dimanche 13 décembre 2009

L'ETRANGER


(Trésor spirituel de Saint Tikhon de Zadonck)

Celui qui quitte sa maison et sa patrie pour s’installer sur une nouvelle terre s’apprête à vivre en étranger, en voyageur de passage. Dans ce monde de calamités éloigné de la patrie céleste, le chrétien est lui aussi un étranger, un voyageur de passage. Nous n’avons pas ici-bas de cité permanente, mais nous recherchons celle de l’avenir, dit le saint apôtre Paul (Hb.13,14). David aussi confesse : je suis un étranger chez Toi, un pèlerin, ainsi que tous mes pères (Ps.38,14). Et il ajoute dans sa prière : je suis un étranger sur la terre, ne me cache pas Tes commandements (Ps.118,19).

L’homme qui s’est exilé sur une terre étrangère multiplie les efforts pour atteindre le but qui a motivé cet exil. Le chrétien, appelé par la Parole de Dieu et renouvelé par le Saint Baptême en vue de la vie éternelle, multiplie aussi les efforts pour ne pas être privé de celle-ci, car elle se conquiert ou se perd en ce monde.

L’homme qui vit sur une terre étrangère agit avec crainte, car il évolue en milieu inconnu. Le chrétien aussi a peur de tout en ce monde : il se garde des esprits méchants, du péché, des illusions, des méchants et des impies.

Tous s’écartent de l’étranger et se méfient de lui, car il n’est pas des leurs. Ceux qui aiment le monde, les fils de ce siècle, s’éloignent aussi du vrai chrétien et le haïssent, car sa conduite s’oppose à la leur. Le Seigneur dit d’ailleurs : si vous étiez du monde, le monde aimerait son bien ; mais parce que vous n’êtes pas du monde, puisque Mon choix vous a tirés du monde, le monde vous hait (Jn.15,19). On dit que la mer ne garde pas les cadavres, mais les rejette. Le monde inconstant, lui aussi, rejette les âmes pieuses, mortes au monde. Celui qui aime le monde est son enfant chéri, mais celui qui méprise ses convoitises illusoires est son ennemi.

L’homme de passage sur une terre étrangère ne fait pas d’acquisition : ni maison, ni jardin, ni rien de tout cela, si ce n’est le strict nécessaire pour vivre. Le vrai chrétien sait aussi que rien dans ce monde n’est immuable : il devra tout abandonner, même son propre corps. Nous n’avons rien apporté dans le monde ; de même, nous n’en pouvons rien emporter (1Tim.6,7). C’est pourquoi le vrai chrétien ne recherchera rien d’autre en ce monde que le nécessaire, suivant les paroles de l’Apôtre : lors donc que nous avons nourriture et vêtement, sachons être satisfaits (1Tim.6,8).

L’étranger retournera dans sa patrie avec des biens mobiliers, comme de l’argent ou des marchandises. Les biens mobiliers que le vrai chrétien pourra emporter avec lui dans l’autre monde sont ses bonnes oeuvres. Ce sont elles qu’il s’efforcera d’amasser ici-bas, tel un marchand qui acquiert des denrées spirituelles. C’est avec elles aussi qu’il se présentera devant le Père Céleste. A cela nous appelle le Seigneur : Amassez-vous des trésors dans le ciel : là, ni la teigne ni la rouille ne détruisent, point de voleurs qui percent et dérobent (Mt.6,20).

Les fils de ce monde se préoccupent du corps corruptible, mais les âmes pieuses se préoccupent de l’âme immortelle. Les fils de ce monde cherchent des trésors temporels et terrestres, mais les âmes pieuses aspirent aux biens éternels et célestes, que l’oeil n’a point vus, que l’oreille n’a point entendus, et qui ne sont pas montés au coeur de l’homme (1Cor.2,9). Contemplant avec l’oeil de la foi ce trésor imprenable et inconcevable, ils dédaignent toutes les richesses terrestres.

Les fils de ce monde courent derrière la gloire d’ici-bas, mais les vrais chrétiens recherchent la gloire du ciel, leur vraie patrie. Les fils de ce monde parent leur corps de précieux vêtements, mais les fils du Royaume de Dieu cherchent à parer leur âme immortelle d’entrailles de miséricorde, de bonté, d’humilité, de douceur et de patience (Col.3,12). Les fils de ce siècle sont insensés et fous, ils recherchent ce qui n’a aucune valeur. Les fils du Royaume sont raisonnables et sages, ils s’intéressent à ce qui renferme la béatitude éternelle.

L’étranger s’ennuie loin de sa patrie ; le vrai chrétien s’ennuie et trouve pénible de vivre en ce monde. Pour lui, tout ici-bas n’est qu’exil, bannissement ou prison, puisqu’il est loin de sa patrie céleste. Malheur à moi car mon exil s’est prolongé, dit David (Ps.119,5) entouré du choeur des soupirs de tous les saints.

L’étranger s’ennuie sur une terre étrangère, mais il tient bon car il se souvient de ce qui motive son exil. Le vrai chrétien lui aussi s’ennuie en ce monde, mais il supportera tant que Dieu l’ordonne, gardant toujours à l’esprit le souvenir de sa patrie. Les juifs exilés à Babylone se languissaient sans cesse de Jérusalem, ils attendaient avec ferveur le retour. Les vrais chrétiens sont dans ce monde comme sur les rives de Babylone, assis à pleurer et gémir au souvenir de la Jérusalem Céleste (Ps.136). Nous sommes pleins de hardiesse et préférons quitter ce corps pour aller demeurer auprès du Seigneur (2Cor.5,8), dit en soupirant Saint Paul.

Les fils de ce monde s’attachent à lui comme à une patrie, un paradis, c’est pourquoi ils ne veulent pas le quitter. Mais les fils du Royaume s’éloignent de lui par le coeur, et supportent toutes sortes de tribulations pour parvenir dans leur patrie, car pour un vrai chrétien, la vie en ce monde n’est qu’une souffrance et une croix.

Quand l’étranger revient au pays, ses parents, ses voisins et ses amis se réjouissent de son retour, le saluent, lui souhaitent bienvenue. Quand le vrai chrétien termine son pèlerinage ici-bas et parvient à la patrie céleste, les anges et les saints se réjouissent de son arrivée. Quand l’étranger rentre au pays, il vit sans danger, en toute quiétude. De même le vrai chrétien parvenu dans sa patrie céleste se repose, ne craint plus, et vit dans la béatitude et l’allégresse.

Alors regarde, ô chrétien !

Notre vie ici-bas n’est rien d’autre qu’un voyage : la terre M’appartient, dit le Seigneur, et vous n’êtes pour Moi que des étrangers et des hôtes (Lev.25,23).

Notre vraie patrie n’est pas ici mais au ciel. Pour elle nous avons été créés, appelés par la Parole de Dieu, et renouvelés par le Saint Baptême.

Nous ne devons pas, compte tenu de notre vocation céleste, rechercher les biens terrestres ou nous y attacher, sauf pour le nécessaire : la nourriture, les vêtements, un toit...

Le chrétien ne doit rien désirer d’autre en ce monde que la vie éternelle : là où est ton trésor, là aussi sera ton coeur (Mt.6,21).

Celui qui veut être sauvé doit détacher son coeur du monde tant que son âme n’a pas émigré vers les demeures éternelles.

Celui qui cherche la richesse ou la gloire montre qu’il a le monde et non le ciel pour patrie : il comprendra son erreur le jour de sa mort...

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