour notre perte ? » Mais Matthieu interdit les esprits impurs et les chassa, si bien que ceux qui venaient d'être guéris s'inclinèrent devant l'Apôtre et le suivirent docilement. Ayant appris la venue de Matthieu, l'évêque Platon vint à sa rencontre avec le clergé. En entrant dans la ville, l'Apôtre fit ce qui lui avait été ordonné : mais à peine avait‑il planté le sceptre du Seigneur que, devant tous, le bâton devenait un grand arbre au feuillage abondant portant de grands, beaux et doux fruits, et qu'une source d'eau jaillissait de ses racines. La ville entière, qui s'était rassemblée pour un tel miracle, était dans l'étonnement. On mangea les doux fruits et on but de l'eau pure, puis le saint Apôtre Matthieu monta sur une hauteur et prêcha la Parole de Dieu dans leur langue aux gens rassemblés devant lui. Tous crurent au Seigneur et l'Apôtre les baptisa dans la source miraculeuse, en commençant par la femme du prince et son fils, qu'il venait de guérir de l'esprit malin, et finissant par le peuple des croyants. Selon la parole du Seigneur, tous les anthropophages sortirent de l'eau avec un visage beau et lumineux, recevant non seulement la guérison et la beauté du corps, mais aussi celle de l'âme, déposant le vieil homme pour revêtir le Christ, l'Homme Nouveau.

Ayant eu connaissance de ces événements, le prince se réjouit de la guérison de sa femme et de son fils, mais, poussé par le démon, il s'irrita contre l'Apôtre et imagina de le faire périr, car le peuple courait vers lui en abandonnant les dieux. La nuit suivante, le Seigneur apparut à saint Matthieu, lui intimant d'être hardi, et lui promettant d'être à ses côtés dans la tribulation qui ne tarderait pas à survenir. Au matin, alors que l'Apôtre glorifiait Dieu à l'église avec les fidèles, le prince envoya quatre soldats pour se saisir de lui. Mais lorsque ces derniers parvinrent au temple du Seigneur, des ténèbres les recouvrirent et c'est à peine s'ils surent s'en retourner. Comme on leur demandait pourquoi ils ne ramenaient pas Matthieu, ils répondirent : « Nous entendions sa voix, mais nous ne pouvions ni le voir ni nous emparer de lui ! » Le prince, irrité, envoya un grand nombre de soldats armés avec l'ordre de ramener l'Apôtre de force, quitte à tuer par l'épée quiconque leur résisterait. Mais les soldats furent tout aussi impuissants : dès qu'ils approchèrent du temple, une lumière céleste brilla sur l'Apôtre, si bien qu'ils ne pouvaient le regarder. Saisis de crainte, ils jetèrent leurs armes et s'en retournèrent en toute hâte auprès du prince pour lui raconter ce qui était arrivé. Fulvian fut si courroucé qu'il décida de se rendre lui‑même auprès de l'Apôtre avec la multitude de ses serviteurs. Mais voilà qu'en arrivant sur les lieux, il perdit la vue et dut faire appel à quelqu'un pour le guider ! Aussitôt, il demanda à saint Matthieu de lui pardonner son péché et de rendre la lumière à ses yeux. Ayant fait le signe de la croix sur les yeux du prince, Matthieu lui rendit la vue. Mais Fulvian voyait de nouveau avec les yeux du corps, sans que les yeux de son âme ne se fussent ouverts. Aveuglé par la méchanceté, il attribua le miracle à la magie, au lieu d'y voir la puissance de Dieu. Prenant l'Apôtre par la main, il le conduisit vers son palais en feignant de l'honorer, tout en gardant dans son cœur l'intention maligne de le brûler comme mage. Comprenant le secret de son cœur et ses pensées malignes, l'Apôtre dénota le prince : « Tyran insidieux, quand exécuteras‑tu le complot que tu trames ? Fais donc ce que Satan a mis dans ton cœur ! Comme tu peux le voir, je suis prêt à tout supporter pour mon Dieu! »

Le prince ordonna à ses soldats de se saisir de Matthieu. Après l'avoir étendu sur le sol le visage tourné vers le ciel, ils clouèrent à terre ses mains et ses pieds. Puis ils rassemblèrent des branches et des broussailles, apportèrent du goudron et du soufre, placèrent le tout sur leur victime et allumèrent le bûcher. Le feu partit en grandes flammes, et tous pensèrent que l'Apôtre du Christ serait consumé. Mais soudain, le brasier se refroidit et les flammes se changèrent en rosée, et on retrouva saint Matthieu vivant, glorifiant Dieu. Tout le peuple fut effrayé au spectacle d'un tel miracle et glorifia le Dieu de l'Apôtre.

Dès lors le prince n'en fut que plus courroucé, et il refusa de reconnaître la puissance de Dieu, qui avait gardé vivant et à l'abri du feu le prédicateur du Christ. Il proféra à l'égard du juste d'autres injustices, et le qualifia de mage : « C'est par la magie qu'il a éteint le feu et conservé la vie ! » Il fit rassembler de nouveau beaucoup de bois et de broussailles, puis les fit disposer sur l'Apôtre et allumer après avoir ajouté du goudron. Puis il amena ses vingt dieux d'or et les disposa autour du brasier, leur demandant leur aide afin que Matthieu ne fût pas libéré des flammes cette fois, mais réduit en cendres. Mais, au milieu des flammes,

l'Apôtre pria le Seigneur des armées afin qu'Il montrât de nouveau Sa puissance invincible, manifestât la faiblesse des dieux païens, et couvrît de honte tous ceux qui placent leur confiance en eux. Alors, dans un terrible fracas, les flammes se jetèrent sur les idoles d'or, qui fondirent comme de la cire, brûlant de nombreux infidèles qui assistaient à la scène. Des idoles brisées sortit un serpent de feu qui poursuivit le prince effrayé jusqu'à ce qu'il se décide à supplier humblement l'Apôtre de lui accorder son aide. Alors celui‑ci tança le feu qui s'éteignit aussitôt, et le serpent disparut. Le prince voulut alors relever l'Apôtre avec révérence, mais ce dernier fit une dernière prière et déposa son âme sainte entre les mains du Seigneur.

Fulvian ordonna qu'on apportât une litière d'or, sur laquelle on coucha le corps de l'Apôtre que le feu n'avait nullement entamé. Après avoir revêtu le corps du saint de vêtements de grand prix, le prince et les seigneurs prirent la litière sur leurs épaules et conduisirent l'Apôtre au palais.

Mais la foi du prince n'était pas encore parfaite. Aussi ordonna‑t-il de forger un cercueil de fer dans lequel il fit déposer le corps de l'Apôtre. Après l'avoir fait souder au plomb, il le fit jeter à la mer en disant aux seigneurs : « Si Celui qui a gardé Matthieu indemne de l'épreuve du feu le garde également de celle de l'eau, alors c'est qu'Il est en vérité le seul vrai Dieu. Alors il me faudra L'adorer et abandonner tous nos dieux, qui n'ont pas su se protéger de l'attaque du feu ! ». Le cercueil de fer contenant les précieuses reliques ayant été jeté à la mer, le saint Apôtre apparut à l'évêque Platon et lui dit : « Demain matin, rends‑toi sur le rivage situé à l'orient du palais du prince, et prends mes reliques qui auront été rejetées sur la terre ferme ! » A l'aube, l'évêque se rendit avec la multitude des fidèles sur le rivage, à l'endroit indiqué, et trouva le cercueil de fer contenant les reliques du saint Apôtre Matthieu, comme cela lui avait été annoncé dans la vision. Ayant appris la chose, le prince se rendit sur les lieux avec les seigneurs. Il crut vraiment à notre Seigneur Jésus‑Christ, et Le confessa à haute voix comme le seul vrai Dieu, qui avait gardé intact de l'épreuve du feu Son serviteur Matthieu quand il était vivant, et de l'épreuve de l'eau une fois mort. Étreignent le cercueil, il demanda pardon au saint Apôtre pour les péchés qu'il avait commis contre lui et réclama avec ferveur le baptême. Voyant la foi du prince et le zèle de sa demande, l'évêque Platon le catéchisa. Quand il l'eut dûment instruit, il lui commanda de descendre dans les eaux baptismales. Mais voici que lorsqu'il posa sa main sur la tête du catéchumène et voulut lui donner son nom, une voix venue d'en haut se fit entendre : « Ne le nomme pas Fulvian mais Matthieu ! »

Ayant ainsi reçu au baptême le nom de l’Apôtre, le prince s'efforça d'imiter ses œuvres. Il remit bientôt le gouvernement de l'état à quelqu'un d'autre, renonça à la vanité de ce monde, et se consacra à la prière dans l'église de Dieu, méritant du saint évêque Platon la dignité de presbytre. Trois ans plus tard, à la mort de l'évêque, le saint Apôtre Matthieu apparut au presbytre et l'incita à monter sur le trône épiscopal à la suite du bienheureux Platon. Ayant accepté l'épiscopat, le nouveau Matthieu œuvra dans la prédication du Christ et conduisit de nombreux païens vers Dieu. Après avoir passé de nombreuses années dans une vie agréable au Seigneur, il mourut à son tour et partit se tenir devant le trône de Dieu auprès du saint évangéliste Matthieu, avec lequel il intercède pour que nous aussi nous héritions du Royaume de Dieu pour les siècles. Amen.

mardi 12 janvier 2010

HOMELIE SUR LA NATIVITE


(De Saint Dimitri de Rostov)

En ce jour, le céleste Messager de la Bonne Nouvelle vient annoncer aux bergers de Bethléem le signe de l'arrivée du Sauveur dans le monde : « Aujourd'hui vous est né un Sauveur, qui est le Christ Seigneur, dans la ville de David. Et ceci vous servira de signe : vous trouverez un Nouveau‑Né enveloppé de langes et couché dans une crèche ». On pourrait penser que ce n'est pas là un bien grand signe que de voir un petit enfant emmailloté, situation plutôt banale quand on vient au monde... C'eût été un bien plus grand signe si l'Ange s'était appuyé sur un témoignage persuasif et incontestable de la naissance du Christ, s'il avait évoqué quelque chose d'inhabituel, comme l'étoile apparue aux Mages en Orient, ou comme cette vierge dans le soleil tenant en ses bras un petit enfant, que la Sibylle avait montrée à Auguste. Toutefois, si l'on accepte d'examiner avec une attention raisonnable les mystères qui s'accomplissent autour de ce petit Enfant emmailloté et couché dans une crèche, on verra à quel point le signe évoqué par l'Ange pour attester la naissance du Sauveur est grand...

Rien de banal ici, répétons‑le ! La naissance de ce petit Enfant fait resplendir dans le monde la lumière de la connaissance, lumière plus étincelante que celle des étoiles et du soleil, ces langes sont plus grands que les nuées, cette mangeoire, en qui repose le Christ, le Dieu que rien ne saurait contenir, est plus vaste que les Cieux. Tournons nos yeux spirituels vers cette petite enfance du Christ puisqu'apparaît sur la terre pour renouveler notre nature vétuste, Celui qui a créé les siècles et préparé pour nous le salut, de toute éternité !

Vous trouverez un Nouveau‑Né, dit l'Ange... Mais selon la prophétie de David sur la venue du Messie, on s'attendait plutôt à voir le Christ venir au monde comme un géant : Lui‑même est comme un époux qui sort de Sa chambre nuptiale ‑ le sein de la Toujours‑Vierge ‑, Il a bondi d'allégresse, tel un géant, pour parcourir Sa voie (Ps.18,6). Et pourtant, nous trouverons là une véritable cause d'émerveillement, car la naissance du Christ s'avère 'étrange et surnaturelle : sa petite enfance en effet ne ressemble en rien a ce que connaissent les autres petits enfants. Ceux‑là viennent au monde faibles, inconscients, sans force, ignorants, et c'est après un certain temps que la vigueur et la raison commencent à poindre puis croître en eux. Mais notre Seigneur Jésus Christ naît avec cette puissance et cette raison. C'est pourquoi l'Ange annonce un signe encore jamais vu en ce monde : un petit Enfant né avec une force invincible et une sagesse inconcevable. L'Eglise, avec le Prophète Isaïe, ne passe d'ailleurs pas cette force sous silence quand elle chante son Dieu puissant, Seigneur, et Prince du monde (Is.9,6).

Il est dit quelque part que le lion se fait connaître par ses griffes. Ainsi le Christ, le lion de la tribu de Juda, se fait aussi connaître par ses jeunes griffes, Lui le Seigneur fort et puissant, puissant dans le combat. Mais en quoi réside donc la grande puissance de ce Nouveau‑Né ? Ecoutez ! Dès que la nouvelle de la naissance commence à se propager, Hérode est troublé et Jérusalem avec lui ! L'enfant ne parle pas encore et Il effraie déjà ceux dont on trompette le nom sur toute la terre ! Il est encore dans les langes, et Il fait déjà peur aux bourreaux armés ! Il n'est que dans une mangeoire, et Il fait trembler celui qui siège sur un trône royal !

Certains médecins particulièrement expérimentés prétendent que les nourrissons appelés à devenir des personnages illustres et glorieux, comme des rois ou de vaillants généraux, manifestent déjà par leurs jeunes griffes le signe de leur puissance et de leurs futurs exploits. Périclès, dit‑on, n'était pas encore né qu'il effrayait déjà les Grecs dans des visions et des songes. Alexandre n'avait pas vu le jour que tous l'appelaient fils d'Ammon et prince du royaume. Les fourmis mettaient des grains de blé dans la bouche du jeune Midas endormi, prédisant les innombrables richesses du futur roi de Phrygie.

De la même façon, alors qu'Il n'est encore qu'un Enfant nouvelet, notre Roi et Maître manifeste par des signes Sa puissance et Ses hauts faits à venir. Il donne un avant‑goût des richesses préparées pour ceux qui L'aiment quand Il reçoit d'un pays lointain de l'or, de l'encens et de la myrrhe. Il manifeste Sa future victoire sur la mort et sur le diable et Son triomphe sur l'enfer quand il jette Hérode et tout Jérusalem dans le trouble et les tremblements. Ce pouvoir qui devait échoir à Son humanité, et dont en son temps Il dira lui‑même « Tout pouvoir M'a été donné dans le ciel et sur la terre » (Mt.28,18), Il le manifeste déjà par un signe en faisant des anges et des bergers Ses serviteurs, et des princes de l'Orient Ses adorateurs. Tous les rois de la terre L'adoreront (Ps.71,11), prophétisait David, et voici qu'Il apparaît déjà comme le Souverain de ces trois rois de la terre qui Lui offrent leurs présents. C'est avec lyrisme que le grand hiérarque de l'Eglise d'Hippone aborde ces événements : « Tels sont les signes de Ta Nativité, Seigneur JésusChrist ! Avant même que les vagues de la mer ne se couchent sous Tes pieds lorsque Tu marcheras sur les eaux, avant que les vents ne se calment par Ton ordre, avant que les morts ne se relèvent par Ta parole, que le soleil ne s'obscurcisse quand Tu mourras, que le terre ne tremble quand Tu te relèveras du sépulcre, que le ciel ne s’ouvre lorsque Tu y monteras, avant même toutes les choses merveilleuses que Tu accompliras, Tu es déjà reconnu comme le Seigneur du monde entier, dans les jeunes années de Ta chair, porté par les bras maternels ! » Quelle puissance chez ce Petit Enfant, quelle force chez notre Seigneur Jésus‑Christ qui dès l'enfance apparaît clairement comme le Dieu Puissant et le Maître !

En vérité, la puissance de Dieu s'accomplit dans la faiblesse. Nous voyons déjà dans les membres du petit Enfant la grande puissance de Jésus‑Christ ! L'Eglise compare d'ailleurs le Seigneur qui naît à un agneau, et elle Le chante ainsi dans l'Acathiste à la Mère de Dieu : « Les bergers entendirent les anges chanter la venue du Christ en la chair ; et, courant vers Lui comme vers leur pasteur, ils Le contemplaient tel un agneau immaculé paissant sur le sein de Sa Mère, et ils Lui chantèrent cette hymne : réjouis‑toi, Mère de l'Agneau et du Pasteur ! » Le Christ naît d'une Vierge tel un agneau, mais quelle force dans cet Agneau, quelle puissance ! Une puissance invincible en vérité !

Dans sa vision de l'Apocalypse, saint Jean le Théologien contemple divers monstres ‑ dragons surgis de la mer, de l'abîme, du désert ; êtres à l'aspect effroyable, aux multiples et terribles têtes ouvrant des gueules pleines de venin mortel. Toutes, est‑il écrit, se soulèvent contre l'Agneau (Ceux‑là menèrent un combat contre l'Agneau). L'issue semble inéluctable : la plus insignifiante de ces bêtes ravira l'Agneau pour Le dévorer, sans même laisser aux plus monstrueuses l'opportunité de lutter. Et pourtant, telle est la force de l’Agneau qu'Il résiste à leur ardeur animale, qui bientôt s'effondre et se disloque (l'Agneau les vaincra car le Seigneur est le Seigneur des seigneurs et le Roi des rois). Grande en vérité est la puissance de l'Agneau ! Et l'Agneau, on L'aura reconnu, est le Fils de Dieu ; les dragons et autres monstres, quant à eux, sont les démons et leurs serviteurs. Mais la chose mérite réflexion... Pourquoi l'Ange, qui décrit le combat du Fils de Dieu contre Ses ennemis, ne L'appelle‑t‑il pas par Son vrai nom, Nom qui fut apporté des cieux à la Vierge toute‑pure lors de l'Annonciation, et donné au Seigneur à l'occasion de Sa circoncision ? Pourquoi ne dit‑il pas que les bêtes combattent avec Jésus‑Christ plutôt qu'avec l'Agneau ? Parce que le Christ défait Ses ennemis dès Sa Nativité, sans attendre de recevoir Son Nom ‑ comme un agneau, il repose sur le foin, mais Il brise sans attendre la tête des dragons spirituels, comme un roseau ou un vase de terre. Il est d'ailleurs écrit dans la prophétie : « Donne‑Lui pour nom Prompt Butin‑Proche Pillage, car avant que l'Enfant ne puisse appeler Son père ou Sa mère, Il recevra la puissance de Damas et le butin de Samarie ! » (Is.8,3‑4) Ainsi cet Agneau nouveau‑né n'est‑Il pas encore un lion qu'on dit déjà de Lui : Le Lion de la tribu de Juda a vaincu ! Il n'attend pas d'avoir la force du géant ou la puissance de Samson. Avant même de téter le sein, Il vainc Ses ennemis. Avant d'entendre Son Nom de la bouche de Sa Mère toute‑pure, Il efface du livre de vie le nom des indignes. Avant d'atteindre la stature de l'homme fait, Il renverse les puissants de leur trône. L'Agneau les vainc car Il est Seigneur des seigneurs et Roi des rois. Voici la force de l'Agneau, voici l'invincible puissance de l'Enfant divin qui naît !

Mais l'Agneau naît aussi avec l'intelligence, pas seulement avec la force et la puissance. Il est grand notre Seigneur, grande est Sa puissance et il n'y a pas de mesure à Son intelligence Ps 146,5). A quel autre enfant qu'à Celui‑ci peut‑on appliquer les paroles (Ps.118,100) : J'ai eu plus d'intelligence que les vieillards ? D'habitude, les nouveau‑nés ne comprennent rien ! Et quand ils ont grandi, une éducation s'impose pour qu'ils puissent comprendre quelque chose. Mais l’Enfant‑Dieu était déjà la Sagesse en personne avant Sa Nativité, aussi conserve‑t‑Il pleinement après celle‑ci la profonde sagesse de Dieu. Âgé de peu d'années, Il est, par la sagesse, l'Eternel et l’Ancien des Jours (Dan.7,9). Jeune Enfant, Il naît, mais, comme dit le Prophète Isaïe, Il est aussi le Père éternel (Is.9,5) épithète qui ne convient pas aux jeunes enfants mais aux hommes. Personne n'a jamais appelé père un nourrisson à la mamelle. Toutefois c'est bien ainsi, sans hésiter, que le Prophète qualifie le Christ, afin de montrer que ce petit Enfant détient la même intelligence et la même sagesse que le Père, l'Ancien des Jours. Comme un père très sage à l'égard de ses enfants, voilà comment agit à notre égard cet Enfant céleste né de la toute‑pure Mère de Dieu. Ainsi, aujourd'hui naît vraiment pour nous le Sauveur, et nous nous en laisserons convaincre par ce signe : dès Sa petite enfance, il se montre comme notre Père...

Ecoutons encore comment ce Nouveau‑né est notre Père. A peine dans ce monde, le Sauveur nous fait revenir de la mort à la vie, comme le père de l'Evangile ranime le fils prodigue qui était mort, en se jetant à son cou et en l'embrassant. Pour le fils, le baiser paternel est le signe du pardon des péchés qui causèrent la mort de son âme (la mort en effet pénètre dans l'âme par le péché). Comme le jour succède à la nuit, la lumière vivifiante de la grâce de Dieu se lève sur l'âme après la sombre nuit du péché. Et voici ce qui advient aujourd'hui en vérité : le Christ notre Sauveur nous embrasse par Sa Nativité, Il fait poindre la vie de la grâce sur ceux qui étaient occis par le péché.

Notre Sauveur nous embrasse donc par Sa Nativité, comme il apparaît dans le Cantique des Cantiques, où il est question d'un être épris d'un impétueux désir de Dieu : « Qu'Il me baise des baisers de Sa bouche ! » (Cant. 1, 1) Et si nous souhaitons savoir quelle est cette personne qui désire le baiser de Dieu, écoutons saint Ambroise : « C'est notre nature, notre chair, qui désire que ceci advienne par l'Incarnation du Fils de Dieu. Elle désire un tel amour, une telle amitié. Elle veut Le voir face à face, comme un ami voit son ami , pour déposer sur Sa bouche un saint baiser. » Et le saint d'ajouter : « Comme nous comprenons bien cette chair, imprégnée depuis Adam du venin mortel du serpent et pourrissant dans la puanteur de la transgression ! Ayant su de la bouche des Prophètes que Dieu viendrait pour secouer le mensonge du serpent et déverser la grâce du Saint Esprit, elle supplie : qu'Il me baise des baisers de Sa bouche ! » Et saint Chrysostome d'implorer : « Moi, l'Eglise des païens, je ne veux pas qu'Il me parle par Moïse, Isaïe, Jérémie ou les autres Prophètes. Je veux que Lui‑même me parle Qu'Il vienne en personne et me baise des baisers de Sa bouche J'entends Jérémie dire : le choeur de l'homme est rusé plus que tout, et pervers, qui peut le pénétrer ? Jer. 17,9) Je veux qu'Il vienne en personne et me baise des baisers de Sa bouche ! J'entends Amos prophétiser : le Seigneur se tenait près d'un mur, un fil à plomb dans la main (Am.7,7). C'est Lui‑même que je cherche afin qu'Il vienne me baiser des baisers de Sa bouche ! » Ces paroles des saints Docteurs montrent bien que le baiser donné par Dieu à notre nature n'est rien d'autre que l'Incarnation du Fils. Dans un baiser, la bouche s'appuie sur la bouche ; par l'Incarnation du Sauveur, la nature de Dieu s'appuie sur la nature des hommes et s’unit à elle. Par Sa Nativité, le Christ notre Sauveur nous transmet le baiser paternel, accomplissant la prophétie de David : la justice et la paix se sont embrassées (Ps.84,11). Selon le commentaire d'Euthyme, la justice désigne la nature divine du Sauveur, car Dieu seul est un juste juge. Quant à la paix, elle désigne la nature humaine, car le Seigneur est sincèrement doux. Les deux natures se sont embrassées dans le Christ ; en Lui elles se sont unies dans un parfait accord.

Par le baiser de Sa nativité, notre Sauveur nous redonne vie, Il nous arrache à la mort du péché et nous mène vers la vie dans la grâce divine. On lit dans le Livre des Rois (2Rois4) que la femme sunamite demanda au Prophète Elisée qui se trouvait sur le Mont Carmel de venir chez elle ressusciter son fils défunt. Le Prophète ne se déplaça pas tout de suite. Il envoya d'abord son serviteur Géhazi poser son bâton sur le visage de l'enfant : mais il n'y eut ni voix ni réaction. Alors le Prophète vint en personne voir le mort, il posa ses lèvres sur la bouche du défunt, souffla, et le jeune enfant ouvrit les yeux... Voyez comme la vie fut rendue par le contact d'une bouche sur une autre bouche, comme par un baiser ! En vérité, c'était bien un baiser que le prophète déposa sur la bouche de l'enfant, et le mort en fut ressuscité. Cet événement préfigure l'Incarnation du Christ. La mort, qui était entrée dans le monde par le péché, avait ravi Adam, qui, tel un jeune enfant, commençait à vivre. Et la nature humaine, comme la femme sunamite importuna Dieu ; Seigneur, incline Tes cieux et descends ! (Ps. 143,5) Fais resplendir Ta Face et nous serons sauvés ! (Ps.79,4) Mais le Seigneur Dieu ne vint pas en personne ‑ Il envoya d'abord Ses serviteurs les Prophètes avec le bâton de la Loi, afin de le déposer sur l'enfant, la race d'Adam. Mais l'enfant ne se releva pas, les hommes restèrent assis dans les ténèbres et l'ombre de la mort. Mais le Seigneur vint en personne par Son Incarnation, comme il est dit plus haut, Il appliqua la bouche de Sa divinité sur la bouche de notre humanité, et nous donna vraiment les baisers de Sa bouche. Et l'enfant se redressa, le mort se releva, Adam fut rappelé, Eve libérée, la mort mise à mort, et nous‑mêmes fûmes rappelés de la mort à la vie par la Nativité du Christ.

Ceci n'est pas sans rappeler un ancien récit : un homme bon, voyant son ami percé par l'épée empoisonnée d'un ennemi, s'empresse de lui prodiguer des soins pour guérir la blessure mortelle. Mais voilà que les médecins lui expliquent que le mal est incurable. Non seulement le passage de l'épée a laissé une plaie béante, mais le poison dans lequel l'arme avait été préalablement trempée détruira la chair, contaminant le corps entier. La mort est inévitable, sauf si quelqu'un rachète la vie du mourant par sa propre santé en apposant sa bouche sur la plaie pour sucer le poison. Une telle pratique permettrait au malade d'obtenir promptement la guérison, mais en provoquant le trépas de celui qui aurait extirpé le poison. Mais l'homme aime son ami plus que lui‑même, bien que sa propre vie ne soit en aucune façon amère. Il préfère voir son ami si cher recouvrer la santé plutôt que de conserver la sienne. Aussi aspirera-t-il le poison en apposant sa bouche, guérissant son ami par sa mort.

C'est ainsi que le Seigneur notre Dieu agit aujourd'hui en nous voyant blessés par le glaive du péché que brandit toujours le soldat de l'enfer. Personne ne pouvait guérir notre plaie et nous libérer de la mort sans avoir préalablement extirpé le venin mortel. Il ne s'était pas trouvé de médecin assez parfàit, jusqu'à ce que Lui-même, le Très‑Haut qui siège sur les Chérubins, le Créateur, le parfàit Médecin des âmes et des corps, le Seigneur Dieu, appose Sa Bouche sur la plaie de notre nature par amour pour le genre humain ; Sa Bouche ou plutôt Son Fils. De même en effet qu'il est dit dans l'Ecriture Sainte que l'Esprit Saint est le Doigt du Père (Par le Doigt de Dieu, J'expulse les démons, dit le Seigneur , Luc 11,20), il est aussi écrit que le Fils de Dieu est la Bouche du Père (Par le Verbe du Seigneur les cieux ont été affermis, et par l'Esprit de Sa Bouche, toute leur puissance ; Ps.32,6). Dieu a tant aimé le monde qu'Il a donné Son Fils Unique (Jn.3,16).

Cette Bouche, Dieu le Fils, s'unissant à notre nature blessée, extirpe aujourd'hui le poison du péché en le prenant sur Elle. Celui qui extirpe les péchés du monde porte sur Lui nos péchés et nous guérit en offrant Sa santé. Par ce baiser de l’Incarnation, notre Sauveur, en père sage, en médecin habile, en ami, nous fait naître, dès Sa petite enfance, à une vie dans la grâce.

Regardons de nouveau la petite enfance du Christ ! Dès Sa naissance, le Sauveur détient une puissance invincible et une sagesse inconcevable. Oui, c'est à bon droit que l'ange a parlé aux bergers de la présence d'un petit Enfant comme du signe de la venue dans le monde du Sauveur ! Il ne s'agit pas là d'un nourrisson ordinaire, mais d'un enfant fort, intelligent, puissant et sage. « Et ceci vous servira de signe : vous trouverez un Nouveau-Né enveloppé de langes et couché dans une crèche ».

Les langes du petit Enfant sont eux aussi porteurs de mystère. Saint Ambroise dit que le Christ est emmailloté dans des langes afin de nous débarrasser des cilices de la mort. Voici donc le mystère caché dans les langes du Christ : ils nous font déposer ces cilices lourds de corruption dont la mort nous avait affublés. Mais scrutons avec une sainte curiosité les paroles de saint Ambroise, et cherchons pourquoi il ne mentionne pas une, mais plusieurs enveloppes. C'est qu'il pensait probablement aux deux épaisseurs qui recouvrirent Adam : d'abord les feuilles du Paradis qu'il assembla lui‑même, puis l'enveloppe de peau que Dieu fit pour lui et pour sa femme. Ils cousurent des feuilles de figuier et s'en ceignirent (Gen. 3,7) ; Dieu fit à l'homme et à sa femme des enveloppes de peau et les en revêtit (Gen.3,21). Ces deux vêtements représentent la mort. Le figuier était, selon certains Docteurs, l'arbre dont Adam ne devait pas goûter le fruit ; quant à la peau, elle évoque le cuir d'une bête abattue. Les feuilles de figuier sont donc le signe de la désobéissance d'Adam, l'instrument par lequel il se détacha de Dieu, comme une feuille se détache d'un arbre. La peau, quant à elle, est le signe de l'amour de la chair, de la convoitise animale. Et voici que le Christ, nouvel Adam, est emmailloté dans des langes pour débarrasser l'homme de ces deux cilices, le cilice de la désobéissance, et le cilice de la convoitise animale. Les saints langes figurent donc mystérieusement l'obéissance et la pureté.

Que les saints langes figurent l'obéissance, ceci apparaît clairement dans le discours d'Ambroise, le saint Docteur : « Contemplez le mystère ! Du sein de la Vierge sort Celui qui est à la fois esclave et Seigneur. Esclave par Ses actes, car celui qui se ceint de langes se ceint pour servir ; et Seigneur pour présider. Et ce bon Serviteur s'est acquis un Nom supérieur à tout nom. Ce qui pour certains est cause de déshonneur fut pour le Christ une source de gloire ». Soyons attentifs à ces paroles : Celui qui se ceint de langes se ceint pour servir. Voici donc l'obéissance du Christ qui se manifeste par Ses langes. Celui qui agit et sert se montre par là obéissant. Il convient en effet à l'obéissant de se ceindre, comme le Seigneur l'a Lui‑même ordonné dans l’Evangile : « Prépare‑moi à dîner, et ceins‑toi pour me servir ! » (Lucl7,8) Notre Seigneur prend donc sur Lui le rang de l'obéissance, Lui qui dit : « Je suis venu, non pour être servi, mais pour servir ». Ainsi Il se ceint de langes pour nous servir, : « En vérité Je vous le dis, il se ceindra, les fera mettre à table, et passant de l'un à l'autre, il les servira » (Luc7,37) Par ce service d'obéissance, le Seigneur guérit la désobéissance d'Adam. L'ancien Adam fut désobéissant, mais le nouvel Adam sera obéissant jusqu'à la mort. Ainsi, par les langes de l'obéissance du Christ est ôté le cilice de la désobéissance d'Adam.

Que les langes du Seigneur figurent mystérieusement la pureté, nous le comprendrons si nous examinons pourquoi l'antique Adam fut revêtu d'un vêtement de peau, alors que le nouvel Adam est emmailloté dans des langes de lin que la Vierge toute‑pure a confectionnés d'avance, comme l'atteste la Tradition de l'Eglise.

Il arrive souvent chez les hommes que le vêtement soit conforme à l'état spirituel de celui qui le porte. L'accoutrement manifeste ainsi les dispositions intérieures du coeur (Cf IPi.3,4). Au jour fixé, l'orgueilleux Hérode était vêtu de ses habits royaux (Act. 12,2 1). Ce vêtement correspondait‑il à sa présomption ? Bien sûr que oui, puisqu'ainsi vêtu, il prit place sur la tribune et parla au peuple avec orgueil. L'orgueil des habits manifestait extérieurement l'orgueil intérieur. Jadis en revanche, l'humble reine Esther qui craignait Dieu ne revêtit ses habits royaux, les ornements de sa gloire, que pour se conformer en temps voulu aux usages de son peuple, et ceci sans orgueil, mais après avoir prié trois jours durant en habit de deuil. Les vêtements royaux n'étaient‑ils pas dans ce cas en harmonie avec son âme lumineuse, ses intentions bonnes et pures ? En vérité, c'était ainsi. Comme disent les Ecritures, elle était belle et invoquait Dieu qui voit tout. La beauté du corps correspondait ici à celle de l'âme (Esther 5).

Mais revenons à Adam. Après avoir péché dans le Paradis, il devint comme une bête sauvage, d'homme qu'il était ; cette bête ravit le fruit défendu, et, sauvage, elle prit aussitôt la fuite pour se cacher, comme un animal du désert. Le vêtement de peau convenait donc parfaitement à ce caractère bestial. Saint Grégoire de Nysse dit à ce propos : « Ceux qui ont défiguré leur âme par des moeurs bestiales se vêtent habituellement de peaux de bêtes. Voilà pourquoi l'Ancien Adam était vêtu de peau, et le nouvel Adam emmailloté de langes de lin ». Selon l'avis de Grégoire et d'Isidore, le lin est toujours signe de pureté dans les Saintes Ecritures. Dans l'Ancien Testament, les vêtements des prêtres étaient en lin, à l'image de leur service pur et sans tache. A cela, le bienheureux Jérôme ajoute : « Lorsqu'en nous préparant à revêtir le Christ, nous déposons nos vêtements de peau, nous nous revêtons de lin, matière qui ne présente aucune marque d'impureté. Le lin est donc l'icône de la pureté, à l'instar du Christ notre Sauveur, innocent en actes et pur de cœur sans péché ni fourberie sur les lèvres (IPi.2,22), si pur que les plus pures et les plus lumineuses des étoiles palissent devant Sa pureté, ainsi qu'il est écrit : les étoiles ne seront pas pures à Ses yeux (Job25,5). Ainsi, il convenait d'emmailloter ce petit Enfant si pur, né de la Vierge toute‑pure, non pas dans un vêtement de peau de bête, mais dans des langes blancs de lin pur, pour mettre en évidence l'harmonie entre la pureté extérieure et la pureté intérieure.

Adam était charnel. Il convoitait tant la chair de sa chair qu’il ne voulut pas l'abandonner ; il courut pour cela le risque d'irriter Dieu de la façon la plus terrible. Ainsi, comme la peau solidaire de la chair, Adam et la chair de sa chair courroucèrent ensemble leur Créateur. Leur raison était devenue charnelle, ils revêtirent les cilices de peau.

Le Christ apparut Lui aussi revêtu de la chair, bien que cette chair fût supérieure à toute chair, mais Il fut la source de toute pureté. C'est pourquoi Il fut emmailloté dans des langes de lin, qui n'ont rien de commun avec la chair. Ainsi vêtu, Il détruisit le cilice de peau de l'amour de la chair et de la convoitise animale. Contemplons le mystère des langes du Christ : ils sont des emplâtres sur les plaies de nos péchés, ils essuient les larmes de nos yeux, ils nous lient à Dieu dans une étroite et indissoluble union d'amour.

Mais la mangeoire dans laquelle est couché le petit enfant n'est pas non plus sans mystère. Ecoutons ce que dit Théodoret à ce propos : « Regardez la demeure misérable de Celui qui enrichit le ciel ! Voyez la mangeoire de Celui qui trône sur les chérubins, voyez Sa pauvreté ici‑bas et Sa richesse là‑haut ! Le Dieu riche en miséricorde s'est appauvri pour que nous nous enrichissions de Sa pauvreté. C'est à cet effet que le Roi Céleste s'est couché dans une mangeoire : pour que nous apprenions la pauvreté volontaire et l'humilité ».

A cela saint Cyprien ajoute : « Le Seigneur est allongé dans la mangeoire afin que nous quittions notre vie animale, que nous abandonnions le foin du plaisir pour le Pain Céleste ». Ou, comme dit aussi Thédoret : « Le Verbe de Dieu repose dans la mangeoire afin que les créatures raisonnables et déraisonnables ‑ les saints et les pécheurs ‑ se nourrissent librement et sans contrainte de la nourriture du salut ».

Voici le mystère de la mangeoire du Christ, et voici dévoilé le signe de la venue du Sauveur dans le monde, que l'Ange annonce aux bergers. Un petit Enfant emmailloté et couché dans une mangeoire, mais un grand signe en vérité, un signe plein de mystères, comme nous l'avons entendu.

Que toute la création rende à ce petit Enfant divin né pour nous, honneur, grâce et adoration, et que la Vierge Marie, toute‑pure et toute‑bénie, reçoive gloire et louange de toutes les générations dans les siècles des siècles. Amen .