samedi 29 août 2009

VIE DU STARETZ JEAN JOURAVSKY



« Mémoire éternelle au juste » (Ps.111, 6-7)

Ivan (Jean en français) Pétrovitch Jouravsky naquit le 12/25 septembre 1867, dans le district rural de Laudon près de Madonsk. Son père et son grand-père étaient prêtres, et officiaient tous deux dans l'éparchie orthodoxe russe de Polotsk. Jean mis à part, la famille du père Pierre (1826-1892) et de son épouse, Matouchka Mélanie, comptait quatre enfants: Siméon, qui devint prêtre, et trois filles.

Le grand-père, un esprit brillant, périt encore jeune, lors d'un service religieux (probablement un baptême) chez des particuliers, tué par des schismatiques.

Pierre fut envoyé par sa mère à l'école ecclésiastique de Polotsk, puis il entra au Séminaire de Saint-Pétersbourg, dont il termina le cursus en 1847. L'année suivante, le 7 mars 1848, il fut ordonné prêtre de l'église de Balov dans l'éparchie de Polotsk (actuellement Balvi, en Lettonie). De 1853 à 1856, il officia à l'église de Skrudalin dans l'éparchie de Riga. A partir de 1841, un mouvement du luthérianisme vers l'orthodoxie s'amorçait chez les Lettons et les Estoniens de l'éparchie de Riga. Dès lors, on commença à construire des églises orthodoxes dans les régions baltes et à faire venir des prêtres.

Le père Pierre Jouravsky, voulant être utile à l'orthodoxie au sein du peuple letton, demanda à être assigné à une paroisse dont la majeure partie des fidèles était lettone et où le service religieux se faisait en letton. Par décret de l'archevêque Platon de Gorodetsk et de Mitavsk, il fut nommé prêtre à l'église de Kaltsenav de la surintendance de Kerstenbem.

C'est alors que débuta son sacerdoce parmi les Lettons, qui se poursuivit jusqu'à sa mort dans la même surintendance. Il fut trois ans prêtre à Kaltsenav, officia environ huit ans à Martsien, fut neuf ans prêtre de Golgotha, administra les paroisses de Stomerz et Boutskovsk, et fut les dix dernières années prêtre auprès de l'église de Lidern à Vidzem. Il officia 44 ans avec comme prêtre.

Le père Pierre était un homme simple et sociable, dévoué au service de Dieu. Où qu'il officiât, il faisait toujours bonne impression. A la fin de sa vie, il reçut de Dieu le don de la prière pure. Les paysans venaient de loin prier auprès de lui, qu'ils fussent orthodoxes ou luthériens. Quel que soit son état de santé, et même s'il était malade, il se rendait au premier appel chez ses paroissiens pour des offices et des prières, à n’importe quel moment, et par tous les temps.

Il connut beaucoup d'afflictions durant sa vie, dans cette région où l'on ne partageait pas sa foi. Le père Pierre Jouravsky mourut le 10 juin 1892. L'office des défunts fut célébré par huit clercs, dont deux de ses fils, le prêtre Siméon et le diacre Jean Jouravsky, à la tête desquels il y avait le surintendant de Kerstenbem, père Basile Pokrovsky. La liturgie se fit en letton, et l'office des morts en slavon.

Environ 2000 personnes assistèrent à l'enterrement. La journée était claire et tranquille, les chants magnifiques. On ressentait dans l'atmosphère de recueillement l'importance exceptionnelle de l'événement.

Le père Jean Jouravsky s'adressa plus d'une fois à son père pour lui demander de l'aide, et la reçut (cf « Journal d'un vieux prêtre »).

Dans son enfance, le petit Jean Jouravsky vit des anges, et cette vision mystérieuse marqua son âme de l’empreinte divine. Il est probable que dans son enfance, avec son frère Siméon et ses soeurs, il se rendait régulièrement aux services à l'église où officiait son père, aidant à chanter dans le choeur. Le petit Jean aima très tôt le chant d'église et la prière.

Ayant quitté l'école en 1884, Jean Jouravsky entra au Séminaire de Riga qui se trouvait, comme l'église de la Protection attachée au Séminaire, au 9 du boulevard Kronwald (actuellement la faculté de l'institut de médecine de Riga). Quand les études lui laissaient du temps, il chantait dans le choeur archiépiscopal de Riga, dans la Cathédrale de la Nativité, sous la direction du maître de chapelle Kislov, un ancien élève du directeur de la maîtrise de Saint-Pétersbourg, le compositeur Alexandre Lvov. Il acquit de profondes connaissances dans le domaine du chant d'église, ce qui lui permit, en 1900, de faire paraître un recueil liturgique pour le chant d'église en letton, avec des partitions (éd.Riga 1900), dont les fidèles se servirent largement dans les paroisses lettones. Le père Jean disait à ses paroissiens que la prière est le chant de l'âme à Dieu. « Il faut prier comme on chante, les chantres sont les lumières de la maison de Dieu ». Il aimait particulièrement l'Hymne des Chérubins (no 69), Milost Mira (nos 11, 12, 13 dans le Livre de chant).

Préoccupé par le chant d’église et la prière commune, par une prière du prêtre qui soit « avec le peuple, et pas à la place du peuple », il présenta à la publication à la fin des années 30 un recueil de poche au format pratique à l'intention des paroissiens, le livre d'heures /Pesnoslov/ (Vigile, Liturgie, Vigile de jeûne), afin d’uniformiser le chant dans les églises orthodoxes, les écoles et les familles. Malheureusement le recueil a été perdu pendant la deuxième guerre mondiale. Il serait bon qu’un tel recueil puisse être édité par les héritiers spirituels du Père Jean. Peut-être ce recueil a-t-il été conservé par l'un des lecteurs de ces lignes?

En 1890, à la fin du séminaire, Jean fut sacristain à Vindava (Ventspils), à l'église de Tous-les-Saints de Zamkov dont le supérieur était le célèbre père Basile Aliakritsky. En 1891, Jean fut sacristain à la paroisse lettone de l'Ascension à Riga (rue Menes). Le 19 février 1892, l'Archevêque Arsène (Briantsev) l'ordonna diacre auprès de l'église du Saint-Esprit de Jakobstadt, et, le 12 février 1895, prêtre auprès de l'église de Martsien à Vizdem (où son père avait officié). Ici, à Martsien, le père Jean Jouravsky continua l'oeuvre sainte de son père: il restaura l'iconostase de l'église Saint-Alexis (1898), et fit construire une chapelle en l'honneur de Saint Alexandre Nevsky dans le cimetière orthodoxe (1897), ainsi que l'école ecclésiastique de paroisse de Martsien (1899). Son activité fut plusieurs fois remarquée avec reconnaissance par l'archevêque de Riga Agathange (Preobrajensky).

On sait des années de service du père Jean à Martsien qu'il était un enseignant accompli, bon, doux, et affable. Sa bonne âme portait la Parole de Dieu à ses élèves sous une forme non altérée, dans la lumière de l'amour et de la prière.

En 1900, le saint et juste père Jean (Serguiev) de Cronstadt[1] se rendit à Riga et Vindava (Ventspils). A Riga il célébra la Divine Liturgie (ou un moleben) dans l'église de la Consolation-de-tous-les-affligés, et le 12 mai, à Vindava, un moleben pour la consécration d'un sanatorium d'enfants, ainsi qu'une Liturgie à l'église. A Vindava toujours, le père Jean de Cronstadt concélébra avec des prêtres de l'éparchie de Riga, le père Basile Aliakritsky, le père Vladimir Pliss, le sacristain de la Cathédrale, père Winter, le père Jankovitch, le père Tserin. Il est possible que le père Jean Jouravsky ait rencontré le père Jean de Cronstadt à ce moment dans l'église de la Consolation-de-tous-les-affligés, comme il est également possible qu'il l'ait rencontré quand il était encore séminariste lors d'une visite à Cronstadt. Il est uniquement attesté que ce saint prêtre de l'Eglise offrit à Jean un manteau ecclésiastique, et lui confia des enseignements spirituels. Le peuple put dire par la suite: « C'est un don qui a été transmis de Jean à Jean ».

Jusqu'aux dernières années de sa vie, le père Jean Jouravsky conserva le manteau du père Jean de Cronstadt. Une photographie du saint père se trouvait toujours dans l'abside de l'autel. Il s'efforçait de mettre en pratique ses enseignements. Mais quels étaient-ils?

Le père Jean n'accumulait rien, il était l’antithèse du grippe-sou, il distribuait son salaire aux pauvres, il refusa un poste avantageux à la Cathédrale, et prit sur lui la croix de servir dans l'église de la prison de Riga, et dans l'asile de vieillards Sadovnikov. Il enseigna toujours la catéchèse dans les écoles (sauf à l'époque soviétique), ne refusait jamais de donner la communion aux malades, et apportait les Saints Dons à ceux qui désiraient ardemment la visite de Dieu. Il supportait avec douceur de nombreuses afflictions de la part de ses proches, surtout de son épouse, avec laquelle il vivait comme frère et soeur. Il était le meilleur instructeur et confesseur des jeunes prêtres de Riga. Mais, comme il apparaît aujourd'hui pleinement, il fut avant tout un grand homme de prière, priant continuellement, surtout la nuit. On rapporte des cas où il apparaissait aux jeunes prêtres dans leurs rêves en les sermonnant.

Le père Jean Jouravsky célébrait la Divine Liturgie remarquablement. Ses enfants spirituels considèrent que ce don lui venait du père Jean de Cronstadt. Il officiait avec ferveur et dans une stricte observance du rite. Le chant était harmonieux et empreint de l’esprit de la prière. Le père était souvent à genoux dans l'Autel.

Durant le service, le père Jean put parfois voir le monde invisible, et notamment les âmes des défunts. Ses célébrations pouvaient remplir de crainte. Avec l'audace du père Jean de Cronstadt, le père faisait lire les prières secrètes à haute voix, et ouvrait les Portes Royales pendant le canon eucharistique. La commémoration des vivants et des défunts était lue deux fois à haute voix, pendant la prothèse et la Liturgie.

L'église de la Consolation-de-tous-les-affligés où il officiait était toujours comble, alors que celles qui se trouvaient à côté étaient vides. Les fidèles racontent que le service dans l'église de la Consolation commençait à 8h du matin et se terminait à 3h de l'après-midi. Puis tous allaient à lui pour lui demander conseil, comme à un starets, et pour recevoir sa bénédiction. On quittait l'église pour rentrer chez soi avec des ailes, si puissante était la grâce s'épanchant sur les gens.

Le père Jean Jouravsky reçut de Dieu d'autres dons : le don de guérison - il arrivait qu'il guérisse par onction d'huile sainte - le don de clairvoyance, qui se manifestait dans la précision de ses conseils, dans la vision de ce qui avait été, ou qui allait arriver. Il prévenait ses ouailles des dangers, voyait spirituellement, « saisissait » l'homme en son entier. La prière du starets apportait protection et secours.

A partir de 1902 et jusqu'à l'exode de 1915 (quand l'Allemagne occupa la Lettonie) le père Jean Jouravsky officia à l'église Saint-Nicolas de Vindava. Où était le père pendant les années de l'exode (1915 à 1918), on l'ignore. Mais il y a des témoignages qui attestent qu’il se serait rendu à Kiev où il aurait eu des entretiens spirituels. Nous devons à sa plume un poème inspiré, « Sur le christianisme intérieur », qui est une synthèse de l'enseignement orthodoxe des Saints Pères sur le « travail de l'intelligence »et la prière intérieure. Ce poème devint le livre de chevet de beaucoup, laïcs ou prêtres. Il fit comprendre la prière, l'humilité et, avant tout, la recherche assidue du Royaume de Dieu, à de nombreuses personnes. Ce livre appartient au « premier » Jouravsky (il l'écrivit à l'âge de 40/50 ans), son style est élevé, inspiré. (L'auteur dit dans l'introduction qu’il est le « fruit de quarante ans passés à écouter attentivement la Symphonie Divine des Saints Pères de l'Eglise Orthodoxe ». En 1918 le Père avait 51 ans). Le père Jean a laissé quelques dizaines de milliers de réponses aux lettres de ses enfants spirituels. Mais, malheureusement, les archives du starets ont été perdues après sa mort, les lettres ayant été portées hors des frontières de la Lettonie sans que nous ayons pu les découvrir. La collection de ces lettres et leur publication est peut-être l'étape suivante dans l'étude de la vie du père Jean.

De 1920 à 1940, le père Jean fut prêtre attaché auprès des prisons de Riga. Il officia dans la Prison centrale de Riga, rue Matis, où se trouvait depuis l'époque du Tsar l'église Saint-Nicolas, et dans la prison de transfert à Riga, où se trouvait l'église Saint-Serge. Il se rendait également à l'asile de vieillards. Le père Jean rappelle à ce moment-là Saint Nicolas le bon pasteur. Les nombreuses poches de son manteau étaient toujours pleines de cadeaux pour les détenus. Pour les Grandes Fêtes, il faisait le tour des cellules avec des sacs pleins de cadeaux.

Dans la prison, il fonda quatre choeurs et deux bibliothèques de littérature spirituelle: par le chant et la prière, les âmes perdues revenaient à Dieu. Les détenus préparaient pour l'église différents articles, par exemple des châssis ciselés pour l'Evangile (presque comme dans les maisons du Labeur du père Jean de Cronstadt). On raconte que beaucoup de détenus revinrent à l'Eglise, et que le père Jean en aida beaucoup à sauver leur âme.

A l'époque soviétique l'église de la prison ferma, les livres furent ôtés à la bibliothèque, l'église de l'asile fut détruite et pillée. Il est étonnant et miraculeux que le père ait été épargné par Dieu lors de ces désastres. Les allemands arrivèrent en 1941. La Gestapo et les SS firent fusiller en masse les juifs de Riga. Le père baptisa de nombreux juifs et les sauva ainsi de la mort spirituelle et physique. Il pouvait lui en coûter d'être fusillé. Mais Dieu le protégea.

1944. Les troupes soviétiques étaient de nouveau à Riga. Fallait-il se sauver? Un groupe de 25 personnes, constitués de prêtres avec à leur tête l'évêque de Riga Jean (Garklavs), partit pour toujours. Le père demanda à son icône bien aimée de la Mère de Dieu de Kazan, avec laquelle il parlait toujours, s'il devait partir ou non. La Mère de Dieu hocha la tête avec désapprobation: « Ne pars pas ! »

Depuis 1940 et jusqu'en 1962 le père Jean Jouravsky fut le doyen de l'église de la Consolation-de-tous-les-affligés où le père Jean de Cronstadt officia un jour. C'est le dernier lieu où il officia. En 1940, il avait déjà 73 ans. Il se consacrait là entièrement à son activité de pasteur, et à la prière. Il avait derrière lui une grande expérience du service. Mais il faut « souffrir jusqu'au bout ». Il est dangereux de s'assimiler au riche de l'Evangile qui, ayant amassé des biens, se tranquillise. Le père officia sans défaillir. Il aimait surtout prier la Mère de Dieu, lui consacrer des acathistes. Il aimait beaucoup les enfants qu'il « jaugeait » dès le sein de leur mère, qu'il voyait quand ils n’étaient pas encore nés. Il câlinait toujours les enfants, leur donnait des bonbons. Ses sermons étaient audacieux, directs, accusateurs, il répondait à toutes les questions de ceux qui venaient le voir. Il parlait ouvertement du communisme sans Dieu. Il était observé par des espions délateurs, mais Dieu le protégeait. Le plus important est qu'il enseignait aux paroissiens la prière, la principale vertu du chrétien.

L'attitude du père Jean envers le mystère de la mort, le monde des défunts, est édifiante. Il avait une riche expérience des révélations surnaturelles, visions des âmes des saints auprès des reliques desquels il priait, et des âmes des défunts dans les cimetières et dans l'église pendant le service, surtout pendant la Divine Liturgie. Ceux pour qui il priait lui apparaissaient. La prière du starets était si forte qu'elle révélait le monde invisible. Il disait qu’il faut prier pour les défunts en versant des larmes. Son âme était toujours proche de ceux pour qui il priait, et des effets mystérieux s'en suivaient. Ses enfants spirituels ressentaient physiquement la proximité du starets, sa présence.

Cet enseignement vivant sur le monde de ceux qui se sont endormis et nous ont précédé dans le Seigneur, car « Dieu n'est pas le Dieu des morts, mais le Dieu des vivants » (Marc 12,27) est très important pour la conscience rationnelle actuelle, souvent froide et ignorante des liens vivants avec les défunts, de leur réelle proximité.

Pendant les dernières années, alors qu'il avait 90 ans passés, une lumière particulière rayonnait autour de lui. Souvenons-nous de Saint Séraphin de Sarov que Dieu prépara 47 ans à servir les gens, puis qu'Il révéla à tous. Il en est de même pour le père Jean. A la fin de sa vie, il fut un starets, un « père doré », comme on l'appelait dans le peuple. Il fut un véritable guide spirituel venant de Dieu. On venait le voir de la Russie entière et même de l'étranger. Il écrivait chaque jour des dizaines de lettres et apportait encore et encore de l'aide... Il « réunissait en Christ » le troupeau du Christ. Il était un proche ami de l'ancien starets de Valaam, le père spirituel de l'ermitage de Riga de la Transfiguration du Sauveur, le père archimandrite Kosma (Smirnov). Il était le père spirituel de nombreux pères spirituels.

C'est à ce moment-là que le Seigneur éveilla en lui le don de voir le futur. Il parlait de la sainteté de la terre lettone, de sa future libération, des futures afflictions, des châtiments de Dieu, de ce que « vos enfants vont encore étudier la Loi de Dieu » et de beaucoup d'autres choses, et tout se réalisait effectivement. A la fin de sa vie le père Jean dut endurer des persécutions. D'abord ce fut un avertissement émanant de ses propres confrères serviteurs du culte, suivi d'un décret officiel interdisant de mentionner dans les sermons des « expressions, exemples et faits corrupteurs et malséants » (sans doute sur les communistes), et demandant de « se limiter strictement pendant le Service aux indications du livre de service...ouvrir les Portes Royales au moment fixé ». Puis, deux ans avant sa mort (le starets l'avait prédit), sur dénonciation de ses confrères, il fut écarté des offices à l'église de la Consolation-des-affligés et on l'obligea à écrire lui-même sa demande de congé. Il avait 95 ans, mais il pouvait encore officier, lui qui avait déjà tant fait pour l'Eglise du Christ... La paroisse de l'église de la Consolation-des-affligés écrivit à l'archevêque pour défendre le père: « Nous tous ici avions une famille, une maison. Nous avons presque tous une prière commune de dix, douze ans avec le père Jean, agenouillés devant l'autel. Nous Vous prions, Très saint et vénéré Evêque... Permettez-nous de nous réjouir dans nos afflictions quotidiennes qui sont déjà pénibles. Car nous n'aurions pas de plus grande joie que de retrouver et de revoir l'archiprêtre Jean auprès de l'autel de la Consolation-de-tous-les-affligés, duquel il a été si impudemment chassé! » Hélas, l'évêque n'entendit pas la voix du peuple...

Le père avait prédit que quand il serait écarté et mourrait, l'église serait détruite. Ce fut la seule église détruite à Riga pendant l'époque soviétique. Et on peut se demander pourquoi. Si nous-mêmes, orthodoxes, n'avions pas trahi notre starets, les ennemis extérieurs auraient-ils pu nous vaincre?

Oui, nous sommes invulnérables tant que la paix est avec nous. Cela vaut la peine d'y penser. A tous les destructeurs d'églises, ceux qui ont détruit en 1925 la chapelle de la Mère de Dieu de Kazan sur la place de la gare à Riga, ceux qui ont fermé la cathédrale de la Nativité et ceux qui l'ont calomnié, le starets a prédit le châtiment de Dieu, et il s'est accompli de son vivant, pour tous, et rigoureusement.

Le père mourut le dimanche des Rameaux, le jour de l'Entrée du Seigneur à Jérusalem, le 31 mars 1964, et nous croyons qu'il est entré au Royaume des Cieux. L'office des défunts fut célébré à l'église Saint-Jean-le-Précurseur à Riga le 4 avril, la veille du Vendredi Saint. Vingt prêtres de l'éparchie orthodoxe russe de Riga, avec à leur tête l'évêque Nikon (Fomitchev) de Riga et de Lettonie, participèrent au service funèbre devant une affluence nombreuse. La tombe du starets au cimetière se trouve du côté droit de l'église Saint Jean le Précurseur, et presqu'en face de l'entrée dans l'ancienne église Notre-Dame-de-Kazan.

Je confesse ma faiblesse à écrire ces pages sur un starets dont la dimension spirituelle est incommensurable. Que puis-je ajouter en conclusion? En lisant les souvenirs des enfants spirituels du père Jean, en discutant avec de nombreuses personnes qui l'ont connu et ont reçu de lui une aide spirituelle, on voit à quel point le starets rappelle de façon étonnante la sainte figure de Saint Nicolas le Thaumaturge: son enseignement spirituel, son calme, sa douceur dépourvue de hargne ou de gloriole, sa générosité, son détachement, son soucis des opprimés, des détenus, des affamés à qui il portait les saints Mystères, des pauvres qu’il habillait, sa pureté de cœur, la force de sa prière qui pouvait obtenir la guérison de nombreuses personnes, sa clairvoyance qui lui permettait de prévoir les malheurs, les afflictions, et la perte des ingrats.

La vie du père Jean Jouravsky ne se termine pas là. Il disait lui-même: « Quand je mourrai, venez prier sur ma tombe, mais seulement après l’office, car pendant l’office, je suis à l'église ». Ceux qui viennent y prier savent qu’il accorde son aide. Ils trouvent guérison, bénédiction, et une oreille attentive à leur demande.

CONCLUSIION

Qu'est-ce qui a fait du père Jean un starets? Comment un prêtre marié, célébrant dans une paroisse, a-t-il pu parvenir à une élévation spirituelle que seuls quelques élus atteignent dans les monastères?

Son ardeur au travail, son abnégation quotidienne et continuelle dans le service, ne lui laissait aucune liberté personnelle. Tout chez lui était consacré à Dieu et aux gens. Sa paroisse et ses enfants spirituels furent le fruit de son sacrifice continuel. On lui disait « va », et il allait, « viens », et il venait (Luc 7,8). On lui adressait une demande et il y accédait, non par peur, mais conformément à sa conscience. Le père Jean assimila complètement les paroles du Christ sur le Jugement dernier, où il est clairement dit pour quelles raisons le Seigneur récompensera les justes et condamnera les pécheurs. Pendant toute sa vie, le starets exécuta, et exécuta à la lettre, la volonté de Dieu, nourrissant les affamés, habillant les nus, accueillant les voyageurs, sauvant les détenus, visitant et faisant communier les malades. « Personne ne l'a quitté démuni ».

Le starets observait les jeûnes, il était toujours mesuré dans sa nourriture, mais il n'était pas un ascète rigoureux. C'est plutôt le jeûne spirituel qui dominait dans sa vie : la paix des pensées, la pureté du coeur, la prière. Nous savons bien nous-mêmes comment nous anéantissons notre jeûne par l’irritation ou par des actes ou des paroles inconvenants. Le père Jean agissait toujours dans la prière. Il faisait tout à la gloire de Dieu. La prière de Jésus dans son cœur devint partie de lui-même.

La contemplation de fautes personnelles qui peuvent paraître insignifiantes mais qui étaient énormes à ses yeux était sa pratique habituelle, comme la vigilance, l'attention permanente, la sobriété, les larmes versées sur soi et sur l'inaccessibilité de Dieu, le pardon accordé aux proches, l'humilité, la douceur quand il était poursuivi et chassé. Il n'entra dans aucun parti à l'intérieur de l'Eglise et n'eut aucune requête personnelle à adresser à l'évêque en place, ni lors du passage de l'Eglise Orthodoxe Lettone sous la juridiction de Constantinople pendant les troubles de 1936, sous l'autorité du métropolite Serge Voskresensky (1940-1944), ni au temps des évêques de la période d'après-guerre. Le starets craignait de nuire au blé en écartant l'ivraie...

Le père Jean fut gratifié des dons du Saint Esprit, qui fit de lui starets pour sa vie héroïque, et surtout pour s’être conformé à la recommandation du Saint Thaumaturge Séraphin de Sarov: « Celui qui est en paix puise en Dieu les Dons spirituels » de l'Esprit Saint.

PÈRE JEAN, PRIE DIEU POUR NOUS!

Rassemblé et composé par le prêtre André Golikov



mercredi 12 août 2009

A PROPOS DES SIGNES ET DES MIRACLES (Partie II)


(Saint Ignace Evêque du Caucase et de la Mer Noire)

DEUXIEME PARTIE

On ne peut pas ignorer le désir qu’ont les chrétiens d’aujourd’hui de voir, et même de faire, des miracles. Ce désir doit être considéré avec d’autant plus d’attention qu’il est sévèrement condamné par les Pères. Il trahit une illusion sur soi-même, fondée sur l’orgueil et la présomption, qui vivent dans l’âme et la dominent. Le grand maître des moines, Saint Isaac le Syrien, s’exprime ainsi sur cette question : « Le Seigneur est toujours prêt à secourir Ses saints. Cependant, Il ne manifeste pas sans nécessité Sa puissance par une oeuvre ou un signe visible, pour éviter que Son aide ne nous semble banale, et que nous n’abandonnions la révérence qui Lui est due. Cette absence de révérence nous serait nuisible. Le Seigneur pourvoit Ses saints. Il les laisse mener le combat à la mesure de leurs forces et se donner la peine de prier. Il leur montre également que l’attention secrète qu’Il leur porte ne cesse pas un seul instant. Mais si une difficulté les renverse, tant leur nature est faible, Lui-même fait comme il le faut et comme Il le sait dans Sa toute-puissance pour qu’ils soient aidés. Il les affermit secrètement quand c’est possible, pour qu’ils aient la force de supporter l’affliction. Car dans la sagesse qu’Il leur donne Il dénoue leur peine, et la vision de Sa providence les éveille à la glorification, ce qui pour eux représente un double bénéfice. Quand les circonstances exigent une aide visible, Il l’apporte aussi. Ses voies sont d’une grande sagesse. Elles soutiennent dans le besoin et la nécessité, et jamais n’importe comment. Celui qui sans nécessité ose prier Dieu d’exaucer son désir et Lui demande de faire des signes ou des miracles, est tenté dans son intelligence par le démon qui se joue de lui. Sa conscience est malade et présomptueuse. Il est juste de demander l’aide de Dieu dans l’affliction, mais il est désastreux de Le tenter sans nécessité. Qui désire pareille chose est véritablement injuste. Ce que Dieu a fait à de nombreux saints, Il l’a fait sans qu’ils l’aient voulu. Celui qui désire recevoir un signe sans en avoir besoin, celui-là déchoit de la garde du cœur, et s’éloigne de l’esprit de vérité. Si celui qui ose demander est exaucé, le malin trouve en lui un lieu, puisqu’il trouve une personne qui marche devant Dieu avec insolence et sans révérence. Il le pousse alors plus loin dans la tentation. Quant aux vrais justes, non seulement ils ne désirent pas accomplir des miracles, mais si le don leur en est donné, ils le repoussent. Non seulement ils n’en veulent pas devant les hommes, mais ils n’en veulent pas en eux-mêmes, dans le secret de leur coeur. Un des Saints Pères, de par sa pureté, avait reçu par grâce de Dieu le charisme de discerner les pensées de ces visiteurs. Mais il pria Dieu, et demanda à d’autres saints de prier avec lui, pour que lui soit enlevé ce charisme. Si toutefois certains saints acceptaient les dons, c’était par nécessité ou encore parce qu’ils étaient des hommes simples. Les autres ne les acceptaient jamais sans raison, mais obéissaient aux instructions de l’Esprit Saint qui oeuvrait en eux. Les vrais justes se considèrent toujours comme indignes devant Dieu. Ils attestent qu’ils sont vrais en ceci qu’ils s’estiment misérables et indignes que Dieu veille sur eux » (Homélie 36).

De ces saintes réflexions, on peut conclure que ceux qui veulent accomplir des signes sont sous la coupe d’une excitation charnelle, de passions qu’ils ne comprennent pas, tout en ayant l’impression d’être animés d’un zèle divin. Ceux qui recherchent les signes sont dans un état comparable.

Quel que soit le contexte, il n’est pas permis de tenter Dieu ou de cesser de Le révérer. Certes, il est possible de demander l’aide de Dieu en cas d’extrême nécessité, quand nous n’avons aucun moyen personnel de nous en sortir, mais en laissant à Dieu le choix de Son intervention, c’est-à-dire en nous remettant à Sa volonté et à Sa miséricorde.

Le Seigneur aide toujours d’une manière profitable pour l’âme. Il apporte l’aide que nous recherchons, et il mêle à cette aide pour notre bénéfice une sainte saveur d’humilité. L’aide divine n’est pas recouverte d’un vernis clinquant, comme notre esprit charnel le souhaiterait peut-être. L’âme ne doit pas être abîmée par la vaine gloire que lui apporterait le plaisir de ce vernis.

Dans les oeuvres de Dieu, dans le service de l’Eglise, nous devons toujours demander à Dieu Son aide et Sa bénédiction. Nous devons aussi croire que, de la part de Dieu, seules les réponses divines et spirituelles peuvent bénéficier à notre foi et à notre piété, et non les réponses suggérées par notre esprit charnel.

Il est difficile à l’homme de supporter la gloire sans dommage pour son âme. Ceci est vrai non seulement pour les passionnels et pour ceux qui luttent contre les passions, mais aussi pour les saints qui ont vaincu ces passions. Même si la victoire sur le péché leur a été accordée, ils n’en demeurent pas moins altérables, et peuvent retourner au péché et retomber sous le joug des passions. Ceci est arrivé à certains qui, par manque de vigilance, ont laissé aller la confiance en soi jusqu’à regarder avec considération leur état spirituel. Comme le bienheureux Saint Macaire le Grand l’a noté, il reste une inclination à l’orgueil chez les âmes les plus purifiées. Cette inclination est le début de la glissade vers l’attraction des passions. A cause de cela, le don de guérison et les autres dons visibles sont très dangereux pour ceux à qui ils sont accordés, puisqu’ils sont hautement considérés par les gens charnels et sensuels, qui ne cessent de les glorifier.

Les dons invisibles et bénis, comme celui de conduire les âmes au salut et de les purifier des passions, sont incomparablement plus élevés que les dons visibles, et ne sont ni compris ni perçus par le monde. Non seulement le monde ne glorifie pas les serviteurs de Dieu qui les reçoivent, mais dans sa logique, il les persécute, leur reprochant d’oeuvrer contre les puissances ennemies et d’attaquer le Prince de ce monde.

Notre Dieu miséricordieux donne aux hommes l’essentiel et l’utile, même s’ils ne le comprennent pas et n’en saisissent pas la valeur. Il n’accorde pas ce qui est de peu d’utilité, qui souvent peut s’avérer nuisible, et que l’intelligence charnelle ignorante recherche avec avidité.

« Beaucoup, dit Saint Isaac le Syrien, ont fait des signes, ressuscité des morts, travaillé à la conversion des égarés, accompli de grands miracles, et après cela, ceux-là même qui avaient donné leur vie pour les autres sont tombés dans le mal et l’abomination des passions, s’offrant ainsi à la mort ».

Le Bienheureux Saint Macaire le Grand raconte qu’un ascète qui vivait à proximité de lui reçut jadis le don de guérison à un tel degré qu’il était capable de guérir les malades par simple imposition des mains. Il fut glorifié par les hommes, s’enorgueillit, et tomba dans le gouffre du péché.

Dans la vie de Saint Antoine le Grand, il est question d’un jeune moine qui commandait les onagres au désert. Quand le grand Ancien en entendit parler, il émit des doutes sur l’état spirituel du frère. Et peu de temps après, on entendit parler de la chute du jeune moine.

Au quatrième siècle il y avait un Ancien en Egypte qui s’était vu gratifier du don d’accomplir des miracles, s’attirant par là la gloire des hommes. Il remarqua bientôt que l’orgueil s’était emparé de lui à un tel point qu’il n’était plus capable de le chasser par ses propres efforts. Il pria Dieu avec grande ferveur de lui accorder d’être possédé, afin de trouver l’humilité. Dieu répondit favorablement à la requête de Son serviteur et Satan entra en lui. L’Ancien fut soumis aux attaques de la possession pendant cinq mois, et on dut l’attacher. Le peuple, qui auparavant accourait en masse et le louait comme un saint, le quitta, colportant la nouvelle qu’il avait perdu la tête. Ainsi libéré de la gloire des hommes et de l’orgueil, l’Ancien remercia Dieu de l’avoir sauvé de la destruction. Son salut fut assuré par l’épreuve passagère du déshonneur. Les hommes charnels ne virent pas que le don des miracles était une tentation pour l’Ancien, et que la possession démoniaque l’avait remis sur le droit chemin, par la miséricorde de Dieu.

On comprend clairement pourquoi de grands Pères du désert comme Sisoès, Pimène et d’autres, qui possédaient de grands dons de guérison, cherchaient à les cacher. N’ayant aucune confiance en eux-mêmes, ils savaient à quel point l’homme est changeant, et se préservaient par l’humilité d’un grand désastre spirituel.

Les Saints Apôtres, qui avaient reçu le don des miracles pour accompagner leur prédication, durent, par un heureux effet de la Providence, endurer des tourments et des persécutions qui les gardèrent de l’orgueil. Saint Isaac le Syrien dit à ce sujet : « Un don qui n’est pas accompagné de tentations conduit à la perdition l’âme qui l’accepte. Si tes actes plaisent à Dieu au point qu’Il en vienne à t’attribuer un don, prie-Le de bien vouloir te faire savoir comment être humble avec ce don, de te donner une protection spéciale, ou bien de t’ôter ce don au cas où il viendrait à ruiner ton âme. Tous ne peuvent conserver les richesses sans dommage ».

L’attitude du spirituel envers les maladies du corps et les guérisons miraculeuses est totalement différente de celle de l’homme charnel. Ce dernier considère la maladie comme un malheur, et la guérison, particulièrement si elle est miraculeuse, comme le plus grand des bienfaits, sans se demander un seul instant si elle est utile ou non pour l’âme. Le spirituel voit dans la maladie comme dans la guérison un bienfait de la miséricorde divine. La raison illuminée par la parole de Dieu, il adopte une conduite qui plaît au Seigneur, salutaire pour son âme dans les deux cas.

Il est possible de demander à Dieu une guérison, si on a la ferme intention d’utiliser le retour à la santé pour Le servir, et non pour servir la vanité et le péché. Dans ce dernier cas, la guérison miraculeuse conduirait à une plus grande condamnation, et entraînerait un châtiment plus sévère dans ce monde-ci et dans l’autre. Le Seigneur a attesté cela. Après avoir soigné le paralytique, Il lui a dit : « Te voici guéri ! Ne pèche plus, de peur qu’il ne t’arrive pire encore ! » (Jn.5,14)

L’homme est faible et enclin au péché. Si certains saints qui avaient reçu le don de guérison ont pu succomber à la tentation, alors qu’ils possédaient en abondance le discernement spirituel, combien plus facile est-il aux hommes charnels, à qui manque ce discernement, d’abuser des dons divins ! Et beaucoup en ont abusé ! Ayant obtenu une guérison miraculeuse, ils n’ont pas prêté attention à la Grâce divine, négligeant la reconnaissance. Ils se sont mis à mener une vie pécheresse, utilisant la Grâce au profit du mal, se détournant de Dieu et de leur salut. A cause de cela, les guérisons miraculeuses sont rares, bien que l’intelligence charnelle les désire et les respecte au plus haut point. Vous demandez et vous ne recevez pas, parce que vous demandez mal, afin de satisfaire vos convoitises (Ja.4,3).

L’intelligence spirituelle comprend que les maladies et autres tribulations que Dieu permet pour les hommes peuvent être l’expression toute particulière de Sa miséricorde. Comme des remèdes amers, elles concourent au salut, au bonheur éternel, de façon bien plus sûre que les guérisons miraculeuses. Souvent, et même très souvent, la maladie est une grâce bien plus grande que ne le serait une éventuelle guérison. Elle peut être une très grande faveur, une faveur essentielle, alors que la guérison peut priver le malade d’un grand bien, d’un bénéfice autrement plus important qu’une temporaire santé. Lazare, le mendiant malade de l’Evangile, ne fut pas guéri de sa pénible infirmité, ni libéré de la pauvreté. Il finit ses jours dans les souffrances, mais pour sa patience, il fut emporté par les anges dans le sein d’Abraham (Luc16,22).

Les Saintes Ecritures affirment que tous les saints ont terminé leur voyage terrestre sur la voie étroite, pleine d’épines, de peines, et de difficultés (Hb.12). Comprenant le véritable sens de ces peines, le vrai serviteur de Dieu se conduit envers elles avec sagesse et abnégation. Il les affronte, quelles qu’elles soient, comme faisant partie de lui-même (Voir Saint Marc l’Ascète). Il croit de toute son âme qu’elles n’arrivent pas sans la permission de Dieu, qui est juste et infiniment bon, et qui recherche l’intérêt de l’homme. Il cherche et trouve toujours en lui-même la cause de ces peines. Toutefois, s’il remarque que telle peine peut être une entrave dans ses efforts à plaire à Dieu, il Le prie pour en être délivré. Mais il laisse au Seigneur la décision d’écouter ou non sa requête, car il sait que sa façon d’interpréter les tribulations n’est jamais correcte.

Le jugement de l’homme, qui est limité, n’est jamais totalement juste, même si l’homme est saint. L’homme ne peut embrasser du regard toutes les causes des tribulations que Dieu envoie à Ses serviteurs bien-aimés, Lui qui voit tout. Le Saint Apôtre Paul a prié Dieu à trois reprises pour être débarrassé d’un ange de Satan qui le gênait dans sa prédication ; mais il ne fut pas exaucé : le jugement de Dieu en cette matière fut différent de celui de l’Apôtre inspiré (2Cor.12,7-10).

Une véritable intelligence spirituelle se soumet tout naturellement à la volonté de Dieu et demande sincèrement et humblement que cette volonté lui soit manifestée. Les saints moines, lorsqu’ils étaient soumis à la maladie, l’acceptaient comme la plus grande des grâces, et s’efforçaient de toujours remercier et glorifier Dieu pour cela, sans chercher la guérison. Les guérisons miraculeuses adviennent cependant très souvent chez les saints. Ces derniers désirent souffrir avec humilité et patience ce que Dieu a permis pour eux, croyant et confessant qu’une telle attitude est bien meilleure pour l’âme qu’une ascèse qu’on a soi-même programmée. Le bienheureux Saint Pimène le Grand disait : « Trois oeuvres monastiques ont la même valeur : rester véritablement silencieux, être malade et remercier Dieu, et accomplir son obédience avec une pensée pure ».

Dans le désert de Scété, en Egypte, là où vivaient les plus grands parmi les saints moines, il y eut un bienheureux, dénommé Benjamin. Sa vie vertueuse lui attira de la part de Dieu un grand don de guérison. En même temps, il fut atteint d’une longue et pénible maladie : l’hydropisie. Il devint si gros qu’on dut lui attribuer une cellule plus grande. Pour ce faire, il fallut démonter la porte afin qu’il pût sortir. On lui confectionna un siège spécial, car il ne pouvait plus s’allonger. Il continua néanmoins à guérir les autres, s’attirant la sympathie de tous ceux qui le voyaient. Et pourtant, il demandait qu’on voulût bien prier pour son âme, et non pas pour son corps : « Quant mon corps se porte bien, je n’en tire pas grand bénéfice. Maintenant que je subis cette maladie, il ne me nuit plus ».

Abba Pierre raconte qu’au cours d’une visite au vénérable ermite Isaïe, il trouva ce dernier souffrant d’une maladie très douloureuse. Comme il lui exprimait sa sympathie, l’Ancien lui dit : « Ainsi écrasé par la maladie, je peux à peine garder présent à l’esprit le terrible moment de la mort et du jugement. Si mon corps était sain, ce souvenir me serait totalement étranger. Quand le corps est sain, il est enclin à des actes hostiles à Dieu. Les tribulations aident à accomplir les commandements de Dieu ».

Quand les Saints Pères étaient écrasés par la maladie ou les tribulations, ils s’efforçaient en premier lieu de manifester de la patience, ce qui dépendait d’eux. Pour soumettre leur cœur à la patience, ils se jugeaient (Cf. Saint Dorothée de Gaza), se rappelaient la mort, le jugement, et les tourments éternels. Un tel souvenir affaiblit la perception qu’on a des peines d’ici-bas ! (Cf. Mt.10,28-31) Ils élevaient leur intelligence vers la Providence, se souvenant la promesse du Fils de Dieu d’être toujours avec ceux qui Le suivent, et de les préserver. Gardant cela présent à l’esprit, ils poussaient leur coeur au courage et à la mansuétude (Cf. Mt.28,20). Ils s’efforçaient de glorifier et de remercier Dieu pour les tribulations, de prendre conscience de leur état de pécheur, qui, puisqu’il méritait le châtiment, nécessitait d’être sérieusement corrigé par Dieu qui agit toujours avec justice et bonté. En s’exerçant à la patience humaine, chacun selon ses possibilités, ils intensifiaient leurs prières pour obtenir la sainte et divine patience, qui est un don spirituel, lui-même inséparable d’un autre don spirituel, la sainte humilité. Ces deux vertus sont d’ailleurs le sûr indice du salut et de la béatitude éternelle.

Les Pères qui en avaient la possibilité ne guérissaient pas toujours leurs disciples malades, afin de ne pas les priver d’un profit spirituel qui ne manquait pas de leur être accordé, comme l’atteste la Tradition de l’Eglise, s’ils supportaient l’épreuve avec patience. L’higoumène d’un monastère de Gaza, le bienheureux Séridos, disciple du grand Barsanuphe qui était ermite au monastère, fut longtemps malade. Certains des pères, parmi les plus âgés, demandèrent à Barsanuphe la guérison de l’higoumène : « Quelques-uns des saints qui vivent ici pourraient prier pour la santé de mon fils, et je lui en ai fait part. Il ne manquerait pas d’être guéri dans la journée, mais il ne recevrait pas les fruits de la patience... Cette maladie lui est bénéfique pour la patience et l’action de grâces ».

Saint Isaac le Syrien explique pourquoi les peines sont utiles à l’ascète du Christ : « L’épreuve est bénéfique pour tous. Si elle est bénéfique pour Paul, alors que toute bouche soit fermée, et que le monde entier soit reconnu coupable devant Dieu (Rom.3,19). Les ascètes sont soumis aux tentations afin d’accroître leur richesse. Certains sont affaiblis pour être gardés du mal, les négligents sont tentés pour pouvoir se réveiller, d’autres sont tentés afin de se rapprocher de Dieu, et ceux qui Lui appartiennent déjà, afin de Lui appartenir encore plus. Il ne convient pas qu’un fils sans éducation se mette à gérer les biens de son père, car il aurait tôt fait de mal s’y prendre. Pour cela, Dieu commence par permettre la tentation, et ensuite accorde le don. Gloire au Maître qui nous accorde les délices de la santé par des remèdes amers ! Il n’y a pas d’homme qui ne soit affligé pendant la leçon, qui ne trouve pas amère la coupe des tentations. Sans épreuve, il est impossible d’être fort spirituellement. Mais il est de notre pouvoir d’endurer. Comment un vase d’argile peut-il contenir de l’eau pure s’il n’a pas été au préalable affermi par le feu divin ? Si, avec révérence et désir incessant, nous demandons humblement à Dieu de nous accorder la patience, alors nous recevrons tout du Christ Jésus notre Seigneur ».

CONCLUSION

Avant le second avènement du Christ, il y aura des signes dans le soleil, dans la lune et dans les étoiles (Luc21,25), la mer fera du bruit et s’agitera. Comment allons-nous discerner ces signes de ceux de l’Antéchrist, qui accomplira aussi des signes dans le soleil, la lune, les étoiles, et l’air ? Les signes du Christ seront véritables, donc totalement différents de ceux de l’Antéchrist, simples manifestations propres à tromper les sens. Les signes de l’Antéchrist seront accomplis par l’Antéchrist lui-même et par ses apôtres. Les signes dans le soleil, la lune et les étoiles qui annonceront la seconde venue du Christ apparaîtront d’eux-mêmes, sans intermédiaire. Avec eux, les luminaires célestes achèveront la mission pour laquelle ils ont été placés là par le Créateur (Gen.1,14). Ils accomplissaient déjà cette mission lors de la Nativité du Christ (Mt.2,2), avec l’étoile miraculeuse, et lors de la Crucifixion du Dieu-Homme, quand le soleil s’assombrit en plein midi (Mt.27,45). Selon le Saint Evangéliste Matthieu, les peines consécutives au règne de l’Antéchrist cesseront, et la venue du Christ surviendra immédiatement, annoncée par l’assombrissement du soleil, la lune qui ne donnera plus sa lumière, et la chute des étoiles (Mt.24,29). Selon Saint Théophylacte de Bulgarie, les corps célestes resteront en place, mais perdront de leur éclat et sembleront disparaître de la voûte céleste, tant la lumière qui couvrira le monde pour le préparer à accepter la Gloire du Seigneur sera intense.

Nous avons l’audace de dire que notre traité sur les signes et les miracles exprime la pensée des Saints Pères, la pensée de la Sainte Eglise Orthodoxe. La nécessité de dispenser un tel enseignement de manière exacte et détaillée est évidente.

Des signes véritables ont été jadis accomplis pour permettre la connaissance du Dieu véritable, et le salut qui l’accompagne. De faux signes ont assisté l’erreur et la destruction qui la suit. De même, les signes de l’Antéchrist seront vastes et puissants, ils conduiront l’humanité infortunée à adorer comme dieu l’ambassadeur de Satan.

La pieuse contemplation des miracles accomplis par notre Seigneur Jésus-Christ édifie, console, et agit pour le salut de l’âme. Quelle sainte simplicité dans ces miracles ! Il est si facile de reconnaître Dieu en eux. Quelle bonté bénie, quelle humilité, quelle indiscutable force de conviction ! La contemplation des miracles du Christ nous élève vers le Verbe, qui est Dieu.

Pour restaurer la communion de l’humanité déchue avec Lui, Dieu a béni que son Verbe s’incarnât et vécût au milieu des hommes, entrant en relation intime avec eux, faisant d’eux les Siens, les attirant vers le ciel. En revêtant l’humanité, le Verbe demeure et agit comme Verbe de Dieu, comme le veut Sa nature divine. Il siège à la droite du Père dans Son humanité assumée, et, dans Sa divinité, se trouve partout présent. Le Verbe S’est fait inscrire sur les livres. Il s’est drapé de paroles, mais, étant Esprit et Vie (Jn.6,63), Il ne cesse de pénétrer les âmes et les coeurs, remodelant ceux qui s’unissent spirituellement à Lui, conduisant même le corps à une vie spirituelle.

En contemplant les miracles du Christ, nous comprenons quel terrible sens revêt le Verbe de Dieu. L’Unique Nécessaire (Luc 10,42) pour notre salut, ce n’est rien d’autre que le Verbe, qui accomplit le salut dans toute sa perfection. Par la connaissance de Dieu le Verbe que nous apportent les Saintes Ecritures, dictées et commentées par l’Esprit Saint, nous sommes dirigés par le Verbe, bénis par la connaissance apportée par la grâce divine, et nous recevons la pureté chrétienne de l’âme et du coeur. Cette pureté conduit à la lumière spirituelle, qui brille comme le soleil dans un ciel clair et sans nuages.

A l’aube, quand disparaissent les ténèbres de la nuit, l’aspect des objets sensibles change. Certains objets, jusque là invisibles, deviennent visibles. D’autres, qu’on ne percevait que confusément, sont maintenant distincts et clairement définis. Tout ceci arrive non pas parce que les objets eux-mêmes changent, mais parce que notre vue entretient avec eux une nouvelle relation due au changement d’éclairage. Il en va de même dans la relation entre l’esprit humain et les choses spirituelles. L’âme est éclairée par la lumière spirituelle de l’Esprit Saint. C’est seulement sous cet éclairage qu’elle peut appréhender les voies saintes de Dieu ! C’est seulement sous cet éclairage que l’invisible marche de l’esprit et du coeur vers Dieu peut être accomplie sans péché ! C’est seulement sous cet éclairage que l’on peut échapper à l’erreur, aux filets, et à l’abîme de la destruction ! Quand cette lumière n’est pas là, on ne peut pas voir la Vérité. Quand cette lumière n’est pas là, nulle vertu ne plaît à Dieu, nulle vertu ne peut conduire aux demeures du Paradis. Afin d’éviter l’infortune qu’apporte à l’esprit charnel la vision des signes et des miracles, les yeux spirituels doivent être éclairés par la lumière de la vision spirituelle.

Nous venons de voir la nature spirituelle des miracles accomplis par le Dieu-Homme, et leur but. Les signes ont accompli leur tâche, ils appartiennent au passé, ils ont cédé la place à l’Acteur par excellence, le Verbe, qui reste et restera l’Acteur par excellence, jusqu’à la fin du monde, comme Il l’a d’ailleurs dit Lui-même : Je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde (Mt.28,20).

Quand les signes à portée universelle cessèrent, ces signes qui furent accomplis par les Apôtres et ceux qu’on dit Egaux-aux-Apôtres pour semer le Christianisme, d’autres signes furent accomplis ici et là par les vases élus du Saint Esprit. Mais, le temps passant, le Christianisme s’affaiblit, entraînant la corruption morale. Les thaumaturges sont de moins en moins nombreux (l’Echelle,26-52). Ils finissent même par disparaître complètement.

Parallèlement, les hommes perdent toute révérence et tout respect pour le sacré, ils perdent aussi l’humilité, et deviennent indignes, non seulement d’accomplir des miracles, mais aussi de les voir, bien qu’ils aient, plus encore que jadis, soif de ces miracles. L’humanité, enivrée par la suffisance, la présomption et l’ignorance, agit sans discernement, avec dureté et audace, envers tout ce qui semble miraculeux. Elle ne refuse pas de jouer un rôle dans l’accomplissement des miracles, et même, manifeste fermement l’intention de le faire, sans hésiter une minute. Une telle attitude est encore plus dangereuse que par le passé.

Nous approchons petit à petit du grand spectacle des innombrables, stupéfiants, faux, et séduisants miracles, qui jettera dans la destruction les infortunés enfants du raisonnement charnel.

Le réveil de l’âme par le Verbe de Dieu résulte d’une foi vivante dans le Christ. La foi vivante, pour ainsi dire, voit le Christ (Hb.11,27). Le Christianisme lui est révélé, tout en restant un mystère. Tout en restant inconcevable, il devient clair et compréhensible. Il n’est plus couvert d’un voile épais et impénétrable, comme au temps de l’absence de foi. La foi vivante raisonne spirituellement. Elle n’a pas besoin de signes, elle se satisfait pleinement des miracles du Christ, et du plus grand de Ses miracles, de la couronne de Ses miracles : Sa Parole. Le désir de voir des miracles dénonce l’incrédulité. Jadis, les signes furent donnés aux incroyants pour les amener à la foi. Tournons-nous de toute notre âme vers le Verbe de Dieu, unissons-nous à Lui en esprit, et les signes de l’Antéchrist n’attireront pas notre attention. Avec dédain et répulsion, nous détournerons d’eux nos yeux, comme d’un spectacle démoniaque, comme d’une réalisation de l’ennemi fanatique de Dieu, comme d’une moquerie de Dieu, comme d’une poison infect et mortel.

Rappelons-nous la remarque suivante qui provient de l’expérience des saints ascètes : toutes les manifestations démoniaques sont d’une nature telle, qu’il est dangereux de leur prêter attention, fut-ce un instant, même si ces manifestations n’attirent pas notre sympathie, car elles peuvent laisser une impression des plus nuisibles, et entraîner une sérieuse tentation.

Un raisonnement humble est inséparable d’un raisonnement spirituel. Saint Isaac le Syrien dit que seul l’humble peut être reconnu comme raisonnable. Celui qui n’a pas l’humilité ne raisonnera jamais avec sagesse. Une foi vivante révèle Dieu au regard de l’âme. Le Verbe de Dieu unit l’âme à Dieu. Celui qui s’approche de Dieu de cette façon, qui sent la présence de Dieu, celui-là réalise son indignité, et se trouve empli d’une indicible révérence envers Dieu, envers Ses actes, envers Sa volonté, envers Ses enseignements, et trouve l’humilité dans son raisonnement. Celui qui raisonne humblement n’aura pas l’audace d’être curieux de ce qui arrive en dehors de la volonté de Dieu, et qui a été condamné en son temps par le Verbe de Dieu. Les signes de l’Antéchrist seront étrangers à son humble raisonnement, puisqu’il n’a pas de lien avec eux.

Le fait de reconnaître son indignité et sa faiblesse devant Dieu, Sa majesté, Sa puissance, et Son infinie bonté, hisse l’âme vers une prière instante. L’espérance d’une telle âme est concentrée en Dieu, elle n’est pas distraite dans la prière. L’âme prie, ramassant ses forces, tendue vers Dieu de tout son être. Elle se met en prière aussi souvent que possible, et finit par prier sans cesse.

Quand viendront les grandes épreuves du temps de l’Antéchrist, tous ceux qui croient véritablement vont crier une magnifique prière à Dieu. Ils vont crier pour obtenir aide et protection, pour recevoir la grâce divine qui pourra leur donner des forces et les guider. Bien qu’il soient fidèles à Dieu, leur propre force sera insuffisante pour résister aux pouvoirs associés des anges déchus et des hommes, qui agiront sous le coup de la rage et du désespoir, présentant leur destruction imminente (Apoc.12,12).

La grâce divine couvrira de son ombre les élus, les immunisera contre les tromperies du séducteur, chassera la peur de ses menaces, et leur permettra de regarder avec dédain ses miracles. La grâce divine donnera aux élus le courage de confesser le Sauveur qui a accompli le salut du monde, et de dénoncer le faux messie, venu détruire l’humanité. Elle conduira les élus au trône royal de leur exécution, au festin des noces.

L’expérience de l’amour de Dieu est plus douce que la vie, dit le Saint Martyr Jacques le Persan (26 novembre). De la même façon que la mort et ses souffrances sont le commencement des tourments éternels pour le pécheur, la souffrance pour le Christ et la mort en martyr sont le début des joies éternelles du Paradis. Nous voyons ceci nettement dans les vies des martyrs des premiers siècles du Christianisme. Au début, les tyrans autorisent les martyrs à dire où va leur choix. Ensuite, quant ils ont accepté les premières souffrances, une aide leur vient d’en haut, qui rend ces souffrances et la mort pour le Christ éminemment désirables.

Le Seigneur, en prophétisant sur les peines qui adviendront lors de Sa seconde venue, a commandé à Ses disciples de veiller et de prier : prenez garde, veillez et priez ! (Mc.13,33) La prière est toujours nécessaire et utile pour l’homme. Elle entretient sa communion avec Dieu et le garde sous Sa protection. Elle le préserve de la confiance en soi, de la séduction des vanités, et de l’orgueil, de ce qui peut lui advenir de mauvais à cause de son état déchu, ou des pensées et rêveries occasionnées par les esprits déchus. En cas de danger ou de tristesse, visible ou invisible, la prière est tout spécialement utile, car elle exprime le rejet de la confiance en soi, l’espérance dans le Seigneur, et attire sur nous l’assistance de Dieu. Le Dieu tout-puissant devient Acteur chez celui qui prie dans des circonstances difficiles, et sort Son serviteur des embûches par Sa providence miraculeuse.

La connaissance de Dieu, la foi vivante, l’humilité bénie, la prière pure, sont les attributs du spirituel. Au contraire, l’ignorance de Dieu, l’incroyance, l’aveuglement spirituel, l’orgueil, la confiance en soi, et la présomption, sont les attributs de l’esprit charnel. Un tel esprit ne connaît pas Dieu. Il ne comprend pas, et refuse les moyens que Dieu lui offre de Le connaître. Il emploie les moyens dévoyés et destructeurs pour l’âme qui correspondent à son état : il demande un signe du ciel.

Amen.

mardi 4 août 2009

VIE DE SAINT PIERRE LE PRINCE DES APÔTRE

Saint Dimitri de Rostov

Le Saint Apôtre Pierre se nommait Simon avant son apostolat. Juif de naissance, il naquit en Galilée, dans la petite ville méconnue de Bethsaïde, d’un père nommé Jonas, de la maison de Simon. Son frère était le Saint Apôtre André, le Premier-Appelé. Saint Pierre épousa la fille d’Aristobule, le frère du Saint Apôtre Barnabé, dont il eut deux enfants, un fils et une fille. Homme simple et sans instruction, il craignait Dieu, accomplissait tous Ses commandements, et se tenait devant Lui sans faille dans tous ses actes. Il était pêcheur de son état, et vivait dans la pauvreté, gagnant de ses mains la nourriture nécessaire pour sa maisonnée, c’est-à-dire sa femme, ses enfants, sa belle-mère, et son vieux père.

Son frère André, quant à lui, dédaignait la vanité et les préoccupations de ce monde, et menait une vie de célibataire qui le conduisit à devenir le disciple de Saint Jean Baptiste qui prêchait le repentir près du Jourdain. Voyant un jour son maître montrer du doigt le Seigneur Jésus en disant : « Voici l’Agneau de Dieu qui ôte les péchés du monde », il laissa Jean pour suivre le Christ avec un autre de ses disciples. A la question « Maître, où demeures-Tu ? », le Seigneur ayant répondu : « Venez et voyez ! », ils demeurèrent chez Lui ce jour-là. Au matin, André vint trouver son frère Simon Pierre et lui dit : « Nous avons trouvé le Messie ! », et il le conduisit vers le Seigneur Jésus, qui le regarda et dit : « Tu es Simon, Fils de Jonas, tu seras appelé Képhas », ce qui signifie Pierre. Saint Pierre fut tout de suite blessé d’amour pour le Seigneur. Il crut sur-le-champ qu’Il était le Christ envoyé par Dieu pour le salut du monde. Toutefois, il n’abandonna pas immédiatement sa maison et son métier, et continua encore pour un temps à procurer le nécessaire à ses proches, avec l’aide d’André, à cause du grand âge de leur père. Mais un peu plus tard, quand Jean eut été mis en prison, le Seigneur Jésus, qui passait près du lac de Tibériade, vit Pierre et André jeter leurs filets et leur dit : « Suivez-Moi, et je vous ferai pêcheurs d’hommes ! »

Et quel genre de pêcheurs allaient-ils devenir ? Ceci leur fut manifesté le jour où le Seigneur monta dans le bateau de Simon et commanda de jeter les filets. Pierre dit alors : « Maître, nous avons travaillé toute la nuit sans rien prendre, mais sur Ta parole, je jetterai le filet ! » (Luc5,5-6) Et la prise fut si grosse que le filet se rompit, préfigurant la pêche spirituelle et apostolique qui devait attraper par la Parole de Dieu de nombreux peuples dans le filet du salut. Voyant ce miracle, Pierre tomba épouvanté aux pieds de Jésus en disant : « Seigneur, éloigne-Toi de moi, car je suis un homme pécheur ! » Mais le Seigneur choisit plutôt de lui répondre : « Suis-moi, et désormais tu pêcheras les hommes pour la vie comme tu avais pêché les poissons pour la mort ! »

Dès lors, Saint Pierre devint disciple du Christ avec son frère André et les autres disciples nouvellement appelés, et il fut aimé du Seigneur pour la simplicité de son coeur. Un jour, le Christ visita la modeste maison de Saint Pierre et guérit sa belle-mère de la fièvre en la touchant de la main. La nuit suivante, Il partit dans un lieu désert pour prier, et Pierre, ne supportant pas l’idée d’être une heure sans le Seigneur, abandonna sa maison et courut avec zèle derrière son Maître. L’ayant trouvé, il Lui dit : « Seigneur, tous Te cherchent ! »

Désormais, Pierre ne quitta plus le Christ, et resta constamment à Ses côtés pour jouir de Sa vue, écouter Ses paroles plus douces que le miel, et être le témoin des nombreux et grands miracles qui attestaient qu’Il était bien le Christ, le Fils de Dieu.

Le coeur de Pierre crut sans douter à la vérité, et sa bouche confessa le salut. En effet, comme le Seigneur revenait de Césarée de Philippe et questionnait Ses disciples : « Qui dit-on que Je suis, moi, le Fils de l’Homme ? », ils répondirent : « Les uns disent que Tu es Jean-Baptiste, les autres Elie, d’autres encore Jérémie ou l’un des prophètes », et comme le Christ insistait : « Et vous, qui dites-vous que Je suis ? », Pierre répondit : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! » Alors le Seigneur loua son juste témoignage en disant : « Tu es bienheureux Simon, fils de Jonas, car ce ne sont pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais c’est Mon Père qui est dans les cieux ! » Et le Christ promit à Pierre de lui donner les clefs de Son Royaume Céleste. Mais l’amour que Pierre éprouvait pour le Seigneur était si ardent qu’il ne concevait pas qu’un malheur pût Lui arriver, aussi en L’entendant parler de Ses souffrances, il dit : « Sois miséricordieux envers Toi Seigneur, et que cela ne T’arrive pas ! » Ces paroles de Pierre ne furent pas agréables au Seigneur qui était justement venu en ce monde pour racheter le genre humain de la perdition par Ses souffrances. Cependant ces paroles manifestaient à la fois le fervent amour de Pierre et son absence de rancune, quand le Seigneur le réprimanda par ces mots très durs : « Derrière moi, satan ! » Loin de s’irriter contre le Seigneur, Pierre accepta courageusement cette édifiante réprimande, et suivit le Christ avec une ferveur redoublée.

Plus tard, de nombreux disciples entendirent les paroles du Seigneur sans pouvoir les accepter et dirent, avant de Le quitter : « Cette parole est dure, qui peut l’écouter ? » Le Seigneur dit aux Douze : « Et vous, ne voulez-vous pas aussi vous en aller ? » Et ce fut Pierre encore qui répondit : « Seigneur, vers qui irions-nous, Tu as les paroles de la vie éternelle ! Nous avons cru et nous avons connu que Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! »

Dans sa grande foi et sa grande ferveur, Saint Pierre osa même demander au Seigneur de marcher sur les eaux, et ceci ne lui fut pas refusé. Il sortit du bateau et marcha vers le Seigneur Jésus. Mais sa foi n’était pas encore parfaite car il n’avait pas encore reçu l’Esprit Saint, et, voyant la force du vent, il s’effraya et cria : « Seigneur, Sauve-moi ! » Aussitôt, le Christ lui tendit la main : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? », le libérant de l’abîme des eaux, et plus tard, de son manque de foi en disant : « J’ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille pas ! »

Pierre fut digne, avec les deux autres Apôtres Jacques et Jean, de voir la Transfiguration du Seigneur sur le Mont Thabor. Il entendit de ses propres oreilles la voix du Père, comme il le rapporte dans son épître : « Ce n’est pas en suivant des fables habilement conçues que nous vous avons fait connaître la puissance et l’avènement de notre Seigneur Jésus-Christ, mais c’est en ayant vu Sa majesté de nos propres yeux. Car Il a reçu de Dieu le Père honneur et gloire quand la Gloire magnifique Lui fit entendre Sa voix qui disait : Celui-ci est Mon Fils bien-aimé en qui J’ai mis toute Mon affection. Nous avons entendu cette voix venant du ciel lorsque nous étions avec Lui sur la sainte montagne »

Lorsque le Seigneur s’approcha de Ses souffrances volontaires et de Sa mort sur la Croix, Pierre montra sa ferveur pour Lui, non seulement en disant : « Seigneur, je suis prêt à aller avec Toi en prison et à la mort », mais aussi en dégainant son épée pour couper l’oreille du serviteur du prêtre Malchus. Et même si, par la providence divine, il chuta trois fois en reniant le Seigneur, son repentir sincère et ses larmes amères lui valurent d’être le premier des Apôtres à voir le Seigneur après Sa Résurrection : « Le Seigneur est réellement ressuscité, et Il est apparu à Simon » (Luc24,34). Saint Paul témoigne aussi : « Il est ressuscité le troisième jour, selon les Ecritures, et Il est apparu à Képhas, puis aux Douze ».

Quelle ne fut pas la joie de Pierre quand il vit le Seigneur et reçut de Lui le pardon miséricordieux de son péché ! Après son triple reniement, il offrit une triple réponse d’amour au Christ en disant : « Seigneur, Tu sais tout, Tu sais que je T’aime ! » A la suite de quoi le Seigneur l’instaura comme pasteur de Ses brebis et portier de Son Royaume Céleste.

Après l’Ascension de notre Seigneur Jésus-Christ, Pierre, comme premier des Apôtres, fut le premier à prêcher la Parole de Dieu, et acquit en une heure jusqu’à trois mille âmes à l’Eglise du Christ. Il se montra également un thaumaturge hors du commun. Comme il entrait dans le temple pour prier en compagnie de Saint Jean, il vit un homme boiteux de naissance à la porte dénommée « la belle ». Il lui prit la main droite et le releva en disant : « Au Nom de notre Seigneur Jésus-Christ de Nazareth, lève-toi et marche ! » Et aussitôt, les pieds et les chevilles du boiteux s’affermirent, au point que d’un bond il fut debout, marcha, sauta, et entra avec les Apôtres dans le temple en glorifiant Dieu. Ce miracle et la parole de Dieu amenèrent à la foi en Jésus-Christ près de cinq mille hommes.

Saint Pierre mit à mort par sa parole Ananie et sa femme Saphire qui avait commis le sacrilège de mentir à l’Esprit Saint. A Lydda, il guérit un homme du nom d’Enée qui était paralysé depuis l’âge de huit ans par les seules paroles : « Jésus-Christ te guérit ! » A Joppé, il ressuscita une jeune fille nommée Tabitha.

Non seulement ses mains et sa parole puissante faisait des miracles, mais son ombre même provoquait des guérisons. Partout où il se rendait, les gens sortaient leurs malades sur leurs lits afin que l’ombre de Pierre les recouvrît au passage.

Mais bientôt, le roi Hérode porta la main sur l’Eglise de Jérusalem pour lui faire du mal, fit assassiner Jacques le frère de Jean, et fit saisir Pierre pour le mettre en prison. Alors qu’il était lié par deux chaînes, l’Ange du Seigneur le délivra pendant la nuit, et le fit sortir de prison.

Le prince des Apôtres fut le premier à ouvrir aux païens les portes de la foi en baptisant à Césarée le centurion romain Corneille, après avoir eu la vision d’une nappe descendant du ciel chargée de quadrupèdes et de reptiles, accompagnée d’une voix qui lui ordonnait de tuer et de manger, sans regarder comme impur ce que Dieu déclarait pur, en signe de la prochaine conversion des païens.

Il dénonça par la suite le mage samaritain Simon qui voulait hypocritement par le baptême acheter le don de l’Esprit Saint : « Que ton argent périsse avec toi car ton coeur n’est pas droit devant Dieu ! Je vois que tu es dans un fiel amer et dans les liens de l’iniquité ! »

Toutes ces choses sont inscrites dans l’Evangile et dans les Actes des Apôtres qu’on lit à l’église, où elles sont présentées en détails. Les rassembler ici de façon exhaustive n’est pas nécessaire car tous les connaissent bien.

La suite des exploits et des labeurs du Saint Apôtre Pierre est moins connue, et nous la rapporterons ici à travers les paroles de Saint Syméon Métaphraste : « De Jérusalem, Saint Pierre se rendit à Césarée, où il consacra un évêque issu du choeur des presbytres qui l’avait suivi. Il se rendit ensuite à Sidon où il fit beaucoup de guérisons et consacra un évêque, puis à Béryte où il consacra un autre évêque. De là il partit pour Byblos et Tripoli de Phénicie, où il consacra Marson, chez qui il avait vécu, comme évêque. De là, il se rendit sur l’île d’Antarados puis à Laodicée où il guérit de nombreux malades, chassa les esprits impurs, et rassembla une grande Eglise à laquelle il donna un évêque. Ensuite, il parvint à Antioche de Syrie, où se cachait Simon le mage qui l’avait fui en Palestine et qui fuyait maintenant les soldats de l’empereur romain Claude. Pierre accomplit de nombreuses guérisons à Antioche, prêcha avec bonheur le Dieu Unique en Trois Personnes, et ordonna des évêques pour évangéliser la Sicile, notamment Marcien pour les habitants de Syracuse, et Pancratios pour Tavroménie. Il se rendit ensuite à Tyane de Cappadoce, puis à Ancyre en Galatie où sa prière ressuscita un mort, et où il catéchisa et baptisa de nombreuses personnes, instaura l’Eglise locale et consacra un évêque. Après quoi, il partit pour Sinope et Amasée dans le Pont. Il visita ensuite Gangres en Paphlagonie, puis Claudiopolis dans la province d’Honorias, Nicomédie en Bithynie et Nicée.

Ensuite, il retourna rapidement à Jérusalem pour la fête de Pâques, puis pour la Cappadoce et la Syrie. Il revint à Antioche et à Jérusalem où il reçut la visite de Saint Paul trois ans après sa conversion au Christ, comme celui-ci le rapporte aux Galates : Trois ans plus tard, je montai à Jérusalem pour faire la connaissance de Képhas et je demeurai quinze jours chez lui . Après cette rencontre, certaines lois de l’Eglise ayant été définies, le bienheureux Paul partit accomplir l’oeuvre à laquelle il avait été appelé, et le grand Pierre revint à Antioche où il consacra Evode évêque. Il se rendit ensuite en Phrygie. De là, il alla à Nicomédie où il sacra Prochore évêque. Ce dernier continua toutefois à suivre Saint Jean le Théologien même après cette ordination. De Nicomédie, Pierre partit pour Héliopolis dans l’Hellespont où il consacra évêque le centurion Corneille, puis revint à Jérusalem.

Là, il eut une vision du Seigneur qui lui dit : Lève-toi, Pierre, et pars pour l’Occident ! Il est nécessaire que l’Occident soit éclairé par tes lumières. Je serai avec toi !

C’est en ces temps-là que Simon le Mage fut capturé par les soldats qui le poursuivaient et conduit à Rome pour y être rétribué selon ses oeuvres. Parvenu dans la capitale de l’empire, il employa les ruses et la magie pour enténébrer l’esprit d’une multitude, à tel point que, loin d’être châtié, il fut considéré comme un dieu. Ce disciple romain de satan étonna tellement l’empereur Claude lui-même par sa magie, qu’il fit sculpter sa statue et la déposa entre deux ponts du Tibre avec l’inscription : A Simon, le dieu saint. Mais Justin et Irénée ont parlé de cela en détails...

Revenons au grand Pierre qui, après avoir annoncé aux frères l’apparition du Seigneur, les embrassa et partit pour Antioche, visitant les Eglises et rencontrant de nouveau Saint Paul. De là, il partit, sacra Orcanos évêque de Tarse, Apelle, frère de Polycarpe, pour Smyrne, Olympas pour Philippes de Macédoine, Jason pour Thessalonique, Silas qu’il avait trouvé chez Paul pour Colosses et Hérodion à Patras. Puis, il se rendit en Sicile par la mer, demeura quelque temps à Tavromeni chez Pancratios son disciple, homme versé dans les Ecritures, y catéchisa et baptisa un certain Maxime qu’il ordonna évêque et partit pour Rome.

A Rome, il prêcha jour après jour dans les maisons et dans les assemblées, un seul Dieu, le Père tout-puissant, un seul Seigneur Jésus-Christ Fils de Dieu, vrai Dieu de vrai Dieu, et un seul Esprit Saint vivifiant. Il attira de nombreuses personnes à la foi au Christ et les libéra par le saint baptême du leurre païen.

Voyant cela, Simon le Mage fut incapable de se taire et de cacher son animosité envers l’Apôtre, considérant la prédication de ce dernier comme une honte qui venait ternir sa gloire. Il se mit à s’opposer ouvertement à l’enseignement de la vérité, contredisant Saint Pierre sans vergogne par ses paroles et par ses actes au centre même de la ville. Il faisait apparaître aux yeux du peuple des fantômes illusoires qui le précédaient et le suivaient partout, disant qu’il s’agissait là des âmes des morts, ou de ressuscités qui l’adoraient comme un dieu. Par l’artifice de ses illusions, il faisait marcher droit ou sautiller des boiteux. Mais tout ceci n’était qu’illusion, comme ce fabuleux Protée qui changeait de forme, apparaissant tour à tour avec deux visages, sous l’apparence d’une chèvre, d’un serpent ou d’un oiseau, ou bien encore comme du feu, en ne cessant de tromper les insensés. Mais dès que le grand Apôtre du Seigneur jetait le regard sur ses choses insensées, elles disparaissaient ».

Syméon Métaphraste n’est pas le seul à parler des controverses du Saint Apôtre Pierre et de Simon le Mage. On trouve dans le prologue des synaxaires le récit suivant : « Quand Saint Pierre arriva à Rome et apprit que Simon le Mage se faisait appeler Christ et accomplissait de nombreux signes devant les hommes, sa ferveur s’enflamma et il se rendit à la maison de Simon. De nombreuses personnes, qui se tenaient près des portes, lui en interdirent l’entrée.

- Pourquoi m’empêchez-vous d’entrer chez ce mage insidieux ?

- Ce n’est pas un mage mais un dieu puissant. Il a placé une garde devant sa porte qui connaît les pensées humaines : un chien noir qui tue tous ceux qui pensent du mal de Simon.

- Je dis la vérité : Simon est du démon ! Et toi le chien, vas dire à ton maître que Pierre, l’Apôtre du Christ, veut entrer chez lui !

Le chien se rendit auprès de Simon pour le prévenir de l’arrivée de Pierre avec une voix humaine. Tous furent terrifiés en entendant parler le chien. Simon renvoya l’animal chercher Pierre. Quand Pierre entra, le mage fit apparaître ses chimères aux yeux du peuple. Et le Saint Apôtre montra par la puissance du Christ des miracles encore plus grands ».

Quels miracles ? C’est ce que raconte le grec Egycippos, le plus ancien historien de l’Eglise, qui vivait près des Apôtres. Voici le récit de l’un d’entre eux : « Le fils d’une veuve romaine de rang royal vint à mourir dans ses jeunes années. Sa mère versait beaucoup de larmes et se montrait inconsolable. Ses proches se souvinrent alors qu’on trouvait à Rome à ce moment-là deux hommes dont on disait qu’ils ressuscitaient les morts : Pierre et Simon le Mage. Ils les firent donc convoquer, et beaucoup de personnes de haute condition se rassemblèrent, ainsi qu’une grande multitude issue du peuple. Saint Pierre s’adressa à Simon qui se vantait de sa puissance :

- Qu’on accepte comme vrai l’enseignement de celui qui ressuscitera le mort !

Et le peuple acclama la parole de Pierre. Mais, Simon, qui espérait dans sa magie, parla lui aussi au peuple :

- Si je ressuscite le mort, tuerez-vous Pierre ?

- Nous le brûlerons vif devant tes yeux !

Simon s’approcha de la couche du défunt et mit en oeuvre sa magie. Avec l’aide des démons, il fit remuer la tête du mort. Le peuple cria aussitôt que le jeune homme était vivant, et ressuscité. Il voulut se saisir de Pierre pour le brûler. Mais l’Apôtre leva les bras pour obtenir le silence et, quand tous se turent, parla ainsi :

- Si le jeune homme est vivant, qu’il se lève, qu’il parle, et qu’il marche ! Tant que vous n’aurez pas vu tout cela, soyez certains que Simon vous trompe par ses chimères et ses fantômes !

Simon marcha longtemps autour de la couche en invoquant les démons. Mais, comme il ne pouvait rien obtenir, la honte le saisit et il voulut s’enfuir. Mais le peuple le retint. Alors Saint Pierre, qui avait déjà ressuscité Tabitha et avait accompli beaucoup d’autres glorieux miracles, se tint éloigné du mort, leva les bras et les yeux vers le ciel, et pria :

- Seigneur Jésus-Christ, Tu nous a donné un ordre : en Mon Nom, ressuscitez les morts ! Je Te demande donc de ranimer ce jeune homme mort afin que tous ces gens sachent que Tu es un Dieu vrai et qu’aucun autre que Toi ne règne avec le Père et l’Esprit Saint dans les siècles ! Amen. Jeune homme, lève-toi, mon Seigneur Jésus-Christ te ressuscite et te guérit !

Et le mort ouvrit les yeux, se leva, et se mit à parler et à marcher ».

Le romain Marcel, qui fut dans un premier temps disciple de Simon, mais fut ensuite éclairé, conduit à la foi, et baptisé par Saint Pierre, écrit dans son épître aux saints martyrs Nérion et Archille , la fin de ce récit : « Le jeune homme ressuscité tomba aux pieds de Pierre en criant :

- J’ai vu le Seigneur Jésus-Christ qui ordonnait aux anges de me rendre, par ta supplique, à ma mère veuve !

Alors tout le peuple se mit à crier que seul est Dieu le Dieu prêché par Pierre. Simon le Mage utilisa de nouveau sa magie pour se faire une tête de chien et se sauver, mais le peuple s’en saisit avec l’intention de le lapider ou de le brûler, ce que Saint Pierre leur interdit en disant :

-Notre Seigneur et Maître n’a pas ordonné de rendre le mal pour le mal. Laissez-le aller où il veut ! La honte, l’outrage et la connaissance de sa faiblesse lui suffisent. Sa magie ne peut rien.

Simon fut libéré et vint chez moi en pensant que j’ignorais le miracle. Il mit à ma porte un grand chien lié par une chaîne en fer et me dit :

- Je vais voir si Pierre viendra chez toi selon son habitude.

Au bout d’une heure, Saint Pierre se présenta à la porte, détacha le chien, et lui dit :

- Va dire à Simon le Mage de cesser de leurrer par ses oeuvres démoniaques les gens pour lesquels le Christ a versé Son sang !

Le chien s’en alla annoncer au mage avec une voix humaine ce que l’Apôtre lui avait dit. Ayant entendu cela, je sortis rapidement pour recevoir Pierre chez moi avec honneur, et je chassais Simon et son chien. Celui-ci se précipita sur Simon, le mordit à pleines dents, et le jeta à terre. Pierre, qui regardait la scène par la fenêtre, ordonna au chien au Nom du Christ de ne pas causer davantage de mal au corps de Simon. C’est ainsi que sans lui causer aucun mal, le chien réduisit en charpies tous ses vêtements de sorte qu’aucune partie de son corps ne demeura couverte. Le peuple injuria Simon, et le chassa avec son chien de la ville à grands cris. Honteux et déshonoré, Simon ne réapparut plus à Rome pendant une année entière, et n’y revint que lorsque Néron succéda à Claude. Néron était un empereur méchant, comme en témoignèrent les gens méchants qui l’entouraient. Il aima beaucoup Simon et fit de lui son ami ».

Dans le prologue de la grande Ménée, on peut encore lire certains détails sur Simon : « Il voulut avoir la tête tranchée, et promit de ressusciter le troisième jour. Par un artifice, il fit en sorte de placer un mouton sous l’épée, et fit de lui une sorte de fantôme d’homme. Saint Pierre chassa l’illusion du cadavre du mouton, et dénonça Simon aux yeux de tous. Tous en effet virent le mouton décapité apparaître à la place de Simon.

Le mage Simon ne pouvait plus contredire l’Apôtre Pierre. Ecrasé par la honte et le déshonneur, il promit de s’élever au ciel. Rassemblant toute la force des démons qui le servaient, il se rendit au centre de Rome, et monta sur le toit d’un édifice de grande taille, la tête couverte d’une couronne de lauriers. Puis il s’adressa au peuple avec colère :

- Romains, puisque jusqu’à ce moment même vous persistez dans votre folie, puisque vous m’abandonnez en suivant Pierre, je vous abandonne à mon tour et cesse de défendre cette ville ! Que mes anges me prennent dans leurs bras et me montent au ciel chez mon père, d’où je vous enverrai de grands châtiments pour vous punir de ne pas avoir écouté mes paroles et cru à mes oeuvres !

Ayant dit cela, Simon frappa dans ses mains, se propulsa dans l’air et commença à voler, porté par les démons. Les gens, très étonnés, se disaient les uns aux autres :

- C’est l’oeuvre d’un dieu que de voler avec son corps !

Mais le grand Apôtre Pierre se mit à prier Dieu, disant :

- Seigneur Jésus-Christ mon Dieu, dénonce l’illusion de ce mage, afin qu’il ne séduise plus les gens qui croient en Toi ! Et vous, les diables, au Nom de mon Dieu je vous ordonne de ne plus le porter, mais de le lâcher là où il est à présent ! Aussitôt les démons, à la parole de l’Apôtre, s’éloignèrent de Simon et le misérable mage tomba, comme jadis satan précipité du haut des cieux, et se fracassa sur le sol. En voyant cela, le peuple s’extasia des heures durant, répétant sans relâche : Grand est le Dieu prêché par Pierre, en vérité il n’y a pas de Dieu hormis ce vrai Dieu ! Le mage, après sa chute, fut tout à fait brisé, mais, par la volonté de Dieu, toujours vivant, afin qu’il eût encore l’opportunité de reconnaître la faiblesse des démons et la sienne, son état misérable, que la honte le gagnât et qu’il admît la force du Tout-Puissant. Etendu sur le sol, brisé, il supporta de grandes souffrances tandis que le peuple le raillait, et ce n’est qu’au matin qu’il remit péniblement son âme mauvaise entre les mains des démons pour être conduite en enfer chez satan, leur père.

Saint Pierre, après la chute de Simon, monta sur une hauteur et fit un signe de la main pour que le peuple qui vociférait se tût. Il lui enseigna la connaissance du vrai Dieu, et par un long discours, l’initia à la foi chrétienne ».

En apprenant la mort honteuse de son ami, l’empereur Néron s’irrita fortement contre Pierre et voulut le tuer. Toutefois, le courroux du souverain ne put aboutir immédiatement, comme le rapporte Saint Syméon Métaphraste, mais seulement quelques années plus tard.

Après la mort de Simon, en effet, Saint Pierre ne resta pas longtemps à Rome. Il fit beaucoup de baptêmes, affermit l’Eglise, consacra Saint Lin évêque de la ville impériale, puis partit pour Terracine où il consacra un autre Epaphrodite comme évêque. Il parvint ensuite à Sirmi en Espagne où il consacra Epainétos comme évêque, avant d’atteindre Carthage en Afrique. Là il consacra Crescens puis partit pour l’Egypte. A Thèbes, la ville aux cent portes, il consacra Rufus comme évêque, et à Alexandrie, le saint Apôtre et Evangéliste Marc.

Après une révélation, il se rendit à Jérusalem pour assister à la Dormition de la Toute-Pure Vierge Marie la Mère de Dieu. Après cela, il revint en Egypte, puis traversa l’Afrique pour revenir à Rome, d’où il partit pour Milan et Photikin, où il consacra des évêques et ordonna des presbytres.

Il partit ensuite pour la lointaine Bretagne où il vécut longtemps et attira à la foi au Christ un peuple nombreux. C’est là qu’un ange lui rendit visite pour lui dire : « Pierre, ton départ de cette vie s’approche, il convient que tu partes pour Rome où tu supporteras la mort sur la croix, et recevras du Seigneur Jésus-Christ ta juste rétribution ». Après avoir rendu grâce à Dieu, Pierre passa encore quelques jours en Bretagne, affermissant les églises et consacrant des évêques, ordonnant des presbytres et des diacres.

Durant la douzième année du règne de Néron, il revint de nouveau à Rome où il consacra Clément comme évêque. Celui-ci refusa longtemps de porter un tel joug, mais, exhorté par les paroles de l’Apôtre, il courba le cou sous le joug du Christ et, en compagnie de son maître et d’autres saints hommes, il tira le char de la Parole de Dieu. De nombreux hommes et femmes de Rome de rang sénatorial furent éclairés par la foi et le saint baptême.

Il se trouvait que l’empereur Néron avait alors parmi ses concubines deux très belles femmes qu’il préférait à toutes les autres. Ces deux femmes devinrent croyantes et décidèrent de mener une vie chaste, refusant désormais d’obéir aux désirs lubriques de l’empereur. Ce dernier, qui vivait dans la convoitise sans jamais pouvoir s’en rassasier, s’irrita contre l’Eglise du Christ et surtout contre l’Apôtre Pierre, qu’il jugeait responsable de la conversion de ses concubines. Se souvenant de la mort de son ami Simon, il fit rechercher Pierre pour le tuer.

L’historien de l’Eglise Egysippos rapporte que les fidèles de Rome supplièrent Pierre de se cacher et de quitter la ville, pour le bien de la multitude. Mais Pierre n’entendait pas les choses ainsi, et désirait souffrir et mourir pour le Christ. Le peuple des fidèles, pleurant et gémissant, supplia de plus belle l’Apôtre de sauver sa vie, si nécessaire pour la Sainte Eglise ballottée par les malheurs dispensés par les infidèles. Saint Pierre se laissa fléchir par les larmes des fidèles, et promit de sortir de la ville et de se cacher. La nuit suivante, après avoir prié avec l’assemblée des fidèles, il embrassa chacun et partit seul. En arrivant aux portes de la ville, il rencontra le Seigneur Jésus-Christ qui rentrait dans la ville. Pierre Le salua :

- Seigneur, où vas-Tu ?

- Je vais à Rome pour être crucifié de nouveau !

A ces mots, le Seigneur devint invisible. Pierre comprit que le Christ, qui souffre dans Ses serviteurs comme dans Ses membres véritables, voulait souffrir à Rome dans son corps aussi. Il revint donc sur ses pas, se dirigea vers l’église, et fut arrêté par les soldats.

Saint Syméon Métaphraste rapporte que non seulement Pierre fut arrêté, mais également une multitude de fidèles, et parmi eux Hérodion et Olympas, que le tyran condamna à être décapités. Pierre, quant à lui, fut condamné à la crucifixion. Les soldats s’emparèrent donc des condamnés pour les conduire sur les lieux du supplice. Ils laissèrent toutefois partir Clément, qui était parent de l’empereur. Ils tuèrent par le glaive Hérodion, Olympas, et beaucoup d’autres fidèles. Pierre, quant à lui, demanda à ses bourreaux d’être crucifié la tête en bas, afin d’honorer le Seigneur en inclinant sa tête sous Ses pieds.

C’est ainsi que s’endormit le grand Apôtre Pierre, glorifiant Dieu sur la croix, et supportant la grande douleur des clous dans ses mains et dans ses pieds. Il remit son âme à Dieu le vingt-neuvième du mois de juin.

Clément, le disciple de Pierre, réclama le corps de l’Apôtre, le descendit de la croix, le prépara comme il convient, et convoqua les fidèles encore en vie et les hiérarques afin de l’ensevelir avec honneur. Il fit aussi ensevelir les corps de ceux qui avaient souffert avec Pierre : les saints Hérodion et Olympas, et tous les fidèles qui venaient de glorifier le Christ Dieu, qui, avec le Père et l’Esprit Saint, est glorifié dans les siècles. Amen.