mercredi 22 juillet 2009

SUR LES SIGNES ET LES MIRACLES



SAINT IGNACE BRIANTCHANINOV

Introduction

Le Saint Evangile rapporte que les pharisiens, insatisfaits des miracles accomplis par le Seigneur, exigèrent de Lui un miracle particulier, un signe venant du ciel (Marc 8,1). L’exigence d’un tel signe, qui dénote une étrange façon d’aborder les signes et les miracles, a été répétée plus d’une fois, au point que le Seigneur a pu dire : « pourquoi cette génération cherche-t-elle un signe ? » (Marc 8,12). Les Sadducéens se sont associés à la demande des Pharisiens, bien que leur croyance ait été très différente. Le désir d’un signe venant du ciel a été quelquefois exprimé par le peuple aussi, et ceci, même après la miraculeuse multiplication des cinq pains qui nourrirent la multitude des cinq mille hommes présents, sans compter les femmes et les enfants. Les témoins oculaires de ce miracle, qui avaient pris part au repas, demandèrent au Seigneur : « Quel signe montres-Tu, que nous puissions voir et croire en Toi ?... Nos pères ont mangé la manne dans le désert, selon qu’il est écrit : Il leur donna le pain du ciel en nourriture » (Jean 6,30-31).

La miraculeuse et admirable multiplication des pains par les mains du Sauveur leur parut fade. Elle avait été accomplie paisiblement, avec la sainte humilité qui caractérise toutes les actions du Dieu-Homme, mais le peuple recherchait le spectacle, l’effet. Il avait besoin de sentir le ciel couvert de nuages menaçants, d’entendre le tonnerre, de voir les éclairs déchirer le ciel, et les pains tomber du ciel.

Dans le même esprit, les grands prêtres et les anciens exigèrent un miracle du Seigneur alors qu’Il se tenait librement sur la Croix. Ils se moquèrent avec les scribes, disant qu’Il en avait sauvé d’autres et qu’Il n’était pas capable de se sauver Lui-même. S’Il était vraiment le Roi d’Israël, pourquoi ne pas descendre sur-le-champ de la Croix afin qu’on crût en Lui ? (Mt.27,41-42) Ils acceptèrent les miracles du Seigneur comme de véritables miracles, mais dans le but de les dénigrer et de renier la miséricorde divine, exigeant un signe de leur propre invention, qui, s’il avait été accompli, eut réduit à néant la venue sur la terre du Dieu-Homme, et empêché la rédemption de l’humanité.

Hérode fait aussi partie de ceux qui voulaient voir le Seigneur accomplir un miracle qui eut satisfait sa propre curiosité, son impudence sans borne. Il voulut un signe, comme on attend un agréable divertissement, et, ne l’ayant pas obtenu, il se moqua du Seigneur, pour s’offrir au moins cette part de plaisir.

Que signifie donc cette exigence générale d’un signe venant du ciel, exprimée par des gens aux intentions si disparates, qui avaient toutefois en commun leur profond dédain pour les stupéfiants miracles du Seigneur ? Une telle exigence ne fait que dénoncer le point de vue du raisonnement charnel à l’égard des miracles. Qu’est-ce donc que le raisonnement charnel ? C’est une façon d’aborder Dieu et les choses spirituelles selon la nature humaine déchue, et non pas selon la Parole de Dieu. La défiance et l’hostilité envers Dieu qui la caractérisent sont particulièrement évidentes dans l’exigence du miracle. La fausse sagesse inattentive aux miracles va même jusqu’à nier et rejeter les miracles accomplis par le Christ dans son indicible bonté. Et pourtant, Il a bel et bien accompli ces miracles car Il est la Puissance de Dieu, et la Sagesse de Dieu (1Cor.1,24)

Première Partie

C’était un grave péché, inspiré par l’esprit charnel, que d’exiger un miracle du Seigneur. En entendant cette demande insolente et blasphématoire, le Seigneur soupira profondément en esprit et dit : pourquoi cette génération cherche-t-elle un signe ? En vérité Je vous le dis, aucun signe ne sera donné à cette génération. Et il les quitta, entra dans le bateau et partit (Marc8,12-13).

Il y a une grande joie dans le ciel pour un pécheur qui se repent, et, au contraire, il y a de la tristesse lorsqu’un homme tombe dans le péché et refuse de se repentir (Luc15,10). En contemplant l’infinie bonté de Dieu à l’égard de l’humanité, et Son désir de voir tous les hommes sauvés, Saint Macaire le Grand a pu dire que notre très saint Dieu, bien qu’impassible, éprouve une sorte de divine peine à voir l’homme se détruire. Une telle peine, qui dépasse notre entendement, n’est donc pas étrangère à l’Esprit de Dieu, qui vient faire Sa demeure en nous, intercédant Lui-même pour nous en des gémissements ineffables (Rom.8,26). C’est cette peine qu’a éprouvée le Fils de Dieu en entendant la demande d’un miracle, demande à la fois orgueilleuse et déraisonnable. Soupirant donc en Esprit, Il dit : pourquoi cette génération cherche-t-elle un signe ? (Marc 8,12) Voilà comment Dieu réagit à la demande hostile d’un signe. Quelle peine profonde nous sentons là dans cette question, la peine de Dieu ! Elle traduit la perplexité engendrée par la folie et l’impertinence de la demande. Ceux qui ont présenté cette requête ont perdu l’espoir du salut, puisque leur requête même est contraire à l’Esprit de Celui qui dispense le salut.

Le Seigneur quitte ceux qui s’enchaînent obstinément dans les liens des sophismes humains, sans désirer la guérison. Il les abandonne à eux-mêmes, à leur choix destructeur et délibéré : Et il les quitta (Marc8,13).

Un mort ne ressent pas son état et l’intelligence charnelle ne ressent pas sa mort spirituelle. Incapable de voir sa propre ruine, elle ignore à quel point elle a besoin de la Vie. Sa conception de la vie étant erronée, elle a renié et renie encore la Vie véritable, c’est-à-dire Dieu.

Est-ce qu’un signe venant du ciel peut avoir un quelconque intérêt ? Ceux qui l’exigent, bien sûr, lui trouvent un intérêt. Mais d’abord, pouvons-nous affirmer qu’un tel signe est toujours un signe de Dieu ? La Sainte Ecriture ne nous montre pas les choses ainsi.

L’expression même « signe venant du ciel » est imprécise, que ce soit pour les gens de l’époque du Christ, ou pour ceux d’aujourd’hui. Ceux qui ne sont pas habitués aux sciences voient le « ciel » comme le domaine aérien. Ainsi, le soleil, la lune et les étoiles sont communément placés dans le « ciel », alors qu’ils flottent dans l’espace au-delà de l’atmosphère. La pluie, le tonnerre et les éclairs sont communément qualifiés de « manifestation du ciel », alors qu’il serait plus logique de les associer à la terre, puisqu’ils surviennent dans l’atmosphère terrestre.

La Sainte Ecriture rapporte que sous l’action du démon, le feu du ciel tomba et consuma les moutons et les serviteurs de Job (Job1,16). Il est clair que ce feu se forma dans l’air au même titre que les éclairs.

Simon le Mage époustoufla de ses miracles des gens spirituellement aveugles, à tel point que la puissance de satan fut confondue avec la grande puissance de Dieu (Actes8,10). Simon surprit particulièrement les romains idolâtres quand, au cours d’une grande manifestation publique, il se déclara dieu, prétendit qu’il allait s’élever dans les airs, et le fit réellement ! (Selon les écrits de Saint Siméon Métaphraste qui tire ses sources des premiers chroniqueurs chrétiens).

C’est un terrible malheur de ne pas connaître Dieu de façon véritable et de confondre Ses oeuvres avec celles du démon. Juste avant le Second Avènement du Christ, quand le Christianisme, la connaissance spirituelle, et le discernement seront réduits à l’extrême, on verra se lever de faux Christs, de faux prophètes, et il y aura de grands signes et des miracles ; et ceci au point d’égarer même les élus, si cela était possible (Mt.24,24). L’antéchrist lui-même déversera généreusement ses miracles sur les hommes, étonnant et satisfaisant les intelligences charnelles et ignorantes. Il leur donnera les signes du ciel qu’elles recherchent avec appétit. Sa venue à lui, l’Impie, aura été marquée, par l’influence de satan, de toute espèce d’oeuvres de puissance, de signes et de prodiges mensongers, comme de toutes les tromperies du mal, à l’adresse de ceux qui sont voués à la perdition pour n’avoir pas accueilli l’amour de la vérité qui leur aurait valu d’être sauvés. Voilà pourquoi Dieu leur envoie une puissance qui les égare, qui les pousse à croire le mensonge, en sorte que soient condamnés tous ceux qui auront refusé la vérité et pris parti pour le mal (2 Thes. 2, 9-12). Les intelligences ignorantes et charnelles, voyant les miracles, ne reviendront pas à la raison. A cause de l’affinité de leur esprit avec l’esprit des miracles accomplis, elles accepteront immédiatement dans leur aveuglement l’activité de satan en la prenant pour une grande manifestation de la puissance de Dieu. L’antéchirst sera accepté rapidement, sans réflexion. Les gens ne comprendront pas que ses miracles n’ont aucun but raisonnable ni béni, aucun sens véritable, qu’ils sont étrangers à la Vérité, pleins de mensonges, monstrueux, malicieux, absurdes, destinés à surprendre, à tromper, et à séduire par des effets enchanteurs, vides et stupides.

Ne nous étonnons pas que les miracles de l’antéchrist soient acceptés sans question et avec délice par les apostats du Christianisme, qui sont les ennemis de la vérité et de Dieu. Ils se préparent d’eux-mêmes à accepter de façon ouverte et active le messager et l’instrument de satan, ses enseignements et ses actes, et à entrer en contact spirituel avec lui au moment voulu. Cela doit nous laisser pensifs et tristes de savoir que les miracles et les oeuvres de l’antéchrist causeront des difficultés aux élus de Dieu eux-mêmes. La raison de la forte influence de l’antéchrist sur les hommes est à chercher dans son hypocrisie et sa corruption infernales, dans le camouflage très élaboré de ses actes les plus démoniaques, dans son insolence sans retenue ni pudeur, dans la coopération prolifique des esprits déchus, et enfin dans sa capacité à effectuer de faux, mais stupéfiants miracles. L’esprit humain n’est pas capable de concevoir un homme aussi mauvais que l’antéchrist. Il est impossible au coeur humain, même pécheur, de croire que le mal puisse atteindre le niveau qu’il atteindra effectivement avec l’antéchrist. Ce dernier se mettra en avant avec éclat, comme tous ses prédécesseurs et prototypes, il se prétendra prédicateur et restaurateur de la véritable connaissance de Dieu. Les chrétiens sans discernement le verront comme un représentant de la religion véritable, et se joindront à lui. Il se présentera comme le Messie attendu, et les adeptes de la sagesse charnelle se précipiteront à sa rencontre, proclamant sa gloire, sa puissance, son génie, et ne tarderont pas à faire de lui un dieu dont ils deviendront les disciples.

L’antéchrist se montrera humble, rempli d’amour et de toutes vertus. Ceux qui l’accepteront comme tel et se soumettront à lui comme au bien suprême, sont ceux qui adhéreront à la vérité de l’humanité déchue, et refuseront de la rejeter pour celle de l’Evangile.

L’antéchrist présentera à l’humanité une exaltante économie fondée sur le bien-être et la prospérité. Il offrira des honneurs, des richesses, du luxe, des distractions, du confort matériel, et des réjouissances. Ceux qui recherchent les choses terrestres l’accepteront comme leur maître. Il se révélera à l’humanité par des artifices rusés, théâtraux, donnant en spectacle de stupéfiants miracles, inexplicables par la science. Il suscitera la peur par le déferlement prodigieux de ces miracles. Il donnera satisfaction aux sages de ce monde, aux superstitieux, et confondra la science humaine. Les hommes, conduits par la fausse lumière de la nature déchue, aliénés par l’absence de direction émanant de la Lumière de Dieu, seront séduits par ce séducteur jusqu’à la soumission (Apocalypse13,8).

Les signes de l’antéchrist seront observés d’abord dans les airs, car c’est là que satan exerce surtout son influence (Eph.2,2&6,12). Ils agiront sur notre vue, la charmant et la trompant. Saint Jean le Théologien, contemplant les événements qui précéderont la fin du monde, dit dans le livre de l’Apocalypse que l’antéchrist accomplira de grandes choses, comme faire descendre le feu du ciel sur la terre à la vue des hommes (Ap.13,13). Les Saintes Ecritures voient ce phénomène comme le plus grand des signes de l’antéchrist. Ce sera un spectacle magnifique et terrible. Les signes de l’antéchrist soutiendront sa conduite rusée. Ils séduiront la majorité des hommes, qui le suivront. Les adversaires de l’antéchrist seront considérés comme des rebelles, des ennemis du bien commun et de l’ordre, ils seront soumis à la persécution ouverte, à la torture, et aux exécutions.

Les mauvais esprits, envoyés de par le monde, susciteront chez les hommes une haute opinion de l’antéchrist, une sorte d’extase universelle, d’attirance irrésistible. Les Saintes Ecritures mentionnent à plusieurs reprises la violence et la cruauté de la dernière persécution contre les chrétiens. Elles attribuent à cet être effrayant qu’est l’antéchrist, un nom bien défini et caractéristique, la bête (Ap.13,1), de la même façon que l’archange déchu est appelé le dragon (Gen.3,1; Ap.12,3). Ces noms représentent bien les deux ennemis de Dieu. Un agit secrètement, et l’autre ouvertement. La bête, comme toutes les bêtes, réunit en elle une large palette de cruautés : la bête que je vis était semblable à un léopard, ses pieds étaient comme les pieds d’un ours, et sa gueule comme la gueule d’un lion (Ap.13,2), le dragon lui conféra son pouvoir, son trône et sa grande autorité (Ap.13,2).

Une terrible épreuve s’abattra sur les saints : la ruse et l’hypocrisie du redoutable persécuteur augmenteront en vue de les tromper et de les séduire. Raffinées, inventives, et rusées seront les persécutions et les contraintes. Le pourvoir illimité du persécuteur placera les élus dans une situation très difficile. Leur petit nombre paraîtra insignifiant à l’humanité, et leur opinion sera considérée comme négligeable. Ils devront supporter le dédain général, la haine, la calomnie et l’oppression. La mort violente sera leur lot. Seule une aide spéciale de la grâce divine leur permettra de tenir debout devant l’ennemi de Dieu, et de confesser le Seigneur Jésus devant lui et devant les hommes.

La raison de tout ce discours était, rappelons-nous, de commenter la demande des Pharisiens et des Sadducéens, qui exigeaient du Seigneur un signe venant du ciel, c’est-à-dire un miracle d’un caractère semblable à ceux du futur antéchrist. Le fait qu’un tel type de miracle ait été demandé explique la réaction du Seigneur. Devant une telle supplique, le Dieu-Homme exprima Son grand dépit, et refusa catégoriquement de leur donner satisfaction. Plus, Il ne souhaita pas demeurer davantage auprès de ceux qui s’étaient permis de présenter une telle requête. Il les quitta. A une autre occasion, Sa réponse fut encore plus incisive : Une génération mauvaise et adultère cherche un signe; aucun signe ne lui sera donné, si ce n’est le signe de Jonas (Mt.16,4). « Cette génération » désigne tous ceux qui exigent un signe du même esprit que celui qui est décrit plus haut. Ils sont qualifiés de « génération adultère » car ils sont entrés en communication spirituelle avec satan, brisant leur union avec Dieu. De plus, bien qu’ayant reconnu les miracles du Dieu-Homme, ils prétendent ne pas les voir. Boudant et blasphémant les miracles de Dieu, ils demandent un miracle conforme à leur triste état d’esprit. La requête d’un signe venant du ciel n’est donc pas tant la requête d’un miracle, qu’une moquerie. Elle tourne en dérision les miracles déjà accomplis par le Dieu-Homme. Elle trahit une vision ignorante et pervertie des miracles. Les signes du prophète Jonas, comme le Sauveur l’explique Lui-même (Mt.12,40), sont les signes qui accompagnent Sa passion et Sa résurrection. A la mort du Seigneur furent donnés les vrais signes du ciel ! Le soleil, à la vue du Seigneur crucifié, s’obscurcit en plein midi ; des ténèbres recouvrirent toute la terre durant trois heures ; le voile du temple se déchira de haut en bas par le milieu ; la terre trembla ; les rochers se fendirent ; les tombeaux s’ouvrirent ; de nombreux saints ressuscitèrent et apparurent dans la ville sainte (Luc23,45 & Mt27, 45,51-53).

A la Résurrection, il y eut un autre tremblement de terre. Un ange de lumière descendit du ciel sur le Saint Sépulcre pour témoigner de la Résurrection, pétrifiant les soldats qui avaient été placés là par ceux qui cherchaient les signes du ciel (Mt.28;2,3,11-15). Ces mêmes soldats parlèrent de la Résurrection du Seigneur devant les juifs au Sanhédrin. Ceux-ci, qui avaient pourtant reçu leur signe venant du ciel, n’exprimèrent que haine et dédain à son égard, comme à l’égard de tous les miracles précédants du Dieu-Homme. Ils s’employèrent à soudoyer les soldats et à cacher le miracle divin par la tromperie.

Procédons maintenant à l’examen des miracles effectués par notre Seigneur Jésus-Christ. Ils sont un cadeau divin offert à l’humanité. Ce cadeau ne fut pas offert par nécessité, mais uniquement par bonté et par miséricorde. Les hommes auraient dû le traiter avec la plus grande révérence et la plus grande prudence, car Celui qui l’a fait n’est autre que Dieu devenu homme pour notre salut. Ce cadeau était en vérité un témoignage de grand prix.

L’homme est entièrement libre d’accepter son salut. De la même façon, il est entièrement libre d’accepter les miracles du Christ, de discuter leur authenticité et leur qualité, et d’en tirer les conclusions de son choix concernant Celui qui les a accomplis. La reconnaissance et l’acceptation du Rédempteur est le résultat d’un choix libre et positif, et non pas un acte accompli avec légèreté, précipitation, ou contrainte. Les miracles du Christ avaient un but bien précis. On peut répéter à leur propos ce que le Seigneur a dit à l’Apôtre Thomas : « Approche tes doigts, et vois Mes mains; approche ta main, et mets-la dans Mon côté, et ne sois pas incrédule mais croyant ! » (Jn.20,27) Les miracles du Christ étaient tangibles, accessibles aux gens simples. Ils n’avaient rien de mystérieux. Ils ne pouvaient pas laisser les gens perplexes et incapables de décider s’ils étaient vraiment des miracles, ou des effets. Les morts étaient ressuscités, les malades incurables étaient guéris, les lépreux étaient purifiés, les aveugles de naissance recouvraient la vue et les muets la parole, la nourriture était instantanément multipliée pour nourrir ceux qui étaient dans le besoin, les vagues de la mer et le vent étaient calmés sur une simple parole, ceux que l’orage menaçait de mort étaient sauvés, les filets des pêcheurs qui avaient longtemps peiné en vain étaient remplis d’un seul coup, et tout cela devant la voix discrète du Seigneur. Les miracles du Dieu-Homme avaient de nombreux témoins, et même des personnes hostiles, ou inattentives, ou ne recherchant qu’un aide physique. Les miracles étaient indéniables. Les ennemis les plus envieux du Seigneur ne les niaient pas, même s’ils cherchaient à les rabaisser par une interprétation blasphématoire, ou par tout autre artifice suggéré par leur esprit rusé et malicieux. Les miracles du Seigneur n’étaient ni vaniteux ni prétentieux. Aucun d’entre eux ne fut accompli dans le but de se mettre en avant. Tous étaient couverts par le manteau de l’humilité. Ses bienfaits bénis offerts à l’humanité souffrante exprimaient la toute-puissance du Créateur sur les créatures terrestres et spirituelles. Ils prouvaient que Dieu est entièrement digne de confiance, qu’Il a pris sur Lui l’humanité, apparaissant comme un homme au milieu des hommes.

Notons qu’un des miracles du Seigneur revêt un sens mystique, et ne fut accompli pour le bénéfice d’aucune personne particulière, mais au profit de toute l’humanité. Il s’agit du miracle du figuier stérile qui n’avait que des feuilles et fut flétri (Marc11;13,14,20). Cet arbre est mentionné dans le récit de la chute (Gen.3,7) comme l’un des arbres du Paradis. Ses feuilles servirent à cacher la nudité de nos ancêtres, nudité qu’ils n’avaient pas remarquée avant le péché, et que le péché leur révéla. Il se pourrait que le fruit défendu dans le Paradis ait été la figue. Le Seigneur ne trouva pas de fruit sur le figuier. Il rechercha le fruit avant le temps, permettant à Sa chair d’exprimer un ultime désir de nourriture, qui rappelle le faux désir de nos ancêtres. Le Seigneur porta ce désir sur Lui, comme toutes les faiblesses de l’humanité, afin de pouvoir le détruire lui aussi. Ne trouvant pas de fruit, Il rejeta les feuilles, et détruisit l’existence même de l’arbre, au moment même où un autre arbre, l’arbre de la Croix, commençait à être préparé comme instrument du salut de l’humanité. Un arbre, instrument de la destruction de l’humanité, fut détruit sur l’ordre du Sauveur des hommes. Ce miracle mystique est accompli en présence des seuls Saints Apôtres, les disciples de l’enseignement mystique. Il est accompli juste avant l’entrée du Dieu-Homme dans l’agonie de Ses souffrances pour l’humanité, avant l’élévation sur la Croix.

Les miracles du Seigneur avaient une signification sainte et un but saint. Ils furent en eux-mêmes d’un grand bénéfice dans l’accomplissement du plan divin, et servirent en plus de témoignage et de preuve à un acte de bonté infiniment plus élevé. Lequel ? En devenant homme, le Seigneur a offert à l’humanité un présent éternel, spirituel et sans prix : le salut, la purification des péchés, et la résurrection de la mort éternelle.

La parole du Seigneur et Sa vie furent la réalisation de ce présent universel. Le Seigneur a mené une vie totalement étrangère au péché, parfaitement sainte (Jn.8,46). Sa parole était puissance (Marc1,42). Les hommes étaient tombés dans les ténèbres de l’esprit charnel, leur coeur et leur esprit étaient aveugles. Ils avaient besoin d’un acte de condescendance spécial, il fallait un témoignage accessible à leurs sens, il fallait donner aux esprits et aux coeurs une connaissance vivifiante passant par les sens, puisque ces esprits et ces coeurs mourraient de mort éternelle après la mort naturelle.

Les miracles sont accordés pour appuyer la parole de Dieu. Pour que l’homme puisse comprendre et accepter le don spirituel que seuls les yeux spirituels peuvent percevoir, le Seigneur ajouta à ce don spirituel et éternel un don similaire, mais temporaire et physique, la guérison des maladies du corps.

Le péché est la cause de toutes les maladies de l’homme, qu’elles soient physiques ou spirituelles, il est la cause de la mort temporaire et de la mort éternelle. En montrant Sa puissance sur les conséquences physiques du péché dans le corps de l’homme, le Seigneur a montré Sa puissance sur le péché lui-même. L’intelligence charnelle ne perçoit pas les maladies spirituelles, ni la mort éternelle, mais elle voit et accepte les maladies du corps, qui l’impressionnent et l’intéressent au plus haut point. Le Seigneur a soigné tous les malades d’un seul mot. Sur un simple ordre, Il a ressuscité les morts, chassé les esprits impurs, et montré Sa puissance. Il a montré la puissance de Dieu sur l’homme, sur le péché, sur les esprits déchus, et Il a montré tout cela ouvertement à nos sens, à notre esprit charnel. L’intelligence charnelle, voyant et touchant cette puissance, pouvait et aurait logiquement dû reconnaître la puissance de Dieu sur le péché, non seulement dans la relation entre le péché et le corps, mais aussi dans la relation du péché avec l’âme elle-même, et en déduire le pouvoir de Dieu sur l’âme.

Certains miracles du Seigneur, comme celui de la résurrection d’un mort, montrent la puissance illimitée de Dieu sur le corps et sur l’âme. Le corps retrouve son intégrité, l’âme est rappelée en lui, bien que déjà partie dans le monde des esprits. Elle est rappelée de ce monde-là et réunie au corps dont elle avait été séparée pour toujours. L’homme a reçu des signes au-dedans de lui, pas à l’extérieur. Il a reçu la preuve du salut en lui-même, pas à distance. Le témoignage du salut éternel de l’âme et du corps lui fut accordé à travers le salut temporaire du corps des maladies et de la mort. Une observation juste et pieuse des miracles du Seigneur montre leur raison divine.

L’exigence d’un signe venant du ciel est tout à fait dénué de sens. Bien que la puissance du Seigneur ait rarement dépassé les limites de l’homme pour s’étendre sur les éléments naturels, ceci est arrivé également. Et ceci dans le but de montrer que le pouvoir du Seigneur sur toute la nature n’est rien d’autre que le pouvoir infini de Dieu. Ces miracles opérés sur la nature complétèrent ceux qui furent accomplis sur l’humanité, afin que l’humanité puisse préciser le sens de l’oeuvre qu’elle attribuait à Celui qui allait effacer nos péchés. Le Seigneur vint sur la terre pour le salut de l’homme, Ses préoccupations furent donc concentrées sur l’homme, la plus parfaite des créatures, créée à Son image, Son temple raisonnable. Le terre, ce lieu d’exil, de souffrance et de passage, et toute la création matérielle, en dépit de son immensité, furent laissée par Lui sans attention. Et si certains miracles furent accomplis sur la matière, ce fut toujours pour les besoins de l’homme.

Voici le sens des miracles accomplis par le Seigneur et Ses apôtres. Le Seigneur le leur a d’ailleurs clairement exprimé. Rappelons-nous qu’une fois, la multitude se rassembla dans une maison où se trouvait le Seigneur. Cette maison était pleine et la foule se pressait au point qu’il devenait impossible d’entrer. C’est à ce moment qu’un paralytique fut amené, qui ne pouvait quitter son lit. Ceux qui le portaient, voyant la foule, passèrent par le toit, faisant une ouverture au plafond afin de pouvoir descendre le paralytique devant le Seigneur. Voyant cet acte de foi, le Seigneur miséricordieux s’adressa au paralytique en disant : fils, tes péchés sont pardonnés ! Dans l’assemblée étaient assis quelques scribes, qui connaissaient le Loi à la lettre, et qui, malades d’envie à l’égard du Dieu-Homme, pensèrent immédiatement qu’un blasphème avait été prononcé. Pourquoi cet homme blasphème-t-il ainsi ? Qui peut pardonner les péchés si ce n’est Dieu seul ? Et Celui qui connaît les secrets de tous les coeurs leur dit : Pourquoi raisonnez-vous ainsi dans vos coeurs ? Qu’est-il le plus facile de dire, tes péchés te sont pardonnés, ou bien, lève-toi, prends ton grabat et marche ? Mais pour que vous puissiez savoir que le Fils de l’homme a le pouvoir de remettre les péchés sur la terre, Je te le dis, lève-toi, prends ton grabat, et rentre dans ta maison ! (Marc2,2-11). Dire sans preuve que « tes péchés sont pardonnés », c’est à la portée d’un hypocrite ou d’un trompeur. Mais le paralytique fut guéri sur-le-champ. Il retrouva sa force, prit son grabat, et marcha devant toute l’assistance présente. Ce miracle montre bien la bonté et la sagesse divine. Il commence par le don spirituel offert au malade souffrant par le Seigneur, don invisible : la rémission des péchés. Ce don fut l’occasion d’une confession involontaire des juifs lettrés : Dieu seul peut accorder la rémission des péchés. Le Seigneur, répondant à leurs pensées, leur accorde un nouveau témoignage sur Lui-même : Il leur montre qu’Il est Dieu. Et pour finir, le don et la preuve spirituels sont scellés par un don et une preuve matériels : la guérison immédiate et totale du malade.

Le Saint Evangéliste Marc, en concluant son Evangile, rapporte que les Apôtres, après l’Ascension du Seigneur, s’en allèrent prêcher partout la Parole, tandis que le Seigneur travaillait avec eux, confirmant le message par des signes (Marc16,20).

Cette pensée est exprimée de nouveau par ces mêmes Apôtres dans la prière qu’ils élevèrent devant Dieu après les menaces du Sanhédrin, qui leur interdisait d’enseigner et d’agir au Nom de Jésus : Et maintenant, Seigneur, vois ces menaces et fais que Tes serviteurs puissent proclamer Ta parole avec audace, en étendant Ta main pour guérir ; que des signes et des merveilles puissent être accomplis au Nom de Ton Saint Fils Jésus ! (Act.4,29-30)

Les signes de Dieu étaient donc accordés pour assister la Parole de Dieu. Ils témoignaient de la puissance et de la véracité de cette Parole (Luc4,36). Mais l’essentiel est la Parole. Les signes sont inutiles là où la Parole est acceptée, puisque la fiabilité de la Parole est comprise. Les signes ne sont que condescendance envers la faiblesse humaine.

Les mots agissent d’une façon, et les signes d’une autre. Les mots agissent directement sur l’intelligence et le coeur, les signes agissent sur l’intelligence et le coeur par l’intermédiaire des sens. Les effets de la Parole sont plus forts, plus puissants, plus définitifs que les effets des signes.

Quand les mots et les signes agissent de concert, alors même l’effet des signes passe inaperçu, à cause de la force abondante de la Parole. Ceci est clair dans l’Evangile. Nicodème fut influencé par les signes, et il n’a reconnu dans le Seigneur qu’un prédicateur envoyé par Dieu (Jn.3,2). L’Apôtre Pierre fut influencé par la Parole et il confessa le Seigneur comme Christ et Fils de Dieu : Tu as les paroles de la vie éternelle, et nous croyons et nous sommes certains que Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant (Jn.6,68-69). Saint Pierre était témoin oculaire des nombreux miracles du Seigneur. La multiplication des cinq pains qui nourrirent une grande foule venait juste d’être accomplie par le Seigneur, mais l’Apôtre, dans sa confession, resta silencieux sur les miracles, et parla seulement de la puissance des paroles. La même chose arriva avec les deux disciples qui conversaient avec le Seigneur sur le chemin d’Emmaüs sans Le reconnaître. En arrivant à la maison, ils Le reconnurent à la fraction du pain, et dès qu’ils reconnurent le Seigneur, Il devient invisible. Ils ne dirent rien du miracle stupéfiant, leur attention restant centrée sur les paroles : Est-ce que nos coeurs ne brûlaient pas à l’intérieur de nous-mêmes, quand Il nous parlait sur le chemin, nous ouvrant les Ecritures ? (Luc24,32)

Le Dieu-Homme a béni ceux qui croient sans avoir vu les miracles (Jn.20,29). Il a également exprimé de la sympathie pour ceux qui, insatisfaits de la Parole, ont besoin de miracles: Si vous ne voyez des signes et des merveilles, vous ne croirez pas, dit-Il à Capharnaüm (Jn.4,48)

C’est ainsi ! Dignes de sympathie sont ceux qui délaissent la Parole et recherchent l’affermissement dans les miracles. Ce besoin provient pourtant de la prédominance de l’esprit charnel, de l’ignorance, d’un mode de vie offert à la corruption et au péché, d’un manque de pratique de l’étude de la loi divine et des vertus qui plaisent à Dieu, d’une incapacité de l’âme à sentir l’Esprit Saint, de percevoir la présence de l’Esprit Saint dans la Parole. Les signes sont donc davantage désignés pour convaincre et amener à la foi ceux qui ont encore un esprit charnel, qui sont préoccupés des choses de ce monde. Immergés dans les affaires de cette vie, l’âme toujours enchaînée à la terre et ses soucis, peu capables de comprendre les mérites de la parole, le Verbe miséricordieux les attire vers le salut accordé par la Parole par le truchement de signes tangibles qui s’affirment de façon matérielle à travers les sens, attirant l’âme faible vers le Verbe sauveur et tout-puissant. Ceux qui croient par les miracles constituent une catégorie plus basse de croyants. Quand un enseignement spirituel, élevé, et saint leur est offert, beaucoup l’interprètent à leur idée (Jn.6,60) et ne souhaitent pas demander l’explication des paroles de Dieu, qui sont pourtant esprit et vie. Ils sont conduits par le témoignage superficiel de leur coeur, et souvent s’en vont (Jn.6,66).

Ni les signes, ni les paroles du Dieu-Homme n’agirent positivement sur les grands-prêtres juif, sur les scribes, les pharisiens, les sadducéens, bien qu’à l’exception de ces derniers, ils connussent à la lettre la Loi. Etrangers à Dieu et pleins d’inimitié envers Lui à cause de leur état de pécheurs (commun à toute l’humanité), ils s’installèrent volontairement dans cet état à cause de leur haute opinion d’eux-mêmes, de leur désir de mener cette vie en y trouvant le succès d’une manière que l’Evangile proscrivait.

Ils n’ont pas voulu entendre le Fils de Dieu leur parler. Ils n’ont pas écouté Ses paroles comme ils auraient dû. Ils ne L’ont pas écouté avec attention, ils ont seulement retenu ce qui leur semblait nécessaire pour donner une mauvaise interprétation de Son discours et L’accuser. Et c’est ainsi qu’ils ont développé de la haine pour les mots mêmes de Celui qu’ils haïssaient. Pourquoi ne comprenez-vous pas Mon discours ? C’est parce que vous ne pouvez même pas entendre Mes paroles ! (Jn.8,43), disait le Sauveur à Ses ennemis qui rejetaient de façon têtue et obstinée le salut qui leur était offert. Pourquoi ne comprenez-vous pas Mon enseignement ? Pourquoi n’acceptez-vous pas Mes mots qui vous guériraient ?... Parce que vous ne pouvez même pas écouter Mes paroles, cela vous est insoutenable. Etant les enfants du mensonge et agissant en conséquence, vous ne Me croyez pas. Et parce que Je vous dis la vérité, vous ne Me croyez pas (Jn.8,45) Celui qui est de Dieu écoute les paroles de Dieu. Vous ne M’écoutez pas car vous n’êtes pas de Dieu (Jn.8,47).Si Je ne fais pas les oeuvres de Mon Père, ne Me croyez pas. Mais si Je les fais, même si vous ne Me croyez pas, croyez Mes oeuvres, afin que vous puissiez savoir et croire que le Père est en Moi et que Je suis en Lui (Jn.10,37-38). Et ces paroles, qui portaient pourtant en elles la vérité divine, furent prononcées en vain, malgré la plénitude du témoignage (Jn.8,14). En vain furent accomplis les miracles, qui apportaient cette plénitude du témoignage si tangible et évidente que les ennemis du Dieu-Homme, malgré leur désir et leur effort pour le renier, ne purent s’empêcher de les reconnaître (Jn.9,24).

Ces mêmes moyens qui firent de l’effet sur ceux qui ne connaissaient pas la Loi, ou qui étaient peu familiarisés avec elle, et qui passaient leur vie dans les préoccupations terrestres sans rejeter volontairement la loi divine, n’eurent aucune influence sur ceux qui connaissaient la Loi en détail et à la lettre, et la reniaient volontairement par leur vie (Jn.5,46-47&7,19). Tout ce que l’ineffable miséricorde divine a pu faire pour le salut des hommes a été fait. Le Sauveur l’a dit clairement : Si Je n’étais pas venu et si Je ne leur avais pas parlé, ils n’auraient pas de péché; mais maintenant ils n’ont pas d’excuse pour leur péché. Celui qui Me hait, hait Mon Père aussi. Si Je n’avais pas accompli au milieu d’eux les oeuvres qu’aucun autre n’a faites, ils n’auraient pas de péché, mais maintenant ils ont vu et haï tant Moi que Mon Père (Jn.15,22-24).

Le Christianisme a été conduit pour nous à une telle perfection qu’il n’y a pas de justification possible pour ceux qui l’ignorent. La raison de l’ignorance est seulement la volonté d’ignorer. De même que le soleil brille dans le ciel, le Christianisme brille aussi. Celui qui ferme volontairement ses yeux doit mettre son aveuglement au crédit de sa propre volonté et pas à celui de l’absence de lumière.

La raison du reniement du Dieu-Homme par l’humanité est à rechercher dans l’homme lui-même. Dans l’homme aussi se trouve l’acceptation de l’antéchrist. Je suis venu au Nom de Mon Père et vous ne Me recevez pas. Si un autre vient en son propre nom, vous le recevrez (Jn.5,43) Ceux qui renient le Christ et ceux qui acceptent l’antéchrist sont les mêmes, bien qu’on parle ici de l’antéchrist comme d’une personne à venir. Le reniement du Christ vient de l’esprit de l’homme, et c’est ce même esprit qui accepte l’antéchrist. Ceux qui renièrent le Christ jadis sont comptés dans les rangs de ceux qui accepteront l’antéchrist, bien qu’ils aient vécu sur la terre des siècles avant l’arrivée de ce dernier. Ils ont accompli l’acte le plus odieux : le meurtre de Dieu. Mais un crime analogue au déicide n’est pas à attendre de l’époque de l’antéchrist. L’esprit de ces hommes-là étaient jadis plein d’inimitié à l’égard du Christ, et l’esprit de ceux qui s’uniront à l’antéchrist le sera aussi, bien qu’un grand laps de temps les sépare, puisque nous approchons maintenant de la fin du second millénaire.

Et tout esprit qui ne confesse pas que Jésus Christ est venu dans la chair n’est pas de Dieu: et c’est là l’esprit de l’antéchrist, dont vous avez entendu dire qu’il viendrait, qui est déjà maintenant dans le monde (1Jn.4,3), dit le Théologien. Ceux qui sont menés par l’esprit de l’antéchrist renient le Christ, ils acceptent l’antéchrist en esprit, ils entrent en union avec lui, ils se soumettent en esprit à lui, ils lui offrent l’adoration et le confessent comme dieu. Et pour cette raison Dieu leur enverra une grande illusion, (c’est-à-dire que Dieu la permettra) de telle manière qu’il croiront un mensonge : que soient damnés tous ceux qui n’ont pas cru à la Vérité, et qui ont pris plaisir à ne pas marcher avec droiture ! (2Thes.2,11-12) Dieu est juste dans Ses jugements. Tout ceci satisfera l’esprit humain et l’accusera à la fois. L’antéchrist viendra en son temps. Sa venue sera précédée d’une apostasie de la foi chrétienne par presque tous les hommes. Cette apostasie préparera l’humanité à l’accepter en esprit. L’humeur de l’esprit humain générera une demande, une invitation de l’antéchrist, une sympathie pour lui, comme une maladie grave génère l’envie d’un breuvage empoisonné. L’invitation est prononcée ! Une voix secrète se fait entendre dans la société, exprimant un besoin pressant pour le génie des génies, qui pourrait élever le développement matériel et le succès matériel au plus haut degré, qui apporterait sur la terre un tel bien-être que le ciel et la terre deviendraient superflus pour l’homme. L’antéchrist sera le résultat logique, équitable et naturel de la direction morale et spirituelle suivie par tous les hommes.

Et pourtant, les miracles du Dieu incarné apportaient les bénédictions matérielles les plus grandes que l’humanité puisse imaginer. Quelle bénédiction pouvait être plus précieuse que le retour d’un mort à la vie ? Quelle bénédiction pouvait être plus précieuse que la guérison d’une maladie incurable, rendant la vie d’un homme semblable à une lente agonie ? Pourtant, en dépit du bénéfice, de la sainteté et du sens spirituel de ces miracles du Christ, ils n’étaient que des dons temporels. Pour dire les choses précisément, on devrait les qualifier de signes. Ils étaient les signes de la Parole du salut éternel. Ceux qui ont été ressuscités par le Dieu-Homme sont finalement morts en leur temps, ils n’ont été gratifiés que d’une extension de leur vie terrestre, ils n’ont pas reçu cette vie pour toujours. Guéris par le Dieu-Homme, ils sont tombés de nouveau malades et sont morts. La santé leur a été donnée seulement pour un temps, pas pour toujours. Les bénéfices temporels et matériels ont été déversés comme des signes des bénéfices éternels et spirituels, afin que les hommes puissent croire à l’existence de ces dons invisibles et les accepter. Ces signes les ont délivrés du gouffre de l’ignorance et de la sensualité et les ont conduits à la foi. La foi implique la connaissance des bénédictions éternelles et provoque le désir de les acquérir. Avec l’aide de signes merveilleux, les Apôtres ont répandu le Christianisme dans le monde. Ces signes étaient un témoignage clair et puissant du Christianisme devant les nations sans éducation, devant ceux qui vivaient encore dans l’ignorance spirituelle et dans la barbarie. Quand la foi fut plantée partout, la Parole fut plantée, et les signes cessèrent, puisqu’ils avaient accompli leur mission. Ils cessèrent d’agir partout. Seuls quelques élus de Dieu pouvaient les accomplir de temps à autre. Saint Jean Chrysostome, Père de l’Eglise et auteur des quatrième et cinquième siècles, rapporte que déjà en son temps, les signes de la Grâce ont cessé, sauf à quelques endroits, en particulier chez les moines, qui en sont en quelque sorte les dépositaires. Par la suite, ces dépositaires devinrent plus rares. Les Saints Pères ont fait des prédictions sur les derniers temps, quand ces dépositaires n’existeront plus.

« Pourquoi, demandent certains, n’y a-t-il plus de signes aujourd’hui ? Voici ma réponse, écoutez-la bien, parce que j’ai déjà entendu cette question souvent, même régulièrement, et venant de nombreuses personnes. Pourquoi est-ce qu’à l’époque, tous ceux qui recevaient le baptême se mettaient à parler des langues étrangères, et plus maintenant ? Pourquoi la grâce des miracles est-elle maintenant ôtée aux hommes ? Dieu fait ainsi non pas pour nous couvrir d’opprobre mais pour nous accorder un honneur encore plus grand. Dans quel sens ? Je vais vous l’expliquer. Les gens de ce temps-là avaient l’esprit lent, puisqu’ils venaient seulement de se détourner des idoles. Leur esprit était charnel et lourd, ils étaient plongés dans le matériel et offerts au matériel, ils ne pouvaient pas concevoir l’existence de biens immatériels. Ils ne connaissaient pas non plus le sens de la grâce spirituelle, ignorant que tout est accepté par la seule foi, et pour cette raison, ils recevaient des signes. Parmi les dons spirituels, certains sont invisibles et acceptés par la seule foi, d’autres sont liés à un signe tangible, et destinés à faire naître cette foi chez les incrédules. Par exemple, la rémission des péchés est un don spirituel invisible : nos yeux ne voient pas comment nos péchés sont nettoyés. L’âme est purifiée, mais reste invisible aux yeux du corps. Donc la rémission des péchés est un don spirituel, invisible aux yeux du corps. La capacité de parler des langues étrangères, qui fait aussi partie de l’action de l’Esprit, sert cet Esprit par un signe, accessible aux sens, et peut être aisément observé par les incroyants. Une action invisible accomplie dans l’âme devient visible par l’intermédiaire du langage extérieur, que l’on peut entendre. C’est pour cette raison que Paul dit : La manifestation de l’Esprit est donnée à tout homme pour le profit de tous (1Cor.12,7). Et ainsi, je n’ai pas besoin de signes. Pourquoi ? parce que j’ai appris à croire à la grâce de Dieu sans les signes. Un incroyant a besoin de preuve, mais je suis croyant, et je n’ai pas besoin de preuve ou de signe. Je ne parle pas en langues, mais je sais que je suis purifié de mes péchés. Auparavant, on ne croyait pas avant d’avoir reçu un signe. Les signes étaient donnés comme une preuve de la foi. Ils étaient donnés non pas aux croyants, mais aux incroyants, afin qu’ils deviennent des croyants. Comme dit Saint Paul : un signe non pas pour ceux qui croient, mais pour ceux qui ne croient pas (1Cor.14,22) » (Première homélie de Saint Jean Chrysostome sur la Pentecôte)

Si les signes étaient absolument nécessaires, ils perdureraient. La Parole demeure, et les signes ont participé à son installation. La Parole s’est répandue, elle a régné, elle a embrassé tout l’univers. Elle est bien commentée par les Pères de l’Eglise, de manière accessible, facile à comprendre. Elle est absolument nécessaire, elle est porteuse de bénédictions éternelles, elle accomplit le salut de l’homme. Elle apporte le Royaume des Cieux, elle contient les signes les plus spirituels et les plus élevés de Dieu (Ps.118,18) La parole du Seigneur dure éternellement (1Pi.1,25). La vie est dans la Parole, et la Parole est vie (Jn.1,4). Elle donne naissance à la vie éternelle pour ceux qui sont morts, leur accordant du plus profond de ses entrailles la vie toute sainte. Ceux qui écoutent la Parole et la mettent en pratique sont ceux qui sont nés de nouveau, non pas d’une semence corruptible, mais d’une semence incorruptible, la Parole de Dieu, qui vit et dure pour l’éternité (1Pi.1,23) Pour comprendre le sens de la parole, nous devons l’accomplir. Les commandements évangéliques mis en pratique commencent immédiatement à transformer, à changer, à vivifier l’homme, son mode de pensée, les sentiments de son coeur, et même son corps. car la parole de Dieu est rapide et puissante, et plus acérée qu’une épée à deux tranchants, qui sépare et divise même l’âme et l’esprit...... et sonde les pensées et les intentions du coeur (Hb.4,12)

La Parole de Dieu contient en elle-même son propre témoignage. De la même façon que les miracles qui guérissent, elle agit dans l’homme lui-même, et par cette action témoigne d’elle-même. Voilà le signe le plus grand ! C’est un signe spirituel, qui, une fois accordé à l’homme, répond à tous ces besoins en matière de salut et rend inutile les signes matériels. Un chrétien qui ne connaît pas les attributs de la Parole, se dénonce comme froid à son égard, ignorant de la Parole de Dieu, ou bien en possession de la seule connaissance morte de la lettre.

mercredi 15 juillet 2009

RECIT DE L'ENTREE DE LA MERE DE DIEU AU TEMPLE



SAINT TIKHON DE ZADONSK

D’après les écrits des Saints Pères et des auteurs dignes de foi

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Lorsque la toute-pure et toute-bénie Vierge Marie et Mère de Dieu atteignit l’âge de trois ans, ses parents, les justes Joachim et Anne, se souvinrent que du temps de leur stérilité, ils avaient promis à Dieu de Lui consacrer l’enfant qui allait naître. Ils décidèrent donc de réaliser leur promesse et invitèrent tous leurs parents dans leur demeure de Nazareth. Et c’est ainsi que se rassemblèrent les membres de la race royale de Joachim et ceux de la lignée sacerdotale d’Anne, accompagnés d’un choeur de jeunes filles réuni pour l’occasion. On prépara des cierges en grand nombre et la toute-pure Vierge Marie fut revêtue d’ornements royaux.

Mandez les pures jeunes filles juives, avec des cierges allumés (Ps.65, 13&19) dit Joachim par la bouche de Saint Jacques, le premier archevêque de Jérusalem. Et, Saint Germain, Patriarche de Constantinople, d’ajouter au nom de Sainte Anne : je m’acquitterai envers Toi des voeux que ma bouche a prononcé dans ma tribulation et pour cela, voici que je rassemblerai un choeur de jeunes filles avec des cierges, que j’appellerai les prêtres et que je réunirai mes parents, disant : réjouissez-vous tous avec moi, car aujourd’hui, je me réalise comme mère en conduisant ma fille, non pas à un roi terrestre mais à Dieu Lui-même, le Roi Céleste, pour la Lui offrir !

Il convenait de surcroît, comme le fait remarquer Saint Théophylacte de Bulgarie, que la divine enfant fît au temple une entrée digne de sa condition. Il fallait qu’une perle si pure et si limpide fût présentée dans un autre écrin que des haillons de pauvre. Il advint donc qu’elle fut parée d’habits royaux, qui vinrent encore rehausser sa gloire et sa beauté.

Tout ayant été organisé pour une entrée au temple toute de gloire et d’honneur, le cortège se mit en marche pour les trois jours de voyage qui devaient le conduire de Nazareth à Jérusalem.

Parvenu à Jérusalem, il pénétra solennellement dans le temple, avec en son sein le Temple vivant de Dieu, la toute-pure Vierge Marie. En tête se tenait le choeur des jeunes filles aux cierges allumés, comme dit Saint Taraise, archevêque de Jérusalem, à qui Sainte Anne adressa ces mots : allez en tête, vierges porteuses de cierges et précédez-nous, la jeune enfant divine et moi ! Et voici que les saints parents conduisirent avec douceur et dignité la fille que Dieu leur avait accordée, la tenant chacun par une main. La multitude des parents, des voisins et des connaissances suivait avec allégresse, portant aussi des cierges et entourant la Vierge toute-sainte comme les étoiles du ciel entourent la lune lumineuse. Quel étonnement dans Jérusalem !

Mais citons de nouveau Saint Théophylacte : la fille oublie la maison de son père quand elle est conduite au Roi qui désire sa perfection. On la mène au temple, non sans honneur et sans gloire, mais au sein d’un cortège lumineux. Elle quitte glorieusement la maison paternelle, sous les applaudissements des parents, des voisins et de tous ceux qui lui sont unis par les liens de l’amour. Les pères se réjouissent avec Joachim et les mères avec Anne. Le cortège des vierges porteuses de cierges précède la jeune et rayonnante enfant, comme le cercle des étoiles précède la lune. Et tout Jérusalem accourt pour voir cette enfant de trois ans entourée d’une telle gloire et de tant de cierges. Non seulement les citoyens de la Jérusalem terrestre, mais aussi ceux de la Jérusalem céleste, c’est-à-dire les saints anges, affluent pour assister à l’entrée au temple de la toute-glorieuse et toute-pure Vierge Marie. L’Eglise chante d’ailleurs aujourd’hui, à la neuvième ode du canon des matines : Devant l’entrée au temple de la Vierge, les anges s’émerveillent, étonnés de la voir avancer jusqu’au Saint des Saints ! Et c’est merveille en effet de voir uni au choeur terrestre des vierges pures celui des esprits invisibles et incorporels pour participer à l’entrée au sanctuaire de la toute-pure Vierge Marie et entourer sur l’ordre du Seigneur ce Vase élu de Dieu.

Ecoutons Saint Georges de Nicomédie : alors même que ses parents conduisaient la Vierge vers les portes de Temple, les anges l’entouraient et les puissances célestes se réjouissaient. Sans être en mesure de comprendre la force de ce mystère, les anges servirent cette entrée au temple comme de bons serviteurs obéissant aux ordres du Seigneur. Ils s’étonnèrent de voir en cette enfant le vase immaculé des vertus, marqué du sceau de l’éternelle pureté, portant une chair que nulle souillure n’allait atteindre. Ils accomplirent la volonté du Seigneur, exerçant leur diaconie. L’enfant toute-pure fut ainsi dignement conduite au temple du Seigneur, dans l’honneur et dans la gloire, par les hommes et par les anges. Au temps jadis, l’arche d’alliance de l’Ancien Testament, qui contenait la manne, fut conduite dans le temple du Seigneur en toute solennité, devant tout Israël rassemblé. Ce n’était là qu’une préfiguration de l’Arche Vivante, la toute-Sainte Vierge, qui devait porter en elle la Manne véritable, c’est-à-dire le Christ. On comprend pourquoi il fallait pour le moins la participation des hommes et des anges pour la fête d’aujourd’hui, qui glorifie la Vierge toute-bénie appelée à devenir la Mère de Dieu.

Quand autrefois, on mena l’arche d’alliance dans le temple du Seigneur, c’est David, le roi terrestre qui régnait alors sur Israël, qui conduisait le cortège. Mais aujourd’hui, ce n’est plus un roi terrestre qui mène au temple l’Arche vivante, la Vierge immaculée, mais le roi des cieux Lui-même, que nous invoquons chaque jour en disant : « Roi céleste, Paraclet, Esprit de Vérité ! » Et la Sainte Eglise témoigne bien que ce Roi fut le Chef de cette fille de roi quand elle chante : « Sainte et immaculée, elle est introduite en l’Esprit Saint dans le Saint des Saints ».

David voulut jadis qu’on introduisît l’arche au son des hymnes et des instruments innombrables. Les lévites durent pour ce faire préparer les chants, les cithares, les harpes, les cymbales et les psaltérions et annoncer les réjouissances. Mais lors de l’entrée au temple de la Vierge immaculée, ce ne furent pas les chants de la terre et les instruments qui se firent entendre, mais bel et bien les cantiques joyeux des anges qui servaient invisiblement le mystère. De leurs voix célestes, ils clamaient à l’adresse de la jeune fille les paroles du kondakion : « Voici qu’elle apporte la grâce de l’Esprit Divin, voici le Tabernacle des cieux ! » Et pourtant, l’entrée au temple de la Toute-Pure ne se fit pas sans les voix humaines, comme le rapporte Saint Taraise, puisqu’Anne s’adressa aux jeunes vierges qui ouvraient le cortège : « Chantez-lui des louanges, chantez-la au son des harpes, acclamez-la de vos chants spirituels, exaltez-la sur la harpe à dix cordes ! » Et l’Eglise de nous rappeler que « Joachim et Anne se réjouissent en esprit avec le choeur des vierges, chantant le Seigneur et la Mère de Dieu aux accents des psaumes ». Le choeur des vierges entonne les psaumes de David et le canon de la fête lui demande d’ailleurs : « Commencez à chanter, ô vierges, tenant en vos mains les cierges ! »

Comme le rappelle Saint Taraise, les saints et justes parents Joachim et Anne avaient eux-mêmes à la bouche les paroles de leur ancêtre David : « Ecoute, ma fille, regarde et incline l’oreille, oublie ton peuple et la maison de ton père, alors le Roi désirera ta beauté, car Il est ton Seigneur, et à Lui convient l’adoration ! » (Ps. 14, 11-12).

Et voici que sortirent à la rencontre de la glorieuse et divine enfant, (selon le récit de Théophylacte), les prêtres qui servaient le temple, accueillant celle qui devait devenir la Mère du Grand Sacrificateur venu des cieux. Et Sainte Anne dit alors, selon Saint Taraise : «Va, ma fille, vers Celui qui t’a donnée à moi ! Va, Arche de Vie, vers le Maître miséricordieux ! Va, Porte de la Vie, vers le Donateur miséricordieux ! Va, Tabernacle du Verbe, vers le temple du Seigneur ! Entre dans le temple, toi la joie et l’allégresse du monde ! »

Quant à Joachim, il s’adressa à son parent Zacharie, ce grand hiérarque et prophète : « Reçois, ô Zacharie, ce Tabernacle pur ! Reçois l’Arche sainte et immaculée ! Reçois, ô prophète, l’encensoir de la braise immatérielle ! Reçois, ô juste, l’encens spirituel ! » Et Anne la juste ajouta, d’après le récit de Saint Germain : « Reçois, ô prophète, ma fille accordée par Dieu ! Reçois-la, fais-la entrer en ce lieu choisi par Dieu pour l’élever au pinacle de la sainteté et n’exige rien d’elle tant que Dieu Lui-même ne l’aura pas appelée à réaliser Son dessein ! »

Saint Jérôme fait remarquer qu’on accédait jadis au temple de Salomon par quinze marches. Les prêtres et les lévites qui se rendaient à leur service y lisaient chacun des quinze psaumes de l’ascension.

Quand les justes ancêtres du Seigneur Joachim et Anne arrivèrent au temple, ils mirent leur enfant immaculée sur la première marche et celle-ci gravit promptement tous les degrés jusqu’au dernier, sans l’aide de personne, fortifiée par l’invisible force de Dieu. Le Seigneur montra en effet Sa puissance sur l’enfant dès son plus jeune âge, laissant ainsi augurer les grâces bien plus grandes qu’Il devait lui prodiguer quand elle atteindrait l’âge adulte. Tous furent surpris de voir une enfant si jeune gravir aussi vite les marches et particulièrement le grand prêtre et prophète Zacharie qui, émerveillé, comprit par une révélation divine ce que l’avenir réservait. Envahi par l’Esprit Saint, il s’exclama, selon le récit de Saint Taraise : « Ô, enfant immaculée, vierge sans péché et belle jeune fille ! Tu es l’ornement des femmes et la parure des jeunes filles ! Tu es bénie parmi les femmes, glorifiée pour ta pureté, marquée du sceau de la virginité ! Tu vas lever la malédiction qui pèse sur Adam ! » Et, s’adressant à sainte Anne, selon le témoignage de Saint Germain : « Ô femme, le fruit de tes entrailles est béni ! Ton sein dépasse tous les autres par l’honneur et par la gloire ! Celle que tu nous as amenée est glorieuse et combien agréable à Dieu ! » Ayant prononcé ces paroles, il prit joyeusement la jeune enfant par la main et la conduisit jusqu’au Saint des Saints en disant : « Viens, aboutissement de ma prophétie, viens, accomplissement des promesses du Seigneur, viens, sceau de la Nouvelle Alliance, viens, manifestation du Conseil Divin, viens, accomplissement du mystère, viens, miroir des prophètes, viens, renouvellement de ce qui est vétuste, viens, lumière de ceux qui sont dans les ténèbres, viens, don nouveau et divin ! Entre avec joie dans le temple de ton Seigneur ! Tu es à présent terrestre et accessible aux hommes, mais bientôt tu seras céleste et inaccessible. La jeune enfant exulta et marcha dans la maison du Seigneur comme dans un palais. Jeune par l’âge, elle était déjà adulte par la grâce de Dieu, elle que Dieu avait élue dès la création du monde.

C’est ainsi que la toute-pure et toute-bénie Vierge Marie pénétra dans le temple du Seigneur. A cette occasion, Zacharie le prêtre fit un acte étrange et jamais vu : il fit pénétrer la jeune enfant dans la partie la plus secrète du temple, derrière le second voile, dans le Saint des Saints, là où se trouvaient jadis l’arche d’alliance entièrement recouverte d’or et les chérubins de gloire couvrant de leur ombre le propitiatoire. Là, aucune femme ne pouvait pénétrer, ni d’ailleurs aucun prêtre, si ce n’est le Grand Prêtre une fois l’an. Et c’est ce lieu qu’il attribua à la Vierge toute-pure comme lieu de prière, alors que les autres vierges qui résidaient au temple jusqu’à l’âge adulte ne pouvaient se tenir qu’entre le sanctuaire et l’autel, selon Saint Cyrille d’Alexandrie et Saint Grégoire de Nysse, à l’endroit même ou Zacharie fut tué par la suite. Aucune des vierges ne pouvait approcher l’autel, car les prêtres le leur avaient formellement interdit. Mais la Vierge toute-pure, au contraire, reçut dès le début l’autorisation de pénétrer derrière le second voile, afin d’y prier à toute heure. Saint Théophylacte rapporte que Zacharie agit ainsi sur un ordre mystérieux de Dieu, alors qu’il était couvert par l’Esprit Saint qui lui fit comprendre que la jeune enfant était le temple de la grâce divine et par là même bien plus digne que lui de se tenir en permanence devant la Face de Dieu. Se souvenant qu’il était dit du tabernacle qu’il devait toujours se trouver dans le Saint des Saints, il comprit qu’il n’était qu’une préfiguration de la jeune enfant. C’est pourquoi, libéré de toute espèce de doute, il osa transgresser la Loi et faire pénétrer la Vierge dans le Saint des Saints. Il reçut la jeune enfant dans ce lieu que ne pouvait visiter aucun homme, même prêtre, excepté le grand prêtre une fois l’an, afin que celle qui devait se sanctifier par sa pureté plus que tout être humain avant même de concevoir le Christ et être affranchie par la présence de Celui-ci dans son sein du fardeau de la Loi imposé à la nature humaine pécheresse, celle en qui agissait non pas la Loi mais la perfection de la grâce, n’aie pas à travailler comme les autres vierges puisqu’elle était plus élevée que les anges.

Saint Jérôme rapporte que Joachim et Anne, les justes parents de la Mère de Dieu, n’offrirent pas seulement leur fille toute-bénie au Seigneur, mais également des dons, des sacrifices, et des holocaustes. Une fois bénis par le prêtre et le clergé, ils regagnèrent leur demeure en compagnie de leurs parents et donnèrent un grand festin qui fut de nouveau l’occasion de se réjouir et de rendre grâce à Dieu.

A son arrivée dans la maison du Seigneur, la Vierge toute-bénie fut logée avec les jeunes filles du temple. Le temple de Jérusalem avait jadis été édifié par Salomon. Par la suite, après avoir été abandonné, il fut restauré par Zorobabel qui lui adjoignit de nombreuses et vastes habitations, comme en témoigne l’historien juif Joseph. Les murs d’enceinte furent renforcés sur toute la périphérie de quatre-vingt-dix très belles vastes chambres de pierre, construites sur trois niveaux superposés. Tels de grands contreforts extérieurs, leur hauteur était égale à celle de l’enceinte. Diverses personnes logeaient dans ces chambres, mais principalement les vierges consacrées pour un temps au service de Dieu. A celles-ci s’ajoutaient dans des habitats séparés les veuves qui avaient promis à Dieu de rester chastes jusqu’à leur mort, comme Anne la prophétesse, fille de Phanuel. On trouvait aussi dans un troisième lieu des hommes appelés Nazaréens, qui vivaient comme des moines. Toutes ces personnes servaient le Seigneur et tiraient leur subsistance des biens du temple. Il y avait encore des pièces réservées à l’hébergement des pèlerins qui venaient de loin adorer Dieu dans le temple de Jérusalem.

Comme il a été dit, la jeune enfant de trois ans fut placée dans la demeure des jeunes filles. Auprès de celles-ci, elle s’initia dès son plus jeune âge à l’art de l’écriture et des travaux manuels. Ses saints parents lui rendaient visite et principalement Anne, qui venait voir sa fille toute-bénie et l’enseigner. Selon le témoignage de Saint Ambroise, la jeune enfant apprit à la perfection la langue hébraïque, l’écriture et les travaux manuels. Saint Epiphane ajoute qu’elle avait l’esprit vif et affectionnait l’étude. A côté de l’apprentissage des Saintes Ecritures, elle s’exerçait à filer la laine, tisser le lin, et coudre la soie. Sa sagesse étonnait tout le monde. Sa préférence allait vers tout ce qui pouvait être utile aux prêtres dans leur service. Sa maîtrise du travail manuel lui permit par la suite de se nourrir honnêtement quand elle élevait son Fils et c’est elle qui Lui confectionna de ses propres mains cette tunique qui n’était pas cousue mais tissée d’une seule pièce.

Saint Epiphane précise aussi qu’à l’instar des autres vierges, elle recevait du temple sa ration de nourriture, mais pour la donner aussitôt aux pauvres et aux étrangers. Quant à elle, comme le chante l’Eglise, elle était nourrie du pain du ciel. Saint Germain précise qu’elle demeurait dans le Saint des Saints et y était nourrie par l’ange et Saint André de Crète ajoute que cette nourriture étonnante était incorruptible.

Bien sûr, la Vierge toute-pure avait une place attribuée dans la demeure des vierges, où elle pouvait s’exercer au travail manuel, mais dès qu’elle eut un peu grandi, elle s’exerçait davantage à l’art de la prière et passait des nuits entières et la plus grande partie de ses journées derrière le second voile à prier. Pour son travail, elle retournait dans sa chambre car il ne convenait pas d’apporter quoi que ce fût dans le Saint des Saints, ni d’y avoir une autre activité que la prière. Tous les Pères s’accordent à dire que la Vierge toute-pure vécut jusqu’à l’âge de douze ans dans le Saint des Saints, n’en sortant que fort rarement pour regagner sa chambre.

Saint Jérôme nous a laissé l’emploi du temps de la Toute-Sainte dans le temple. Depuis le matin jusqu’à la troisième heure du jour, elle se tenait en prière ; entre la troisième heure et la neuvième, elle accomplissait son travail manuel et s’exerçait à la lecture, puis elle retournait prier jusqu’à ce qu’apparaisse l’ange qui lui apportait sa nourriture. Et c’est ainsi qu’elle grandissait sans cesse dans l’amour de Dieu. Elle vivait dans la virginité en compagnie des autres vierges, grandissait et se fortifiait en esprit par son exploit quotidien et l’intensité de sa prière allait aussi croissant. Sa force augmenta chaque jour, jusqu’à ce que la puissance du Très-Haut vint la couvrir de Son ombre.

Saint Georges de Nicomédie témoigne du fait que Zacharie vit de ses propres yeux l’ange lui apporter sa nourriture : « De jour en jour, elle croissait en âge et en elle croissaient aussi les dons de l’Esprit Saint, tandis qu’elle demeurait avec les anges, ce que Zacharie savait fort bien. Un jour qu’il servait à l’autel, il vit quelqu’un converser avec la jeune fille et lui présenter de la nourriture. Son aspect était inhabituel, car il s’agissait d’un ange. Qu’est-ce que ceci, pensa-t-il ? Quelle est cette silhouette d’ange incorporel qui parle à la jeune fille et lui présente des mets qui nourrissent la chair ? Lui qui par nature est immatériel porte à la Vierge un panier matériel. L’apparition d’un ange est un événement rare dans la vie des prêtres, et encore plus inhabituel dans la vie d’une femme, de surcroît si jeune. Il eût été moins surprenant de voir un ange apparaître à une femme mariée souffrant de stérilité et priant Dieu pour cela, comme Sainte Anne. Mais une jeune vierge n’a pas ce genre de préoccupation et pourtant je vois bien que l’ange lui apparaît constamment. Voici que l’étonnement, la peur et le doute m’assaillent. Que signifie tout cela ? Qu’est-ce que l’ange vient annoncer ? Quelle nourriture apporte-t-il, quelle main l’a préparée, de quel grenier provient ce pain ? Les anges ne se préoccupent pas souvent de ces nécessités matérielles. Les anges nourrissent, il est vrai, de nombreuses personnes, amis avec des aliments préparés par des hommes. Jadis un ange servit Daniel. Il pouvait accomplir les ordres du Très-Haut par Sa puissance, mais néanmoins, il utilisa Habacuc et une corbeille pour ne pas effrayer Daniel par sa présence et par une nourriture inhabituelle (Dan.14,33). Et voici qu’ici l’ange se présente en personne devant la jeune enfant. Ce mystère me laisse perplexe. Être digne dès sa plus tendre enfance d’être servie par un incorporel ! Qu’est-ce à dire ? Seraient-ce les prophéties qui se réalisent en elle, serait-ce la fin de notre attente ? Serait-ce de cette enfant que prendra la nature humaine Celui qui doit venir sauver le genre humain ? Ce mystère est annoncé depuis longtemps par les prophètes : le Verbe chercherait-Il qui pourrait Lui permettre de le réaliser ? Et si ce n’était pas une autre qui avait été choisie pour réaliser le mystère mais bel et bien celle enfant-là ? Heureux es-tu, peuple d’Israël, puisque c’est de toi qu’a germé une telle semence ! Heureuse es-tu, lignée de Jessé, puisque c’est de toi que doit pousser le rejet qui doit offrir au monde la fleur du salut ! Glorieuse est la mémoire de ceux qui ont donné naissance à celle-ci ! Et comme je suis heureux, moi aussi, qui puis me rassasier d’une telle vision, et parer cette Vierge pour la préparer à devenir la fiancée du Verbe ! »

Et maintenant, citons le bienheureux Saint Jérôme : « Chaque jour, les anges la visitaient. Si l’on me demande comment s’écoulait là-bas la petite enfance de la Vierge toute-pure, je répondrai ceci : Dieu seul le sait, Lui et l’Archange Gabriel son gardien et tous les autres anges qui venaient souvent près d’elle pour s’entretenir amicalement avec elle. C’est ainsi que la Vierge toute-pure, qui vivait dans le Saint des Saints, désirait vivre éternellement dans la pureté angélique et la parfaite virginité ».

Selon Saint Grégoire de Nysse et Saint Jérôme, la Toute-Pure fut la première à consacrer à Dieu sa virginité. Dans l’Ancienne Alliance en effet, les jeunes filles choisissaient toujours le mariage qui était tenu en plus haute estime que la virginité. La Toute-Pure fut la première à préférer la virginité au mariage, à se fiancer à Dieu et à Le servir ainsi jour et nuit.

Par la bienveillance du Père, l’Esprit Saint prépara en elle la demeure du Verbe. Que gloire et action de grâce soient rendues à la Trinité, toute-sainte, éternelle et indivisible, ainsi qu’à notre Souveraine la Mère de Dieu et toujours-vierge Marie, elle qui est louée et honorée par toutes les nations dans les siècles des siècles ! Amen.

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jeudi 9 juillet 2009

LE CHRISTIANISME INTERIEUR

ARCHIPRËTRE JEAN JOURAVSKY

LE MONACHISME D’ORIENT GARDE EN LUI LE MYSTÈRE DU COMMENCEMENT D’UNE EXISTENCE NOUVELLE ET DE LA FIN DE L’ANCIENNE

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La pensée que notre existence pécheresse et corruptible est appelée à cesser lors de la fin du monde est une pensée très ancienne. Les prophètes de l’Ancien Testament l’ont eux-mêmes exprimée. Mais il faut dire que dans le Nouveau Testament, la nouvelle prise de conscience de l’humanité chrétienne la fait tressaillir sous l’effet d’un vent très particulier. Le Christ-Sauveur, tant par Sa parole que par Sa divine incarnation dans notre nature humaine, aborde la question de la fin de cette existence pécheresse et mortelle, c’est-à-dire la fin de ce monde et le commencement d’une nouvelle existence, immortelle cette fois.

La sainte incarnation de Dieu et les mystères qu’elle cache renferme justement la nouvelle existence immatérielle et la fin de l’ancienne existence matérielle.

Le fait même de l’apparition de Dieu dans la nature humaine témoigne clairement du fait que cette nature a reçu le germe d’une autre existence, divine.

L’Eglise chante cela avec allégresse dans des hymnes mystérieux et difficiles à saisir par la conscience qui n’a pas été encore éclairée : « Nous fêtons la mise à mort de la mort, la destruction de l’enfer, le commencement d’une autre vie, éternelle ».

L’arrivée du Christianisme dans le monde introduit cette nouvelle existence, le Christianisme éternel, la religion du triomphe de l’éternel sur le temporel, de l’immortel sur le mortel, de l’incorruptible sur le corruptible.

Le Christianisme est la religion de la résurrection. En elle, l’existence ancienne et corruptible est abolie, l’enfer détruit, l’homme ancien et corruptible et son monde sont appelés à mourir, pour que s’anime l’homme nouveau, incorruptible, immortel, l’homme de la Résurrection qui vit aux cieux.

La fin du monde trouve sa place dans ce vrai Christianisme. Alors disparaîtra le genre humain mortel pour céder la place à un autre genre, immortel, angélique. Le chrétien qui cherche à prolonger cette vie mortelle est puéril ne comprend pas le Christianisme, il ne comprend pas les mystères (cf. Mt.19,12).

Le mystère du Christianisme est grand. Si le genre humain mortel continue d’exister, c’est parce qu’il n’est pas en mesure de contenir ce mystère dans le vase de son développement spirituel, il ne peut renfermer le mystère de l’immortalité du Christ.

Peu nombreux sont ceux qui accèdent à ce mystère. Certains le trouvent dès leur naissance, et d’autres quand le développement de leur conscience spirituelle atteint un certain stade. Alors le genre humain mortel cesse en eux, ils deviennent les porteurs d’un nouveau genre, immortel. En eux se dévoilent les prémices d’une autre vie, éternelle.

Les premiers à porter cette vie éternelle dans leur humanité furent les Apôtres, qui avaient été régénérés par l’Esprit de Dieu, et après eux vinrent les saints moines et tous les saints. Les Apôtres furent les premiers à connaître par l’expérience le commencement d’une vie nouvelle, divine, et en-dehors du temps. C’est pour cette raison qu’il prononcèrent sur ce monde qui vit dans le mal, sur cette existence dans le temps, ces paroles prophétiques : « Enfants, c’est la dernière heure, le monde passe et sa convoitise aussi » (1Jn.2,18-19).

Depuis l’apparition de la nouvelle prise de conscience chrétienne, et de sa nouvelle perception de la vie, s’est allumée la pensée de la fin de l’antique conscience, de la fin de ce monde passager, telle une lumière céleste très particulière. Le tout premier Christianisme fut tout particulièrement inondé par cette lumière, qui connut de façon expérimentale, par un vivant sentiment du coeur, le nouveau, l’autre. Il rejeta l’ancien de façon aiguë, sans concession. Sa conscience ainsi illuminée, il repoussa le monde ancien et son image dans les ténèbres du néant.

Ce sentiment aigu et vivant de prise de conscience chrétienne de la fin du monde résonne fortement dans les paroles du saint Apôtre : « Voici ce que je dis, frères, c’est que le temps est court. Que désormais, ceux qui ont des femmes soient comme ceux qui n’en ont pas, que ceux qui pleurent soient comme ceux qui ne pleurent pas, ceux qui se réjouissent comme ceux qui ne se réjouissent pas, ceux qui achètent comme ceux qui ne possèdent pas, et ceux qui usent de ce monde comme ceux qui n’en usent pas, car la figure de ce monde passe » (1Cor.7,21-30).

Quelle majestueuse conception du monde dans les paroles de l’Apôtre ! Le monde n’est que l’image, l’ombre passagère, mais pas l’objet lui-même ! Quelle conception spirituelle, étrangère à l’existence charnelle ! Quelle perception vivante et aiguë du monde, cette ombre, cette image passagère !

Ayant perçu l’éternité comme une vie nouvelle, les saints ont pu dire de ce monde qu’il n’est que l’image passagère du monde invisible. Malheureusement, cette perception aiguë et vivante de la vie nouvelle n’a pas été reçue par les peuples chrétiens. Elle n’a trouvé de refuge que dans les cellules solitaires des ermites et des ascètes du Christ. Les solitaires ont été les porteurs de cette vie nouvelle, de l’autre existence du Dieu-Homme. Ils ont cheminé sur la voie de la foi au Christ, et cette foi leur a donné la conscience expérimentale des mystères du Christ, du Royaume éternel, des admirables miracles de notre Dieu admirable, Qui était merveilleusement en eux.

Le Christianisme extérieur est devenu mondain et païen. Il s’est adapté à ce monde pour vivre de façon charnelle et matérielle, pour l’amour de l’être charnel. Il ne connaît pas les miracles admirables de notre Dieu admirable. L’existence nouvelle semble bel et bien être l’apanage des solitaires.

La lumière éclairant les miracles de notre Dieu admirable, la lumière éclairant l’existence nouvelle, dès les premiers jours du Christianisme et jusqu’à aujourd’hui, provient de ces solitaires élus de Dieu, c’est-à-dire des moines. Elle provient de ces grandes familles de moines ou d’ermites, où, dans les laboratoires de l’Esprit, s’accomplit le grand mystère.

La vie sur terre est appelée à se transformer en une vie dans les cieux. La matière sombre et épaisse doit se spiritualiser et luire des rayons d’un autre monde. La corpulence pécheresse doit se changer en une chair sainte. Les larmes de repentir doivent tourner en vin d’allégresse éternelle. L’homme terrestre est appelé à devenir un ange céleste.

Dans le feu des combats intérieurs et des chutes secrètes en cellule, des chutes de l’esprit humain dans le matérialisme, la matière se transforme sous l’effet de la puissance divine. L’esprit humain déchu transformé en chair, qui rampe dans la poussière des convoitises, se libère peu à peu de la convoitise charnelle, et, sous l’inspiration de la grâce, acquiert des ailes pour s’élever de la terre jusqu’aux cieux où il est illuminé par les rayons du Soleil sans déclin, luisant de Sa lumière, se transformant en lumière, selon qu’il est dit : « Vous êtes la lumière du monde » (Mt. 5,14).

La chair corruptible et sombre, l’éternelle compagne de l’esprit et l’esclave des passions, voyant l’esprit transfiguré et clair, se transfigure elle-même par sa lumière, devient translucide et incorruptible, et luit des rayons d’un autre monde.

L’homme terrestre se transforme en ange céleste, quand sa conscience enténébrée luit des rayons du Soleil sans déclin.

Du feu des luttes et des pleurs surgit la nouvelle existence, éternelle, incorruptible, à qui se dévoilent les mystères du Royaume de Dieu, ici sur la terre, dans le choeur lumineux des nouvelles créatures, le choeur des saints.

La voie vers cette lumineuse célébration universelle de la Résurrection et de la Transfiguration de la création, vers le dévoilement des mystères du Royaume de Dieu sur la terre, a été indiquée par le Seigneur Lui-même qui a dit : « Je suis la Voie ». L’opportunité de suivre cette voie et la plénitude ont été donnée à travers le mystère de l’incarnation de Dieu.

Mais l’humanité a reçu le Christianisme superficiellement, comme la religion d’une morale nouvelle, et non comme la religion du miracle, de la Résurrection, de la manifestation active d’une existence différente et nouvelle. Ce faisant, elle a prononcé sur elle-même la sentence de sa fin. En livrant son Dieu et Sauveur à la croix (car vivre le Christianisme dans le siècle équivaut à crucifier Dieu), elle s’est condamnée elle-même à la catastrophe inévitable.

Les délais accordés à l’humanité pour faire l’acquisition de la vie divine prennent fin. La possibilité de changer encore, d’être transfiguré, est rejetée. On constate que la volonté humaine se manifeste maintenant de façon négative, méchante, et même haineuse à l’égard de tout ce qui vient de Dieu. Et cela accélère l’échéance de la catastrophe finale.

Le signe notoire de la fin qui s’approche est la destruction de ces foyers de lumière qui illuminent la terre enténébrée, c’est-à-dire la destruction des monastères et des ermitages, la destruction du monachisme.

Les derniers rayons de la lumière spirituelle à briller au-dessus de la terre provenaient des cellules de l’évêque Ignace Briantchaninov, des pères d’Optino, du juste Jean de Cronstadt et de quelques autres qui illuminèrent la terre affligée de leur lumière vacillante, de la lumière du soir qui précède le crépuscule, de la lumière de la fin.

Même si cette lumière renfermait aussi un sourire céleste, ses rayons tremblaient d’une secrète affliction pour le monde pécheur et non transfiguré, qui court à sa perte. Cette claire affliction des derniers saints traduit le déclin du Christianisme, annonçant le Nouveau Jour dont nous nous approchons.

A présent, nous sommes dans les ténèbres de la nuit, nous sommes entrés dans une époque sombre. Notre chemin sillonne sans la lumière de la lune et des étoiles. Parviendrons-nous, seuls et orphelins, jusqu’aux portes de la nouvelle existence spirituelle ? Serons-nous illuminés par les rayons du Soleil sans déclin ? Atteindrons-nous, faibles et épuisés que nous sommes, l’autre rive de la mer des passions ? Verrons-nous le joyeux littoral de la Terre Nouvelle ? Sur quoi traverserons-nous si le bateau des Apôtres est brisé ?

Mais rappelons-nous que quand l’Apôtre des païens fut sauvé avec ses compagnons, ce fut uniquement sur les débris du navire (Act.27,40-44). Voilà pour nous, les faibles et les hésitants, une prophétie encourageante et salutaire, qui vient nous garder de l’acédie, du découragement et du désespoir.

Accrochons-nous fortement aux débris nous aussi, et nous serons sauvés selon la parole apostolique, l’abîme agité de l’existence charnelle et périssable nous rejettera sur la terre ferme de l’existence nouvelle, spirituelle et divine.

LE MONACHISME D’ORIENT CONTEMPORAIN PERD LA PRATIQUE SPIRITUELLE, C’EST POURQUOI NOUS NOUS APPROCHONS DE LA FIN

La disparition du monachisme et le matérialisme sont les signes de la fin. On ne trouve plus aujourd’hui de guides spirituels théophores, et ce qui reste des chrétiens est amené à rechercher le salut dans les écrits des pères, les prières et les larmes. Les « débris » du navire apostolique sont pour nous les écrits des pères et les pleurs salutaires. C’est en nous accrochant à ces débris que nous chercherons le salut et que nous entrerons dans l’existence nouvelle et spirituelle.

L’existence ancienne va à la perte et à la destruction. Elle n’est rien d’autre que le sable dont le Sauveur a dit que la « maison bâtie sur le sable est tombée » (Mt. 7,26-27). Et c’est ainsi que tombera également toute âme qui construit sur le sable des convoitises terrestres, de l’amour de la chair, de la piété extérieure.

Les écrits des pères et les pleurs de repentir devant Dieu sont l’unique base salutaire sur laquelle la maison de l’âme peut résister à la destruction. Il n’y plus moyen pour nous de trouver une direction spirituelle pneumatophore, ceci a disparu. Les livres salutaires disparaissent eux aussi, selon un plan défini, selon un système.

Le direction spirituelle existait dans le monachisme chez les artisans expérimentés de la pratique spirituelle. Malheureusement, le monachisme s’appauvrit de l’intérieur, et avec lui la pratique spirituelle et le mystère de la nouvelle existence. C’est pourquoi les guides aussi se font rares. Le phénomène est déjà ancien, et sa progression imperceptible.

Déjà au XIVème siècle, Saint Grégoire le Sinaïte se plaignait d’avoir fait le tour du Mont Athos pour trouver parmi les milliers de moines seulement trois vases de la grâce, qui avaient atteint une certaine compréhension de la pratique spirituelle. Notre saint hiérarque béni, Ignace Briantchaninov, écrivait il y a cent ans que les guides sont devenus si rares qu’on peut presque dire qu’il n’y en a plus.

On peut considérer que c’est une grâce spéciale de Dieu de voir un moine trouver à la fin de sa vie, après avoir épuisé son corps et son âme dans l’ascèse monastique, un vase élu de Dieu, impartial, petit aux yeux des hommes et grand devant Dieu.

C’est ainsi que Zosime trouva, au-delà de toute attente, jadis au désert, sur l’autre rive du Jourdain, la grande Marie.

A la suite de cette raréfaction des maîtres pneumatophores, les livres patristiques représentent l’unique source à laquelle peut s’abreuver l’âme assoiffée qui souhaite acquérir des connaissances en matière d’exploit spirituel, connaissances qui sont hautement nécessaires.

Les monastères, qui sont les gardiens de la lumière spirituelle, se sont détruits eux-mêmes en perdant leur fondement, c’est-à-dire la pratique spirituelle. L’abandon de cette pratique et l’attrait pour le bien-être extérieur, la gloire, la décence et le faste, ont été un lourd péché, et une audacieuse transgression des promesses monastiques. La longanimité de Dieu n’a pas supporté cette audace, elle a livré les transgresseurs au jugement, en détruisant les monastères et en supprimant le monachisme. Voici que le monachisme s’est réduit au port de l’habit et à une pratique extérieure. Nombreux sont ceux qui ont suivi cette voie extérieure et défigurée du monachisme, oubliant le véritable monachisme de Dieu, spirituel et secret. Une telle façon de faire n’attire pas la bénédiction du Seigneur.

Le Nouvel Adam, le Dieu-Homme, le Seigneur et Sauveur, est le Prototype d’une nouvelle humanité et le monachisme était destiné à être le vivant porteur de cette humanité de Dieu.

Un chemin spirituel lui a été indiqué pour cela, dans lequel l’âme spirituelle renonce aux pensées, aux rêveries, aux convoitises de la chair, et s’engage, par la pratique monastique, dans une vie immatérielle, spirituelle et angélique. En perdant cette vie spirituelle, le monachisme perd son droit d’existence devant Dieu. Cette catastrophe était visible depuis déjà longtemps, mais seulement par certains moines spirituellement voyants. Parmi ceux-ci, on compte le saint hiérarque porteur de grâce Ignace Briantchaninov, qui écrivait en son temps : « En Russie et même ailleurs, le monachisme termine le temps qui lui a été imparti. La société monastique contemporaine a perdu la juste conception de la pratique spirituelle. Sans elle, le monachisme est un corps sans âme. C’est pourquoi je n’attends pas le rétablissement du monachisme ».

Nous avons vu récemment l’accomplissement de ces terribles lignes prophétiques inspirées par Dieu. Les monastères, qui constituaient la base de la Russie orthodoxe, se sont effondrés, et avec eux le monachisme, qui servait de fondement à l’âme chrétienne orthodoxe, laquelle s’effondre à sa suite.

Les redoutables signes de la fin du monde font leur apparition dans le monde chrétien. Le monachisme était le sel qui préservait de la pourriture. Puisque le sel perd de sa force, c’est que s’approche la fin du monde. Sauve-moi Seigneur, car il n’y a plus de saint ! (Ps.11,2) Le monde humain s’est appauvri spirituellement, il a vieilli. Il ne peut plus produire ceux qui contenaient et portaient son mystère. Le mystère du monde n’est autre que le mystère du Christianisme. Le monde n’existe que pour ce mystère. Si ceux qui portent ce mystère disparaissent, le monde doit disparaître à son tour.

Les porteurs du mystère étaient les saints moines. Le monachisme soutenait le monde. Avec le matérialisme, l’esprit humain devient définitivement chair, et n’est plus à même de produire du spirituel. Une prolongation de l’existence de ce monde charnel est dénuée de sens, il doit prendre fin.

Le matérialisme oeuvre uniquement pour le développement de l’esprit humain. Il perdurera jusqu’à ce qu’il se soit définitivement déterminé sur la question du bien et du mal.

Si l’esprit choisit le matérialisme sombre et charnel, s’il penche définitivement de son côté, il détruit en lui toute possibilité d’action de la grâce et de sa lumineuse immortalité. L’esprit qui se transforme en chair, en matière, tombe sous la loi de cette matérielle, c’est-à-dire la loi de l’écroulement, de la décomposition, de la mort.

La disparition du monachisme qui était l’être spirituel de l’humanité, la haine générale éprouvée à son égard et à l’égard du Christianisme en général, sont les signes essentiels et indéniables de la fin de ce monde matérialiste.

La haine du Christianisme traduit de façon expressive le vide spirituel de ceux qui expriment cette haine, et la chute définitive de leur esprit dans la matière, et dans les convoitises charnelles. Il traduit l’écroulement intérieure de la personne spirituelle, et sa fin irrémédiable. C’est là l’indice essentiel de la chute de l’âme dans l’impiété étrangère au Christianisme.

Celui qui ne comprend pas le monachisme ne comprend pas le Christianisme. Celui qui hait le monachisme hait le Christianisme et le Seigneur Lui-même, même s’il dit croire en Lui. Une telle foi ne mène pas au salut, ce n’est pas la foi des pères, ce n’est pas la foi orthodoxe. C’est une foi hérétique, c’est la foi sectaire de l’antéchrist.

Dans les derniers temps, le monde entier, tant impie que chrétien, sera embrasé par cette foi pleine de haine à l’égard du monachisme. Cette haine viendra unir deux mondes diamétralement opposés : l’amour du monde qui envahira cet anti-christianisme qui se fait appeler Christianisme s’unira à l’impiété, à l’athéisme, au combat contre Dieu.

Ceux qui aiment le monde sont les ennemis cachés du Christianisme. Par leur vie orgueilleuse et leur amour de la chair, ils nient l’existence de Dieu. C’est pourquoi il s’uniront par un même esprit aux impies pour haïr le monachisme, le Christianisme, et le Christ Lui-même, et manifesteront leur appartenance à l’esprit de l’antéchrist. L’esprit de l’antéchrist est méchant, il foule aux pieds les saints commandements du Christ Seigneur, il hait ceux qui portent les commandements vivifiants du Dieu vivant.

La haine du monachisme est l’indice le plus redoutable du reniement définitif de Dieu, de ce mystère de l’iniquité recouvert de la soutane de la piété. C’est l’indice de la fin du Christianisme et du monde.

Il est étonnant de constater dans le cours de l’histoire que le clergé lui-même a joué le rôle de vecteur dans cette haine du monachisme : ceux-là même qui se tiennent devant les saints autels de Dieu ! Le clergé contemporain et le monde considèrent le monachisme comme leur ennemi juré, ils ont pour lui une animosité mortelle.

Cette haine du monde athée et du clergé apostat n’est pas due au hasard. Elle a ses sources dans les temps les plus reculés de l’histoire de l’Eglise du Christ. L’arianisme, le nestorianisme, l’iconoclasme et les autres hérésies qui ont secoué l’Eglise ont ressenti à leurs dépends la forte influence du monachisme. C’est pourquoi ils l’ont haï, c’est pourquoi ils ont voulu son anéantissement.

La haine du monachisme manifestée à notre époque, et que tous n’ont pas remarquée, est le signe mystérieux de l’apostasie qui s’est définitivement accomplie. Elle témoigne du fait que la nuit de Gethsémani a commencé pour le Christianisme et le monachisme porteur du mystère du Christ. C’est Judas qui guide la masse sombre et méchante, c’est le disciple du Christ qui se montre instigateur du déicide. Cette image évangélique est un indice terrible, une redoutable prophétie de ce qui se passe de nos jours. Il ne faut pas l’oublier...

Cette terrible image de l’Evangile se manifeste dans la claire union de l’athéisme et de l’apostasie. Pour employer le langage évangélique, cette union cache le mystère de la fin qu’évoque le Seigneur qui dit : « Je dirai aux moissonneurs : arrachez d’abord l’ivraie, et liez-la en gerbes pour la brûler »(Mt.13,30)

Cette union des clercs et des séculiers dans la haine du monachisme et du Christianisme lui-même, cette soif de détruire les moindres emplacements monastiques qui avaient encore échappé au désastre, constitue justement le « liez-la en gerbes » avant la fin, avant le feu. Une main invisible les prépare pour le feu. Toutes les forces hostiles au Christianisme se sont unies avec « la chair et le sang » étrangers à la vie spirituelle et au Royaume de Dieu, et elles seront brûlées par le Jugement de Dieu.

Quand on scrute leur vie qui s’écoule dans l’amour de la chair et dans l’absence de crainte, et tout cela derrière le voile de la soutane, on comprend qu’ils brûlent déjà dans l’enfer des passions inextinguibles, de l’avidité, de l’amour de la chair, et de la haine.

Ayant compris cette prophétie, le reste des chrétiens se doit de redresser la tête, de tendre vers le ciel, de renforcer sa pratique spirituelle, et de se concentrer intérieurement sur la garde des pensées. Seule cette pratique prônée par les Pères peut nous arracher à la vie charnelle, avec le guide de leurs écrits inspirés par Dieu. C’est le seul moyen de sauver nos âmes de la perdition définitive et inévitable. Il n’y a plus de guides, de maîtres, d’anciens porteurs de la grâce.

Accrochons-nous aux écrits de Pères et cherchons le salut agrippés à ces « débris ». Versons les pleurs du repentir et de la prière. La voie nous est montrée, qui conduit de l’extérieur vers l’intérieur, vers l’attention aux pensées et la prière incessante. Celui qui reste à l’intérieur est sur la voie juste. C’est cela la véritable vie chrétienne enseignée par les Pères.

LES SAINTS PERES CONNAISSAIENT PAR EXPÉRIENCE LE MYSTÈRE DU SALUT. ILS ONT MIS AU POINT UNE SCIENCE SPIRITUELLE : LA SCIENCE DE LA VIGILANCE. DE L’ESSENCE DE CETTE PRATIQUE.

L’attention et la prière incessante sont les activités mentales qui donnent naissance à la pratique spirituelle.

Ceci est le mystère caché des Pères, qu’il est difficile à exprimer par des mots. La langue humaine est à court d’expressions ou même de métaphores pour expliquer pleinement ce mystère.

La prière incessante est un commandement de Dieu et un don de Dieu, elle ne peut être comprise par la raison ni exprimée par la parole, dit l’évêque Ignace.

La pratique divine de la sainte prière du coeur était l’oeuvre constante des anciens Pères théophores, dit Saint Païssy Vélitchkovsky. Que l’on sache, poursuit-il, que selon le témoignage digne de foi de notre Père sage en Dieu, saint et théophore, Nil le Jeûneur du Sinaï, Dieu Lui-même donna au premier homme la prière du coeur déjà dans le Paradis ! Mais cette prière du coeur atteignit une gloire incomparablement plus grande lorsque celle qui est plus sainte que tous les saints, et plus vénérable que les chérubins, et incomparablement plus glorieuse que les séraphins, la toute-sainte Vierge Marie et Mère de Dieu, accéda, par cette prière, alors qu’elle se trouvait dans le Saint des Saints, à la hauteur suprême de la vision de Dieu et fut jugée digne d’être la demeure de Celui que toute la création ne peut contenir, le Verbe de Dieu qui pénétra en personne dans son sein. Qui peut comme il se doit louer la prière du coeur qui fut pratiquée par la Mère de Dieu elle-même, guidée et enseignée par le Saint Esprit ?

La prière du coeur est digne des louanges divines puisqu’elle contient en elle le Nom plein de gloire et digne d’éloge de notre Dieu. Comme Dieu Lui-même, elle est ineffable. Elle est mystérieusement divine, elle est le majestueux accomplissement des miracles de notre Dieu glorieux et indicible.

Le sens caché de la pratique spirituelle (appelée aussi vigilance ou prière incessante ou prière du coeur) réside dans le mystère de l’union avec Dieu, de la manifestation de la sainte image du Christ dans l’homme. C’est là que se trouve le secret des Saints Pères. Dans cette pratique spirituelle, la volonté accomplit l’exploit du repentir dans la grâce. Alors que l’âme vit dans un environnement terrestre, elle se perfectionne dans sa quête de la vie future. Un jour se révélera à elle l’indescriptible et incommensurable activité de notre Dieu parfait. Cette pratique spirituelle est la voie cachée qui mène à la vie angélique déjà sur cette terre. Elle nous fait quitter cette existence de perdition, cette vie terrestre, mortelle et charnelle, et introduit notre nature spirituelle dans une existence nouvelle, éternelle, céleste, immortelle et divine. Elle renouvelle l’homme par l’âme et par le corps (Saint Syméon le Nouveau Théologien).

La pratique spirituelle réalise l’union des chérubins entre l’âme et le Dieu-Verbe. Elle est la voie de la connaissance de Dieu par l’expérience, hélas oubliée par le monachisme. Un monachisme qui arbore l’aspect angélique sans en avoir la pratique n’est pas un vrai monachisme, c’est une fleur stérile, un corps sans âme.

L’essence du monachisme est dans la pratique spirituelle, comme l’essence du Christianisme est dans le monachisme.

Sans la pratique spirituelle, il n’y a pas de monachisme, et sans monachisme, il n’y a pas de Christianisme.

La pratique spirituelle cache les mystères du Royaume des Cieux. L’Esprit Saint les révèle petit à petit à celui qui s’efforce de se les approprier sur la voie du repentir.

Ces mystères ne peuvent être révélés artificiellement. La prière incessante n’est donnée qu’au repentir incessant. La seule assistance sure qui ne risquera pas de détériorer les poumons et d’enténébrer l’esprit en le plongeant dans le leurre, c’est la prière incessante que le coeur apporte à Dieu quand il Lui dit : « Aie pitié! » Cette prière empreinte de sacrifice et de contrition ne sera pas dédaignée par le Seigneur Dieu. Les portes du Royaume des Cieux ne s’ouvrent qu’au seul repentir. Cette voie ne peut pas conduire à l’égarement.

Pour celui qui comprend par un sentiment du coeur l’imminence de la fin de ce monde matériel et celle de sa propre fin, quelle prière pourrait mieux convenir et apporter plus de satisfaction que celle-ci, si brève mais pourtant si riche par le contenu ?

Celui qui pense à sa mort et au fait qu’il devra bientôt se présenter devant le tribunal de Dieu ne peut avoir qu’un seul soucis permanent : disposer d’assez de temps pour obtenir avant la fin la miséricorde du Seigneur.

C’est pourquoi cette prière, au fur et à mesure qu’elle sera pratiquée, conduira l’âme à crier de manière incessante : « Aie pitié! »

Cette pratique cache justement le mystère du salut du navire apostolique, salut qui fut offert aux anciens Pères, mais qui fut la cause de la perte du monachisme de ces derniers temps, puisqu’il ne s’y est pas tenu.

Ce monachisme récent s’est fié à ces vêtements extérieurs, aux biens matériels, à la bienséance extérieure, perdant la pratique intérieure spirituelle, c’est-à-dire l’attention aux pensées et la prière incessante.

Désormais, cette pratique angélique sera le propre de ceux qui s’y accrocheront de l’intérieur, qui chemineront vers Dieu à l’intérieur d’eux-mêmes, sur la véritable voie étroite et spirituelle. Ces gens-là seront cachés de la multitude. Les mystères du Royaume des Cieux sont cachés aux extérieurs. Ils ne sont pas accessibles à tous. La pratique spirituelle est intérieure, et cachée dans la vigilance.

La vigilance est abordée par les saints pères comme un art spirituel, qui, pratiqué avec un zèle constant, attire la grâce de Dieu qui libère l’homme des pensées passionnelles, des paroles et des actes mauvais. La vigilance accorde à celui qui la pratique une juste connaissance du Dieu inconcevable, la pénétration des mystères, autant que cela nous soit possible. Elle est l’accomplissement de tous les commandements de l’Ancien et du Nouveau Testaments, elle apporte tous les biens du siècle à venir.

Elle est véritablement la pureté du coeur. Comme ont dit Saint Isaac le Syrien et Saint Hésychios : « Le coeur est pur quand il se garde par la prière des pensées mauvaises ». L’essence de la vigilance se trouve donc dans la prière incessante et dans l’attention de l’esprit aux pensées. C’est à cette pratique que les pères nous proposent de nous accrocher comme à un mystère salutaire. Cette pratique est salutaire, puissante, et efficace pour assurer le salut de ceux qui s’y tiennent avec foi.

Celui qui éprouve du zèle pour sauver son âme de la noyade inévitable doit s’y accrocher solidement, et il sera sauvé. Le Seigneur Dieu apporte toujours personnellement Son aide à celui qui fait preuve d’un bon zèle. Que celui qui a des oreilles pour entendre entende ! C’est la voix des Saints Pères ! C’est la voix du Saint Esprit !

L’ENSEIGNEMENT DES SAINTS PÈRES SUR LA VIGILANCE SE FONDE SUR LA CONNAISSANCE DE LA MISE A MORT DE NOTRE NATURE SPIRITUELLE PAR LE PÉCHÉ EN ADAM ET LE MOYEN DE PARVENIR A LA RÉSURRECTION.

DE LA SIMPLICITÉ, DE L’ACCESSIBILITÉ ET DE LA GRANDEUR DE CE MOYEN.

Les Saints Pères nous proposent la pratique spirituelle comme le moyen sûr d’échapper à la noyade inévitable de notre nature spirituelle dans la mer mentale du péché, car il n’existe pas d’autre moyen aussi efficace. Personne n’a aussi bien appréhendé notre nature spirituelle, notre âme et sa grave maladie, que les Pères sages en Dieu, et ce sont eux qui nous proposent ce moyen simple.

Les Pères ont pris conscience du fait que notre âme avait été mise à mort par le poison du péché en Adam. En lui tous sont morts et ont perdu la vie angélique cachée qui était notre bien propre auparavant. Nous demeurons maintenant dans les pensées et les impressions charnelles, nous demeurons sur la terre, la vie céleste nous est inaccessible.

Saint Macaire le Grand décrit cette mort de l’âme par des paroles très fortes : « Lors de la désobéissance, l’homme mourut de la mort effroyable de l’âme, il reçut malédiction sur malédiction : la terre portera pour toi des ronces et des épines (Gen.3,18), tu travailleras la terre, mais elle ne te donnera plus ses fruits (Gen.4,12). Les ronces et les épines poussèrent et foisonnèrent dans la terre de son coeur, ses ennemis le dépouillèrent par ruse de sa gloire et le revêtirent de honte. Sa lumière lui fut enlevée et il fut couvert de ténèbres, ils tuèrent son âme, éparpillèrent et divisèrent ses pensées, précipitèrent son intellect des hauteurs, et Israël, c’est-à-dire l’homme, devint un esclave du véritable Pharaon. Et ils lui imposèrent comme contremaîtres et comme surveillants les esprits de malice qui le forcèrent, qu’il le voulût ou non, de faire des oeuvres mauvaises et d’accomplir la corvée de l’argile et des briques (Ex.1,11-14). Ils le tinrent éloigné des pensées célestes, pour le pousser à des actions matérielles, terrestres, fangeuses et mauvaises, à des paroles, des pensées et des réflexions vaines. Précipitée du haut de sa grandeur, l’âme trouva un royaume hostile à l’homme et des maîtres cruels, qui la contraignirent à leur bâtir les cités des péchés et des vices. Mais dès que l’âme gémit et crie vers Dieu (Ex.2,23-24), Il lui envoie le Moïse spirituel, qui la délivre de la servitude des Egyptiens ».

Et nous voyons ici venir en aide à l’âme mise à mort son cri spirituel, la puissante et incessante prière de Jésus qui la vivifie. L’âme trouve sa vie dans ce mystère de l’appel, et c’est ainsi qu’elle ressuscite pour une vie spirituelle et céleste, la vie en Dieu.

Ce don de la vie divine est accordé à chaque baptisé au Nom du Seigneur Jésus-Christ. Dans les fonts baptismaux, l’âme reçoit par grâce, le don spirituel de la vie angélique accordé gratuitement. Cependant, il est rare que quelqu’un conserve ce don, c’est pourquoi il est rare que quelqu’un ait une vie spirituelle. La majorité des baptisés foule aux pieds ce don par ses passions dès la petite enfance ou l’adolescence, et demeure jusqu’à la mort dans une vie charnelle et lubrique, sans se douter que c’est la condamnation à mort de l’esprit (Rom.8,5-8).

Pourtant ce don n’est pas détruit en nous par les péchés, il est seulement enfoui comme un trésor dans la terre de nos passions. Il dépend de nous d’exhumer ou non ce trésor de la vie céleste. C’est le repentir qui nous permettra de trouver en nous le trésor. Le repentir est un deuxième baptême qui offre le don spirituel de la vie céleste.

A travers le repentir, la grâce de l’Esprit Saint nous vivifie et nous fait pénétrer dans le mystère de la communion avec Dieu.

Saint Grégoire le Sinaïte exprime très bien cette pensée : « Ayant reçu l’Esprit de vie en Jésus-Christ, il nous est possible de converser avec le Seigneur comme les chérubins par la prière pure, mais nous ne comprenons pas l’honneur et la gloire de la grâce de la régénération, nous ne nous préoccupons pas de grandir spirituellement en accomplissant les commandements, d’aller vers un état de contemplation spirituelle, et nous nous adonnons à la négligence qui nous précipite dans des habitudes passionnelles et dans l’abîme de l’insensibilité et des ténèbres.

Il arrive même que nous ne souvenions pas que Dieu existe! Nous ignorons même que nous sommes appelés à devenir fils de Dieu par la grâce !

Après le renouvellement de l’esprit par le baptême, nous ne cessons pas de vivre charnellement. Si parfois, après nous être repentis, nous nous mettons à accomplir les commandements, nous le faisons de façon extérieure, et non spirituellement. Nous perdons tellement l’habitude de la vie spirituelle que sa manifestation chez les autres nous paraît fausse et erronée. Jusqu’à la mort elle-même, nous sommes morts par l’esprit, nous ne vivons et n’agissons pas dans le Christ, oubliant que celui qui est né de l’Esprit doit être spirituel.

Or, ce que nous avons reçu dans le Saint Baptême en Jésus-Christ n’a pas été détruit, mais simplement enterré comme un trésor. La simple raison, et également la gratitude, exigerait pourtant de s’en préoccuper ! Et comment accomplir cela ? Par deux moyens. La grâce du baptême peut être déterrée, et retrouver sa clarté et son brillant, en premier lieu par un travail laborieux d’accomplissement des commandements, et en second lieu par l’appel incessant du Seigneur Jésus, ou ce qui revient au même, par un souvenir incessant de Dieu.

Le premier moyen est puissant, et le second l’est encore plus, qui reçoit du premier la plénitude de sa force. Si nous voulons dévoiler sincèrement cette semence de grâce cachée en nous, empressons-nous de prendre rapidement l’habitude de diriger notre coeur vers la prière sans représentation et sans imagination jusqu’à ce qu’elle réchauffe notre coeur et l’enflamme d’un amour ineffable pour le Seigneur. Tant que la prière n’agit pas d’elle-même en nous, nous devons nous contraindre nous-mêmes au douloureux labeur de la prière, jusqu’à ce que le coeur se réchauffe et que la prière agisse d’elle-même ».

Voilà le moyen par lequel nous ranimerons notre âme mise à mort ; ce moyen est simple et accessible à tous. De tous les riches et grands dons que le Seigneur a accordés par Son Incarnation à la pauvre créature humaine pécheresse et asservie aux démons en vue de la sauver de cet asservissement, la prière de Jésus est le plus majestueux, le don parfait par excellence.

« Prier par la prière de Jésus est une institution divine. Elle a été instituée non par un prophète, non par un apôtre, non par un ange, mais par le Fils de Dieu Lui-même », dit l’évêque Ignace. Après la Sainte Cène, parmi les commandements définitifs et de haute portée, le Seigneur Jésus-Christ a instauré la prière par Son Nom. Il a fait don à l’humanité de ce moyen de prier, don véritablement inhabituel et infiniment précieux.

D’ailleurs, les apôtres connaissaient auparavant en partie la force du Nom de Jésus, puisqu’ils guérissaient par lui les maux inguérissables, contraignaient par lui les démons à leur obéir, avant de les lier, de les vaincre et de la chasser.

Le Seigneur recommande d’employer ce Nom tout-puissant et merveilleux pendant la prière, promettant de lui donner une efficacité particulière : « Si vous demandez quelque chose en Mon Nom, Je le ferai, afin que le Père soit glorifié dans le Fils » (Jn.14,13-14). « Si vous demandez quelque chose en Mon nom, Je le ferai. En vérité, en vérité, Je vous le dis : ce que vous demanderez au Père en Mon Nom, Je vous le donnerai. Jusqu’à présent vous n’avez rien demandé en Mon Nom. Demandez et vous recevrez afin que votre joie soit parfaite ! » (Jn.16,23-24)

Quel don ! Il est le gage de biens éternels et infinis ! Il provient de la bouche même du Dieu infini qui S’est circonscrit dans notre humanité en S’attribuant un Nom humain qui signifie Sauveur.

Ce Nom semble limité, et pourtant il représente l’Être illimité qu’est Dieu. Il emprunte à Dieu Sa dignité divine et absolue, et Sa puissance.

Ô, Donateur d’un don sans prix et incorruptible ! Comment les êtres insignifiants et pécheurs que nous sommes peuvent-ils recevoir un tel don ? « Ni nos mains, ni notre coeur, ni notre esprit n’en sont capables. Mais Toi, enseigne-nous comment recevoir ce don, comment l’employer sans commettre de péché, sans être châtié pour notre manque de raison et notre audace, afin de pouvoir ensuite recevoir de Toi d’autres dons encore, connus de Toi seul! » (Saint Ignace Briantchaninov)

« Après avoir reçu, nous les indignes, ce Nom salutaire, honorable, et plus terrible pour toutes les créatures que tout autre nom, hissons-le comme une voile et allons de l’avant ! » (Calliste)

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