vendredi 11 décembre 2009

DIALOGUE ENTRE UN MOINE ET UN LAÏC (suite)


(Saint Ignace Briantchaninov)

- Des scandales, brutalement dévoilés dans les détails, sont à l’origine de critiques contre les moines et les monastères.

- Je suis d’accord. Ne pensez pas que je veuille cacher le mal, alors qu’il nuit à tous. Au contraire, je voudrais sincèrement que le mal fût extirpé du champ du Christ, et que ce champ ne produisît que du blé pur et mûr. Je répète qu’il est indispensable de connaître avec exactitude l’économie divine afin de pouvoir la dissocier des abus humains et agir avec succès contre ces derniers. Il est indispensable d’y voir clair sur la question du mal pour pouvoir le combattre avec les moyens appropriés. Autrement, on remplacerait un mal par un autre mal, des erreurs par d’autres erreurs, des abus par d’autres abus, et on irait jusqu’à fouler aux pieds, rejeter, et défigurer l’économie divine, comme l’ont fait les protestants à l’égard de Rome. Il est indispensable de connaître l’art de la médecine pour trouver le remède approprié et efficace. Sinon, on inflige la mort au malade à la place de la maladie.

Le point de vue des laïcs d’aujourd’hui sur les moines est en général très injuste, puisqu’ils se sont par trop séparés d’eux, moralement et spirituellement. Entre les chrétiens qui vivent au monastère et ceux qui vivent dans le monde, il y a toujours un lien des plus étroits. Les habitants des monastères ne viennent pas de la lune ou d’une quelconque planète. Ils viennent du monde pécheur d’ici-bas. L’absence de morale qui attire la condamnation sur un monastère trouve son origine dans le monde. La décadence du monachisme vient de ses relations avec le monde ; elle est liée très étroitement à la décadence des laïcs. La décadence morale du monachisme est une conséquence de la décadence de la morale et de la piété des laïcs. Le monachisme est fondé et construit sur le Christianisme. Il progresse ou s’affaiblit conformément au progrès ou à l’affaiblissement du Christianisme. Le fond du problème est donc le Christianisme lui-même : le monachisme n’en est qu’un aspect, une manifestation particulière. Le mal est commun ! Pleurons-le donc ensemble, et préoccupons-nous ensemble de le guérir ! Manifestons de la compassion et de l’amour pour l’humanité ! Mettons de côté ces cruelles condamnations réciproques, qui ne sont qu’attitudes pharisiennes visant à détruire la maladie en frappant le malade avec une poutre !

- Votre conception du lien moral entre moines et laïcs est nouvelle pour moi. Je comprends qu’elle vous vient de l’expérience, sinon elle ne saurait être si profonde. La théorie, réduite à elle-même, est souvent superficielle. Exposez-moi tout cela avec plus de détails, je vous prie.

- Vous ne vous trompez pas. J’exposerai ici, en partie le fruit de mes propres observations, et en partie le fruit de mes entretiens avec des personnes absolument dignes de confiance. Le Métropolite Séraphim de Saint-Pétersbourg, lors d’une conversation sur la multiplication des procédures de divorce aujourd’hui, me disait que lorsqu’il était évêque vicaire à Moscou, il y avait au consistoire une ou deux actions en divorce par an. Les vieux Archevêques de l’époque disaient qu’il n’y en avait aucune pendant leur jeunesse. Voici un exemple de la moralité des temps passés. Le triste cheminement vers la situation actuelle est rapide et peu réjouissant. Les récits des vieux moines confirment les conclusions du Métropolite. Au début du siècle, on voyait rentrer dans les monastères beaucoup de vierges, de personnes qui ne connaissaient pas le goût du vin, de gens qui s’abstenaient des réjouissances mondaines, ne lisaient aucun livre séculier, et avaient été éduquées par la lecture des Saintes Ecritures et des écrits des Pères, la fréquentation sans faille des églises de Dieu, et d’autres pieuses habitudes. Elles apportaient aux monastère une moralité entière, qui n’était pas ébranlée par des habitudes dépravées. Elles apportaient au monastère une santé qui n’avait pas été endommagée par des excès, elles étaient capables de supporter l’ascèse, le travail, et les privations. La sévère piété du monde éduquait des moines sévères et forts, autant par l’âme que par le corps.

A présent, le Christianisme affaibli produit des moines faibles. Il est très rare de voir rentrer un homme vierge au monastère, ou une personne qui n’ait pas d’habitude dépravée. On voit plutôt des êtres faibles, détériorés d’âme et de corps, dont l’imagination et la mémoire sont encombrées par les romans et autres livres de la même teneur, des êtres qui se sont rassasiés de la jouissance des sens et ont acquis le goût de toutes ces tentations qui remplissent le monde. Ils entrent au monastère avec des habitudes pécheresses bien enracinées, avec une conscience émoussée, mise à mort par un genre de vie qui permet toutes les iniquités et toutes les tromperies pour couvrir ces dernières. Ces gens-là ont à mener un très rude combat contre eux-mêmes, en raison du profond enracinement de leurs habitudes dépravées, de leur absence de sincérité, de leur incapacité même à être sincère. Il est très difficile d’instruire de tels gens. Ces personnes entrent au monastère, ôtent leurs vêtements laïcs pour revêtir les vêtements monastiques, mais elles gardent les habitudes et l’état d’esprit du monde qui, faute d’être assouvis, acquièrent un regain de force. Selon la parole de Dieu, les habitudes pécheresses ne peuvent s’affaiblir que par la confession et le combat. Autrement, quand l’opportunité se présente, l’habitude affamée, qui a gardé tout son pouvoir sur l’homme, se jette sur lui avec avidité et transport. Les monastères constituaient autrefois des refuges sûrs pour ceux qui étaient moralement malades. Mais ils ont changé avec le temps, et ont perdu leurs mérites. Par exemple, après avoir été installés par leurs fondateurs dans un désert profond ou au moins à l’écart du monde, ils se retrouvent aujourd’hui au milieu du monde et de ses innombrables tentations, à cause de l’accroissement de la population. De plus, il n’est plus suffisant de franchir les portes du monastère pour éviter de rencontrer la tentation à laquelle on est incapable de résister, car aujourd’hui, la tentation a fait incursion dans le monastère avec furie, produisant ravages et méfaits. L’esprit anti-monastique voit comme un triomphe l’irruption des tentations à l’intérieur même du monastère. En raison du peu de moralité du monde d’aujourd’hui, il est donc plus nécessaire encore de construire les monastères à l’écart du monde.

Quand la vie du monde était unie à celle de l’Eglise, la piété des laïcs ne différait en rien de celle des moines, si ce n’est par le mariage et les acquisitions. Il était naturel de construire des monastères au milieu des villes, et ces monastères ne manquaient pas de produire de nombreux saints. Mais à présent, une attention particulière doit être portée à l’exhortation de l’Apôtre (2Cor.6,17) : Sortez donc du milieu de ces gens-là et tenez-vous à l’écart, dit le Seigneur. Ne touchez rien d’impur, et moi, je vous accueillerai.

- Beaucoup pensent qu’on pourrait notablement amoindrir les tentations par une loi qui interdirait l’entrée des monastères aux jeunes gens. Ces derniers pâtissent en effet fortement de leurs habitudes extérieures et sont pleins de passions. On pourrait réserver l’entrée des monastères aux adultes et aux vieillards.

- Cette mesure n’est raisonnable qu’en apparence. Au lieu de protéger et d’élever le monachisme, elle aurait pour effet de le détruire définitivement. Le monachisme est la science des sciences. En lui, théorie et pratique avancent main dans la main sur une voie sanctifiée de bout en bout par l’Evangile. Sur cette voie, avec l’aide de la lumière céleste, on passe d’une activité tout extérieure à la vision de soi-même. La juste vision de soi-même qu’apporte l’Evangile est prouvée incontestablement par l’expérience intérieure, qui elle-même confirme avec conviction la vérité de l’Evangile. Science des sciences, le monachisme apporte, selon le langage des scientifiques de ce monde, la connaissance la plus précise, la plus profonde et la plus élevée de la théologie de la psychologie expérimentale, c’est-à-dire la connaissance vivante de l’homme et de Dieu, pour autant que cette connaissance soit accessible à l’homme.

Pour accéder aux sciences de ce monde, il faut des capacités neuves, une réceptivité totale, l’énergie d’une âme intacte. Tout cela est encore plus indispensable pour apprendre avec succès la science des sciences, le monachisme. Un combat contre la nature attend le moine. Le meilleur âge pour entreprendre ce combat, c’est l’adolescence. L’adolescent n’est pas encore enchaîné par les habitudes ; en lui la bonne volonté est encore passablement libre. L’expérience montre que les meilleurs moines sont ceux qui entrent au monastère dans leur tendre jeunesse. La plus grande partie des moines d’aujourd’hui sont entrés jeunes au monastère, très peu à l’âge adulte, et encore moins dans la vieillesse. Ceux qui entrent au monastère à l’âge adulte ou dans la vieillesse sont bien souvent incapables de supporter la vie monastique et retournent dans le monde sans avoir compris ce qu’est le monachisme. Et ceux qui restent au monastère présentent presque uniquement une piété extérieure, se contentant d'accomplir extérieurement les règles monastiques qui plaisent tant aux laïcs et suffisent à les satisfaire. Il est très rare de rencontrer chez eux une compréhension de l’esprit monastique.

Passons à l’enseignement de la Sainte Eglise. Mon fils, dès ta jeunesse et jusqu’à tes cheveux blancs, choisis l’instruction, et tu trouveras la sagesse. Comme le laboureur et le semeur, cultive la sagesse et compte sur ses fruits excellents (Sir.6,18-19). Réjouis-toi, jeune homme, dans ta jeunesse, sois heureux aux jours de ton adolescence sur les voies de ton cœur et les désirs de tes yeux (Eccl.11,9) C’est la sagesse que j’ai chérie et recherchée dès ma jeunesse, j’ai cherché à la prendre pour épouse, et je suis devenu amoureux de sa jeunesse. Elle fait éclater sa noble origine en vivant avec Dieu, car le Maître de tout l’a aimée : elle est de fait initiée à la science de Dieu et c’est elle qui choisi Ses œuvres (Sagesse de Salomon 8,2-4). Selon les Saints Pères, ces sentences de l’Ecriture Sainte concernent la science des sciences, la vie monastique, et non la sagesse enseignée dans le monde par le Prince de ce monde. Après avoir dit dans sa quarantième règle qu’il est très salutaire de s’attacher à Dieu en fuyant l’agitation du monde, le Sixième Concile Œcuménique a toutefois recommandé de savoir tonsurer avec le discernement qui convient et, en tout cas, pas avant l’âge de dix ans, de façon à ce que les capacités spirituelles aient atteint un développement suffisant. La lecture des vies des saints montre que la majorité des moines entrent au monastère à l’âge de vingt ans. Ancrée dans ses habitudes et sa manière de penser, émoussée dans ses capacités, la vieillesse est considérée par les saints Pères comme inapte à la vie monastique ; l’exploit ascétique de la jeunesse ne lui est plus accessible. Saint Antoine le Grand commença par refuser la tonsure à Paul le Simple, alors âgé de soixante ans, en le déclarant inapte à la vie monastique. Beaucoup de Pères, entrés au monastère dès l’enfance, atteignirent un haut degré de réussite spirituelle. L’enfance détient encore l’intégrité de son libre arbitre, de sa pureté, de son attirance vers le bien, et de sa réceptivité. Il en fut ainsi de Saint Sabbas le Sanctifié, de Saint Syméon du Mont Admirable et de beaucoup d’autres.

- La fermeté de la volonté, le libre arbitre dirigé de façon déterminée vers son but, sont indispensables pour la réussite de la vie spirituelle. Il y a lieu de les repérer en temps utile chez celui qui désire prendre l’habit monastique.

- C’est juste. Depuis les temps anciens jusqu’à aujourd’hui, on a toujours fait preuve d’une grande prudence en recevant les postulants au monastère. Toutefois, la fermeté du vouloir et la bonne volonté véritable ne se manifestent qu’après un certain temps. Très souvent, les gens diffèrent au début et par la suite. Certains manifestent de la révérence et de l’abnégation en entrant au monastère, mais faiblissent ensuite. D’autres au contraire paraissent légers au départ mais, s’appropriant de plus en plus la vie monastique, finissent par devenir des moines sévères et zélés. Saint Isaac le Syrien dit : il arrive souvent que l’homme soit indigne, constamment blessé ou mis par terre par manque d’expérience de la vie monastique, dans un perpétuel affaiblissement de l’âme, et que soudain, il ravisse l’étendard de l’armée des fils des géants, et que son nom soit exalté et glorifié bien plus que celui des ascètes réputés pour leurs victoires ; il reçoit alors une couronne et des dons précieux en abondance avant tous ses amis. Pour cette raison, que nul ne se permette le désespoir. Evitons seulement d’être négligents dans la prière, et paresseux pour demander au Seigneur Sa protection (Discours 47). Les plus grands pécheurs se transforment souvent en de grands saints. Le monastère est le lieu du repentir. Il est impossible de refuser le repentir à celui qui le désire et le recherche, (même si, tel un possédé, il ne parvient pas à être maître de lui-même) puisque ce repentir est accordé par Dieu Lui-même. C’est pourquoi le havre du repentir, le monastère, doit resté ouvert. Saint Jean Climaque, qui vécut au septième siècle, en énumérant les raisons qui incitaient les novices à entrer au monastère, indique beaucoup plus le désir d’éviter le péché et d’éloigner sa faiblesse des tentations, que celui d’atteindre la perfection chrétienne, désir par lequel bien peu étaient guidés. Aujourd’hui, alors que les tentations et les chutes se multiplient dans le monde et que les forces humaines s’épuisent à leur contact, la plupart de ceux qui, poussés par leur conscience, entrent au monastère, y entrent pour déposer le fardeau du péché, pour être aidés dans leur faiblesse, pour se maîtriser. Saint Jean Climaque qualifiait déjà le monastère d’hôpital. Cette appellation est encore plus adaptée à présent. Peut-on refuser de l’aide à une humanité moralement souffrante ? Nous nous préoccupons avec le plus grand zèle d’organiser des asiles pour les impotents et les invalides. Pourquoi ne pas créer de refuges pour les malades, les impotents, les invalides de l’âme ?

Ceux qui jugent les monastères de leur point de vue erroné voudraient voir régner dans ces hôpitaux une santé florissante débarrassée de la moindre trace de maladie : ils feraient mieux d’y rechercher des thérapies efficaces. Cette exigence-là serait plus appropriée. Il m’est arrivé de voir ceci réalisé. Dans le diocèse de Kalouga, près de la ville de Kozelsk, se trouve la communauté du désert d’Optino. C’est là que s’installa en 1829 le hiéromoine Léonide, connu pour son expérience de la vie ascétique. Par la suite, il fut rejoint par son ami Macaire, hiéromoine du grand Habit. Les deux anciens étaient nourris de la lecture des Pères sur la vie monastique. Guidés par ces écrits, ils guidaient ceux qui cherchaient auprès d’eux une instruction. Ces anciens avaient hérité leur mode de vie de leurs maîtres, mode de vie qui avait débuté au temps des premiers moines, puis perduré jusqu’à notre époque par succession spirituelle, de génération en génération, comme un précieux héritage, comme le trésor de moines dignes de leur nom et de leur fonction. La communauté d’Optino se mit immédiatement à croître dans des proportions importantes et à se perfectionner spirituellement. Les anciens exposaient aux frères zélés les moyens justes et commodes d’entreprendre l’exploit spirituel. Ils soutenaient et encourageaient les hésitants. Ils affermissaient les faibles. Ils amenaient au repentir et à la guérison ceux qui tombaient dans le péché et les mauvaises habitudes. Une multitude de gens de toutes les classes de la société affluait vers les humbles logis des anciens afin de découvrir devant eux les souffrances de leur âme, et d’obtenir le traitement, la consolation, l’affermissement, ou la guérison. Des milliers de personnes leur sont redevables d’avoir donné à leur vie une direction pieuse et la paix du cœur. Ces anciens regardaient l’humanité souffrante avec compassion, ils allégeaient le poids des péchés en expliquant l’importance du Rédempteur, et la nécessité absolue pour le chrétien d’abandonner la vie pécheresse. Indulgents pour la faiblesse humaine, ils la traitaient pourtant avec force. Voilà l’esprit de l’Eglise Orthodoxe ! Voilà comment sont les saints de tous les temps ! Jadis, un moine du quatrième siècle confessait ses chutes permanentes à Saint Sisoès le Grand. Le saint l’encourageait, et lui conseillait de faire suivre chaque chute par le repentir et de demeurer dans l’ascèse. Ce conseil était-il bien fondé ? Les « tout nouveaux théoriciens » n’auraient-ils pas recommandé une autre façon de faire ?…

J’ai visité Optino en 1828 la première fois, et en 1856 la dernière fois. A cette époque, son état était des plus florissants. La communauté comptait quelques deux cents hommes. On commémorait le Père Léonide parmi les bienheureux. Le Père Macaire, alors âgé de soixante-dix ans, s’occupait de la direction spirituelle de la communauté et de l’instruction des nombreux visiteurs. Pourtant, malgré la réussite spirituelle du monastère et l’importance de la communauté, bien peu de moines manifestaient l’aptitude à être des médecins et des guides, chose qui nécessite à la fois une capacité innée et un esprit affermi par un exploit monastique authentique. Telles sont les caractéristiques des hôpitaux : avoir peu de médecins et beaucoup de malades. Aujourd’hui, le nombre des médecins ne cesse de diminuer, et celui des malades d’augmenter. La cause est toujours la même : le monde. Regardez un peu qui il envoie dans les monastères : ce ne sont plus ces chrétiens élus des débuts du Christianisme et du monachisme, ce ne sont plus des membres issus des couches instruites de la population. Aujourd’hui, les monastères se remplissent presque exclusivement des membres des classes inférieures de la société, et de plus, des plus incapables à servir dans le monde, qui les congédie précisément pour cette raison. La plupart de ces gens entrent au monastère avec des habitudes et des vices propres à leur classe sociale, et surtout avec ce vice que le Prince Vladimir égal aux Apôtres présentait comme « l’habitude » du peuple. Contaminés par cette faiblesse, ces pauvres gens entrent au monastère avec l’intention de s’abstenir, de se faire violence. Mais l’habitude reprend le dessus. Beaucoup de gens très pieux, doués d’admirables qualités, sont soumis à cette faiblesse. Ils pleurent amèrement leurs chutes et s’efforcent de les effacer par le repentir. Mais les pleurs versés au fond des cellules et le repentir caché au fond des cœurs ne sont pas visibles des hommes, comme le sont les chutes. Ces chutes scandalisent les membres des couches instruites de la société, couches qui sont en général particulièrement scandalisées par les monastères. Pourtant ces gens-là aussi ont des faiblesses, qu’ils excusent d’ailleurs facilement et pardonneraient aisément aux moines s’ils les trouvaient chez eux. Mais ils visitent les monastères avec leurs habitudes et leur point de vue, ils toisent la faiblesse des gens du peuple et se scandalisent, sans penser qu’ils ont justement affaire à des gens du peuple. Ils voient les moines comme des êtres totalement distincts des laïcs. Ils veulent trouver chez eux des modèles de perfection, et pensent qu’aux laïcs en revanche, tout est permis. Mais les gens du peuple voient autrement les faiblesses de leurs semblables...

Dans un monastère éloigné vivait au début du siècle un ancien qui s’occupait d’instruire son prochain. A sa mort, il laissa un enseignement destiné à ceux qui sont atteints de la passion de la boisson. L’ancien était issu d’un milieu modeste. Avec une grande compassion pour ses frères souffrants, il dit qu’il est impossible à celui qui a perdu tout pouvoir sur lui-même de guérir, et même de s’abstenir de sa passion, en restant au milieu des tentations. Pour cette raison, il propose aux malades de venir dans son monastère, qui se trouve justement éloigné des tentations. Ce conseil est bon et judicieux. Les déserts éloignés des habitations séculières peuvent être de véritables refuges, de vrais hôpitaux pour ceux qui sont atteints des maux de l’âme. Ils peuvent aussi préserver du scandale les gens à l’esprit indigent.

- Il découle de ce que vous avez dit qu’actuellement, beaucoup de monastères ne correspondent pas à leur destination. Des mesures d’amendement s’imposent.

- Oui. A notre époque l’instruction séculière se développe rapidement, et la vie civile se sépare de la vie de l’Eglise. Une multitude d’enseignements hostiles à l’Eglise venus d’Occident fait irruption chez nous. La morale s’affaiblit dans toutes les couches de la société. Une remise en ordre des monastères s’impose donc, et pour deux raisons. D’abord pour sauvegarder le monachisme lui-même, qui est utile et même indispensable à l’Eglise. Ensuite, pour préserver le peuple des scandales. Scandalisé plus ou moins justement, le peuple s’affaiblit de plus en plus dans sa foi. Pour mener tout cela à bien, il faudra davantage qu’une connaissance superficielle du monachisme, il faudra une connaissance précise, fondée sur l’expérience de la Sainte Eglise et des Saints Pères, et avec elle, une conscience du bien fondé et de la sainteté de cette expérience. Les mesures de réforme du monachisme issues du trésor malodorant du raisonnement charnel lui ont toujours été extrêmement nuisibles. En prenant de telles mesures, qui foulent au pied les dispositions les plus saintes, inspirées et transmises par l’Esprit Saint, le monde orgueilleux et enténébré pourrait, dans son manque de discernement et de réflexion, perdre définitivement le monachisme, et avec lui, tout le Christianisme.

- Pourriez-vous citer, à titre d’exemple, une mesure prise par un des Pères qui pourrait donner une idée des réformes dont ont besoin les monastères.

- Je vous propose de prêter attention à la Règle de Saint Nil de la Sora, notre compatriote du quinzième siècle, qui fut peut-être le dernier des saints auteurs à parler de la vie monastique. Cette règle est brève, mais d’une grande plénitude. Profonde et spirituelle, elle fut éditée à mille exemplaires en 1852 par le Saint Synode, et envoyée dans les monastères. Saint Nil prit l’habit monastique dans le but d’étudier et d’accomplir lui-même l’exploit monastique dans la tradition des anciens Pères. Pour mieux comprendre cette tradition, il entreprit un voyage en Orient, passa un temps important au Mont Athos, conversa avec les disciples de Saint Grégoire le Sinaïte et de Saint Grégoire Palamas, et entra en contact avec les moines de la région de Constantinople. De retour en Russie, il s’installa dans une forêt épaisse de la région de la rivière Sora, et devint dans notre patrie le fondateur de la vie en skite. La règle dont je viens de parler a été écrite pour son skite.

L’œuvre de Saint Nil est surtout précieuse pour nous dans la mesure où elle est la plus facile à adapter au monachisme contemporain. Celui-ci, en raison de la raréfaction des maîtres pneumatophores, ne peut plus fonctionner avec l’obéissance absolue des anciens moines. Saint Nil propose de remplacer cette obéissance absolue au maître pneumatophore par l’étude des Saintes Ecritures et des Saints Pères, jointe aux conseils pris auprès de frères qui ont réussi dans cette voie, et non sans avoir vérifié ces conseils dans les Saintes Ecritures. Après avoir étudié l’authentique exploit monastique, Saint Nil a fait entendre son humble voix pour s’opposer au monachisme russe de son époque, qui par simplicité et méconnaissance, s’était détourné de sa véritable vocation. Mais on ne prêta pas attention à cette voix : la passion était devenue générale, elle avait acquis une force invincible. Elle se termina au dix-huitième siècle par l’ébranlement des monastères. Cette passion consistait à vouloir acquérir des biens en grandes quantités.

- Que peut-on tirer de particulièrement utile pour le monachisme contemporain de l’œuvre de Saint Nil ?

- Avant tout, l’exemple même de Saint Nil est extraordinairement utile. Ayant étudié les Saintes Ecritures et les écrits des Saints Pères sur le monachisme, il n’a pas limité cette étude à une simple lecture, mais l’a enrichie par ses propres expériences. Non content de cela, il a encore voulu voir la vie des saints moines de l’Athos et de Byzance, afin de compléter ses connaissances et son activité par le modèle de leur vie. Ayant atteint la réussite spirituelle, il niait l’avoir atteinte, et ne cherchait pas à enseigner son prochain. On le priait pourtant de ne pas refuser une parole d’enseignement. Après des demandes répétées des frères, il obéit à leur requête et accepta comme une obédience le titre de maître et de supérieur. Dans tout cela, on voit que pour l’instauration, le soutien, ou l’amendement d’un monastère, il faut placer à sa tête des hommes dignes, qui ont étudié les Saintes Ecritures et les Ecrits des Pères, et qui ont acquis de surcroît une connaissance vivante et active qui aura attiré sur eux la divine grâce. Il faut prier Dieu afin qu’Il envoie de telles personnalités qui, fortes de leur expérience, pourront seules faire appliquer les saintes règles monastiques comme il se doit. Saint Jean Cassien raconte que dans les monastères égyptiens, qui furent les premiers au monde, le poste de supérieur était attribué uniquement à des moines qui vivaient dans l’obéissance et connaissaient d’expérience la tradition des Pères.

Le point le plus important de la règle de Saint Nil est donc la place prééminente qui revient aux Saintes Ecritures et aux écrits des Pères dans la direction spirituelle. Saint Jean Climaque définit le moine comme celui qui s’attache uniquement aux ordres et aux paroles de Dieu, en tout temps, en tout lieu et en toute chose. Saint Nil suivait cette règle, et il l’a transmise à ses disciples : « Nous avons décidé, si telle est la volonté de Dieu, d’accepter ceux qui viennent à nous afin qu’ils respectent la tradition des Saints Pères et gardent les commandements de Dieu, mais pas pour qu’ils introduisent des justifications et des excuses à leurs péchés en disant qu’à présent, il est impossible de vivre selon les Saintes Ecritures ou en suivant les écrits des Pères. Non ! Même si nous sommes faibles, nous devons, selon nos forces, imiter les bienheureux Pères de mémoire éternelle et les suivre, quand bien même nous ne pourrions par atteindre le même niveau qu’eux ». Celui qui connaît sérieusement la situation actuelle du monachisme russe peut témoigner que seuls les monastères où fleurissent les saintes lectures mentionnées plus haut réussissent sur le plan moral et spirituel, et que seuls les moines qui ont été nourris par ces saintes lectures portent dignement le nom de moine. Saint Nil ne donnait jamais d’instruction ou de réponse de lui-même, mais proposait à ceux qui le questionnaient, soit l’enseignement des Saintes Ecritures, soit celui des Pères. Lorsqu’il ne trouvait pas dans sa mémoire une réponse sanctifiée à un problème quelconque, il laissait la question sans réponse jusqu’au moment où il trouvait la solution dans les Ecritures. Il témoigne de cela dans une de ces lettres. Cette façon d’agir apparaît clairement chez Saint Pierre Damascène, Saint Grégoire le Sinaïte, les Saints Xanthopouloi et d’autres Pères plus tardifs, comme les hiéromoines Léonide et Macaire d’Optino. Leur mémoire était richement parée des pensées des saints. Ils ne donnaient jamais leurs propres conseils. Ils exposaient toujours les sentences des Ecritures ou des Pères. Cela leur donnait beaucoup de force. Ceux qui auraient volontiers rétorqué à des paroles humaines écoutaient avec révérence la parole de Dieu et trouvaient juste de lui soumettre leur propre raisonnement. Une telle façon d’agir garde dans une grande humilité celui qui donne le conseil, comme le montre très clairement la règle de Saint Nil : « celui qui transmet transmet non ce qui est à lui, mais ce qui est à Dieu. Il devient un témoin, un membre de la sainte Vérité, et dans sa conscience apparaît toujours la question : est-ce que j’accomplis mon service de façon responsable et avec révérence à l’égard de Dieu ? Les Ecritures Divines et les paroles des Saints Pères sont innombrables comme les grains de sable de la mer. En les explorant sans paresse, nous les communiquons à ceux qui viennent à nous et ont besoin d’enseignement. Plus exactement, ce ne sont pas les indignes que nous sommes qui communiquent, mais les bienheureux Pères, par les Ecritures Saintes ». Tous les saints auteurs ascétiques affirment qu’avec la raréfaction générale des maîtres pneumatophores, l’étude attentive des Ecritures Saintes (de préférence le Nouveau Testament) et des écrits patristiques sera la seule voie de réussite spirituelle accordée par Dieu au monachisme tardif. Saint Nil refusait de cohabiter avec ceux des frères qui ne voulaient pas vivre selon cette règle, tant elle est importante et essentielle.

La deuxième règle morale exposée par Saint Nil consiste en ce que les frères confessent quotidiennement leurs péchés à l’ancien à qui est confiée la direction de la communauté, même les plus insignifiants, ainsi que leurs pensées, leurs perceptions pécheresses, et leurs difficultés. Cette pratique est porteuse d’un extraordinaire profit spirituel. Aucune ascèse ne peut mettre les passions à mort aussi facilement. Les passions s’éloignent toujours de celui qui les confesse sans merci. La convoitise charnelle se fane par la confession, plus que par le jeûne ou la veille. Les moines qui prennent dès le début l’habitude de la confession quotidienne s’efforcent toujours à l’âge adulte d’avoir recours le plus souvent possible à ce traitement, car ils savent par expérience quelle liberté il apporte à l'âme. Par cet exploit, ils étudient en détails sur eux-mêmes la chute de l’humanité. Se soignant par la confession de leurs péchés, ils acquièrent la connaissance et l’art d’aider le prochain dans les troubles de son âme. Les hiéromoines du désert d’Optino avaient sous leur direction plusieurs disciples qui leur ouvraient quotidiennement leur conscience après la règle des prières du soir. Ces disciples se différenciaient très nettement de ceux qui vivaient arbitrairement. La pensée de la confession qui allait avoir lieu était comme une garde permanente de leur conduite, elle les habituait petit à petit à veiller sur eux-mêmes. La confession les rendait concentrés sur eux-mêmes et constamment absorbés dans les Saintes Ecritures.

La confession quotidienne, examen régulier de la conscience, est une très ancienne pratique monastique. Elle était répandue partout dans le monachisme primitif, comme le montrent clairement les œuvres des saints Jean Cassien, Jean Climaque, Barsanuphe le Grand, Abbé Isaïe, Abbé Dorothée, ainsi que tous les écrits patristiques sur le monachisme. En toute vraisemblance, cette pratique fut instituée par les Apôtres eux-mêmes (Jac.5,16).

Les moines éduqués selon les deux règles exposées ici peuvent être comparés à des gens qui profitent d’une bonne vue et de la vie, mais les moines privés de cette éducation sont comparables à des aveugles ou à des morts. Ces deux règles, introduites dans n’importe quel monastère, peuvent considérablement améliorer l’état moral et spirituel de la communauté, comme l’atteste l’expérience, même si rien d’autre n’est changé dans le monastère. Pour pouvoir appliquer de façon efficace la seconde règle, il faut bien sûr disposer d’un moine qui a réussi dans la vie spirituelle, et qui a été lui-même éduqué selon cette règle. L’expérience est absolument indispensable dans cette matière. Saint Jean Cassien écrivait : « Il est utile de révéler ses pensées aux pères, mais pas à n’importe lesquels, seulement à des anciens spirituels, doués du discernement, de ceux qui peuvent vraiment être appelés anciens, pas seulement pour leur âge ou leurs cheveux blancs. Nombreux sont ceux qui, attirés par l’aspect vénérable de la vieillesse, ont révélé leurs pensées et ont trouvé des nuisances à la place du traitement attendu, à cause de l’inexpérience de ceux qui les avaient écoutés ».

- Vous venez d’exposer les principes fondamentaux de la bonne organisation d’un monastère. Ne refusez pas de citer aussi d’autres règles des Saints Pères, qui pourraient aider les monastères à retrouver leur état naturel.

- L’éducation de l’homme dépend beaucoup des impressions extérieures. Il ne peut en être autrement, nous sommes créés ainsi. Les Saints Pères, qui ont percé ce mystère, ont dans leur sainte Tradition entouré le moine d’impressions choisies à dessein pour le mener vers le but, et se sont efforcés de chasser toutes les impressions qui pouvaient le détourner de ce but. Pour expliquer cela, tournons-nous de nouveau vers le précieux livre de Saint Nil de la Sora. Le saint recommande que l’église du monastère soit construite très simplement. Ils se réfère en cela à saint Pacôme le Grand qui ne voulait voir dans l’église de sa communauté aucune finesse architecturale, afin que l’esprit des moines, attiré par les louanges humaines, ne glisse pas vers les nombreuses et diverses astuces du Diable. A cela Saint Nil ajoute : « Si le saint parlait et agissait ainsi, combien plus devons-nous être prudents, nous qui sommes faibles et passionnés, nous dont l’esprit trébuche si facilement ! » Saint Nil recommande aussi que les cellules et autres bâtiments monastiques soient très simples, dépourvus d’ornements coûteux. Le grand Saint Jean le Prophète, qui vivait reclus à Gaza, donna avant sa mort des instructions au nouvel Abbé de la communauté. Il lui recommanda d’organiser les cellules sans leur donner de commodités superflues, car les édifices de ce monde n’ont pas plus de valeur que de simples tentes au regard de l’éternité. Saint Nil, se fondant sur la conduite des anciens Pères, recommande également que les vêtements sacerdotaux et les objets du culte soient simples, aussi peu précieux que possible, et peu nombreux. De la même façon, il ordonne que tous les biens monastiques soient simples, sans excès, uniquement destinés à satisfaire des besoins. Il faut éviter de susciter quelque vanité ou attachement chez les moines, dont les forces spirituelles doivent être exclusivement tendues vers Dieu. Saint Nil interdit l’entrée du skite aux personnes de sexe féminin. Anciennement, dans les monastères masculins, et au Mont Athos jusqu’à ce jour, les femmes n’avaient pas droit d’entrer. Ceci est absolument nécessaire pour ceux qui veulent vaincre la nature ! Il est indispensable d’éloigner complètement ce genre de tentations. Elles ne peuvent pas ne pas livrer à l’indécision celui qui leur est soumis. L’utilité de cette mesure est encore plus claire à notre époque où la moralité est en baisse évidente. En Russie, il est éminemment nécessaire d’éloigner le vin des monastères. Les pieux supérieurs des monastères ont toujours compris cela, et notamment le juste Théophane, supérieur et rénovateur du monastère Cyrillo-Novoezersky et récemment décédé, qui a mis en vain tout son zèle à anéantir l’emploi du vin dans le monastère qui lui était confié. Mais les efforts sont sans lendemain tant que les dispositions des Saints Pères concernant les monastères ne sont pas rétablies dans leur plénitude.

Saint Nil observa donc la vie monastique dans son berceau, c’est-à-dire en Orient. De retour en Russie, il s’installa dans un profond désert. L’endroit choisi le comblait. Il explique pourquoi dans une de ses lettres : « Par la grâce de Dieu, j’ai trouvé le lieu qui convient à mon esprit, car il est peu accessible aux laïcs ». Si pour un homme si saint, il était agréable de vivre dans un lieu où il ne pouvait pas être facilement visité par les séculiers, alors a fortiori pour nous, qui sommes faibles de volonté, peu raisonnables, et facilement enclins au péché, comme il est nécessaire que nous vivions éloignés des séculiers ! Puissions-nous ne pas voir accourir des foules de laïcs et avec eux des foules de tentations ! Saint Nil souhaitait voir ses moines vivre du travail de leurs mains, et recevoir des aumônes des laïcs en très petites quantités, et seulement quand cela s’avérait nécessaire. Voilà les règles essentielles dictées par les saints Pères du monachisme, et reconnues par la Sainte Eglise. Les autres règles, qui concernent les détails de la vie quotidienne, ont le même caractère et le même but.

- Beaucoup de monastères se sont plus ou moins détournés des règles que vous venez d’énumérer. Ces déviations devront être corrigées un jour ou l’autre. L’instruction et l’esprit des gens d’aujourd’hui poussent, vous le savez, à ce que ces corrections ne soient pas différées plus longtemps. On en parle dans la société. Il serait bon qu’au milieu des voix qui parlent sans connaître, on entende aussi la voix de ceux qui parlent en connaissance de cause. Qui est-ce qui, à votre avis, pourrait aider les monastères à retrouver leur juste destination ?

- J’ai déjà presque répondu à cette question ; néanmoins, la réponse est très complexe. Je pense aux paroles du Sauveur concernant le champ dans lequel fut semé une bonne semence mais dans lequel, au milieu du bon grain, on découvrit aussi de l’ivraie en grande quantité. Ce ne sont pas les hommes, mais les anges qui proposèrent au Maître de l’arracher. Mais celui-ci refusa, de peur qu’en arrachant l’ivraie, le blé soit lui aussi arraché... N’est-ce pas la meilleure manière de faire avec les monastères ? En tout cas, il y a lieu d’examiner tout cela avec attention. Quand on corrige des édifices qui ont fait leur temps, il faut être prudent. Les médecins raisonnables refusent de toucher aux maladies trop ancrées dans l’organisme, de peur de détruire la vie elle-même. Les monastères et le monachisme ont été institués par l’Esprit Saint grâce à ces vases d’élection que furent les Saints Pères. Rétablir les monastères dans leur ancienne beauté spirituelle, si cela entre dans les plans de Dieu, ne sera possible qu’avec la grâce de Dieu et des instruments dignes de ce travail. Voilà tout ce que je peux dire de général sur le sujet. De toute façon il est clair que l’amélioration des monastères ne peut en aucun cas être l’œuvre de séculiers. Les laïcs agiront avec piété s’ils remettent cette œuvre entre les mains de ceux à qui la providence divine elle-même la remettra, et à qui des comptes seront demandés au Jugement Dernier. Je considère comme un devoir sacré de vous communiquer les conseils que je tiens de vieillards expérimentés et dignes de respect. Ils disent ceci aux laïcs et aux moines qui cherchent sincèrement le salut : à notre époque où les scandales se sont tellement multipliés, il faut être particulièrement attentif à soi-même, ne prêter aucune attention à la vie et aux affaires des autres, et ne pas juger ceux qui sont scandalisés. L’action corruptible du scandale passe facilement de ceux que le scandale attire à ceux qui les jugent. Ces vieillards conseillent aux laïcs de se diriger dans la vie avec l’Evangile et ceux des Pères qui ont laissé des instructions destinés aux chrétiens en général, comme Saint Tikhon de Zadonsk. Aux moines, ils conseillent de se diriger avec l’Evangile et les Pères qui ont écrit spécialement pour les moines. Le moine qui se dirige à la lumière des écrits patristiques pourra trouver le salut dans n’importe quel monastère. En revanche, perdra son salut celui qui vit en suivant sa propre volonté et sa raison, quand bien même vivrait-il dans un profond désert. Malheur au monde à cause de ses scandales ! (Mt.18,7) Parce que l’iniquité se sera accrue, l’amour du plus grand nombre se refroidira (Mt.24,12). L’arrivée des scandales est prévue par Dieu (Mt.18,7). Après la Rédemption, la possibilité a été laissée à l’homme de choisir entre le bien et le mal, comme elle lui avait été laissée après sa création. Mais l’homme choisit le plus souvent le mal, comme il le fit après sa création. Au beau milieu du Paradis, le mal fit irruption sous le masque du bien, pour séduire l’homme plus facilement. Aujourd’hui il apparaît dans la Sainte Eglise, masqué et paré, dans l’infinie et attrayante diversité des tentations, sous le couvert de distractions et réjouissances innocentes, de développement (de la vie charnelle) et réussite de l’humanité, qui ne sont en réalité qu’humiliation de l’Esprit Saint. Les hommes sont corrompus dans l’esprit en raison de leur bienveillance pour l’injustice. Ils sont réprouvés en ce qui concerne la foi ; ils ont bien l’apparence de la piété, mais ils renient ce qui en fait la force (2Tim.3,8,5). Pour ceux qui ont reçu cette force et l’ont par la suite volontairement rejetée, un retour en arrière est difficile (Heb.10,26) : la bonne disposition quitte infailliblement celui qui dédaigne intentionnellement le don de Dieu. Une apparence de piété peut être plus ou moins recollée par des astuces humaines, mais le rétablissement de la force de la piété appartient à Celui qui revêt les hommes de la Puissance d’en haut (Luc24,49). L’arbre vieilli et débile est souvent paré d’un voile épais de feuilles vertes, et semble en bonne santé avec son tronc volumineux, mais à l’intérieur il est déjà pourri : la première tempête le brisera…

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