dimanche 31 mai 2009

TRAITE SUR L'HOMME (Partie IV)


LE PARADIS

Après avoir décrit la création du monde visible, l’écrivain inspiré de la Genèse ajoute : « Et le Seigneur Dieu planta un jardin en Éden, du côté de l’orient, et Il y mit l’homme qu’Il avait créé » (Gn 2,8). En accord avec ce récit, le Seigneur Lui-même annonça que le « Royaume », la terre de la béatitude éternelle, avait été préparé pour les hommes dès la fondation du monde (Mt 25,34). Nous savons du Paradis qu’il se situe à l’orient, ce qui peut apparaître comme une bien maigre information aux yeux de ceux qui souhaitent tout expliquer et tout rapporter à eux-mêmes, à leurs sens et au monde visible.Face à l’immensité de la création nous sommes bien peu de chose, nous-mêmes et notre planète. Autour de nous s’étend d’abord la partie de l’univers que nous savons mesurer, puis, au-delà, un espace encore plus grand, puis à nouveau d’autres immensités... Cette petite portion mesurable nous conduit vite à réaliser l’incommensurabilité de l’ensemble. Savoir que le Paradis se situe à l’orient est bien suffisant pour notre médiocrité. Cessons donc de nous appuyer sur notre faible intelligence, sur ce bâton si fragile. Acceptons avec foi ce que la révélation divine nous enseigne : grâce à la foi, nous pourrons nous approprier des connaissances qui dépassent totalement notre compréhension.Le Paradis se trouve à l’orient, comme l’indiquent les Saintes Écritures et la Sainte Tradition de l’Église : « Royaumes de la terre, chantez pour Dieu, jouez un psaume pour le Seigneur, car Il s’élève au plus haut des cieux, à l’orient » (Ps 67,33-34). « Dieu planta un jardin en Éden, du côté de l’orient et Il y mit l’homme qu’Il avait créé » (Gn 3,23-24) et quand l’homme transgressa le commandement, « Il le chassa et le mit devant le Paradis des délices » (Gn 3,23-24), c’est-à-dire à l’occident. C’est pourquoi, désireux de revenir dans notre Patrie, nous dirigeons nos regards vers elle et nous nous prosternons devant Dieu à l’orient. Une fois emporté au ciel, le Seigneur disparut aussi vers l’orient et les Apôtres se prosternèrent devant Lui, dans la direction du levant. Il reviendra de l’orient, là où les disciples L’ont vu s’élever (Ac 1,11) et comme Il l’a dit Lui-même : « Comme l’éclair part du levant et brille jusqu’au couchant, ainsi en sera-t-il de l’avènement du Fils de l’homme » (Mt 24,27). Ainsi, dans l’attente de son second avènement, nous nous prosternons vers l’orient. Il s’agit là d’une tradition non écrite des Apôtres « car ils nous ont transmis également des choses non écrites » (Saint Jean Damascène, La Foi Orthodoxe). D’après Saint Jean Damascène, c’est pour la même raison que le rideau et le propitiatoire dans la tente de Moïse étaient tournés vers l’orient, que la tribu de Juda, dont est issu le Seigneur, établit son campement à l’est des autres tribus d’Israël lors du retour vers la terre promise, que les portes du Seigneur se trouvaient à l’est du temple de Salomon, que le Seigneur crucifié regardait vers l’occident pour que nous puissions nous prosterner dans Sa direction, c’est-à-dire vers l’orient. Dans les églises orthodoxes, l’autel est situé à l’est ; nous nous tournons vers le levant au cours des prières en dehors de l’église ; nous enterrons nos morts le visage tourné vers l’orient, vers le Paradis des délices, dans l’attente de la Résurrection et du retour au Paradis. Saint Syméon de la Montagne Admirable (fêté le 24 mai) et d’autres Saints qui furent dignes d’être ravis au Paradis confirmèrent qu’il se trouvait bien au levant.La Genèse décrit le Paradis comme un très vaste jardin, planté d’une grande variété d’arbres fruitiers de très belle apparence et provenant de la terre. Les plus illustres, situés au centre, sont l’arbre de Vie et l’arbre de la Connaissance du bien et du mal. Une rivière arrose l’Éden et se divise en quatre bras à sa sortie. En lisant cette description du Paradis, avec les noms des quatre bras et l’énumération des régions traversées par ces fleuves, certains ont voulu conclure que le Paradis se trouvait sur la terre. Mais où pourrait-on trouver ces quatre célèbres fleuves sur la terre, issus de surcroît d’un même cours d’eau ? Ceci est impossible : le Paradis n’est pas situé sur la terre, même si la description qu’on en fait n’est pas sans l’évoquer. L’aménagement même du Paradis n’est pas appelé création mais plantation (issue de la terre) car ses habitants furent pris à la terre. Cette idée ancienne d’un Paradis « terrestre » vient probablement d’une fausse conception de la matière. On concevait cette dernière exclusivement sous deux formes, l’une grossière et l’autre très fine (celle des esprits), sans comprendre qu’il existe un état intermédiaire. En d’autres termes, on attribuait à toute matière inaccessible à nos sens une finesse infinie, ce qui est faux. Ceux qui ont voulu voir le Paradis sur terre durent recourir à une idée erronée pour dissiper leur embarras : la destruction du Paradis par le Déluge (cf. Dictionnaire théologique Bergier). En réalité, le Paradis n’est pas sur terre mais au ciel. L’Apôtre Paul, après avoir été ravi jusqu’au troisième ciel, fut conduit dans le Paradis où il « entendit des paroles ineffables » (2 Co 12,4).« En vérité, Je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis » (Lc 23,43) a dit le Sauveur au larron crucifié avec Lui et qui Le confessait comme Seigneur. Il est clair que c’est l’âme du larron qui fut placée au Paradis tandis que son corps, dont les genoux avaient été rompus, fut descendu de la croix et mis en terre. Placer l’âme du larron dans le Paradis signifie d’une part que l’âme est un corps fin, et d’autre part que la nature paradisiaque est également une matière fine, conforme à ses habitants, les esprits créés. Cela explique aussi l’état du corps d’Adam avant sa chute. Avec son corps saint, Adam était capable d’habiter dans le même lieu que les esprits créés, comme ce sera le cas pour les corps des justes après la Résurrection. Saint Jean Damascène dit que « le ciel est la demeure des créatures visibles et invisibles. On y trouve, circonscrits dans l’espace, les puissances angéliques et tout ce qui est tangible. Seule la divinité est illimitée ». Saint André fut ravi au troisième ciel comme saint Paul : d’après la vision qu’il en eut, le Paradis se situe au premier ciel. D’autres Saints confirment cette affirmation, soit qu’ils aient été jugés dignes d’une vision, soit qu’ils aient reçu une révélation divine.Instruits par la Sainte Écriture et par les Pères, nous affirmons que le Paradis est le lieu d’une jouissance pure à laquelle participait Adam et dans lequel on trouve actuellement les âmes de nombreux justes. Les Saints y seront placés avec leur corps après la Résurrection. La nature de ce lieu est conforme à celle de ses habitants, formée d’une matière fine comme celle des âmes ou celle du corps d’Adam avant qu’il ne fût revêtu de l’habit de peau. C’est cette matière qui constituera les corps des justes ressuscités, à l’image du corps glorifié de Notre Seigneur Jésus-Christ. « Le paradis est le champ du repos spirituel », dit le bienheureux Théophylacte de Bulgarie en précisant qu’il est palpable, qu’Adam le voyait, en consommait les fruits et s’y réjouissait spirituellement. Dans ce Paradis, ancien héritage et patrie de l’homme, fut introduit le larron qui confessa le Seigneur sur la Croix. Saint Macaire le Grand parle de « la très paisible et céleste Jérusalem où se trouve le Paradis ».La terre a une certaine ressemblance avec le Paradis. Avant sa destruction, la très fertile plaine de Sodome, baignée par les eaux du Jourdain, fut comparée par la Sainte Écriture au Paradis de Dieu (Gn 13,10). Avant d’être maudite, la terre était dans un état très différent de celui dans lequel nous la voyons à présent, en désordre et prête à être brûlée. Oh ! Comme le Paradis doit être parfait, dépassant de loin la terre par l’abondance de ses beautés et de sa grâce ! C’est ainsi que l’a vu Saint André. Il a décrit la rivière du Paradis, ses fruits et ses fleuves, ses oiseaux aux chants merveilleux, ses vignobles et ses arbres ; au sujet de ces derniers, il nous a rapporté qu’on ne pouvait les comparer à aucun arbre sur la terre parce qu’ils avaient été plantés par la main de Dieu et non par celle de l’homme. C’est d’ailleurs dans cet esprit qu’il faut aborder tout ce qui compose la nature raffinée et délicate du Paradis. Saint André a raconté qu’en s’y promenant, en contemplant avec étonnement sa beauté, il tomba dans une indescriptible extase, dans un très doux transport, sous l’effet de la grâce abondante qui y règne. Un état fort compréhensible ! La beauté de la terre transporte déjà celui qui la contemple lorsqu’il commence à découvrir en elle, avec l’œil purifié de son intellect, la puissance et la sagesse du Créateur, aussi est-il d’autant plus naturel que la beauté merveilleuse du Paradis inspire à l’homme la contemplation et la jouissance spirituelle et impérissable qui surviennent lorsque l’on voit Dieu dans Ses œuvres.Tous les récits que font les Saints à propos du Paradis concordent. Saint Grégoire le Sinaïte le place dans le ciel inférieur, précise qu’il est orné de jardins plantés par Dieu, aux arbres toujours couverts de fleurs et de fruits, et qu’en son centre coule une rivière qui l’arrose et se sépare en quatre bras. Saint Ioasaph qui fut roi, puis Apôtre et moine en Inde, fut jugé digne de voir le Paradis. Un jour, après une longue prière baignée d’abondantes larmes, il fut plongé dans un léger sommeil ; il perçut en rêve des hommes terribles qui l’emportèrent et le conduisirent à travers des contrées inconnues vers un vaste champ couvert de fleurs magnifiques et extrêmement agréables ; il y avait là une grande variété de plantes portant en abondance des fruits extraordinaires et étonnants, aussi beaux à regarder qu’agréables au goût ; les feuilles des arbres, agitées par un vent très doux, bruissaient en exhalant un parfum indicible ; on y trouvait des sièges d’or et de pierres précieuses qui scintillaient vivement ; des eaux très pures coulaient, réjouissant le regard même. Saint Ioasaph fut ensuite introduit dans la Jérusalem céleste dont il vit la beauté et la gloire. Gagné par cette consolation céleste, le Saint ne voulut pas revenir sur terre mais ses compagnons lui apprirent qu’on ne pouvait demeurer dans les lieux clairs qu’au prix de la sueur et de grands efforts. Ils l’en firent sortir pour lui montrer les lieux effrayants des souffrances éternelles puis ils le ramenèrent sur terre.Deux récits méritent une attention particulière, ceux que la tradition de l’Église a conservés à propos des moines Paul et Euphrosine. Ces deux moines ont été vus au Paradis : le premier par de nombreux frères parmi les plus pieux du monastère, et le second par son higoumène Blaise, tombé lui-même dans une sainte extase, ce léger sommeil commun à tous ceux qui sont dignes de visions (Ac 12,7-11). Dans l’un et l’autre cas, le Paradis est décrit comme un jardin parfumé à la beauté ineffable. Saint Paul remit à ses frères, à leur demande, des fleurs et d’autres plantes du Paradis qu’ils trouvèrent chacun dans leurs mains en retrouvant leurs esprits après les visions. Saint Euphrosine offrit à l’higoumène Blaise trois pommes parfumées qu’il partagea entre les frères : ceux qui en goûtèrent furent remplis de joie spirituelle et les malades guérirent.Lors des deux récits qui précèdent, on voit comment la fine matière du Paradis peut s’épaissir et devenir palpable sur un signe de Dieu. Lors de son martyre, on conduisit la Sainte martyre Dorothée du prétoire au lieu où on devait lui trancher la tête, pour accomplir l’ordre du tyran qui lui reprochait sa confession du Christ.Un savant du nom de Théophile, conseiller du gouverneur, se moqua d’elle en ces termes : « Écoute, fiancée du Christ ! Envoie-moi des pommes et des roses de la part de ton Fiancé ! ». Ce à quoi la sainte répondit : « En vérité, je l’accomplirai ». Arrivée au lieu de l’exécution, elle obtint du bourreau l’autorisation de prier son Dieu un bref instant. Lorsqu’elle termina sa prière, un ange de Dieu se présenta devant elle sous la forme d’un jeune homme à la beauté remarquable qui lui présenta dans un linge immaculé trois roses rouges et trois magnifiques pommes. La Sainte lui dit : « Je t’en prie, porte-les à Théophile, et dis-lui : voici pour toi ce que tu as demandé ». Ayant ainsi parlé, elle inclina la tête sous le glaive et fut décapitée. Pendant ce temps, Théophile qui se moquait de la promesse de la Sainte, racontait l’affaire à ses amis : « Quand on conduisit au supplice Dorothée qui se disait la fiancée du Christ et se vantait d’aller dans son Paradis, je l’ai priée de m’envoyer des pommes et des roses et elle s’y est fermement engagée ! ». Alors qu’il riait sans retenue, l’ange l’aborda en disant : « Dorothée, la vierge sainte, t’envoie ceci du Paradis de la part de son fiancé, ainsi qu’elle l’a promis ». Voyant les pommes et les fleurs, Théophile les prit dans ses mains et s’écria d’une voix forte : « Le vrai Dieu, c’est le Christ et il n’y a en Lui aucun mensonge ! ». Ses amis lui demandèrent alors s’il plaisantait ou s’il avait perdu la raison. « Je ne plaisante pas et je n’ai pas perdu la raison, mais la raison m’oblige à croire que Jésus-Christ est le vrai Dieu ». Et comme on lui demandait d’expliquer ce revirement soudain, il répondit : « Dites-moi, en quel mois sommes-nous ? – En février ! – C’est à présent l’hiver, toute la Cappadoce est couverte de neige et de glace et il n’y a de feuille sur aucun arbre. D’où proviennent, selon vous, ces fleurs et ces fruits avec leurs rameaux et leurs feuilles ? ». Les touchant et s’étonnant de leur parfum très particulier, ils répondirent : « Nous n’avons jamais vu de telles fleurs et de tels fruits, même pendant la belle saison ! » C’est ainsi que de persécuteur qu’il était, Théophile devint prédicateur de la foi chrétienne. Le gouverneur, informé immédiatement, tenta de l’amadouer puis, voyant que c’était là peine perdue, l’entraîna vers le supplice et Théophile scella ainsi sa confession au Christ dans le sang (fête le 6 février).Une autre manifestation de cet « épaississement » de la matière paradisiaque eut lieu lors de la Dormition de la Mère de Dieu. Quelques jours auparavant, l’archange Gabriel se présenta devant la Très-Sainte Vierge avec une branche brillante de dattier du Paradis, Lui annonçant Son bienheureux départ vers les demeures célestes. Lors de la procession qui mena la Vierge au tombeau, la branche du Paradis fut portée devant la Mère de Dieu par l’Apôtre Jean. Voilà ce qui a été révélé à l’humanité souffrante et en errance sur la terre concernant le lieu de son repos et de sa béatitude éternels, lieu préparé pour elle dès la création du monde. Dans les récits précédents, nous voyons comment les plantes du Paradis transportées sur terre passent, sur un signe de Dieu, d’une grande finesse à un état plus grossier et perceptible pour nos sens. Malgré les piètres connaissances que nous en avons, nous affirmons que la matière du monde céleste, ce monde de liberté, d’incorruptibilité et de béatitude est régie par d’autres lois que celles qui gouvernent la matière terrestre qui sert de prison et d’exil aux transgresseurs des commandements de Dieu. Nous en voulons pour preuve les manifestations célestes ayant lieu dans cette vallée des larmes. Ainsi le corps du Dieu-Homme qui appartenait déjà au monde céleste après la Résurrection, devenait-il tour à tour visible et invisible, palpable dans Sa chair et Ses os et en même temps capable de traverser les matières les plus dures au gré de la volonté de Dieu. Les corps des plus grands Saints devinrent, déjà de leur vivant, semblables à celui du Seigneur, et Lui seront semblables en tout après la Résurrection. En raison de notre état de pécheur, de notre enténébrement, de notre chute, nous assistons seulement à une infime partie des miracles de Dieu. Par de ferventes prières, venant d’un cœur broyé et humilié, par une vie en accord avec les commandements, supplions notre Seigneur de nous manifester Sa Gloire, celle que Ses élus verront éternellement mais qu’aucun serviteur du péché ne connaîtra jamaisL’entree au paradis et la perfection des premiers hommesAyant créé le corps de l’homme, sur la terre et de la terre, lui ayant insufflé une âme vivante, le Créateur tout-puissant plaça l’homme au-dessus de la terre, dans le Paradis : « Le Seigneur prit l’homme qu’Il avait créé et le plaça dans le Paradis des délices » (Gn 2,15). Quelle abondance de bienfaits ! Cependant, même au Paradis, Adam restait perfectible : il lui incombait de cultiver le Paradis et de le garder (Gn 2,15). Dans notre état de chute, il est difficile de comprendre exactement en quoi cela consistait ; quoi qu’il en soit, il ne faut en aucun cas comprendre ces paroles de manière terrestre, croyant qu’il s’agissait de cultiver un jardin en le débarrassant de ses mauvaises herbes. Le Paradis fut planté par la main de Dieu, il est donc sans défaut, empli du parfum de la grâce divine. Il plonge ses habitants dans une jouissance spirituelle permanente, incite à contempler la grandeur et la bonté du Créateur qui se reflètent dans sa magnificence comme dans un vaste miroir immaculé. Au Paradis des délices, tout parle de Dieu et Le prêche avec éloquence. L’activité principale au Paradis consistait donc à être attentif à cette prédication, à « étudier » Dieu. L’étude de la finesse de la création était donc tout à fait secondaire. La perfection d’Adam, quoique grande, était relative, limitée par sa nature humaine : il lui fallait une grande concentration pour contempler le Dieu éternel et parfait en tout. Mais quelle source intarissable de progrès ! Quelle suprême jouissance spirituelle ! Quel don sans prix de la part de notre Dieu parfait et infiniment bon ! L’intellect pur de l’homme, reposant sur l’incommensurable Divinité, y épuisait toute son énergie naturelle. L’homme se tenait devant l’inconcevable Créateur dans une sainte extase, en dehors et au-dessus de toute réflexion, tel un séraphin qui ferme les yeux avec sagesse et déférence devant Celui qui le dépasse, ne pouvant se rassasier de la vision de l’Invisible, et glorifie abondamment son Créateur. Le commandement de garder le Paradis devient clair si nous nous rappelons que l’ange déchu y avait encore accès, n’étant pas encore monté au comble de ses péchés. L’homme était ainsi capable d’un entretien avec les esprits, alors qu’il n’avait pas encore été confirmé dans sa sainteté, comme l’étaient les anges de lumière. Ne connaissant pas encore le péché, il pouvait en faire

jeudi 28 mai 2009

TRAITE SUR L'HOMME (Partie III )



                                      

                 L’IMAGE ET LA RESSEMBLANCE DE DIEU

 

            Le corps du premier homme était en parfaite harmonie avec son âme et celle-ci vibrait à l’unisson avec l’esprit, c’est-à-dire avec la puissance de la parole, cette suprême dignité de l’âme humaine. Le combat entre les trois parties composant l’âme (qui est la manifestation intérieure de la mort), combat à présent continuel et qui ne laisse à l’homme aucun répit, de jour comme de nuit, n’avait pas lieu alors. L’esprit était en permanence tendu vers Dieu, entraînant l’âme, qui elle-même entraînait le corps. Le corps était incapable de jouissance coupable ou tout simplement charnelle : il se rassasiait au contraire de jouissance spirituelle, tout son désir était tendu vers Dieu, pour s’en nourrir, en jouir et en vivre. Ceux qui voient les désirs charnels comme une propriété impérieuse du corps et considèrent comme une nécessité naturelle le fait de les assouvir se trompent lourdement et courent à leur perte. Non ! Le corps humain s’est abaissé jusqu’à l’animalité à cause de la chute. Les désirs charrnels sont naturels pour la nature déchue comme il est naturel que les symptômes accompagnent la maladie : ils étaient contraires à la nature humaine au moment de sa création. Saint Isaac le Syrien et d’autres Pères qualifient l’état de l’homme avant la chute de « surnaturel ». Ce mot explique avec précision le fond de l’affaire : comment concevoir sans cela la résurrection des corps humains pour la bienheureuse éternité, dans laquelle les jouissances spirituelles seules auront une place ? Le corps de l’homme est créé apte à se réjouir du Dieu Vivant  (Ps. 83, 4). La pureté et l’impassibilité des premiers hommes étaient si élevées qu’ils n’avaient pas besoin de vêtements : « Ils étaient tous deux nus, l’homme et la femme, et n’en avaient pas honte » (Gen. 2, 25). Ils sortirent des mains du Créateur dans un état de maturité et de jeunesse inaltérable, de beauté et de force, sans défaut, sans changement possible au niveau de l’âge ou de la santé. Le corps d’Adam ne pouvait pas être brûlé, ni par le feu ni par le soleil, il ne pouvait se noyer, il était insensible à l’action des éléments naturels qui eux-mêmes demeuraient dans un ordre parfait et paisible. Saint Macaire le Grand nous dit qu’« au début, l’homme avait été établi par Dieu comme prince de ce monde et seigneur de l’univers visible : ni le feu, ni l’eau, ni l’animal, ni le poison ne pouvait lui nuire » (Propos 4, chapitre 3). Le corps d’Adam, léger, fin, sans passion, immortel, éternellement jeune, n’enchaînait pas et n’emprisonnait pas l’âme, il était pour elle un merveilleux habit. Ce corps élégant était digne, de par sa perfection, de la vie au paradis où actuellement les justes qui ont quitté la vie d’ici-bas ne séjournent que par leur âme. C’est uniquement après la résurrection générale, lorsque les corps seront devenus spirituels, qu’ils pourront accéder au paradis. Après la chute, lorsqu’il fut chassé du paradis, l’homme reçut un «  habit de peau » (Gen. 3, 21). Alors, dit Saint Jean Damascène, « il se revêtit de la mortalité ou de la chair mortelle et grossière » (La Foi Orthodoxe, livre 3, chapitre 1).

                 Nous bâtirons notre exposé à partir de la définition de l’âme que donne Saint Jean Damascène : « L’âme est un être vivant, simple, incorporel, c’est-à-dire invisible pour les yeux du corps, immortel, doté d’une raison et d’un esprit sans apparence, agissant par l’intermédiaire d’un corps organique à qui elle transmet la vie, la croissance, les sens et la force vitale pour naître ; son esprit n’est pas d’une nature différente de la sienne mais est comme sa partie la plus pure. L’âme est un être libre, capable de vouloir et d’agir, de changer dans sa volonté, comme c’est le cas de tous les êtres créés » (Livre 2, chapitre 12). Pour compléter cette définition, nous ajouterons avec Saint Hésychius que l’âme a été créée bonne par son Maître. Même si après la chute, le mal s’est mêlé au bien, il y a toujours lieu de parler de raison et de liberté car la détérioration de l’âme par le mal ne signifie pas sa destruction. La définition de Saint Jean Damascène est évidemment relative et s’adapte à notre niveau de connaissance. Plus loin, il précise que « l’âme n’est incorporelle que comparée à notre nature grossière : par nature, seul Dieu est incorporel ; les anges, les démons et les âmes sont incorporels par grâce, et seulement en comparaison avec la nature grossière ». Plus loin, il appelle « corps » ce qui possède trois dimensions : une longueur, une largeur et une profondeur. Une telle définition du corps, confirmée par la science  moderne, implique que tout être limité est enfermé dans un espace plus ou moins grand. Seul Dieu est hors de tout changement, de tout espace, incommensurable. Dieu est parfaitement incorporel, entièrement différent de toutes les créatures, aussi fines soient-elles, et se distingue radicalement de ces dernières. Placer Dieu dans la catégorie des esprits créés et spirituels est un blasphème des plus osés. Si la Sainte Écriture nomme  « esprits » les anges, les démons et les âmes humaines, c’est dans le sens restreint précisé par Saint Jean Damascène. Saint Macaire le Grand emploie le même vocabulaire dans ses œuvres, mais dans sa grande perfection, il émet un jugement sur les esprits créés plus déterminant encore : « Selon la force de mon intellect, je veux proposer une parole élevée et profonde : dans Sa bonté illimitée, le Seigneur insondable et incorporel prend sur Lui la chair, et Celui qui est grand et au-dessus de la nature s’abaisse, afin de pouvoir être compté parmi Ses créatures intelligentes, les saintes âmes et les anges, pour leur permettre de participer à la vie éternelle de Sa Divinité. Car chacun d’entre eux est un corps par nature, que ce soit un ange, une âme ou un démon. Bien que plus fins, ils sont des corps dans leur hypostase, par le caractère, l’apparence, la nature, de même que notre corps est épais dans son hypostase. De la même façon, l’âme étant un corps très fin, elle est entourée et revêtue des membres du corps charnel. Elle revêt l’œil par lequel elle regarde, l’oreille par laquelle elle entend. Disons simplement : l’âme fait un avec tous les membres du corps, ce qui lui permet de corriger instantanément tout ce qui est nécessaire au cours de l’existence » (Homélie). À la question « l’âme a-t-elle une apparence quelconque ? », Saint Macaire répond : « Elle a une image et une apparence semblables à celles des anges. Comme les anges possèdent une image et une forme, et comme l’homme extérieur a son image, ainsi l’homme intérieur a une image semblable à celle de l’ange et une forme semblable à celle de l’homme extérieur » (Homélie 7, propos 7). Saint Jean Cassien le Romain, qui s’entretint avec les plus grands Saints de l’Égypte chrétienne, les disciples d’Antoine, de Macaire et de Pachôme, nous rapporte que « même si nous appelons spirituels certains êtres comme les anges, les archanges ou d’autres puissances, et même notre âme, il ne faut aucunement les qualifier d’incorporels. Ils ont un corps qui leur est propre, dans lequel il demeure, même s’il est beaucoup plus fin que le nôtre. Ils sont corporels selon la parole de l’Apôtre qui dit qu’il y a des corps célestes et des corps terrestres (1Cor.15, 40) et que, semé corps animal, l’homme ressuscite corps spirituel (1Cor.15, 44). Il n’existe donc rien d’incorporel que Dieu seul, et par conséquent, Dieu seul peut pénétrer tous les êtres spirituels et raisonnables car Il est le seul à se trouver partout et en tous. Dieu voit donc et prévoit les pensées et les mouvements intérieurs de l’homme, tous les secrets de son esprit. De Lui seul, l’Apôtre a pu dire : Sa Parole est vivante et efficace, plus incisive qu’une épée à deux tranchants, elle pénètre jusqu’à séparer l’âme de l’esprit, les articulations de la moelle. Elle juge les sentiments et les pensées du cœur. Nulle créature n’est cachée devant Lui, mais tout est nu et découvert devant ses yeux (Héb. 4, 12-13) » (Collatio VII, cap. 13). Guidés par ces témoignages patristiques, tout en ayant laissé de côté de nombreux autres écrits afin de ne pas surcharger notre exposé, nous affirmons ceci : l’âme est esprit comme les anges, elle est douée d’intelligence, de sentiment spirituel, du libre arbitre, mais en tant que créature elle est limitée dans sa nature, ses attributs et sa finesse. De par cette finesse, elle peut être contenue, et l’est en effet, dans notre corps grossier, elle peut être enfermée dans la prison de l’enfer et y être soumise aux souffrances, au feu inextinguible, au ver qui ronge sans cesse, aux terribles ténèbres éternelles et aux grincements de dents ; elle peut aussi changer d’endroit si elle y est autorisée et être placée au paradis pour y goûter la douceur et le repos, la suprême jouissance intérieure qui naît dans le cœur de l’homme et se gagne l’homme entier, corps et âme, lorsque Dieu le juge digne d’y faire Sa demeure. Enfin, l’âme a une apparence semblable à celle du corps, c’est-à-dire qu’elle a une tête, une poitrine, des bras, des jambes, des yeux et des oreilles, les mêmes membres que le corps. Le corps revêt l’âme comme un habit et chaque membre du corps revêt le membre correspondant de l’âme. (Il n’est pas inutile de rappeler que les gens qui ont perdu une main ou un pied ressentent toujours leur présence, ce qui va dans le sens de la description qu’en font les Pères.) Après le départ du corps, les âmes des justes sont revêtues des vêtements clairs dont parle Saint Jean le Théologien dans l’Apocalypse (Ap.6,11-7,9) et dont Saint Macaire le Grand dit : « Les âmes des justes, après leur départ de ce monde, ayant avec eux le Seigneur, s’en vont dans une grande joie rejoindre les habitants du Ciel ; ceux qui demeurent avec le Seigneur les accueillent et les conduisent dans des demeures et des jardins qui leur sont préparés d’avance et les recouvrent de vêtements précieux » (Homélies). Tout ceci est confirmé en maints endroits dans les Saintes Écritures et dans les Écrits et les Vies des Pères. Les anges, dont la nature est semblable à celle de l’âme humaine, sont apparus aux Saints vêtus d’habits blancs ou clairs (Mt.28,3; Lc24,4; Jn20,12; Ac.1,10). Saint André le Fol en Christ fut ravi au paradis dans un vêtement tissé d’éclairs. L’idée absurde, blasphématoire et dangereuse pour notre salut, selon laquelle l’âme est un esprit aussi fin que Dieu, conduit à l’impossibilité de la retenir en aucun lieu, de la contenir dans quelque corps ou matière que ce soit, et donc de la placer en enfer ou au paradis, ce qui la rend inaccessible à toute souffrance ou à toute jouissance. Nous nous soumettons donc à l’enseignement de la Sainte Église Orthodoxe et des Saints Pères qui voient l’âme comme un esprit par rapport à la matière grossière et comme un corps sans chair ni os (Lc 24, 39) par rapport à Dieu, semblable pour nous à l’air quant à sa finesse et à son invisibilité, comme dit Saint Jean Cassien.

 

                                        LES FORCES DE L’ÂME

 

                 Les Saints Pères nous enseignent que l’âme a trois forces : la force de la raison, celle du désir ou de la volonté et celle du courage qui est aussi celle de la colère. Cette dernière est qualifiée de façon différente selon les Pères : caractère, énergie, force de l’esprit, courage, fermeté, et sous son aspect malade, irritation, endurcissement ou lâcheté. Dans la première force, celle de la raison, on trouve gravée l’image de la Divinité Trinitaire. « Qu’est-ce que l’image de Dieu si ce n’est l’intellect ? », dit Saint Jean Damascène. L’intellect humain produit en lui-même et de lui-même des pensées ou paroles intérieures. L’intellect et la pensée constituent deux facettes de la force de la raison. Ces deux facettes ne peuvent exister l’une sans l’autre, elles forment un ensemble indivisible. L’intellect est invisible et inconcevable, il se dévoile par la pensée : cette dernière se matérialise ou s’incarne dans la parole et dans d’autres signes extérieurs. La force de la raison possède une troisième facette : l’esprit. Celui-ci est le sentiment du cœur, intérieur et raisonnable, qui dépend de l’intellect et coopère avec la pensée en se conformant à elle. Le Créateur a déposé dans notre esprit la « conscience » qui nous permet de discerner la bien du mal. Le libre arbitre de l’homme, la direction qu’il donne à sa vie, réside dans la force de la raison. Quand l’homme vivait dans l’état de pureté consécutif à sa création, les trois forces de l’âme agissaient de concert : la force de la raison demeurait en union permanente avec Dieu, la volonté tendait vers Dieu et la force du courage maintenait l’homme dans la juste tendance. Comme disait Saint Séraphim de Sarov, la pensée flottait dans la Parole de Dieu, dans la Très Sainte Vérité, et l’Esprit de Dieu, Esprit de la Parole et Esprit de Vérité, reposait sur l’esprit humain : l’esprit de l’homme était l’Esprit de Dieu. Comme dit Saint Paul : « Nous avons l’Esprit du Christ » (1Cor.2,16). L’homme entier vivait dans une merveilleuse harmonie avec lui-même. Ses forces n’étaient pas divisées dans leurs actions, ce qui advint seulement après la chute. À ce moment-là, l’esprit devint l’accusateur de l’intellect enténébré, l’intellect se mit à lutter contre les pensées, les conduisant à la contradiction et à la confusion, tout en étant lui-même trompé par des pensées illusoires. En regrettant nos nombreux défauts, nous prions pour que notre conscience soit libérée du malin (Voyez la prière de l’Évêque pendant l’hymne des Chérubins).

 

samedi 16 mai 2009

TRAITE SUR L'HOMME (Partie II)



LA CREATION DE L’ HOMME

Dieu créa l’homme à Son image et à Sa ressemblance. La création « à l’image de Dieu » touche l’homme dans sa nature même, alors que la ressemblance l’affecte dans ses qualités morales. C’est la conjonction des deux qui permet d’atteindre la plénitude de la ressemblance alors qu’inversement, l’altération de la ressemblance brisera toute la dignité de l’image . L’homme fut créé « empreinte » de Dieu, non seulement dans sa nature mais aussi dans ses qualités morales (sa sagesse, sa bonté, sa sainte pureté, sa constance dans la bonté). Le mal et l’imperfection ne trouvaient aucune place en lui. Malgré ses limites, il était parfait et pleinement ressemblant à Dieu. Cette plénitude de la ressemblance était indispensable pour que l’homme satisfasse à sa destination, être le temple du Dieu Parfait. L’intellect de l’homme se devait d’avoir l’Esprit de Dieu (1Cor.2,16), sa parole la Parole de Dieu (1Cor.7,12 et 2Cor.13,3) et son esprit d’être uni à l’Esprit de Dieu (1Cor.6,17). Ses qualités devaient être semblables à celles de Dieu (Matt.5,48). En effet, lorsque Dieu vient demeurer dans l’homme, l’union devient plus étroite (2Pierre 1,4) : l’homme qui atteint un tel état devient dieu par grâce ! Lors de la création, nous fumes appelés à cet état par le Créateur à travers nos ancêtres, comme le dit d’ailleurs Dieu Lui-même : « J’ai dit : vous êtes des dieux » (Ps 81,6). Nos ancêtres se trouvaient dans cet état immédiatement après leur création
Les saintes Ecritures évoquent le conseil divin qui précéda la création de l’homme : « Créons l’homme » déclara l’incompréhensible Divinité de manière ineffable, « à Notre image et à Notre ressemblance et qu’il domine sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les animaux, le bétail et les reptiles qui rampent sur la terre » (Gen.1,26). Dans ces paroles, qui précédèrent la naissance de cette admirable image de Dieu qu’est l’homme, se révèle la propriété du prototype, Dieu : La Tri-unité des Personnes.

Le grand conseil divin conçut aussi la femme : «Et le Seigneur dit : il n’est pas bon que l’homme soit seul : Je lui ferai une aide semblable à lui » (Gen.2,18). Comme l’homme, la femme fut créée à l’image et à la ressemblance de Dieu, au cours du colloque divin où les trois Personnes de l’unique divinité se manifestèrent en disant « Créons », exprimant ainsi la volonté unique et l’égale dignité des trois Hypostases de la Toute Sainte Trinité qui agissent sans séparation ni confusion. Cette tri-unité des Personnes, possédant chacune la même essence divine, s’imprime avec clarté dans l’homme, créé à l’image de Dieu. L’homme fut instauré représentant de l’humanité, être agissant : c’est pourquoi les Saintes Ecritures font mention uniquement de lui quand il fut installé puis chassé du paradis (Gen.2,15 et 3,22-24), même s’il est clair, toujours d’après les Ecritures, que dans les deux cas la femme participait aussi. Elle participe également à la dignité d’image de Dieu : « Dieu créa l’homme, Il le créa à l’image de Dieu : Il le créa homme et femme » (Gen.1,27).

LE CORPS ET L’ AME

Dans l’Ecriture Sainte, la création de l’homme est exposée ainsi : « Dieu créa l’homme de la poussière de la terre, Il souffla dans ses narines un souffle de vie et l’homme devint un être vivant » (Gen.2,7). Ceci montre bien que de toutes les créatures, l’homme est la plus parfaite et la plus proche de Dieu : il fut créé non par un acte unique, comme ce fut le cas pour les autres créatures, mais progressivement. Ainsi, pour former la terre, le ciel, les astres immenses, les innombrables espèces de plantes et d’animaux, le Créateur n’utilisa que Sa Parole; mais pour former l’homme, Il se consulta d’abord Lui-même , puis agit ensuite. Il modela d’abord le corps, puis insuffla le souffle de vie.

C’est ainsi que par la nature même de l’acte créateur, la dignité du corps humain est incomparablement supérieure à celle des animaux et il en va de même pour la dignité de l’âme humaine qui surpasse de beaucoup celle de l’âme animale tirée de la terre sur l’ordre du Créateur (Gen.1,24). Ne perdons pas de vue cependant que nous sommes poussière de la terre et nous aurons là une source intarissable d’humilité ! Dans le texte de la Genèse cité plus haut, on observe pour la première fois la présence de l’âme dans l’homme, qualifiée de « souffle de vie ». Ce souffle pénètre par la face, partie privilégiée de l’homme qui servira de miroir à l’âme, reflétant ses sentiments et ses mouvements. L’homme entier est qualifié d’« être vivant » car il devient, après l’union de l’âme et du corps , un seul être composite dans lequel l’âme domine totalement le corps. Le corps devient la maison de l’âme, son vêtement, son instrument : c’est ainsi que le décrivent l’Ecriture Sainte et les Pères. Les deux Apôtres Coryphées le qualifient de tente (2Pierre.1,13 et 2Cor.5,1-4). « L’âme est entourée et habillée par les membres du corps » dit Saint Basile le Grand (Propos 5,ch6) et Saint Jean Damascène constate que « l’âme agit au moyen du corps organique, lui communiquant la vie, la croissance, les sentiments et la force de la naissance », « elle emploie le corps comme instrument » (la Foi Orthodoxe, V2, ch12 de l’homme). L’expérience de la vie quotidienne et nos sens rendent naturelle une telle conception des relations entre l’âme et le corps.

Les païens voyaient l’âme humaine comme une partie de la divinité. Cette vision est fausse et très dangereuse car elle contient un blasphème ! Nous trouvons cependant utile de nous y arrêter pour mettre en garde nos frères car nombreux sont ceux qui de nos jours, ayant lu que « Dieu souffla dans ses narines un souffle de vie », pensent que l’âme humaine est divine de par sa création, donc par nature. Pourtant, les Saintes Ecritures expriment clairement que l’homme est en totalité une créature (Gen.1,27; Matt.19,4).

Inspiré par l’Esprit Saint Qui Seul peut dévoiler à l’homme son origine, celui-ci, en tant que créature raisonnable, crie à son Créateur : « Tes mains m’ont fait et façonné » (Ps 118,73). C’est là le cri d’une âme qui intercède pour elle et pour son corps, et non pas seulement le cri d’un corps ! L’église Orthodoxe d’Orient a toujours reconnu que l’homme, créé corps et âme, était capable de participer avec son âme et son corps à la Nature Divine, d’être dieu par la grâce. Saint Macaire le Grand dit : « Ô, l’indicible bonté de Dieu, Qui se donne gratuitement aux croyants afin qu’en peu de temps, ils reçoivent Dieu en héritage, qu’Il fasse d’eux Sa demeure de grâce ! Comme Dieu créa le ciel et la terre pour que l’homme y habite, Il créa le corps de l’homme pour en faire Sa demeure, pour y reposer avec Sa magnifique fiancée, l’âme bien-aimée, créée à Son image ». « Je vous ai fiancés à un seul Epoux pour vous présenter au Christ comme une vierge pure » (2Cor.11,2). « Sa maison, c’est nous » (Hebr.3,6). Comme l’homme accumule les bonnes choses dans son logis, le Seigneur amasse une richesse céleste et spirituelle dans sa demeure, le corps et l’âme. Ni les sages dans leur sagesse, ni les savants dans leur intelligence n’ont pu comprendre la subtilité de l’âme ni dire comment elle existe, hormis ceux à qui l’Esprit Saint a dévoilé la juste connaissance. Mais réfléchis et comprends ! Il est Dieu et elle ne l’est pas, Il est le Maître et elle est l’esclave, Il est le Créateur et elle est la créature. Il n’y a rien de commun entre Sa nature et la sienne. Mais par Son amour et Sa bonté ineffables, illimités et inconcevables, Il a bien voulu faire de cette créature intelligente, précieuse et extraordinaire Sa demeure « afin que nous soyons les prémices de Ses créatures » (Jc.1,18), c’est-à-dire unis à Sa sagesse, en communion avec Lui, Sa propre demeure et Sa pure fiancée. Saint Jean Damascène a réuni au VIIIème siècle dans son livre intitulé « l’Exposé de la foi Orthodoxe » les points de vue des Pères des siècles précédents, notamment Saint Maxime le confesseur.

Il dit en particulier : « Dieu créa les êtres dont la nature nous est perceptible par la contemplation, c’est-à-dire les anges et les puissances célestes raisonnables et incorporelles, en comparaison avec la matière grossière (en effet, Seul Dieu est immatériel et incorporel au sens propre). Dieu a créé aussi la nature perceptible par nos sens, le ciel et la terre. Ces êtres raisonnables et incorporels sont très proches de Lui, alors que les corps matériels sont très éloignés de Lui. Il fallut qu’apparais un être composé de ces deux natures, qui manifesterait encore plus la sagesse et la générosité de Dieu à l’égard de ces deux natures et serait, comme le dit Saint Grégoire le Théologien, une union du visible et de l’invisible. En disant « il fallut », je fais allusion à la volonté du Créateur. Ainsi, à partir des matières visible et invisible, Dieu créa de Ses mains l’homme à Son image et à Sa ressemblance, modelant le corps à partir de la terre et l’âme raisonnable et intelligente avec Son souffle. Le corps et l’âme furent créés ensemble. L’homme fut créé sans péché, juste, aimant le bien, étranger à la tristesse et au soucis, paré de toute vertu et de tout bien, comme un microcosme dans l’univers, adorant Dieu comme un ange, matériel et spirituel, percevant le visible par ses sens et contemplant l’invisible par l’intellect, dominant sur toutes les créatures et soumis au Roi Suprême. Il est à la fois terrestre et céleste, temporel et immortel, visible et en même temps saisissable uniquement par l’intellect, suspendu entre la grandeur et la bassesse, esprit pour accueillir la grâce et chair pour prévenir l’orgueil, esprit afin de demeurer ferme et de glorifier son Bienfaiteur et chair pour être éprouvé par la souffrance afin de ne pas oublier sa condition et s’enorgueillir. Et, ce qui est le sommet du mystère, il fut créé vivant ici-bas dans la vie présente et destiné à être transporté dans un autre lieu pour la vie future et éternelle, comme un être déifié par son attachement à Dieu, par la communion, par l’illumination divine , sans être changé en dieu dans sa nature » (Livre2,ch12).

En soufflant sur l’homme pour le renouveler, le Dieu incarné a expliqué le souffle du Dieu Créateur de la Genèse . Notre Seigneur Jésus- Christ, ayant accompli notre rédemption et préparé l’humanité à recevoir l’Esprit Saint, se tint au milieu de Ses disciples après Sa résurrection et souffla sur eux en disant : « Recevez l’ Esprit Saint » (Jn.20.22) .L’Esprit descendit bientôt sur eux dans un bruit venant du ciel comparable à celui d’un vent impétueux (Act.2,2). Ce « second souffle » montre que déjà lors du « premier », la descente de l’Esprit Saint avait eu lieu. La grâce divine s’était répandue avec abondance et l’âme du premier homme était vivante, comme mue, éclairée et dirigée par l’Esprit Saint. Tout ceci permet de comprendre les événements consécutifs à la création de l’homme. Saint Macaire le Grand dit: « De même que l’Esprit Saint agissait par les Prophètes, les instruisait et résidait en eux, Il agissait de même en Adam et l’instruisait quand Il le voulait. (Le premier homme est appelé Adam mais notons qu’en hébreu, « Adam » signifie « homme » en général et est un nom commun). Le Verbe était tout pour lui et tant qu’il gardait le commandement, Adam était l’ami de Dieu » (entretien 12.ch 18).

Pour créer la femme, Dieu fit entrer Adam en extase. Ce dernier s’endormit. Pendant ce sommeil extraordinaire, le Seigneur prit une de ses côtes, créa la femme et l’amena vers Adam. En dépit du sommeil et de l’extase, Adam, inspiré par l’Esprit Saint qui reposait sur lui, sut immédiatement d’où provenait sa femme . Il déclara : « Voici à présent celle qui est os de mes os et chair de ma chair. C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme et ils deviendront une seule chair » (Gen.2.21-24). A travers ce récit de la création de la femme, nous avons un exemple de la multiplication impassible du genre humain avant la chute. Dans les paroles d’Adam citées ci-dessus, nous lisons la loi de la vie conjugale des hommes, prononcée au Nom de Dieu, comme en a témoigné le Dieu-Homme Lui-Même.

La femme fut prise de la côte d’Adam. Ce dernier n’était alors soumis à aucune sensation qui aurait pu porter atteinte à sa pureté, se trouvant au contraire dans une divine extase . Un tel état ne ravit que des hommes touchés par la grâce. Nous ne disposons pas d’exemple permettant de comprendre le mode de multiplication du genre humain par l’homme et la femme avant la chute, multiplication décidée avant la chute, mais nous affirmons avec certitude que ceci aurait dû s’accomplir dans la plénitude de la pureté et l’absence de passion. A la place de la jouissance charnelle et animale aurait dû exister une jouissance simple et spirituelle. Nous ne chercherons pas à en connaître le comment , puisque Dieu ne nous l’a pas révélé. Nous savons que, de même qu’il a été facile à Dieu de permettre le moyen connu, il Lui aurait été facile d’en instituer un autre. L’état actuel des choses a été permis par Dieu , il est la triste conséquence de notre chute, un signe que Dieu s’est détourné de nous. Nous naissons déjà tués par le péché : « Dans l’iniquité j’ai été conçu et j’étais dans le péché quand ma mère m’a enfanté »(Ps.50,7). Dieu ne pouvait pas vouloir la conception dans l’iniquité et la naissance dans le péché.

Le Seigneur conduisit devant Adam tous les animaux, le bétail et les oiseaux du ciel. Il leur donna à chacun un nom (Gen.2,19). Saint Macaire le Grand dit : « Tant que la parole de Dieu était avec Adam, il gardait le commandement, il avait tout. La Parole elle-même était pour lui l’héritage, le vêtement et la gloire qui le couvrait et l’instruisait. Il avait reçu le pouvoir de nommer toute chose : le ciel, le soleil, la lune, la terre, l’oiseau, la bête ou l’arbre. Etant inspiré, il nommait les créatures...L’Esprit l’instruisait et lui ordonnait : nomme ainsi, appelle ainsi. » (entret12, ch 6,8). Dans notre état de chute, il nous est difficile de concevoir clairement l’état de perfection dans lequel furent créés nos ancêtres, dans leur âme et dans leur corps.

Nos âmes et nos corps terrassés par le péché ne nous permettent pas d’imaginer leur état saint. Ils commencèrent leur existence dans la pureté et la sainteté alors que nous naissons souillés et pécheurs. Ils étaient immortels par l’âme et le corps alors que nous naissons l’âme mise à mort et le corps portant en germe la semence qui tôt ou tard engendrera son fruit : cette mort du corps à laquelle nous assistons. Ils vivaient en paix avec eux-mêmes et avec leur entourage, dans une incessante jouissance spirituelle, contemplant l’élégance de la création, gardant la pensée et la vision de Dieu. Au contraire, nous sommes agités par diverses passions coupables qui bouleversent et tourmentent notre âme et notre corps, nous luttons constamment contre nous-mêmes et contre notre entourage, nous souffrons, nous sommes martyrisés et nous nous adonnons à une jouissance bestiale et animale. Tout autour de nous se trouve dans un terrible trouble, dans un labeur incessant et vain. Nous sommes réduits en esclavage , condamnés à fabriquer des briques pour pharaon (Cf. Exode). En un mot, nous sommes déchus et perdus dès notre naissance alors que nos ancêtres étaient saints et bienheureux dès leur création. Que de différence entre ces deux départs dans la vie!.

jeudi 7 mai 2009

TRAITE SUR L'HOMME (Partie I)


Saint Ignace Briantchaninov

INTRODUCTION

Depuis la solitude monastique, je contemple l'ample et splendide création. Je suis étonné et dépassé : partout l'inconcevable, partout la manifestation de l’Esprit qui surpasse tellement mon intellect qu'il ne peut circonscrire aucune de Ses œuvres ou de Ses actions. Je ne puis contempler de la création que ce que mes sens perçoivent : l'existence de la matière est tangible mais sa subtilité échappe à mon entendement limité. Pourtant je sens ‑ que la nature est régie par des lois vastes et sages au contrôle desquelles n'échappe aucune créature, grande ou petite. C'est seulement de façon partielle et superficielle qu'il m’est permis d’accéder à ces lois, afin que de cette connaissance qui représente le fruit d'efforts millénaires et la gloire de l'intelligence humaine, je puisse témoigner de l'existence d'un Esprit absolu et Tout‑Puissant (Rom 1‑20). La nature l'annonce Le prêche tout haut. La notion de Dieu existe naturellement en moi : l'œil pur de l'âme la puise dans la contemplation de la nature. Ceci s'opère de manière indicible et d’ailleurs, plus c'est inconcevable et plus j'avance dans la compréhension. La large voûte céleste est déployée devant moi, les astres parcourent leur trajectoire sans que j'en saisisse le comment; le brin d'herbe qu'on foule négligemment tire de la nature les sucs nécessaires, les décompose et produit une saveur, une odeur, une couleur et des fruits selon son espèce ; près d’elle une autre petite tige élabore, à partir de cette même terre et de ces mêmes sucs des propriétés tout autres; souvent près d'un petit fruit délicieux ou d'une fleur parfumée pousse une herbe au poison mortel et ceci m'est tout aussi incompréhensible.

Au beau milieu de la création, je suis là, moi aussi, L'homme. Qui suis‑je ? Quelles sont l'origine et le but de mon apparition sur terre? Quelle est la raison de cette vie terrestre, de cette errance, brève face à l'éternité, longue et fatigante à mon gré ? J'apparais sur terre sans que je m'en rende compte ni que je le veuille; je suis arraché à cette vie sans mon consentement, à une heure inconnue et imprévisible. J'apparais puis on m'emmène comme un esclave.
Je vis sans connaître mon avenir, ni même ce qui adviendra de moi dans un jour ou dans quelques instants. En permanence dans l'imprévu je suis le jouet des circonstances qui m'entourent et me réduisent en esclavage. Seules des petites habitudes ou une vie irréfléchie me réconcilient avec une situation aussi étrange. Mais tout ceci n'échappe pas à l'œil d’un observateur attentif : Qu'arrivera‑t‑il quand, après avoir passé quelque temps sur cette terre, je disparaîtrai de sa surface, comme tous les autres hommes ? L'instrument de mon départ fait peur: il s'appelle la mort. L’idée de mort est liée à l’idée de fin d’existence, or il y a en moi, involontairement et tout naturellement l’intuition que je suis immortel. Je me sens immortel et j'agis comme tel. Ceux qui meurent en toute lucidité parlent et se comportent comme s'ils changeaient de demeure, et jamais comme S'ils se détruisaient. L'homme est un mystère pour lui‑même.

Est‑il possible que ce mystère soit définitivement scellé ? Oui !
Le péché et la chute de l'homme l’ont scellé. Tant que je demeure dans ma chute, l'homme reste pour moi une énigme : ma raison, dénaturée et pervertie par le mensonge est impuissante à la résoudre. Je ne comprends ni mon âme ni mon corps et la connaissance que je crois posséder ne résiste à aucun examen approfondi. Les sages de ce monde, imbus d'eux-mêmes, ayant prononcé sur l'homme un enseignement arbitraire et vain, s'égarent dans les ténèbres du leurre, remplaçant la vérité par leurs suppositions. Ils entraînent à leur suite d'autres aveugles. Notre Seigneur Jésus Christ, le Dieu‑Homme, a dévoilé pour nous ce qui est accessible et utile de ce "mystère dans lequel sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science" (Col.2,3). La révélation divine nous accorde une connaissance encore relative de l'homme : en effet Dieu nous accorde seulement de nous voir et de nous connaître nous-mêmes, ce qui est indispensable pour l'œuvre du repentir et du salut, c'est à dire pour notre béatitude éternelle. Mais la raison essentielle de notre existence et la condition de cette existence, l'être lui‑même, ne sont connus que de Dieu. Les actes du Créateur ne peuvent être compris ni même expliqués. Seul Dieu possède la connaissance complète et parfaite, connaissance séparée par un fossé infranchissable des connaissances partielles des créatures.

Eclairés par la lumière de la Parole de Dieu qui jaillit de la Sainte Ecriture et des écrits des Pères, nous proposerons ici l'enseignement sur l'homme de l'Esprit Saint, nous le proposerons dans la pauvreté de nos capacités et de notre réussite spirituelle. Nous n'accorderons aucune attention à la raison faussée de l'homme déchu et des démons qui par orgueil estiment être les seuls instruits et sains d'esprit. Agissant ainsi, nous suivrons le commandement de l'Esprit qui par l'Apôtre a ordonné aux chrétiens :"Prenez garde que personne ne fasse de vous sa proie par la philosophie et par une vaine tromperie, s'appuyant sur la tradition des hommes, sur les rudiments du monde et non sur le Christ". (Col.2,8).

DEFINITION DE L'HOMME

Qu'est‑ce que l'homme ? A cette question, l'Apôtre répond :"Vous êtes le temple du Dieu Vivant" et comme Dieu l'a dit : " j'habiterai au milieu de vous et j'y marcherai ; Je serai leur Dieu et ils seront mon peuple" (2Cor.6,15). Les saintes Ecritures qualifient l'homme de maison, de demeure, de vase. L'homme qui refuse d'être la maison de Dieu, le réceptacle de la grâce divine, devient la demeure du péché et de satan. Le Sauveur a dit :"Lorsque l'esprit impur est sorti d'un homme, il va par des lieux arides, cherchant du repos et il n'en trouve point. Alors il dit : je retournerai dans la maison d'où je suis sorti et, quand il arrive, il la trouve vide, balayée et ornée. Il s'en va et il prend avec lui sept autres esprits plus méchants que lui, ils entrent dans la maison, s'y établissent et la dernière condition de cet homme est pire que la première" (Matt. 12,43 ‑45). L'homme ne peut pas ne pas être tel qu'il a été créé, une maison, un vase. Il ne lui est pas donné de demeurer seul avec lui-même, sans communion avec Dieu, ce serait contre nature. Il n'existe lui-même que par la grâce agissante de Dieu et en repoussant cette dernière, il devient étranger à lui même et s'asservit involontairement aux esprits déchus.

Contemplant avec vénération la liberté laissée par Dieu aux hommes de réussir tant dans le bien que dans le mal pendant toute leur vie terrestre, l'Apôtre dit : "Comme des pierres précieuses, édifiez‑vous pour former une maison spirituelle, un saint sacerdoce, afin d'offrir des victimes spirituelles agréables à Dieu par Jésus Christ" (1Pierre.2,5). "Dans une grande maison il n'y a pas seulement des vases d'argent, mais il y en a aussi de bois et de terre; les uns sont des vases d'honneur et les autres sont d'un usage vil. Si donc quelqu'un se conserve pur, en S'abstenant de ces choses, il sera un vase d'honneur, sanctifié, utile à son maître, propre à toute œuvre" (2Tirn.2,20‑21).

La liberté est accordée mais la volonté de Dieu reste immuable : "Ce que Dieu veut, c'est votre sanctification, c'est que vous vous absteniez de l'impudicité; c'est que chacun de vous sache posséder son corps dans la sainteté et l'honnêteté, sans vous livrer à une convoitise passionnée, comme font les païens qui ne connaissent pas Dieu ; ... Car Dieu ne nous a pas appelés à l'impureté, mais à la sanctification. Celui qui rejette ces préceptes ne rejette pas un homme mais Dieu qui vous a aussi donné son Esprit Saint" (IThess.4,3‑8). C'est dans le christianisme que l'homme devient la demeure de Dieu; c'est l'Esprit Saint qui construit et orne cette demeure : "Vous êtes édifiés pour être une habitation de Dieu en Esprit" (Eph.2,22). Qu'il est désirable pour l'homme d'accomplir la volonté de Dieu en acceptant la dignité qui lui est proposée 1 Cette dignité était un don de Dieu lors de la création de l'homme; perdue après la chute, elle redevient un don de Dieu par la rédemption. "Je fléchis les genoux devant le Père ... afin qu'Il vous donne, selon la richesse de Sa gloire, d'être puissamment fortifiés par Son Esprit dans l'homme intérieur et que Christ habite en vous par la foi" (Eph.3, 14, 16‑17). Cette dignité est instituée et accordée par Dieu, la repousser entraîne la perdition éternelle.

Que nos frères bien-aimés, moines et ascètes chrétiens en général, qui désirent accomplir leur exploit ascétique avec justesse et conformément à la volonté Dieu, accordent de l’attention à la définition de l'homme que nous venons de donner. Le but de notre propos est d’exposer et d’expliquer en quoi consiste le juste exploit ascétique: cet exploit, arrêté d’avance par l'Esprit Saint, réside dans le renouvellement de l'ascète par la grâce divine, ascète qui devient le temple de Dieu, Père, Fils et Esprit. Saint Marc l’ascète qualifie "d’inexpérimenté» l'homme qui ne connaît pas le christianisme par expérience, qui ne sent pas que le Christ a fait sa demeure en lui. L’Apôtre invite les serviteurs du Christ à la juste ascèse, comme à une chose nécessaire : "Souffre avec moi comme un bon soldat de Jésus Christ... L'athlète n'est pas couronné s'à n'a pas combattu selon les règles" (2Tim.2,3‑5).

Il est naturel que l'enseignement sur l'homme de l'Ecriture Sainte soit prêché de façon unanime par les Pères de l'Église Orthodoxe.: "Nous sommes la maison de Dieu selon la parole des prophètes, de l'Evangile et des Apôtres", nous dit Saint Marc l'ascète, de même que Saint Jean Chrysostome affirme : "La grâce de l’Esprit Saint fait de nous des temples de Dieu si nous menons une vie pieuse et devenons capables de prier en tout lieu. Nos offices divins ne sont pas comme jadis chez les juifs, liés à un rituel complexe: il ne s'agit plus de venir au temple, d’acheter un pigeon, de porter dans ses mains du bois et du feu, de s'approcher de l'autel avec un sacrificateur et d'autres choses encore. Maintenant où que vous soyez, l'autel, le sacrificateur et le sacrifice sont préparés pour vous : vous êtes vous-mêmes la table, le célébrant et l'offrande.

"Vous êtes le temple du Dieu Vivant" (2Cor.6,16). Il convient donc d'orner cette demeure, en expulsant toute pensée coupable pour devenir un membre précieux du christ. Le temple de l'Esprit. "Personne ne peut poser un autre fondement que celui qui a été posé, à savoir Jésus Christ" (lCor.3,1 1) "En Lui tout l'édifice ... s'élève" (Eph.2,2 1). En examinant l'œuvre avec attention, on voit que son fondement est une vie vigilante et juste. L'Edifice s'élève en un temple saint dans le Seigneur".(Eph.2,21‑22). Quel est cet édifice?
Un temple prédestiné à être la demeure de Dieu. "Chacun d’entre vous est un temple et tous en général, vous formez le temple dans lequel habite Dieu, comme dans le Corps du Christ, comme dans un temple spirituel" (St.Jean Chrysostome). A la suite de Saint Paul, Saint Isaac le Syrien, évêque de Ninive et ermite de Mésopotamie, déclare :"J'ose affirmer que nous sommes le temple de Dieu. Purifions son temple car Il est Pur, afin qu'Il désire venir y demeurer. Sanctifions‑le, parce qu'Il est Saint. Ornons‑le par de belles et bonnes œuvres. Encensons‑le en procurant à Dieu du repos par l'accomplissement de Sa volonté, par une prière pure venant du cœur qu'il est impossible d'acquérir en communiant fréquemment au monde et à ses agissements (une telle perversion du cœur éloigne le recueillement d’une prière attentive : pour obtenir celui‑ci, il faut confier tous ses soucis à Dieu). Alors la nuée de la gloire de Dieu couvrira l'âme et la lumière de Sa grandeur jaillira dans le cœur" (propos 68). Le ciel sera en toi si tu es pur : à l'intérieur de toi tu verras les anges avec leur lumière et Leur Maître avec eux. Le trésor de l'humble est au dedans de lui : c’est le Seigneur (propos 8). Le temple de la grâce, c'est celui qui est un avec Dieu et demeure préoccupé de son Jugement.

Que signifie demeurer préoccupé de son jugement ? Rien «autre que de rechercher en permanence tous les moyens pour procurer à Dieu du repos (l'homme procure à Dieu du repos lorsqu'il est soumis à Sa volonté et à l'Evangile), de s'affliger en permanence, de s'attrister de la faiblesse de notre nature qui nous empêche d'atteindre la perfection, de garder en permanence le souvenir de Dieu (par la prière incessante), comme l'a dit le bienheureux Basile. Par la prière recueillie exempte de distraction, la volonté de Dieu devient manifeste pour l'âme. Par le souvenir incessant de Dieu, l'âme devient la demeure de Dieu. (propos 89). On demanda à Saint Isaac comment l'ascète pouvait sentir qu'il avait atteint la perfection de cette vie. S'appuyant sur sa profonde expérience, il répondit "Ceci a lieu quand l'hésychaste peut demeurer en permanence dans la prière. Celui qui a atteint cela a atteint la cime de la vertu et est ainsi devenu la demeure de l'Esprit Saint.

Si quelqu'un n'a pas avec certitude reçu la grâce du Consolateur (en dehors de tout leurre démoniaque) , il ne peut demeurer ainsi dans la prière. l'Ecriture dit (Rom. 8,26) que lorsque l’Esprit vient habiter en l'homme, il ne cesse de prier car l'Esprit Lui‑même prie en lui. Alors la prière ne s'interrompt ni pendant le sommeil, ni en état de veille, mais quoi que l'homme fasse, le parfum de cette prière se répand sans effort dans le cœur. Alors la prière ne quitte pas l'ascète mais demeure en permanence en lui. Même si elle paraît cesser un bref instant, elle agit toujours secrètement". En accord avec les autres Pères, Saint Isaac enseigne que le Christ prend place dans nos cœurs par le saint baptême, comme une semence dans la terre. Ce don renferme en lui toute perfection mais suivant la vie que nous menons, nous le développons ou nous l'étouffons. Ainsi, ce don resplendit de toute sa beauté chez ceux qui ont travaillé les commandements évangéliques et ceci, à la mesure de leur travail.

Saint Macaire le Grand revient très souvent sur le dessein du créateur dans ses discours sur la perfection chrétienne. Il qualifie également l'homme de demeure, de temple, de vase ou de trône de la Divinité. Il précise que le Père Céleste a bien voulu demeurer en quiconque Le prie et croit en Lui. (Jn. 14,2 1). Telle est la miséricorde infinie du Père ! Tel est l'inconcevable amour du Christ ! Telle est la bienveillante et ineffable bonté de Dieu ! L'homme intérieur est à l'image de l'homme extérieur: un vase parfait et très précieux que Dieu a aimé plus que toutes les créatures. Comme notre intellect est le trône de la Divinité, l'Esprit est le trône de notre intellect. Après la transgression, satan et les puissances des ténèbres se sont assis sur le corps, le cœur et l'intellect d’Adam. Pour détruire leur royaume, le Seigneur a pris chair de la Vierge Marie, il les a déposés de leur trône (la raison et les pensées de l'homme) et a purifié l'intellect.

Notre nature peut communier avec les démons et les esprits malins ou avec les anges et l'Esprit Saint. Frères, scrutez donc votre conscience : avec qui êtes‑vous en communion ? Les anges ou les démons ? Etes‑vous la demeure de Dieu ou celle du diable ?

Pour nettoyer une maison souillée, il faut d'abord évacuer les impuretés puis ensuite orner la maison, la remplir de parfums et de trésors : de même faut‑il purifier d’abord notre cœur de satan afin que l'Esprit puisse venir y reposer. Les âmes qui cherchent un compagnon de voyage, c'est à dire la sanctification de lEsprit Saint, s'attachent de tout leur amour au Seigneur, vivent en Lui, Le prient, dirigent vers Lui leurs pensées, dédaignent tous les biens de ce monde. Elles deviennent alors dignes de recevoir l'huile de la grâce. Ensuite, elles peuvent vivre sans obstacle, étant en tout agréables à l'Epoux. Mais les âmes qui laissent leurs pensées ramper sur la terre abandonnent leur raison à la terre, et pire encore, se considèrent comme les véritables fiancées de l'Epoux, étant trompées par leur présomption.

Seule la vérité évangélique plait à Dieu, à l'exclusion de toute vérité terrestre. Ces âmes trompées ne sont pas nées d'en haut, elles n'ont pas reçu l'huile de la grâce. Une maison dans laquelle le Maître n'habite pas se remplit de saletés et d'odeurs fétides. Ainsi l'âme dans laquelle ne demeurent pas le Seigneur et Ses anges se remplit‑elle des ténèbres du péché et de mauvaises et humiliantes passions. Malheur au chemin sur lequel personne ne passe, où ne retentit le son d'aucune voix humaine, il deviendra le repaire des bêtes 1 Malheur à l'âme dans laquelle le Seigneur ne marche pas et d'où Il ne chasse pas de Sa voix les esprits du mal! Malheur à la maison inoccupée! Malheur à la terre en jachère 1 Malheur au navire sans timonier, il se brise et périt dans les vagues et la tempête ! Malheur à l'âme sans son véritable timonier, le Christ ! Se trouvant sur les vagues du sombre océan des passions et des esprits du mal, souffrant des intempéries, elle est exposée à sa perte ! Malheur à l'âme que le Christ ne cultive pas avec soin pour y produire les bons fruits de l'Esprit ! Délaissée, elle se couvre d'épines et de chardons et sera jetée au feu ! Malheur à l'âme dans laquelle le Christ ne demeure pas, elle se remplira de la mauvaise odeur des passions et des péchés.

LA CREATION DU MONDE

Conformément à notre définition de l'homme, nous avons l'intention de présenter, selon nos moyens, la merveilleuse architecture de ce temple raisonnable de Dieu, son histoire spirituelle et morale, depuis sa création jusqu'à la fin du monde. L'homme par son histoire attestera que seule la destination assignée par le Verbe de Dieu lui est naturelle.

L'homme fut crée par Dieu et cet acte du Créateur acheva la création du monde, c'est à dire de l'univers visible et invisible; Dieu prépara une demeure, la terre, pour sa créature. Par sa Parole, Il a tout extrait du néant. Parfait dans Sa sagesse, Il n'eut besoin ni de réflexion, ni de méditation : tout apparut par Sa pensée, par Sa Parole. Il créait de nouvelles créatures de celles déjà créées par Sa seule Parole. Sa pensée est Sa Parole et Sa Parole est Sa pensée. "Il a parlé et ils ont été faits, Il a commandé et ils ont été crées" (Ps 148,5). A Sa voix apparurent le ciel, la terre, les astres; les eaux se séparèrent de la terre et s'installèrent à leur place, puis la terre se couvrit de plantes et se peupla de divers animaux. La terre, créée, ornée et bénie par Dieu était sans défaut, emplie de beauté: "Dieu vit tout ce qu'Il avait fait et voici que cela était très bon" (Gen. 1,31). Aujourd'hui la terre présente à nos yeux un tout autre aspect. Nous ne la connaissons pas dans sa sainte virginité initiale mais dépravée et maudite, déjà condamnée à être consumée (Pierre.3,10). Elle avait été créée pour l'éternité.

Au commencement, elle n'avait pas besoin d'être cultivée (Gen.2,5), produisant d'elle même en abondance des céréales, des légumes, des fruits et d'autres plantes nutritives d'excellente qualité. Aucun végétal n’était nuisible ni corruptible ou soumis à la maladie. La corruption, les maladies et l'ivraie apparurent à la suite de la chute de l'homme comme l'attestent les paroles que Dieu dit à Adam en le chassant du paradis :

"Elle produira des épines et des ronces" (Gen.3,18). Au moment de la création, on ne trouvait sur la terre que de bonnes et belles choses, adaptées à la vie éternelle et bienheureuse de ses habitants.

Les changements du temps n'existaient pas : l'atmosphère était immuablement claire et saine. Il ne pleuvait pas non plus : un flot montait de la terre et arrosait toute la surface du sol (Gen.2,5‑6). Les animaux vivaient en parfaite harmonie, se nourrissant de la verdure des plantes (Gen. 1,30). Puis la colère du Créateur transforma la terre : "Maudit sera le sol à cause de toi" (Gen.3,17), dit‑Il à l'homme qui avait transgressé Son commandement. La bénédiction Divine disparue, un dérèglement général apparut immédiatement, signe avant‑coureur de la destruction finale qui s'avèrerait nécessaire. Quand la malédiction tomba, les vents sifflèrent, les tempêtes se déchaînèrent, les éclairs brillèrent, le tonnerre gronda, accompagnées de pluies, de neige, de grêle, d'innondation et de tremblements de terre. Les animaux cessèrent d’aimer l'homme et de lui obéir comme ce dernier fit avec Dieu. L'animosité s'instaura entre l'homme et les animaux.

L'homme en soumit quelques-uns par la force en les asservissant ; contre d'autres, il mena une guerre implacable et meurtrière. Très peu de bêtes lui restèrent attachées, triste souvenir de l'ancien amour disparu : en majorité, elles s'éloignèrent et se cachèrent de lui dans d'épaisses forêts, de vastes plaines, des gorges de montagnes ou des grottes obscures. Lorsqu'elles le rencontraient par hasard, elles jetaient sur leur ancien maître des regards sauvages et inamicaux, comme si elles voyaient en lui un criminel, ennemi de Dieu : certaines détalaient, d'autres se lançaient sur lui avec acharnement pour le tailler en pièces. L'animosité s'installa également au sein même de l'espèce animale; la malédiction qui frappait la terre eut des retombées sur la nature des bêtes : abandonnant la nourriture qui leur était destinée, elles commencèrent à se dévorer.

Nos ancêtres avaient été condamnés à connaître la mort à cause du péché et ils en sentirent les prémices dans leur âme et dans leur corps après l'éloignement de la grâce Divine, mais ils en connurent les conséquences visibles sur les animaux. Ce sont ces derniers probablement qui commirent les premiers meurtres puis l'homme commença à égorger des bêtes pour le sacrifice (Gen.4,4) et enfin la mort apparut parmi les hommes avec le meurtre du juste Abel par Cain le criminel (Gen.4,8). Avant la chute, la mort n’existait pas dans le monde. Elle y entra par le péché (Rom.5,12), l'envahit rapidement, le contamina, le détériora de manière incurable. Cette détérioration devint inévitable, comme conséquence naturelle du mal mortel. Au dernier jour de ce monde ancien et vétuste, la terre sera consumée, les astres tomberont du ciel, comme les fruits du figuier arrachés par le vent, le ciel lui‑même sera roulé comme un vêtement et disparaîtra (IIPierre.3, 10; Apo.6,14) Les quelques indications que nous livre la Genèse sur l'état premier de la Terre nous montre quelle énorme et triste transformation elle dut subir après la chute et ce changement nous est complètement inconcevable.

Plus haut, nous avons fait allusion à deux mondes: le visible et l'invisible (la création du monde est décrite dans les chapitres 1 et 2 de la Genèse). Cette conception des choses est très relative: notre état de chute nous suggère d'appeler monde visible la partie de la création que nos yeux perçoivent et monde invisible celle qu'ils ne perçoivent pas. En fait, cette distinction n'existe pas. (Les sens des Saints, renouvelés par l'Esprit Saint, ont une perception beaucoup plus vaste du monde que ceux des pécheurs qui demeurent dans la chute. D'ailleurs même pour ces derniers, la distinction visible‑invisible est rendue très arbitraire par les longues‑vue, les téléscopes, les microscopes et d'autres moyens mécaniques). Nous classons dans le monde invisible les anges et la partie de l'univers dans laquelle ils évoluent. La Genèse ne dit rien de la création des anges mais on peut déduire de l'Ecriture Sainte qu'ils furent créés avant le monde visible. La Bible nous décrit seulement la création du monde visible, c'est à dire matériel, et encore de façon relative: nulle part il n'est question des choses situées hors de la terre, sauf si celles‑ci ont une place dans la vie de l'homme.
L'Esprit Saint ne décrit de la création du monde que ce qui est essentiel pour nos besoins et s'abstient de nourrir notre curiosité, sachant combien notre raison présomptueuse abuse des connaissances. Par exemple, nous savons des astres qu'ils sont créés dans le but d'éclairer la terre et de marquer les temps, les jours et les années (Gen 1, 14‑15). La Parole de Dieu ne procure que les connaissances indispensables pour mener une vie pieuse et agréable à Dieu, qui fera de l'homme la demeure de l’Esprit Saint. C'est de manière originale, et non pas selon ce monde que l'Esprit enseigne à son « vase raisonnable » la doctrine élevée de la Vérité Divine, qui est tellement intolérable pour la sagesse chamelle et psychique. (Jean.16, 12‑13; ICor.2,13). Rappelons que la création du monde fut accomplie en six jours et fut terminée par la création de l'homme.

samedi 2 mai 2009

HOMELIE SUR LA NATIVITE DE LA TOUTE-SAINTE MERE DE DIEU



Tiré des oeuvres deSaint Dimitri de Rostov.

Lorsque le Seigneur, qui vit dans les cieux, voulut apparaître sur la terre pour y vivre avec les hommes, Il commença par se préparer une demeure de gloire : Sa Mère Toute-Pure. Un roi qui désire séjourner dans une ville ne s’y prépare-t-il pas un palais ?
Les rois terrestres font édifier leur palais par les architectes les plus sages, avec les matériaux les plus précieux, à l’endroit le plus élevé, pour surpasser ainsi en beauté et en taille toutes les demeure humaines. C’est ainsi que le Roi de gloire Se fit construire une demeure véritablement céleste.
L’Ancienne Alliance montre déjà que lorsque Dieu désira vivre à Jérusalem, Salomon Lui fit bâtir un temple par un architecte rempli de sagesse, Hiram, qui brillait par son savoir-faire, son intelligence et son génie. Il employa des matériaux précieux, des pierres de grande taille, des bois aromatiques comme le cyprès et le cèdre du Liban, et de l’or pur. Il dressa l’édifice sur les hauteurs de la montagne Moriiya. Mieux encore, il sculpta des chérubins, des arbres et des fleurs sur les murs. Le temple était si vaste que la multitude du peuple d’Israël pouvait s’y tenir sans gêne. Après la consécration, la gloire de Dieu pénétra dans le temple comme le feu dans la nuée.
Toutefois, le temple n’était pas assez grand pour abriter le Dieu incommensurable. Salomon avait certes bâti un temple, mais le Très-haut n’habite pas ce que la main de l’homme a construit. Quelle maison Me bâtirez-vous, dit le Seigneur, quel sera le lieu de Mon repos ? Dieu voulut inaugurer l’ère nouvelle de la grâce par un Temple nouveau, non construit de main d’homme, la Toute-Pure et Toute-Bénie Vierge Marie. Et quel fut l’architecte de ce Temple ? Le plus brillant en vérité : la Sagesse de Dieu elle-même ! N’est-il pas écrit : la Sagesse a bâti Sa maison ? (prov.9,1) Et tout ce que la Sagesse de Dieu bâtit est béni et parfait. C’est ainsi que fut créé pour le Dieu parfait le Temple parfait, le palais vivant du Verbe, la Demeure très claire du Roi des lumières, la Maison immaculée de l’Epoux sans tache. Et ceci pour suivre le témoignage céleste et sûr : Tu es toute belle, ma bien-aimée, et sans tache aucune (Cant.4,7). Et Saint Jean Damascène d’ajouter : « Tu es le palais de l’Esprit, la ville de Dieu, la mer de la grâce, la toute-belle et toute-proche de Dieu ».
Et quels furent donc les matériaux de ce Palais ? Les plus précieux, en vérité, car de la Mère de Dieu sortit une Pierre Noble, le Christ Vainqueur, lancée sur Goliath par la fronde royale de David. N’était-Elle pas issue d’une lignée de grands prêtres, qui offraient à Dieu des sacrifices parfumés au cèdre et au cyprès ? Son père était Joachim, le saint et juste fils de Barnaphire, dont la tribu remontait à Natan fils de David. Sa mère était la sainte et juste Anne, fille de Matthan, prêtre et descendant d’Aaron. Ainsi, la Vierge Toute-Pure était de lignée royale par son père, et sacerdotale par sa mère. Oh, de quels matériaux précieux, de quelles générations honorables le Roi de Gloire S’est-Il préparé Son vivant Palais ! Dans le temple de Salomon, la pierre et le bois étaient rehaussés de l’or le plus pur. Chez la Toute-Sainte Mère de Dieu, la noblesse royale et sacerdotale avait atteint son comble dans la chasteté de ses saints parents, plus précieuse que l’or ou l’argent le plus fin, plus honorable que les pierres les plus précieuses. « Ô, bienheureux époux Joachim et Anne ! En vérité, vous serez déclarés sans tache grâce au fruit de vos entrailles, car le Seigneur a dit : vous les reconnaîtrez à leurs fruits ! (Mt.7,14) Vous avez dirigé votre vie de façon agréable à Dieu, vous rendant digne du fruit qui naquit de vous. Vivant chastement et saintement, vous nous avez offert la Vierge, le trésor de la virginité. Elle fut Vierge en effet avant la Nativité, pendant l’enfantement indicible et encore après, toujours vierge, vierge éternellement par l’âme et par le corps. Il convenait que la virginité naquît de la chasteté et fût apportée dans la chair à la Lumière, au Fils Unique. Le couple des très pures colombes spirituelles, Joachim et Anne, après avoir gardé chastement les lois de la nature, a été divinement jugé digne du surnaturel : offrir au monde la Vierge et Mère de Dieu. Après avoir vécu pieusement et saintement selon la nature humaine, il a produit une fille supérieure aux anges qui vit à présent parmi les anges. Ô toi, la plus douce et la plus belle des filles ! Ô, lis issu de la plus noble des racines royales, tu as poussé parmi les épines ! Par toi, comme la royauté et la prêtrise se sont enrichis ! » Ces paroles de Saint Jean Damascène expriment de quels parents naquit la Mère de Dieu, de quels matériaux précieux le Palais du Roi Céleste fut édifié.
Et en quel lieu ce Palais vivant a-t-il été édifié ? En vérité, au lieu le plus élevé ! Et comme dit l’Eglise : En vérité, Tu es plus élevée que tous, Vierge pure ! Toutefois il ne s’agit pas là de la hauteur d’une montagne, mais plutôt de la hauteur des vertus et des dons accordés par Dieu.
La Vierge toute bénie est née dans une petite ville de Galilée appelée Nazareth, qui dépendait alors de la grande ville de Capharnaüm. Nazareth n’était à l’époque, ni honorée, ni glorifiée. On méprisait ses habitants, de la même façon qu’on dira plus tard du Christ : peut-il venir de Nazareth quelque chose de bon ? (Jn.1,46) Mais le Seigneur qui vit dans les hauteurs regarde les humbles. Il souhaita que Sa Mère Toute-Sainte naquît, non pas à Capharnaüm l’orgueilleuse, qui s’élevait jusqu’au ciel, mais dans l’humble Nazareth, pour bien montrer que ce qui est élevé parmi les hommes est une abomination devant Dieu, et que ce qui est méprisé et humilié, est élevé et honorable devant Lui (Luc 16,15). Il faut noter d’ailleurs que le nom même de Nazareth évoque les hautes vertus de la Toute-Pure Vierge. De la même façon en effet, que le Seigneur préfigura par Sa naissance à Bethléem (qui signifie maison du pain) qu’Il était le pain mystérieusement descendu du ciel pour ranimer et fortifier les hommes, Il voulut exprimer des choses élevées par la naissance de Sa Mère Toute-Pure à Nazareth. Car Nazareth signifie : parée de couleurs variées, sanctifiée, séparée de la terre, couronnée et préservée. Tout ceci se manifeste clairement dans la Vierge Toute-Pure. Elle est la fleur qui pousse d’un rameau stérile et flétri, celle qui a renouvelé notre nature desséchée en sortant d’un sein âgé. Elle est la fleur qui ne fane pas, qui fleurit sans cesse par sa virginité, dont l’arôme engendre ce parfum qu’est l’Unique Roi, cette fleur qui a produit le fruit par excellence : le Christ et Seigneur. Elle est la seule qui a su faire croître la pomme parfumée. Elle a été sanctifiée par la grâce de l’Esprit Saint qui l’a couverte de Son ombre, elle plus sainte que tous les saints pour avoir enfanté le Verbe plus saint que tous les saints. Elle s’est séparée des pécheurs de la terre, car de toute sa vie, elle n’a commis aucun péché. Alors que tous disent avec David : je connais mon iniquité et mon péché est constamment devant moi (Ps.50,5), elle seule peut dire : sans iniquité j’ai conçu et j’ai suivi la voie droite (Ps.58,5). Elle est l’amendement des hommes, non seulement parce qu’elle n’a pas péché, mais aussi parce qu’elle a détourné les hommes de leurs oeuvres pécheresses. L’Eglise lui chante d’ailleurs : Réjouis-toi car tu nous as retirés du bourbier de nos oeuvres ! (Acath. ikos 5) Elle est couronnée de gloire et d’honneur, pour avoir poussé dans une lignée royale et dans la descendance d’Aaron. Elle est couronnée de gloire, car ses parents étaient chastes et justes. Elle est couronnée d’honneur par l’annonce de la bonne nouvelle prononcée par l’Archange. Son service a été couronné de la plus grande des gloires : devenir la Mère de Dieu ! Qu’y a-t-il de plus glorieux que d’enfanter Dieu, de plus honorable que d’être toujours vierge, de rester vierge après l’enfantement ? Couronnée de gloire, la Toute-Sainte est aussi plus glorieuse que les séraphins car elle a aimé Dieu plus que les séraphins. Couronnée d’honneur, la Toute-Pure est plus vénérable que les chérubins par sa sagesse et sa connaissance de la Divinité. Gloire, honneur et paix, pour quiconque fait le bien, dit l’Apôtre (Rom.2,10) Qui, parmi les créatures terrestres a mieux pratiqué le bien que la Toute-Pure Vierge ? Elle a gardé tous les commandements du Seigneur, elle a accompli toutes Ses paroles, elle a caché dans son coeur tout ce qu’Il a dit, et manifesté au prochain toutes les oeuvres de miséricorde. Elle mérite donc vraiment la couronne pour cette pratique du bien. La Mère de Dieu a également agi avec grande prudence, gardant avec soin le trésor de sa chasteté de Vierge, à tel point qu’elle ne voulut même pas se confier à l’ange : ne s’est-elle pas troublée à son arrivée, se demandant ce que pouvait bien être cette salutation ! C’est ainsi que le nom même de Nazareth manifesta toutes les vertus de la Vierge Toute-Pure.
Qui irait nier que ce palais du Christ est on ne peut plus élevé par les vertus et les dons de Dieu ? Haute, car donnée des cieux, même si elle est née d’êtres humains. Donnée des cieux, car, comme disent certains pères qui possèdent la pensée de Dieu, l’archange Gabriel est venu annoncer à Joachim et Anne la conception de la Toute Sainte Mère de Dieu, comme il allait plus tard annoncer à Zacharie la conception de Jean. Il apporta aussi du ciel le nom tout-béni à la mère stérile, disant : « Anne, tu enfanteras une fille et son nom sera Marie ». On peut aussi sans aucun doute l’appeler ville sainte, nouvelle Jérusalem qui descend du ciel, ou encore tabernacle de Dieu chez les hommes (Apo. 21,2). Et quel tabernacle élevé que celui qui s’est élevé plus haut que les séraphins en enfantant le Christ-Roi, quel sommet inaccessible à la pensée humaine ! (Acathiste, ikos5)
Et comment décrire la beauté de ce palais du Christ ? Ecoutons donc les paroles de miel de Saint Jean Damascène : « Elle fut présentée à Dieu, le Roi de tous, drapée de la beauté des vertus comme d’une tunique dorée, et parée de la grâce du Saint Esprit. La gloire de toute femme est dans son mari, mais chez la Mère de Dieu, la gloire vient du dedans, du Fruit de ses entrailles. Ô, Vierge comblée des bénédictions célestes, Sainte Eglise de Dieu édifiée spirituellement par le Créateur du monde pour en faire Sa demeure ! Tu n’es pas parée d’or ou de pierreries inanimées, mais chez toi l’Esprit luit comme l’or, et le Christ comme une perle précieuse ! De tels atours dépassent de beaucoup en beauté les ornements du temple de Salomon, les représentations délicates des chérubins, des arbres et des fleurs. Et pourtant, la Toute-Pure Vierge, ce Temple vivant, est manifestement l’image des chérubins, qu’elle a imités et même surpassés par sa vie angélique. Si la Sainte Eglise n’hésite pas à qualifier certains de ses saints de chérubins quand elle dit Saints, comment vous nommerons-nous : Chérubins, puisque le Christ S’est reposé en vous ?, alors combien plus doit-elle nommer chérubin la Mère de Dieu, puisque le Christ S’est reposé corporellement en elle, puisque Dieu S’est assis sur ses bras comme sur un trône ! La Vierge est le véritable trône des chérubins. Mais elle est aussi spirituellement l’arbre qui porte de bons fruits, l’olivier chargé de fruits dans la maison de Dieu (Ps.51,10), le dattier en fleurs, c’est pourquoi on l’appelle jardin vivifiant. L’Eglise chante d’ailleurs : d’une racine stérile, Dieu des miracles, Tu fis croître Ta Mère pour nous ».
Nous avons ici parlé de la beauté spirituelle de la Mère de Dieu. Il ne faudrait pas croire qu’elle fut privée de beauté corporelle, ainsi que l’attestent certains Pères de l’Eglise. Il n’y eut pas sur la terre de vierge plus belle que la Mère de Dieu. Quand Saint Denis l’Aréopagite la vit, il l’aurait volontiers appelée Dieu s’il avait ignoré qu’elle avait elle-même enfanté Dieu. La grâce divine qui l’habitait débordait sur son visage lumineux. C’était un véritable palais que le Roi céleste S’était préparé sur la terre, une femme belle, tant par l’âme que par le corps, une épouse qui s’est parée pour son époux (Apo.21,2). Il fit son sein plus vaste que les cieux, le Christ-Dieu que rien ne peut contenir, et prit place en elle.
Habituellement, on construit les palais très vastes, afin qu’ils puissent abriter non seulement le roi, mais aussi la multitude des serviteurs et les visiteurs arrivant des contrées lointaines. Le palais du Verbe, la toute-pure Vierge, est assez vaste, non seulement pour contenir le Dieu-Verbe, mais aussi pour accueillir la multitude des esclaves que nous sommes, accourant vers ce Dieu qui fit Sa demeure en elle. Elle contient Dieu dans son sein, mais elle nous reçoit aussi dans sa miséricorde. Si le vase d’élection, le Saint Apôtre Paul, n’hésite pas dans sa compassion à dire à ses bien-aimés « Notre coeur s’est élargi, vous n’êtes pas à l’étroit au dedans de nous » (2Cor.6,11-12), alors où trouver parmi les saints une compassion aussi grande que celle de Marie ? Chez celle qui a su abriter le Chaste, un pécheur n’est jamais à l’étroit. Le pénitent y trouve sa place, et le désespéré trouve refuge à ses côtés. L’arche de Noé n’abritait-elle pas les animaux purs comme les impurs ? La compassion de la Mère de Dieu sert de refuge, sans qu’ils s’y sentent à l’étroit, à tous les affligés, aux offensés, aux affamés, aux étrangers, aux troublés et aux malades. Celle qui enfanta pour nous le Dieu bon ne sait pas retenir sa compassion. Alors que les palais des rois de ce monde sont gardés par de nombreux hommes en armes qui filtrent les entrées et questionnent minutieusement les visiteurs, le palais vivant du Christ, entouré des chérubins, des séraphins, des innombrables choeurs des anges et de tous les saints, n’interdit à personne les portes de sa compassion miséricordieuse. Les gardes ne repoussent pas, les soldats ne questionnent pas, ne chassent pas, chacun entre librement avec sa supplique et reçoit le don qu’il demande selon qu’il lui est utile.
Accourons donc vers la miséricorde de celle qu’a jadis enfanté un sein stérile et saluons-la : réjouis-toi, palais immaculé du Roi de tous ! Réjouis-toi, demeure de Dieu le Verbe ! Qu’à Lui soit rendus par les corrompus que nous sommes, honneur et gloire dans les siècles, ainsi qu’au Père, au Saint Esprit, et à toi aussi, Fille du Père, Mère du Fils, et Epouse de l’Esprit Saint ! Amen.