samedi 28 février 2009

HOMELIE DE SAINT THEOPHANE LE RECLUS ET UNE PRIERE DE SUPPLICATION



Il y a deux semaines, notre mère la Sainte Eglise nous a encouragé à mener une vie vertueuse. Mais il ne faut pas pour autant nous enorgueillir de nos bonnes oeuvres, car il nous est impossible d’en accomplir suffisamment pour fonder sur elles avec certitude l’espoir de notre salut. C’est pourquoi, sans cesser de faire le bien, nous ne devons pas nous appuyer sur notre vertu.
Dimanche dernier, la Sainte Eglise nous a rappelé que seuls les purs et les saints entreront dans le Royaume de Dieu. Cependant, comme nous ne pouvons pas nous présenter purs devant le Seigneur, ni accomplir parfaitement Ses commandements, nous devons faire l’effort de laver tout péché dans les larmes du repentir. Pleurons nos péchés comme on pleure un mort pour attirer, par nos larmes, la miséricorde divine !
Et aujourd’hui, que nous dit l’Eglise ? Elle nous décrit le jugement dernier et souhaite, par ce moyen, inspirer à ses enfants obéissants des efforts toujours plus grands, et inciter les paresseux et les insouciants à s’éveiller de leur torpeur.
Aux premiers, elle recommande de poursuivre inlassablement leurs efforts, en attendant la venue du Seigneur escorté de Ses anges, qui les placera à Sa droite en disant : Venez, les bénis de Mon Père, recevez le Royaume qui a été préparé pour vous depuis la fondation du monde ! Maintenant, vous allez goûter une félicité que le langage des hommes est impuissant à décrire ! Vous allez oublier toutes vos peines et toutes vos afflictions !
Aux seconds, elle répète inlassablement qu’il faut vivre comme des vrais chrétiens, mais ils ne l’écoutent pas. Elle les invite au repentir, mais ils se bouchent les oreilles pour ne point l’entendre. Elle les implore de pleurer leurs péchés, et non seulement ils ne le font pas, mais ils raillent ceux qui pleurent, se moquent de l’institution même de la pénitence et de la vie chrétienne. Soyez donc dans la crainte, car ce monde passera ! Le Juge sévère apparaîtra et vous repoussera avec colère : Allez loin de Moi, maudits, dans le feu éternel qui a été préparé pour le diable et pour ses suppôts !
Telle est la leçon de ce jour, claire, complète, simple et concise. Je n’ai rien à y ajouter, sauf ceci : imprimez l’image du jugement dernier dans votre esprit et dans votre cœur, portez-la toujours en vous, n’en détachez jamais votre attention ! Vous verrez vous-mêmes quelle inspiration vous en tirerez, et quels efforts vous serez prêts à entreprendre si vous avez le souci du salut de votre âme, même à un faible degré ! Par ailleurs, quelle crainte et quelle contrition vont s’emparer des coeurs de ceux dont la conscience n’est pas tranquille, de ceux qui se livrent aux passions et à la licence !
On peut affirmer que si l’on trouvait le moyen d’imprimer l’image du jugement dans le cœur des hommes, tous se consacreraient promptement à l’œuvre de Dieu. Imaginez que le ciel nous envoie soudain une information sûre : le Seigneur viendra demain ou après-demain. Qui songerait alors aux plaisirs ou aux amusements ? Qui flatterait ses passions ou s’adonnerait au péché ? Qui remettrait la pénitence à plus tard ? Qui ne songerait à se convertir ? Seul un insensé s’en dispenserait ! Mais ceux qui n’ont pas perdu la raison se hâteraient de faire tout ce qui peut encore être fait en un temps si court. Quand l’examen approche, les étudiants ne songent qu’à s’y préparer. Certains en oublient de dormir ou de manger, et la pensée des divertissements ou des espiègleries ne les effleure même pas. Nous agirions de la même façon, si nous connaissions précisément la date du jugement dernier. Notre seul soucis serait d’accomplir avec exactitude tout ce que le Seigneur exige de nous, de paraître agréables à Ses yeux à cette heure terrible...
Le malheur est que nous avons pris l’habitude de considérer l’heure du jugement comme lointaine. Et nous pensons souvent : « Depuis que je vis, j’entends constamment que le jugement arrive, et en réalité, point de jugement ! Peut-être n’arrivera-t-il pas de si tôt ? Nos pères, grands-pères et arrière-grands-pères attendaient le jugement aux aussi, mais nous ne le voyons toujours pas venir, bien qu’ils soient morts depuis longtemps ! »
C’est d’ailleurs ainsi... On peut même dire que cela fait dix-huit siècles que le Seigneur a annoncé le jugement, que tout le monde l’attend, et qu’il ne vient pas. Mais pourtant, cela ne veut rien dire. Il n’est toujours pas venu, mais peut-être n’aurons-nous pas le temps de sortir de cette église que le Seigneur sera là. Il ne fait aucun doute qu’Il viendra, même si personne ne peut dire quand cela sera. Nous n’aurons pas le temps de pousser un soupir qu’Il sera déjà là. Noé disait aux hommes : « Cessez de pécher, autrement le Seigneur enverra le déluge vous noyer ! ». Il se peut qu’en l’entendant pour la première fois prêcher le repentir, certains se soient assagis. Mais après dix, vingt ou cent ans, chacun se crut autorisé à ne pas ajouter foi à cette menace qui semblait ne pas vouloir se réaliser. Pourtant le manque de foi ne différa pas l’événement. Le déluge survint, qui noya tout... Peut-être Noé répétait-il inlassablement son sermon, peut-être se moquait-on de lui une minute encore avant le déluge, mais ce que le Seigneur avait décidé se réalisa. Certains furent peut-être surpris par le cataclysme au milieu d’un rire moqueur...
Parmi nous, nombreux sont ceux qui pensent que l’heure du jugement est très éloignée. Il en est même peut-être qui n’y croient pas du tout. Mais rien de tout cela ne repoussera l’heure du jugement. La minute viendra où tout ce que le Seigneur a annoncé s’accomplira. Cette minute prendra tout le monde à l’improviste. Au jour de Noé, dit le Seigneur, les gens mangeaient, buvaient, se mariaient, construisaient leur maison, faisaient du commerce... personne ne songeait au déluge. Mais il vint brusquement et emporta tout. Il en est de même pour nous : nous mangeons, nous buvons, nous nous amusons, nous nous affairons, la pensée du jugement de Dieu ne nous effleure même pas. Mais peut-être va-t-il venir tout de suite ? Alors chacun de nous sera pris tel qu’il est. De même que l’éclair s’allume à une extrémité du ciel, le parcourt en un instant, et l’illumine tout entier, l’apparition du Fils de l’homme sera subite et fulgurante. Et nous ! Nous repoussons cette heure décisive, nous la rejetons dans un avenir si lointain qu’on se demande même si elle viendra.
Il se peut que Dieu ne vienne pas tout de suite juger les vivants et les morts. Mais quel avantage en tirerons-nous ? De toute façon, Il viendra, et c’est nous qu’Il jugera, selon les critères évangéliques que nous avons reçus. L’obligation d’être de vrais chrétiens n’est nullement amoindrie. Que ce soit maintenant ou dans mille ans, nous devrons comparaître devant le tribunal du Christ et rendre compte de la façon dont nous avons utilisé les heures, les journées et les années actuelles, et non celles d’un futur imaginaire. N’est-il pas préférable, dans ces conditions, de nous conduire comme si le Seigneur devait venir tout de suite, ou mieux encore, comme si nous nous trouvions déjà devant Son tribunal ? Si seulement le Seigneur nous accordait une telle disposition d’esprit ! Quel zèle déploierions-nous pour atteindre la sainteté !
L’ennemi connaît la puissance de cette pensée, c’est pourquoi il s’applique constamment à l’évincer par toutes sortes de suppositions tellement vraisemblables... Mais efforçons-nous, mes frères, d’opposer à tous ses pièges le discours suivant : « Supposons que le jugement ne soit pas pour bientôt. Seuls en tireront avantage ceux qui peuvent avoir l’assurance que l’heure de leur mort coïncidera avec l’heure lointaine du jugement. Mais en quoi cela nous concerne-t-il ? Aujourd’hui ou demain, la mort surviendra, mettant fin à nos activités et scellant pour toujours notre destin, car au-delà de la mort, il n’y a plus de repentir. C’est dans l’état où la mort nous trouvera que nous nous présenterons devant le tribunal de Dieu. Si nous sommes des pécheurs impénitents, le juste juge le verra et nous condamnera. Si nous nous repentons de nos péchés et nous efforçons de faire le bien, c’est cet aspect que retiendra le Seigneur, et Il nous fera grâce. Mais à quel moment notre mort surviendra-t-elle ? Nul ne peut le prédire. Peut-être que tout sera terminé dans une minute... et nous devrons nous présenter devant le trône de Dieu et écouter Sa sentence qui ne pourra être modifiée ».
Opposons ce raisonnement à la ruse de l’ennemi , qui essaie d’effacer de notre esprit l’image du jugement pour refroidir notre zèle ! Vraiment, quel avantage à repousser en esprit l’heure du jugement dernier, alors que la mort qui n’est ni moins terrible, ni moins menaçante, se tient devant nous ? Soumettons-nous aux injonctions de notre mère l’Eglise, comme des enfants obéissants ! Emplissons notre mémoire de la pensée du jugement dernier, et n’en détachons plus notre attention !
Ce n’est d’ailleurs pas uniquement la crainte et l’horreur que ce jugement inspire. Il peut être aussi source de consolation. Car ce n’est pas seulement « éloignez-vous, maudits ! », qu’on doit y entendre, mais en premier lieu « venez, bénis ! ». Gardons donc en mémoire la pensée de ce jugement, et orientons notre vie de telle sorte que nous ne nous retrouvions pas à gauche, avec les boucs, mais à droite, avec les brebis. Et que faire pour cela ? Accomplir avec zèle les commandements de Dieu, et s’il nous arrive de pécher, verser des larmes de repentir en répétant constamment à notre âme les chants suivants de notre Eglise :
« Tant que tu vis sur terre, ô mon âme, repens-toi ! La poussière de la tombe ne peut ni chanter ni obtenir la rémission des péchés. Crie donc au Christ-Dieu : j’ai péché ! Toi qui connais les coeurs, ne me condamne pas, mais aie pitié de moi ! » (Tropaire après le troisième cathisme du Psautier)
« Jusques à quand, ô mon âme, demeureras-tu dans tes péchés ? Jusques à quand pourras-tu bénéficier de la transformation qu’opère la pénitence ? Garde présent à l’esprit le jugement à venir et crie au Seigneur : j’ai péché ! Toi qui connais les coeurs, ne me condamne pas, mais aie pitié de moi ! » (ibid.)
« Repens-toi avant de quitter ton corps, ô mon âme ! La condamnation des pécheurs est inexorable et terrible. Crie donc au Seigneur d’un cœur brisé : j’ai péché contre Toi, sciemment et par inadvertance, Ô Munificent ! Par les prières de la Mère de Dieu, aie pitié de moi et sauve-moi ! » (Tropaire après le quatrième cathisme du Psautier).
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PRIÈRE DE SUPPLICATION
Saint Éphrem le Syrien.

Où pourra bien se trouver la demeure du pécheur que je suis, quand mon temps sera écoulé, quand j’aurai quitté ces lieux pour l’ultime séjour ? Où le sort m’enverra-t-il ? Dans les profondeurs, ou dans les hauteurs ? Vers le repos et la félicité, ou vers les soucis et la souffrance ? Vers les ténèbres, ou vers la lumière ? Au Paradis, ou dans le feu ? Quelle sera ma punition, puisque je me suis obstiné jusqu'à maintenant dans la paresse, la nonchalance et les mauvaises pensées, ajoutant sans cesse aux péchés que j’ai commis en cette vie ? Je n’ai ni repentir, ni larmes, ni soupirs, ni aucune autre bonne oeuvre. Malheur à moi ! Comment irai-je dans ces ténèbres implacables, dans le feu éternel et ses souffrances continuelles ? Là-bas, les supplices ne connaissent pas de répit, la fournaise ne s’éteint pas, le ver ne meurt pas... Là-bas, le gouffre est profond et ténébreux, les pleurs sont sans fin, les grincements de dents incessants, et les peines infinies. Après la mort, il n’est ni entremise, ni ruse, ni artifice, qui puisse sauver de la souffrance un homme comme moi.
Malheur à moi car j’ai mérité la souffrance sans trêve et sans fin ! J’ai abandonné la prière pour les divertissements. J’ai méprisé le conseil de mes pairs, m’obstinant dans mon opinion. Accepter ma condition était pour moi haïssable, j’ai convoité la gloutonnerie et la gourmandise. J’ai détesté les veilles et désiré le sommeil. La pureté m’a lassé, je me suis livré à la débauche. Je n’ai pas supporté l’obéissance, je me suis raidi dans la colère, l’indocilité, la fureur et la haine. J’ai méprisé le silence et la prière, j’ai aimé maudire et jurer. Je me suis rebellé contre l’étude et la contemplation, mais j’ai couru derrière les rires, les plaisanteries, l’ironie et l’ivresse du chant. La pauvreté me répugnait, mais comme il m’a plu d’amasser les richesses ! J’ai regardé de haut l’ascèse et la fatigue, j’ai bu les plaisirs jusqu'à la lie et j’ai choyé mon ventre. J’ai préféré l’oisiveté au travail. J’ai corrompu la charité fraternelle en encourageant les disputes et les rixes. Comme la peine, la tristesse et les pleurs me pesaient, j’ai recherché la joie et le repos. J’ai voulu la louange, la vaine gloire et la présomption. Je n’ai pas supporté les moqueries et les critiques, comme le Seigneur me le demandait.
Hélas, dans quel état suis-je ! Je n’ai gardé ni l’amour de Dieu, ni la crainte. J’ai haï les pensées célestes et je me suis tourné vers le terrestre. Malheur à moi, quand arrivera ce moment-là ! Je me tiendrai, figé, privé de toute grâce ! Que ferai-je en cette heure pénible, difficile, effrayante, et pourtant inévitable ? Je me blottis contre la terre, silencieux, à cause de ma honte et de mon opprobre. Mais mon cœur douloureux ne peut se taire ! Ma légèreté me fait même oublier mes souffrances ! Ô, Jésus-Christ, mon Maître, mon Dieu et mon Sauveur ! A cause de Ton amour pour les hommes, ne me reproche pas la multitude de mes péchés ! Dans Ta tendresse et Ta grande miséricorde, sauve-moi ! N’es-tu pas venu pour nous les hommes et pour notre salut, Toi qui es descendu du ciel, qui as assumé la chair de notre nature, qui es devenu un homme comme nous sans affecter la grandeur de Ta divinité, qui as supporté volontairement les souffrances, la flagellation, la crucifixion et la mort ? Malheur et encore malheur à moi, le misérable ! Malheur et malheur à moi, le pécheur ! J’ai gaspillé ma vie dans des actes coupables, mauvais et sots. Que dire, que faire ? Toi Seigneur, Tu connais ma faiblesse, tu vois mon inclination vers les souffrances du péché. Pardonne-moi, Ô mon Roi et mon Dieu ! Pardonne-moi à cause de Ton Saint Nom ! Sauve-moi, moi qui suis pauvre et indigne du salut ! Tire-moi du fossé dans lequel je suis tombé ! Qui ne pleurerait sur moi, misérable ? L’importun est venu T’implorer, Ô Maître ! Accorde-lui de t’apitoyer sur la faiblesse de sa nature ! Même si je meurs mille fois chaque jour, je ne puis détacher mon espoir de Toi. Aie pitié de moi ! Seigneur, aie pitié de moi dans Ta grande miséricorde, par les prières de Ta Mère, de Tes Prophètes, de Tes Apôtres, de Tes Martyrs, de Tes Anges, et de tous ceux qui T’ont plu et qui Te plaisent ! A Toi appartiennent la puissance, l’honneur, le pouvoir, la gloire, l’action de grâce, la louange, ainsi qu’à Ton Père bon et à l’Esprit Saint qui partage Votre Nature pour les siècles des siècles ! Amen

jeudi 26 février 2009

VIE DU SAINT APÔTRE BARTHOLOMEE OU NATHANAEL

Saint Bartholomée était membre du choeur des Douze Apôtres. Après la descente de l’Esprit Saint le jour de la Pentecôte, il fut choisi par le sort pour aller prêcher la Parole de Dieu en Syrie et en Asie, avec le Saint Apôtre Philippe. C’est tantôt ensemble, tantôt séparément qu’ils parcouraient ces deux pays, lançant les filets de l’enseignement dans la mer du monde, et capturant les hommes en vue du salut.
Un jour, alors qu’il visitait les provinces de Lydie et de Mysie en Asie mineure, le Saint Apôtre Philippe se trouva aux prises avec des gens furieux et indociles. Le saint Apôtre Bartholomée reçut alors de Dieu l’ordre de lui porter secours. Ce dernier prit aussitôt sur lui les efforts et les souffrances apostoliques de son frère en Christ, dans l’unité de l’Esprit, comme le rapportent les actes du martyre du Saint Apôtre Philippe. Comme la sœur de Philippe, la jeune Mariamne, suivait aussi son frère, ils oeuvrèrent tous trois de concert pour le salut des hommes. Traversant toutes les villes de Lydie et de Mysie pour annoncer la Bonne Nouvelle, ils supportaient de la part des impies de nombreux malheurs et de grandes tribulations. Ils furent battus, emprisonnés, lapidés, mais la grâce de Dieu leur permit de traverser le temps des malheurs et des blessures, les gardant en vie pour poursuivre leur labeur de prédication. Ils parvinrent bientôt jusqu’au lieu où prêchait le disciple bien-aimé, Jean le Théologien, et reçurent de lui une grande consolation spirituelle.
Par la suite, ils se rendirent à Hiérapolis en Phrygie pour prêcher le Christ. Cette ville était remplie d’idoles que les habitants adoraient, tant ils étaient aveuglés par les démons. Il y avait même dans un temple à Hiérapolis une vipère que les gens adoraient comme un dieu, lui offrant des sacrifices et de la nourriture. Ces insensés vénéraient en général beaucoup les serpents, vipères et autres reptiles. Saint Philippe attaqua la vipère de sa prière. Aidé de Saint Jean le Théologien, qui l’accompagnait encore. Cette prière vainquit l’animal et le transperça comme une lance, le livrant à la mort par la puissance du Christ. Après cet incident, le disciple bien-aimé quitta les trois compagnons, les laissant à Hiérapolis pour prêcher la Parole de Dieu. Par la suite, Saint Philippe, Saint Batholomée et Sainte Mariamne déployèrent un grand zèle pour chasser de la ville les ténèbres du paganisme, répandant sur elle la lumière de la Vérité. Oeuvrant jour et nuit, ils instruisaient ceux qui étaient dans le leurre, ramenaient les insensés à la raison et remettaient les égarés sur la Voie.
A Hiérapolis vivait un dénommé Stachys, qui était aveugle depuis quatorze ans. Les saints Apôtres lui ouvrirent les yeux du corps par leur prière, et leur prédication eut tôt fait d’ouvrir aussi les yeux de son âme. Une fois Stachys baptisé, ils logèrent dans sa maison. La nouvelle de la guérison de Stachys se propagea dans toute la ville, et une grande foule se rassemblait chez lui pour entendre l’enseignement des saints Apôtres sur la foi en Jésus-Christ. De nombreux malades guérissaient et les démons étaient chassés. Beaucoup crurent au Christ et demandèrent le saint Baptême.
La femme du proconsul de la ville, un certain Nicanor, avait été mordue par un serpent et gisait, malade, aux portes de la mort. Ayant entendu dire que les Saints Apôtres qui vivaient dans la maison de Stachys guérissaient toutes les maladies, elle se fit transporter auprès d’eux par ses serviteurs, pendant l’absence de son mari. Comme Stachys, elle obtint elle aussi la double guérison du corps et de l’âme.
De retour chez lui, le proconsul apprit de ses esclaves que sa femme s’était mise à croire en un certain Christ, que des étrangers prêchaient dans la maison de Stachys. Entrant dans une violente colère, le proconsul fit brûler ladite maison et arrêter les Saints Apôtres. A cette nouvelle, de nombreux habitants de la ville se rassemblèrent, traînèrent leurs victimes à travers les rues en les battant outrageusement, et les jetèrent en prison. Un peu plus tard, le proconsul siégea au tribunal pour juger les prédicateurs du Christ, assisté de tous les sacrificateurs païens, et en particulier des adorateurs de la vipère. Tous se plaignaient des Apôtres : « Venge, ô proconsul, le déshonneur de nos dieux !. Depuis l’arrivée de ces étrangers dans notre ville, nos autels sont désertés, les gens oublient d’apporter les sacrifices, notre déesse la vipère a péri, et la ville se remplit d’iniquités ! Ne laisse pas ces mages en vie ! ». Le proconsul ordonna qu’on dépouillât le Saint Apôtre Philippe de ses vêtements en disant : « La magie est peut-être cachée dans ses vêtements ! ». Cependant, une fois les vêtements ôtés, on ne trouva rien. On fit de même pour le Saint Apôtre Bartholomée, sans plus de succès. Mais quand il fut question de dénuder le corps vierge de Sainte Mariamne, celui-ci se transforma sous leurs yeux, devenant comme une flamme de feu qui fit reculer les impies terrorisés.
Le proconsul condamna néanmoins les Saints Apôtres au supplice de la croix. On s’empara d’abord du Saint Apôtre Philippe, auquel on perça les talons. Ensuite, on le lia avec des cordes et on le suspendit au bois devant le temple de la vipère. Crucifié la tête en bas, il fut lapidé. Puis, comme on crucifiait le Saint Apôtre Bartholomée près du mur du temple, il y eut un grand tremblement de terre. La terre ouvrit son sein, engloutissant le proconsul, les sacrificateurs de la vipère et une multitude d’impies. Tous, fidèles ou infidèles, furent saisis par la terreur. Les survivants implorèrent à grands cris les Saints Apôtres d’avoir pitié d’eux et de supplier le seul Dieu véritable que la terre ne les engloutisse pas à leur tour. Ils détachèrent promptement Bartholomée, mais ne purent faire la même chose pour Philippe qui était pendu beaucoup trop haut. Ajoutons que la volonté de Dieu était que Son Apôtre passât par une telle mort de la terre au ciel, vers lequel ses pieds étaient déjà tournés. Ainsi suspendu, le Saint Apôtre Philippe priait le Seigneur pour ses ennemis, intercédant pour la rémission de leurs péchés, et demandant que les yeux de leurs cœurs fussent ouverts à la connaissance de la Vérité.
Le Seigneur se laissa fléchir par la demande de Son fidèle serviteur, ouvrit à nouveau la terre, et en fit sortir vivants tous ceux qu’elle avait engloutis, à l’exception du proconsul et des sacrificateurs de la vipère. Tous confessèrent le Christ d’une voix forte, louèrent Sa puissance, et demandèrent le Saint Baptême. Lorsqu’on voulut enlever Saint Philippe du bois, il avait déjà remis au Christ son âme sainte. Quant à sa sœur, Sainte Mariamne, qui avait gardé sans tache sa virginité, elle contemplait les souffrances et la mort de son frère Philippe, baisait son corps avec amour, et se réjouissait en esprit qu’il eût si bien terminé sa course. Après les supplices, Saint Bartholomée baptisa tous les nouveaux croyants et ordonna Stachys évêque. Il enterra ensuite le corps de l’Apôtre Philippe. A l’emplacement même où avait coulé le sang du saint, une vigne poussa trois jours plus tard, montrant ainsi que celui qui avait versé son sang pour le Christ jouissait maintenant de la joie éternelle de Son Royaume.
Après l’enterrement, Saint Bartholomée passa encore quelques jours à Hiérapolis en compagnie de Sainte Mariamne, pour affermir l’Eglise du Christ nouvellement rassemblée, puis ils se séparèrent. Sainte Mariamne partit pour la Lycaonie où elle émigra bientôt vers le Seigneur. Quant à Bartholomée, il partit pour l’Inde où il oeuvra assez longtemps, prêchant le Christ à travers villes et villages, et guérissant les malades. Ayant instruit des foules immenses et organisé des Eglises, il offrit aux indiens l’Evangile selon Saint Matthieu qu’il portait avec lui après l’avoir traduit dans leur langue. Il leur laissa également la version hébraïque qui fut rapportée cent ans plus tard à Alexandrie par le philosophe chrétien Pantine.
En quittant l’Inde, Saint Bartholomée se rendit en Grande Arménie. Lorsqu’il arriva dans ce pays, les démons qui habitaient les idoles se turent définitivement après avoir prophétisé à haute voix que Saint Bartholomée les ferait souffrir et les chasserait. A cette époque, l’Arménie était gouvernée par le roi Polymy dont la fille était possédée du démon. Le démon s’exprimait par la bouche de la jeune fille, disant : « Ô, Bartholomée ! D’ici aussi tu nous chasses ! ». Entendant cela, le roi fit rechercher aussitôt cet inconnu. Quand le Saint Apôtre se présenta, la jeune fille fut guérie sur-le-champ. En signe de remerciement, le roi envoya des chameaux chargés d’or, d’argent, de perles, et autres objets précieux. Mais le « pauvre en esprit » ne voulut rien accepter, et il retourna les présents avec le message suivant : « Je ne cherche pas à faire une telle acquisition ! Je paraîtrai grand devant mon Seigneur si je parviens à faire entrer au ciel ceux que je trouve ! » Le roi fut attendri par ces paroles, crut au Christ avec toute sa maison, et fut baptisé par le Saint Apôtre, avec la reine, sa fille récemment guérie, de nombreux dignitaires et beaucoup de gens de modeste condition . A l’exemple du souverain, plus de dix villes reçurent le Saint Baptême.
Les sacrificateurs païens furent bien sûr très irrités de ces événements. Ils accusèrent le Saint Apôtre d’abattre leurs dieux et leurs temples, d’exterminer leurs cultes et leurs moyens de subsistance. S’approchant d’Astyaguis, le frère du roi, ils le convainquirent de faire périr l’Apôtre pour venger les dieux. Celui-ci chercha le moment opportun, s’empara du Saint, et le livra au martyre dans la ville d’Albanopolis, le faisant crucifier la tête en bas. Le Saint Apôtre se réjouit beaucoup de souffrir pour le Christ et, alors qu’il était pendu sur la croix, ne cessa pas de prêcher la Parole de Dieu. C’est ainsi qu’il put jusqu'à la fin affermir les fidèles, et inciter les incroyants à se détourner des ténèbres des démons pour courir vers la lumière du Christ. Comme le bourreau ne pouvait supporter ses discours, il lui fit arracher la peau. Mais le Saint Apôtre supportait ce supplice comme si c’était un autre qui souffrait, et ne cessait de bénir et de glorifier le Seigneur. Le bourreau fit finalement trancher la sainte tête, laissant sur la croix ce corps dont les pieds indiquaient si bien quelle direction ils allaient emprunter.
Ainsi s’endormit le Saint Apôtre Bartholomée, quittant les maux et les labeurs pour le lieu de repos exempt de douleur, pour la joie du Seigneur. Les fidèles qui assistaient au supplice décrochèrent le corps de la croix, et le déposèrent dans une chasse de plomb avec sa tête et sa peau. Cette chasse resta longtemps dans la ville d’Albanopolis en grande Arménie, où les reliques de l’Apôtre opérèrent de nombreuses guérisons miraculeuses qui eurent pour effet d’unir de nouveaux fidèles à l’Eglise du Christ.
Longtemps après, les idolâtres de ce pays, jaloux des miracles qui se produisaient devant le tombeau du saint, s’emparèrent de la chasse de plomb contenant les saintes reliques et la jetèrent à la mer. Mais elle flotta sur les flots comme une frêle nacelle, et vogua jusqu'à l’île de Lipari, au large de la Sicile. L’évêque du lieu, Agathon, eut la révélation de l’arrivée des reliques. Il partit en procession avec le clergé et le peuple vers le bord de mer. Tous s’étonnèrent de découvrir une chasse de plomb qui, loin de s’enfoncer dans les eaux, avait parcouru un si long trajet. Glorifiant Dieu, ils prirent la chasse et les reliques et la firent entrer à l’église en psalmodiant de joie.
Il est difficile de passer sous silence en racontant la vie de Saint Bartholomée de ce qui concerne la vie de Saint Joseph l’hymnographe. Ce saint avait reçu une part des reliques du Saint Apôtre, reliques qu’il apporta dans son monastère situé non loin de Constantinople. Il édifia pour l’occasion une église dédiée au Saint Apôtre. A cause de sa grande vénération, il fut souvent digne de voir en songe le Saint Apôtre Bartholomée. Il désirait ardemment parer la fête du saint de ses chants de louange, mais il n’osait pas, se demandant si cette œuvre plairait au Saint. Aussi pria-t-il avec zèle Dieu et Saint Bartholomée, pour que lui soient données d’en haut bénédiction, inspiration et sagesse, afin de pouvoir mener à bien cette tâche sainte. Il pria et jeûna pour cela pendant quarante jours, en versant beaucoup de larmes. La veille de la fête, le Saint Apôtre lui apparut à l’autel, habillé de blanc. Tirant le voile de l’autel, il appela Saint Joseph. Comme celui-ci s’approchait, le Saint Apôtre prit l’évangéliaire, le plaça sur sa poitrine et dit : « Que la droite du Dieu Tout-Puissant te bénisse et que coulent sur ta langue les eaux célestes de la sagesse ! Que ton cœur soit le siège de l’Esprit Saint et que tes chants apportent la douceur à l’univers ! ». Ayant dit cela, le Saint Apôtre Bartholomée devint invisible et Saint Joseph fut rempli d’une joie ineffable. Sentant en lui la grâce de la sagesse, il se prosterna de gratitude. A partir de ce moment-là, il composa des hymnes d’église, des chants, des canons, avec lesquels il para non seulement la fête du Saint Apôtre Bartholomée, mais aussi les fêtes de nombreux saints. Il honora surtout la Toute-Pure Mère de Dieu et le saint hiérarque Nicolas, et remplit l’Eglise de si beaux chants qu’on l’honora du surnom d’hymnographe. Glorifions pour cela notre Sauveur le Christ, adoré avec le Père et le Saint Esprit par toutes les créatures dans les siècles, amen !
Certains pensent que Saint Bartholomée est le Nathanaël que Philippe amena au Christ. Nathanaël serait ainsi son nom et Bartholomée son patronyme (fils de Tholmée). Le nom de Tholmée était ancien et fréquent chez les hébreux (Cf.Josué 15, 2 Samuel 3). Cette thèse s’appuie sur les arguments suivants : dans l’Evangile, il n’est nulle part mentionné que Bartholomée ait été appelé à devenir Apôtre, sauf si on le met à la place de Nathanaël . D’autre part, les trois évangélistes Matthieu, Marc et Luc, qui citent Bartholomée, ne citent pas Nathanaël, alors que l’évangéliste Jean, qui cite Nathanaël, ne cite pas Bartholomée. Saint Jean précise que Nathanaël secondait les Apôtres à la pêche et qu’il vit le Christ après la Résurrection.
D’autres pensent plutôt que Nathanaël doit être identifié à Simon le Zélote, ou encore qu’il fut l’un des soixante-douze disciples du Christ.
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dimanche 22 février 2009

HISTOIRE DE L'ICÔNE DE LA MERE DE DIEU DU SIGNE













C’est au douzième siècle que l’icône de la Mère de Dieu du « Signe » fut glorifiée en Russie. A cette époque le prince André Bogolioubsky, qui gouvernait la principauté de Vladimir-Souzdal, décida de former une coalition avec d’autres princes russes (les princes de Smolensk, de Polotsk, de Riazan, de Mouromsk, et beaucoup d’autres encore), en vue de soumettre Novgorod-le-Grand. Pour ce faire, il envoya à leur tête son fils Mstislav. Une armée énorme ne tarda pas à se constituer et « pour un peu, ce fut comme si toute la terre s’unissait », comme dit le Chroniqueur, « les princes étant déjà à eux seuls soixante-douze ». Alors qu’on était encore bien loin de Novgorod, ce n’était déjà que pillages, villages incendiés, hommes assassinés, femmes et enfants capturés et réduits en esclavage. Pendant l’hiver 1170, cette énorme milice assiégea Novgorod et exigea sa reddition. Des pourparlers furent engagés à plusieurs reprises, sans que les deux partis ne fussent capables de s’entendre.
Le combat commença. Le bon droit était sans nul doute dans le camp de Novgorod, et c’est avec le cœur pur que ses habitants prièrent Dieu de leur envoyer Son aide et Sa protection. Les églises ne fermaient ni de jour ni de nuit, et les chants liturgiques se mêlaient étroitement aux pleurs du peuple. Dès l’instant où l’ennemi approcha de Novgorod, l’archevêque Jean pénétra dans la cathédrale Sainte-Sophie, le temple de la Sagesse de Dieu, et sa prière ne cessa pas pendant trois jours et trois nuits. La troisième nuit, alors qu’il se tenait devant le Sauveur Très-Miséricordieux, il fut saisi d’un saint tremblement. Une voix sortit de l’icône et lui dit : « Va dans l’église de notre Seigneur Jésus-Christ qui se trouve dans la rue de Saint Elie, prends l’icône de la Toute-Sainte Mère de Dieu, puis monte avec elle sur les remparts, et alors tu verras le salut de la ville ! ».
Le cœur épuisé du hiérarque connut alors un calme merveilleux. Il se prosterna devant l’icône et offrit toute la nuit sa prière ardente, contrite et silencieuse. Au matin, il rassembla les clercs et les dignitaires de la ville, et leur parla de la voix mystérieuse. L’espoir fit aussitôt son apparition chez les habitants affligés de Novgorod. L’archevêque dépêcha le protodiacre et les clercs à l’église du Sauveur dans la rue de Saint Elie, et lui même entama un office de prières avec le peuple. Mais dans l’église, malgré leurs efforts, les clercs ne parvinrent pas à déplacer l’icône. Ils revinrent bredouilles vers l’archevêque, qui dut partir lui-même vers l’église du Sauveur, à la tête d’une procession qui rassemblait le clergé et tout le peuple. Il s’agenouilla devant l’icône de la Mère de Dieu et versa force larmes en disant : « Ô, Très-Miséricordieuse Souveraine et Mère de Dieu, Espérance et Protectrice de notre ville, ne nous livre pas à nos ennemis à cause de nos péchés ! Mais entends nos pleurs, et aie pitié de Ton peuple ! ». On commença la célébration d’un office de prières. Quand on parvint au chant « Intercession assurée des chrétiens, Médiatrice sans défaillance devant le Créateur, ne méprise pas les supplications des pécheurs que nous sommes, mais, Toi qui es bonne, préviens-nous par ton aide, nous qui Te prions avec foi ! Hâte-toi d’intercéder, accours vers cette requête, Ô Mère de Dieu, Toi qui intercèdes toujours pour ceux qui T’honorent ! », l’icône se mit à bouger en direction de l’archevêque. Devant ce miracle, le clergé et le peuple s’exclamèrent joyeusement : « Seigneur, aie pitié ! ». L’archevêque reçut dans ses mains l’icône miraculeuse, l’embrassa, et se rendit solennellement sur les remparts de la ville pour la placer face aux attaquants.
Hélas, les soldats de Mstislav n’en furent pas pour autant adoucis. Une nuée de flèches fut décochée, et l’une d’elle blessa le saint visage. C’est alors qu’eut lieu un second miracle : l’icône se retourna vers la ville et des larmes coulèrent des yeux de la Mère de Dieu. Au même moment, la panique s’empara des assaillants. Subitement aveuglés, ils commencèrent à se blesser les uns les autres. Encouragés par ce signe, les habitants de Novgorod ouvrirent les portes de la ville, se précipitèrent sur leurs ennemis et les mirent en déroute. On fit de nombreux prisonniers. Les fuyards se dispersèrent, et beaucoup moururent de faim ou de maladie sur les lieux mêmes où ils avaient commis auparavant d’impitoyables ravages. Le Chroniqueur rapporte avec horreur qu’ils durent se nourrir de la viande de leurs propres chevaux pendant le jeûne.
L’archevêque Jean instaura dès ce moment-là la fête de la protection miraculeuse de la Mère de Dieu à Novgorod. Bien que cet événement ait eu lieu un 25 février, la fête fut déplacée au 27 novembre, car elle tombe presque toujours dans la semaine du Carnaval ou pendant le Grand Carême.
L’icône miraculeuse de la Mère de Dieu « du Signe » resta presque deux siècles dans l’église en bois du Saint-Sauveur, dans la rue de Saint Elie. En 1357, on la transporta dans l’église en pierre nouvellement construite dans cette même rue, et consacrée au « Signe ».
En 1566, un grand incendie ravagea Novogorod. Comme aucun effort ne pouvait arrêter la fureur du feu, le métropolite Macaire entra en procession dans l’église du « Signe », se mit à genoux devant l’icône miraculeuse, et pria pour la fin du malheur. Ensuite, « levant » l’icône, il la porta en procession le long de la rive du Volkhov. Un vent souffla alors de la rivière, qui commença aussitôt à éteindre le feu...
En 1611, les suédois s’emparèrent de Novgorod, tuant les habitants et pillant les maisons et les églises. Des soldats s’approchèrent des portes closes de l’église du « Signe », à l’intérieur de laquelle on célébrait un office. Comme ils se précipitaient à l’intérieur pour le pillage, une force invisible les repoussa. Ils firent une seconde tentative qui échoua de la même façon. Toute l’armée suédoise fut au courant, et aucun de ses membres ne se risqua par la suite à pénétrer dans l’église du « Signe ».
En 1636, un orfèvre dénommé Luc Paviltchikov résolut d’aller voler dans l’église du « Signe ». A la fin des vêpres, la veille du 27 novembre, il se cacha à l’intérieur. Pendant la nuit, il pénétra dans l’autel, rassembla quelques vases liturgiques, vida les troncs et s’approcha pour finir de l’icône miraculeuse afin de la dépouiller de ses ornements précieux. Mais dès qu’il toucha la riza (revêtement précieux de l’icône, habituellement en argent), il fut repoussé violemment et s’effondra, inconscient, sur le sol. Avant les matines, le sacristain entra dans l’église et fit sortir celui qu’il croyait ivre mort, sans remarquer qu’il portait sur lui les vases précieux de l’église. Ce n’est qu’au cours de la célébration des matines qu’on découvrit le larcin. Les objets précieux furent aussitôt retrouvés dans la maison de Luc. Le pauvre voleur avait perdu la raison pour un temps, et ce n’est que plus tard qu’il put raconter le miracle.
L’icône miraculeuse de la Mère de Dieu du « Signe » fut placée sur l’iconostase de l’église, à gauche des Portes Royales. Elle mesure environ cinquante-huit centimètres en hauteur , et quarante-huit en largeur. La trace de la flèche est restée visible sous l’œil gauche de la Mère de Dieu. Sur les bords de l’icône se trouvent des représentations de Saint Georges-le-Victorieux, du saint martyr Jacques-le-Persan, et des saints Pierre et Onouphrios de l’Athos. L’icône fut restaurée en 1565 par le métropolite Macaire, et on lui adjoignit un revêtement d’or et de pierres précieuses.
L’icône du « Signe » représente la Mère de Dieu les bras levés en prière, avec l’Enfant-Dieu dans son sein. On trouvait cette représentation sur les sceaux de l’évêque de Novgorod. Ce type iconographique est très ancien : on trouve déjà la mère de Dieu avec l’Enfant Eternel sur les genoux dans la Rome du quatrième siècle, dans la catacombe de Sainte Agnès. En Grèce, cette représentation est habituellement associée à la Nativité du Sauveur. C’est seulement en Russie qu’elle reçut la dénomination du « Signe », en honneur de la grâce accordée à la Mère de Dieu. Sur certaines icônes du « Signe », il arrive qu’on représente les événements de 1170 en trois tableaux.
L’ICÔNE DE LA MÈRE DE DIEU DU SIGNE VÉNÉRÉE LOCALEMENT A ABALAK COMME MIRACULEUSE
Le monastère d’Abalak se trouve près du village d’Abalak, sur la rive droite du fleuve Iktich, à vingt-cinq verstes de Tobolsk. Il attire de toute la Sibérie une multitude de pèlerins, qui vient vénérer avec grande piété l’icône miraculeuse de la Toute-Sainte Mère de Dieu du « Signe ». Cette icône fut peinte en 1637 par l’archidiacre de la cathédrale de Tobolsk, Matthias, et voici comment...
Au milieu du dix-septième siècle, une pieuse veuve dénommée Marie vivait près du cimetière d’Abalak. Le dix juillet 1636, elle eut un songe dans sa cabane. Elle vit devant elle une icône de la Mère de Dieu du « Signe », avec Saint Nicolas le Thaumaturge et Sainte Marie l’Egyptienne sur les côtés. De l’icône sortit une voix : « Marie ! Annonce ta vision à tout le peuple, et demande que soit édifiée au cimetière d’Abalak, à droite de l’église vétuste de la Transfiguration, une nouvelle église dédiée au « Signe » de la Toute-Sainte Mère de Dieu, comme à Novgorod l’Ancien. Qu’y soient consacrés deux autels secondaires de part et d’autre de l’autel principal : d’un côté pour Saint Nicolas, de l’autre pour Sainte Marie l’Egyptienne ! »
A son réveil, par crainte des moqueries, Marie n’osa pas raconter sa vision. Mais peu après, elle eut une autre vision. L’icône qu’elle avait vu en songe lui apparut alors qu’elle quittait sa cabane, un pain à la main. Une lumière extraordinaire entoura la pauvre Marie et une nuée claire la couvrit, de sorte qu’elle perdit connaissance sous l’effet de la peur. En revenant à elle, elle vit deux icônes : l’une d’elles était l’icône du « Signe » de la Mère de Dieu, et l’autre celle de Sainte Marie l’Egyptienne. Le Saint hiérarque Nicolas se tenait debout devant elle, revêtu de ses habits épiscopaux. Il dit à la veuve : « Marie ! Va dire aux habitants d’Abalak qu’ils construisent l’église ! Qu’ils abattent le bois de leurs propres mains, et qu’ils le transportent eux-mêmes sur la colline ! S’ils n’obéissent pas, ils verront la colère de Dieu ! Non seulement le prêtre mourra, mais également les meilleurs des paroissiens ! »
Cependant, même après une telle rencontre, Marie n’osa pas rapporter la révélation. Quelques jours plus tard, elle eut une autre vision. Comme elle était assise dans sa cabane à travailler de ses mains, elle sentit soudain l’odeur d’un parfum, à la suite de quoi elle entendit la voix de Saint Nicolas : « Pourquoi n’annonces-tu pas la vision et l’ordre que tu as reçu ? Par ton incroyance, tu attires sur toi-même la colère de Dieu ! ». Ces paroles furent à peine prononcées que de violentes crampes tordirent vers l’arrière les bras de Marie. Sous cette terrible douleur, elle tomba à terre. Mais aussitôt se fit entendre la voix de la Mère de Dieu : « C’est pénible ! J’ai pitié d’elle ». Les douleurs disparurent sur-le-champ et la vision prit fin. Effrayée, la veuve courut chez son père spirituel pour lui raconter l’affaire et le pria de communiquer tout cela au peuple. Mais le prêtre aussi tarda à accomplir le commandement céleste.
Marie eut alors une quatrième vision si terrible, qu’elle n’osa plus tarder à obéir à l’ordre de Dieu : le 24 juillet, comme elle se rendait à Tobolsk, elle se retrouva dans une sorte de brouillard au pied de la montagne située non loin de la ville. Devant elle, une colonne de nuée s’étendait de la terre jusqu’au ciel. Dans cette nuée, elle vit les deux icônes du « Signe » et de « Sainte Marie l’Egyptienne ». Au pied de la colonne, sur la terre, Saint Nicolas se tenait en colère : « Pourquoi tardes-tu à annoncer au peuple les visions et les ordres ? Si tu tardes encore, tout ton corps sera paralysé, et si ton message n’est pas écouté, alors ce n’est pas toi mais eux qui souffriront ! »
Ramenée à la raison par cette vision, la veuve se dirigea chez l’archevêque Nectaire et lui raconta ses visions devant toute l’assemblée. Après quoi , elle informa tout le peuple. On lui montra alors l’icône de la Mère de Dieu du « Signe » qu’elle ne connaissait pas auparavant, et elle reconnut tout de suite l’icône qui lui était apparue quatre fois. Le peuple de Tobolsk crut au récit de Marie et son éminence l’archevêque donna sa bénédiction aux paroissiens d’Alabak pour la construction d’une église dédiée à la Mère de Dieu. De nombreux habitants pieux du village consentirent à participer à cette œuvre agréable à Dieu.
En ces jours-là, le paysan Euthyme était paralysé dans son lit. Paul le mendiant entra chez lui et lui dit : « Euthyme ! On construit à Alabak sur l’ordre de Dieu une église dédiée à la Mère de Dieu, à Saint Nicolas et à Sainte Marie l’Egyptienne. Promets de peindre l’icône pour cet édifice ! Il se peut que pour ta foi et ton zèle, le Seigneur te pardonne et te libère de ta maladie ! ». Euthyme écouta Paul comme s’il était un ange de Dieu. Il fit la promesse de peindre l’icône du « Signe » avec le Saint Hiérarque Nicolas et Sainte Marie l’Egyptienne sur les côtés. Le Seigneur accorda Son attention aux souffrances du paralysé. Le jour même, Euthyme recouvra l’usage du côté droit. Ayant demandé la bénédiction de l’archevêque Nectaire, Euthyme commanda l’icône à l’archidiacre de la cathédrale Sainte-Sophie de Tobolsk, Matthias, dont les talents d’iconographe étaient connus dans toute la Sibérie. A la mesure de l’avancement des travaux, la condition physique d’Euthyme s’améliorait. Il finit par recouvrer complètement sa vigueur, et put venir lui-même chercher la commande chez l’iconographe, et la conduire à la cathédrale pour la faire bénir. L’archevêque, étonné et réjoui, rendit grâce au Seigneur pour l’aide miraculeuse apportée au malade. Après avoir aspergé l’icône d’eau bénite, il fit célébrer un office d’action de grâce dans la cathédrale. On transporta ensuite l’icône avec grande solennité jusqu'à la nouvelle église du village d’Alabak.
Au cours du trajet, alors que la procession atteignait le village de Chaktalik, où se trouve aujourd’hui le monastère Saint-Jean, la Mère de Dieu glorifia son icône d’un nouveau miracle. Le paysan Basile avait une fille qui souffrait des yeux depuis de nombreuses années et ne voyait plus rien depuis deux ans. Ayant entendu parler du passage de l’icône, Basile sortit à sa rencontre avec sa pauvre fille. Le père affligé se prosterna, versa des larmes, et supplia la Toute-Pure de prendre sa fille en pitié. Et, à la grande joie du pauvre Basile et de ceux qui l’entouraient, la jeune fille recouvra la vue.
Durant l’été 1665, Tobolsk et ses environs subirent un grand malheur. Une pluie diluvienne s’abattit sur la région, noyant les champs, les potagers et les prairies. La végétation périt et le peuple tomba dans le désespoir. Le 8 juillet, Monseigneur Corneille, évêque de Tobolsk, fit venir d’Alabak l’icône miraculeuse. Après la rencontre solennelle, l’évêque, le maire et les habitants de Tobolsk célébrèrent un office devant l’icône, qu’on introduisit ensuite dans la cathédrale. On célébra alors la Liturgie. Avant même la fin de l’office, pour la joie de tous, le ciel se dégagea, les rayons du soleil percèrent les nuages et la pluie cessa. En souvenir de cette aide miséricordieuse de la Mère de Dieu, l’archevêque Corneille instaura de transporter l’icône chaque année d’Abalak à Tobolsk, et de l’y garder jusqu’au 23 du même mois.
Lorsque cet évêque fut nommé métropolite, il songea à modifier cette disposition après avoir accordé foi à des calomnies concernant la réception de l’icône par le clergé lors d’une de ses absences. La colère de Dieu le frappa : il tomba gravement malade et souffrit cinq ans durant sans qu’aucun remède ne fût efficace. C’est seulement au bout de ces cinq ans qu’il comprit la raison de ses souffrances. Il versa des larmes de repentir et ordonna qu’on rapportât de nouveau l’icône à Tobolsk, où on ne l’avait pas vue depuis. En apercevant la procession avec l’icône de sa fenêtre, il sentit le premier soulagement dans sa maladie. Quand l’icône pénétra dans ses appartements et qu’on célébra un office, il put se lever sans aide étrangère. Le lendemain, il allait tellement mieux qu’il se rendit à la cathédrale pour célébrer. L’icône resta à Tobolsk jusqu’au 4 octobre, c’est-à-dire deux autres semaines. Depuis, on respecte scrupuleusement la tradition, et on conduit l’icône chaque année à Tobolsk à la mi octobre. En 1783, on édifia un monastère à Alabask où l’on plaça l’icône de la Mère de Dieu.
L’icône du Signe de la Mère de Dieu exprime une des prophéties de l’Ancien Testament. Le grand Prophète Isaïe annonça au Roi Achaz et à son peuple le retrait des armées assyriennes qui assiégeaient la ville sainte de Jérusalem, par l’entremise du Signe que Dieu voudrait bien accorder aux Israélites : « Voici que Dieu vous donnera un signe, la Vierge est enceinte, elle va enfanter un Fils. Il sera appelé Emmanuel » (Isaïe. 7/14). Ce Signe est le Fils de Dieu Lui-même, représenté sur l’icône dans le sein de Sa Mère en position d’Orante.
La prophétie fut également réalisée lors de l’incarnation du Dieu-Homme. Les bergers purent contempler le mystère exprimé de la bouche même des anges alors qu’ils veillaient dans les champs : « Un Sauveur vous est né, qui est le Christ Seigneur, et ceci vous servira de Signe, vous trouverez un Nouveau-Né enveloppé de langes et couché dans une crèche » (Luc.2/11-12). Cet enfant est Jésus le Fils de Dieu, l’Emmanuel, car Dieu est vraiment avec Son peuple. Il marche parmi les hommes en assumant leur nature déchue, afin de la sauver et de la glorifier, et de l’asseoir à la Droite du Père lors de Sa Divine Ascension.
Par les prières de la Mère de Dieu, Seigneur Jésus Christ aie pitié de nous et sauve nous . Amen.
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mercredi 18 février 2009

TRAITE SUR LES ANGES


(Saint Ignace Briantchaninov Évêque du Caucase et de la Mer Noire)



Ce traité sur les anges n’a pas été rédigé pour satisfaire notre curiosité, et encore moins notre amour de la science. Il a été écrit pour notre salut. Il faut se souvenir que les anges de lumière vivent constamment et sans se lasser dans le soucis de notre destin. Ils emploient toute leur énergie à nous faire préparer et mériter la béatitude éternelle, pendant le laps de temps de notre pèlerinage terrestre. Les anges des ténèbres, quant à eux, se consacrent exclusivement à nous entraîner à leur suite dans l’abîme de l’enfer. C’est ainsi que la terre est le lieu d’une guerre permanente et cruelle qui oppose les saints anges et les chrétiens pieux et orthodoxes aux anges des ténèbres et aux hommes qui leur sont soumis. L’enjeu de ce combat n’est autre que le destin éternel des hommes.
La béatitude céleste du siècle à venir n’est accessible qu’à travers le christianisme véritable. Il n’y a donc rien de plus essentiel et de plus nécessaire que de faire son salut. Ce salut exige de chaque chrétien qu’il prenne connaissance de la présence des anges en temps opportun, avec exactitude et de manière décisive, afin d’attirer à lui l’aide et le saint amour des anges de lumière, et d’éviter le plus possible l’influence pernicieuse des anges des ténèbres.
Le mot ange est grec et signifie messager. Les anges ont reçu ce nom de notre Dieu magnanime à cause de leur service pour le salut du genre humain, service dont ils s’acquittent avec beaucoup d’amour et une sainte ferveur. A ce propos, l’Apôtre Paul dit : Ne sont-ils pas tous des esprits chargés par Dieu d’un ministère, envoyés en service pour ceux qui doivent hériter du salut ? (Heb.1,14).
C’est ainsi, par exemple, que l’ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée appelée Nazareth (Luc1,26) vers la Toute-Sainte Vierge Marie, et lui annonça que Dieu l’avait choisie pour être la Mère du Dieu-Verbe, qui allait assumer notre humanité pour sauver le genre humain. En une autre occasion, l’ange du Seigneur ouvrit les portes de la prison dans laquelle les juifs envieux avaient enfermé les deux Apôtres et, après les avoir libérés, leur dit : Allez annoncer hardiment au peuple dans le temple tout ce qui concerne cette Vie-là ! (Act.5,20), c’est-à-dire l’enseignement du Christ qui est Vie. Une autre fois, l’ange fit sortir l’Apôtre Pierre de la prison où Hérode l’avait jeté après avoir tué Saint Jacques, fils de Zébédée ; le roi impie escomptait divertir le peuple déicide par une seconde exécution qu’il lui eût été agréable. Assuré que sa libération miraculeuse n’était pas le fruit de son imagination, mais une chose véridique, l’Apôtre déclara : Maintenant, je sais réellement que le Seigneur a envoyé Son ange et m’a arraché aux mains d’Hérode et à tout ce qu’attendait le peuple des juifs ! (Act.12,11). Toutefois le ministère angélique ne consiste pas exclusivement à assurer le salut du genre humain ; mais c’est de cela qu’il tire son nom de la bouche des hommes, et de l’Esprit Saint dans les Saintes Ecritures.
L’Ecriture Sainte ne mentionne pas avec précision le moment de la création des anges. La Sainte Eglise, avec Saint Jean Damascène, Saint Jean Cassien, Saint Basile le Grand, Saint Grégoire le Théologien, Saint Ambroise de Milan, Saint Dimitri de Rostov et d’autres Pères, confesse qu’elle eut lieu avant la création du monde matériel et des hommes.
Les anges furent créés du néant. Quelle gratitude, quelle piété, quel amour pour le Créateur ont dû ressentir ces êtres, en se voyant dotés dès leur création d’une telle finesse, d’une telle béatitude, d’une telle jouissance spirituelle ! Leur occupation de tous les instants ne tarda pas à devenir la contemplation et la glorification du Créateur. Le Seigneur Lui-même dit d’eux : Lorsque les étoiles furent créées, tous Mes anges Me glorifièrent et M’acclamèrent (Job38,7). Ces paroles confirment que la création des anges est antérieure à celle du monde visible. Assistant à cette dernière, les anges glorifièrent de nouveau la sagesse et la puissance du Créateur.
Ce fut le Verbe de Dieu qui créa les anges, comme par la suite le monde visible. En Lui ont été créées toutes choses, dans les cieux et sur la terre, les visibles et les invisibles, Trônes, Seigneuries, Principautés et Puissances : tout a été créé par Lui et pour Lui (Col.1,16). Par les noms de Trônes, Seigneuries, Principautés et Puissances, l’Apôtre désigne divers ordres angéliques. La Sainte Eglise en reconnaît trois, chaque choeur (ou hiérarchie) étant divisé en trois sous-ordres. La première hiérarchie est constituée des Séraphins, des Chérubins et des Trônes ; la seconde des Seigneuries, des Puissances et des Dominations ; la troisième des Principautés, des Archanges et des Anges. L’enseignement sur ces divisions du monde angélique provient de Saint Denis l’Aréopagite, disciple de Saint Paul. Ce dernier, comme nous venons de le voir, nomme certains ordres dans ces écrits. Selon la vision du Saint Prophète Isaïe, ce sont les Séraphins-aux-six-ailes qui sont les plus proches du trône de Dieu : Je vis le Seigneur, assis sur un trône grandiose et très élevé, et Sa traîne emplissait le sanctuaire. Les Séraphins qui se tenaient au-dessus de Lui avaient chacun six ailes, deux dont ils se couvraient la face, deux dont ils se couvraient les pieds, et deux dont ils se servaient pour voler. Ils se criaient l’un à l’autre ces paroles : Saint, Saint, Saint, est le Seigneur Sabaoth, Sa gloire emplit toute la terre ! (Is.6,1-3). Derrière les Séraphins, on trouve autour du trône de Dieu les sages Chérubins-aux-yeux-innombrables, puis viennent les Trônes, et, dans l’ordre cité ci-dessus, les autres choeurs angéliques. Les anges se tiennent près du trône de Dieu dans une grande crainte mêlée de respect, crainte suscitée par l’indicible grandeur de Dieu. Il ne s’agit nullement chez eux de la crainte (du pécheur repentant) que chasse l’amour, mais plutôt d’une crainte qui perdure depuis l’origine des siècles, un don de l’Esprit Saint, car Dieu est terrible pour ceux qui l’entourent. La contemplation ininterrompue de l’incommensurable grandeur de Dieu plonge les anges dans une bienheureuse extase, et dans un enivrement qui s’exprime par une incessante glorification. Ils brûlent d’amour pour Dieu, et trouvent dans l’oubli d’eux-mêmes une jouissance inépuisable et infinie.
Chaque ordre angélique reçoit des dons de l’Esprit Saint, l’esprit de sagesse et de raison, l’esprit de discernement et de fermeté, l’esprit de crainte de Dieu. Cette diversité des dons spirituels et la différence des degrés de perfection ne produit en aucune façon chez les saints anges de sentiment de compétition ou d’envie, loin de là ! Leur volonté est une, comme le dit Saint Arsène le Grand, et tous, emplis de consolations et de grâces divines, ignorent le dénuement. Pourvus en même quantité que les autres de la grâce et de la volonté, les anges des ordres inférieurs obéissent avec amour et ferveur aux anges des ordres supérieurs comme à la volonté divine. Selon l’exemple cité par Saint Dimitri de Rostov, « nous voyons clairement dans le livre du Prophète Zacharie, que, pendant qu’un ange s’entretenait avec le prophète, un autre ange vint lui ordonner d’annoncer à Zacharie ce qui devait arriver à Jérusalem. De la même façon, la prophétie de Daniel montre un ange ordonner à un autre de commenter une vision au prophète ».
« Quelle est la cause de notre chute, de notre mise à mort et de notre fin dans la corruption ? Au début, nous n’étions pas destinés à cela ! Cette cause est à chercher d’abord dans l’indocilité d’Adam (qui conduisit à la transgression du commandement divin) puis, par la suite, dans notre comportement méchant et dans le mauvais usage de notre libre arbitre vis-à-vis de la foi. Et quelle est la cause de notre renouvellement, de notre immortalité et de notre incorruptibilité ? C’est l’union de notre volonté à celle du Christ, et l’obéissance à Dieu, Père de notre Seigneur Jésus-Christ (le second Adam) c’est-à-dire l’accomplissement de Ses commandements ! Le Seigneur a dit : Ce n’est pas de Moi-même que J’ai parlé, mais le Père qui M’a envoyé M’a Lui-même commandé ce que J’avais à dire et à faire connaître ; et Je sais que Son commandement est vie éternelle. C’est pourquoi les choses que Je dis, Je les dis comme le Père Me les a dites (Jn.12,49-50). De même que chez notre ancêtre et ses successeurs, la présomption est la racine et la mère de tous les malheurs, chez le Nouvel Adam, le Dieu-Homme Jésus-Christ et tous ceux qui désirent vivre en Lui, l’humilité est le commencement, la source et le fondement de tous les biens. Et bien cette attitude est précisément celle des choeurs sacrés angéliques qui nous sont pourtant supérieurs... » (Saints Calliste et Ignace, dans la Philocalie).
Les anges sont généralement qualifiés de Puissances Célestes ou d’Armée Céleste. Leur chef est l’Archistratège Michel qui fait partie des sept esprits qui se tiennent devant Dieu. Ces sept anges sont Michel ou Missaïl (celui qui est semblable à Dieu), Gabriel ou Gibraïl (la puissance de Dieu), Raphaël ou Rouphaïl (la miséricorde de Dieu), Salaphaël ou Salaataïl (la prière à Dieu), Uriel ou Ouryïl (la lumière de Dieu), Yégoudiel ou Yéghoudïl (la gloire de Dieu) Barakaël ou Barakaïl (la bénédiction de Dieu). On les appelle tantôt anges, tantôt archanges. Saint Dimitri de Rostov les inclut dans l’ordre des Séraphins.
Les anges, et les hommes après eux, furent créés à l’image et à la ressemblance de Dieu. Comme chez l’homme, l’image de Dieu chez l’ange consiste dans l’intelligence qui engendre et abrite la pensée ; de cette intelligence procède l’esprit qui agit en synergie avec la pensée et la vivifie. Cette image, invisible chez l’ange comme chez l’homme, est l’empreinte du Prototype. Elle dirige l’ange en totalité, comme elle le fait pour l’homme.
Les anges sont des êtres limités dans le temps et dans l’espace, et possèdent en conséquence un aspect extérieur qui leur est propre. En effet, seuls le néant et l’infini sont dépourvus d’aspect extérieur. l’Être infini est invisible et illimité, et le néant, n’ayant pas d’existence propre, est dépourvu d’aspect extérieur. Au contraire, les êtres limités, quelles que soient leur taille et leur finesse, sont circonscrits dans l’espace et possèdent en conséquence un aspect extérieur qui leur est propre, que nos yeux grossiers ne peuvent éventuellement pas distinguer. Par exemple, nous ne pouvons pas voir les limites des gaz et des vapeurs, bien qu’elles existent (Les gaz occupent un espace précis correspondant à leur élasticité, leur capacité à se comprimer ou se détendre). Dieu seul, l’Être Eternel, est dépourvu d’aspect. Par rapport à nous, les anges semblent être des esprits incorporels. Mais comment prendre comme référence l’homme dans son état de chute, si nous cherchons une conception juste des mondes visible et invisible ? Nous ne sommes plus ce que nous étions au moment de notre création, même si, régénérés par le repentir, nous devenons autres que ce que nous étions dans la soumission aux passions. Nous sommes donc un instrument de mesure inconstant et faussé. C’est seulement selon cet instrument que les anges peuvent être qualifiés d’esprits immatériels et incorporels. Saint Jean Damascène dit d’ailleurs : « Les anges sont qualifiés d’incorporels et d’immatériels par rapport à nous. Mais en réalité, face à Dieu auquel rien ne peut être comparé, tout est grossier et matériel. Seule la Divinité est vraiment immatérielle et incorporelle ».
Saint Macaire le Grand enseigne que les anges ont un corps fin et l’apparence extérieure de l’homme. Ceci est confirmé par tous les saints qui ont vu des anges et ont pu s’entretenir avec eux. Quand Saint André le fol-en-Christ fut ravi au ciel, l’ange qui l’accompagnait lui tendit deux fois la main. A l’heure de sa mort, Sainte Théodora vit deux anges qui ressemblaient à de fort beaux jeunes gens aux cheveux d’or.
Partout dans les Saintes Ecritures, les anges se présentent sous un aspect humain : devant Abraham près du chêne de Mambré, devant Lot à Sodome. Quand les sodomites entourèrent la maison de Lot pour en briser les portes, les « hommes » étendirent la main, firent entrer Lot dans la maison et refermèrent la porte. Puis, comme Lot et sa famille tardaient à quitter Sodome, les « hommes » les saisirent par la main, lui, sa femme et ses deux filles, et les emmenèrent.
Quand Moïse quitta Madian pour retourner en Egypte délivrer les israélites de la servitude de Pharaon, un ange de Dieu vint à sa rencontre à une halte et voulut le tuer. Séphora, la femme de Moïse, comprenant que la cause du courroux de l’ange était l’incirconsision de son fils, se hâta d’accomplir le rite. Puis, tombant aux pieds de l’ange, elle lui dit : Tu es pour moi un époux de sang ! Et l’ange les quitta (Ex.4,24-26).
Un ange apparut, une épée à la main au faux prophète Balaam pour l’empêcher d’aller se concerter avec Balaq, alors qu’il voyageait sur une ânesse en compagnie de deux esclaves. Voyant l’ange au milieu de la route avec une épée à la main, l’ânesse quitta le chemin et partit dans un champ, s’attirant les coups de bâton de son maître. L’ange se posta par la suite entre deux vignobles aux clôtures très rapprochées : l’ânesse se serra contre l’une d’elles, coinçant la jambe de Balaam qui la battit de nouveau. L’ange se plaça alors dans un endroit si étroit qu’il n’était plus possible de l’esquiver : l’ânesse s’affaissa sous Balaam qui la frappa cruellement. Alors, Dieu ouvrit les yeux de Balaam qui, apercevant l’ange l’épée nue à la main, tomba devant lui face contre terre (Nb.22,22-35).
Josué, qui se trouvait à la tête du peuple d’Israël pour le faire entrer dans la terre promise, vit près de Jéricho un « homme » avec une épée nue dans la main. Il lui dit : Es-tu des nôtres ou de nos ennemis ? L’ange lui répondit : Je suis le chef de l’armée du Seigneur ! (Josué, 5,13-14).
Comme un ange apparaissait à Gédéon un bâton à la main, il fallut que ce dernier le vît accomplir un miracle et devenir invisible pour qu’il comprît qu’il avait affaire avec un ange (Jug.6,12).
La femme de Manoach (la mère du puissant Samson) vit un ange. Elle dit à son mari : Un homme de Dieu est venu à moi, tel un redoutable ange de Dieu. Je ne lui ai pas demandé d’où il venait ni quel était son nom. Quand l’ange lui apparut de nouveau, elle appela son mari. Sans se douter que ce fut un ange du Seigneur, Manoach lui demanda : Est-ce toi qui a parlé à ma femme ? Par la suite, les époux offrirent un sacrifice et virent leur hôte s’élever dans la flamme de l’autel. Ils comprirent alors qu’il s’agissait d’un ange (Jug.13).
Le prophète Daniel appelle « homme » l’ange qui lui apparut (Dan.9,21). Racontant sa vision, il dit : Je levai les yeux et regardai, et voici qu’un « homme » vêtu de lin se tenait là avec une ceinture d’or pur autour des reins. Son corps avait l’aspect de la chrysolite, son visage était comme l’éclair, ses yeux comme des lampes de feu, ses bras et ses jambes comme du bronze poli, et le son de ses paroles comme la rumeur d’une multitude (Dan.10,5-6). Selon le commentaire des Pères, et notamment de Saint Jean Cassien, cet ange était Gabriel.
Le jour de la Résurrection du Christ, alors que les femmes myrrophores se rendaient de bon matin au saint sépulcre (une caverne creusée dans la montagne), elles virent à l’intérieur deux hommes vêtus de blanc (Luc24,4), hommes que le Saint Evangéliste Jean appelle anges (Jn.20,12). Lors de L’Ascension du Christ, les deux « hommes » vêtus de blanc qui apparurent aux Apôtres étaient, au dire de Saint Jean Chrysostome et de toute l’Eglise, des saints anges (Act.1,10).
Dans le Nouveau Testament, les apparitions des anges aux saints sont toujours des apparitions de personnages à forme humaine. Et après tout, pourquoi les Saintes Puissances n’auraient-elles pas elles aussi une apparence extérieure humaine, puisque le Dieu-Verbe Lui-même daigna s’incarner sous cette forme, et monter ainsi au ciel pour s’y asseoir sur le trône du Très-Haut, à la droite du Père, afin d’y recevoir l’adoration des anges ?
Les extraits de l’Ecriture cités ci-dessus mettent en évidence la raison pour laquelle les anges restent cachés à nos regards humains - il ne s’agit pas tant ici de l’incapacité de nos yeux humains à les voir, que de notre chute. L’Ecriture dit clairement que Dieu ouvrit les yeux du faux prophète Balaam et qu’il vit l’ange qu’avait également vu l’ânesse sur un signe de Dieu.
Jadis les ennemis d’Israël encerclèrent la ville où vivait le prophète Elisée. En sortant de bon matin de la maison, son serviteur vit une armée de cavaliers et de chars autour de la ville. Il prit peur, rentra chez le prophète en disant : Ah, mon seigneur, que ferons-nous ? Elisée répondit : Ne crains point car les nôtres sont plus nombreux que les leurs ! Puis Elisée pria : Seigneur, ouvre ses yeux pour qu’il voie ! Et le Seigneur ouvrit les yeux du serviteur qui vit la montagne autour d’Elisée couverte de chevaux et de chars de feu (2Rois6,15-17). De la même façon, les yeux de l’avare s’ouvrirent à la prière de Saint André et il vit l’ange des ténèbres. En bref, un examen attentif des Ecritures et des textes patristiques montre que notre déchéance nous empêche de voir les anges, mais que les yeux des saints qui atteignent un haut niveau de perfection (et qui donc ne peuvent plus être leurrés par les anges des ténèbres) s’ouvrent sur le monde des esprits. Tels furent Saint Antoine le Grand, Saint Macaire le Grand, Saint Macaire d’Alexandrie, Saint Niphonte de Césarée, qui parvinrent au cours de leur longue vie monastique à une extrême pureté.
Comme un ancien pénétrait dans la cellule de Jean Colobos, il vit un ange éventer le saint endormi. L’ancien s’éloigna. Quand Jean s’éveilla, il demanda à son disciple : « Quelqu’un est-il venu pendant mon sommeil ? ». Le disciple répondit que l’ancien N... était venu. C’est ainsi que Jean comprit que cet ancien avait atteint le même niveau que lui, et avait vu l’ange. L’anecdote montre qu’il faut atteindre un certain stade dans la pureté et la sainteté pour voir les anges. Toutefois, même si peu de chrétiens y parviennent, il est possible sans cela d’être saint, comme le dit Saint Macaire le Grand. C’est ainsi que certains saints furent dignes de voir des anges une fois ou quelques rares fois dans leur vie, alors que d’autres n’en furent jamais dignes, bien que leur esprit fût partiellement ou complètement ouvert à la compréhension des Ecritures. Par la providence divine, il arrive que des gens parfaitement indignes ou menant une vie très ordinaire puissent voir des anges, comme ce fut le cas pour Balaam. Il est vraisemblable qu’avant la chute, Adam et Eve étaient en communion avec les anges de lumière et s’entretenaient avec eux. Le Rédempteur a rendu cette communion à l’humanité en général, et tout particulièrement aux chrétiens qui mènent une vie pieuse. Ces derniers communiquent avec les anges par les pensées et les perceptions intimes, et ceux qui sont totalement purifiés parviennent à les voir.
Après leur mort (comme plus tard après la résurrection générale), tous les chrétiens dignes de la bienheureuse éternité entrent en communion étroite avec les anges et les voient, car leur âme (et plus tard leur corps glorifié et immortel) est semblable aux anges, selon le témoignage de l’Evangile. Pour que les hommes puissent voir les anges, une transformation interne est nécessaire, transformation dont les anges n’ont pour leur part aucunement besoin. Dans le siècle à venir, après la résurrection des morts, les hommes seront comme les anges de Dieu dans le ciel (Mt.22,30). Ils seront semblables aux anges et seront fils de Dieu, étant fils de la Résurrection (Luc20,36).
De ces paroles du Sauveur et d’autres extraits des Saintes Ecritures, il ressort que la demeure des anges se trouve être le ciel, et particulièrement le troisième ciel où les anges les plus élevés se tiennent devant le trône de Dieu, entourés de l’innombrable armée céleste (Is.6 ; Apo.4,5).
Cependant, tous les anges n’ont pas gardé leur dignité originelle. Nombreux furent ceux qui chutèrent. Nous les connaissons maintenant sous les noms horribles de satan, diable, démons, anges des ténèbres et anges déchus.
La chute des anges déchus est antérieure à celle de l’homme : alors que nos ancêtres étaient encore au Paradis, les anges déchus, déjà expulsés du ciel, erraient dans les airs, domaine des démons exilés et ténébreux. Les anges déchus se sont jadis rendus coupables au ciel d’une révolte contre Dieu. L’instigateur de cette mutinerie était l’un des plus beaux chérubins, plus riche que les autres en dons divins. L’Esprit Saint inspira au prophète Isaïe de pleurer sa chute : Te voilà tombé du ciel, astre brillant, fils de l’aurore ! Tu gis à terre, toi le vainqueur des nations ! Tu disais à ton coeur : Je monterai au ciel, j’élèverai mon trône au-dessus des étoiles de Dieu, je m’assiérai sur la montagne de l’assemblée, aux confins du septentrion, je monterai au faîte des nuées, je serai semblable au Très-Haut ! Mais tu as été précipité dans le séjour des morts, dans les profondeurs de la terre ! (Is.14,12-14).
Dieu commanda au prophète Ezéchiel de pleurer sur le roi de Tyr, que la Bible compare au chérubin déchu, et nomme d’ailleurs « chérubin » dans le texte cité par Saint Jean Cassien. Saint André de Crète et Saint Jean Cassien voient dans ce roi le principal ange déchu. C’est à lui que les pleurs inspirés du prophète font immédiatement penser : La parole du Seigneur me fut adressée en ces termes : fils d’homme, prononce une complainte sur le roi de Tyr ! Tu lui diras : Ainsi parle le Seigneur Adonaï, tu étais le sceau de la perfection, plein de sagesse et couronne de beauté ! Dans la douceur du Paradis de Dieu, tu étais couvert de toutes espèces de pierres précieuses, sardoine, topaze, diamant, chrysolithe, onyx, jaspe, saphir, escarboucle, émeraude, d’or étaient travaillées tes pendeloques et tes paillettes, tes greniers étaient déjà prêts le jour où tu fus créé. J’avais fait de toi un chérubin protecteur aux ailes déployées, tu étais sur la sainte montagne de Dieu, tu marchais au milieu des charbons ardents. Tu restas intègre dans tes voies depuis le jour où tu fus créé jusqu’au jour où l’iniquité fut trouvée en toi. La grandeur de ton commerce t’emplit de violence et tu péchas. Je t’ai précipité du haut de la montagne de Dieu et Je t’ai fait périr du milieu des charbons, chérubin protecteur ! Ton coeur s’est enorgueilli à cause de ta beauté, tu as corrompu ta sagesse à cause de ton éclat ! Je t’ai jeté à terre, je t’ai livré en spectacle aux rois pour la multitude de tes péchés, pour l’injustice de ton commerce. Tu as profané tes sanctuaires ! (Ez.28,11-18). Ces paroles du prophète ne sauraient en aucune façon être attribuées au roi de Tyr. Cette ville fut fondée par les païens et demeura en permanence dans l’iniquité. Il est donc impossible que son roi ait jamais été le sceau de la perfection, une couronne de beauté, ni qu’il ait été placé dans le Paradis parmi les chérubins.
Il ne doit pas paraître étrange que le Seigneur commande des pleurs pour l’ange déchu. Notre Dieu, dans son infinie bonté, nous révèle ainsi Sa très grande miséricorde et Sa compassion pour Sa créature perdue. L’homme lui-même, quand la grâce surnaturelle de l’Esprit Saint porte en lui une abondance de miséricorde, ne peut pas ne pas compatir pour toutes les créatures soumises à la perdition, fussent-elles les ennemis les plus endurcis du genre humain, c’est-à-dire les démons.
Leurré et endurci par son orgueil et sa présomption, le chérubin déchu séduisit et entraîna à sa suite une multitude d’anges, et parmi eux de nombreux anges des degrés supérieurs de la hiérarchie céleste. L’archistratège Michel s’éleva aussitôt contre satan révolté qui devenait librement le père et le chef du mal, et il y eut une guerre dans le ciel. Michel et ses anges combattirent contre le dragon. Et le dragon et ses anges combattirent mais ils ne furent pas les plus forts et leur place ne fut pas trouvée dans le ciel (Apo.12,7-8). Sa queue entraîna le tiers des étoiles du ciel et les jeta sur la terre (Apo.12,4). Le nombre des adeptes du séditieux est si important que l’Ecriture, qui compare ici les anges aux étoiles du ciel, évalue ceux qui se sont laissé entraîner par la queue du serpent (c’est-à-dire qui ont consenti à lui obéir) au tiers des astres célestes. Sur un signe de Dieu, satan fut précipité du haut du ciel avec ses adeptes. En même temps, les saints anges qui restaient fidèles à Dieu furent affermis dans le bien par la grâce divine, et devinrent complètement imperméables au mal, ce qui n’était pas le cas auparavant. Depuis lors, le combat entre les anges de lumière et les anges des ténèbres ne faiblit pas, car ces derniers, dans leur entêtement acharné, ne cessent de s’armer contre Dieu. La chute du diable fut instantanée et rapide : J’ai vu, dit le Verbe Eternel, satan tomber du ciel comme un éclair (Luc10,18). Pourtant, cette prompte déchéance ne lui fit pas prendre conscience de son impuissance ni de la toute-puissance de Dieu, tant son enténèbrement et sa chute intérieure étaient profonds. Privé de la grâce de Dieu, il perdit l’intégrité de sa propre nature et fut profondément détérioré, à tel point que les Ecritures le comparent aux animaux, et même au plus méchant et au plus rusé d’entre eux : le serpent. C’est ainsi qu’il est qualifié dans l’Ancien Testament et dans le Nouveau (Gen.3,1 ; Apo.12,9).
Après sa chute, le principal ange déchu devint le chef des esprits qu’il avait entraînés à la perdition, et ces derniers l’assistent depuis lors au royaume des ténèbres et du mal. Les divers dons naturels des anges de lumière perdurent chez les anges des ténèbres. Plus grands sont les dons, plus grand est le mal, car ces êtres sont uniquement tournés vers le mal. Les Pères enseignent que parmi les démons, on distingue le maître suprême, des princes, des subordonnés, des démons plus ou moins puissants, plus ou moins méchants. Satan est un mot hébraïque qui signifie ennemi ou adversaire; diable en est l’équivalent grec. Le mot grec démon signifie esprit ou génie, mais il ne s’emploie que pour désigner l’ange déchu. Ces mots correspondent tous au russe , .
Les anges des ténèbres expulsés du ciel s’installèrent au-dessous des cieux, en un lieu que l’Ecriture et les Pères appellent air. C’est pourquoi les habitants de cet espace s’appellent aussi esprits, puissances et princes des airs.
Le chef des anges déchus ne se borna pas à sa propre chute, il provoqua aussi celle de l’homme, à la suite de quoi sa situation se détériora encore plus : il fut en effet complètement rejeté, totalement étranger à tout bien et privé de toute possibilité de retour au bien.
Avant la chute d’Adam, il errait déjà en compagnie des autres démons dans le désert situé en dessous des cieux, en proie à un terrible et ténébreux vide intérieur dû à la privation de la grâce divine. Le premier couple humain, quant à lui, jouissait de la béatitude du Paradis. Dans Son ineffable miséricorde, Dieu permit à satan de pénétrer au Paradis afin de voir la béatitude des créatures nouvellement créées, et, si possible, de revenir à lui-même, de reconnaître son péché, de se repentir, constatant combien il avait été facile au Créateur de remplacer une créature devenue librement indigne par une créature raisonnable et fine. Le cas de l’ange déchu n’était donc pas à ce moment-là complètement désespéré. Malheureusement, lors de sa visite en Eden, il envia terriblement les hommes nouvellement créés, et s’employa à les faire sortir du Paradis pour les adjoindre, eux et leur descendance, à l’assemblée innombrable des démons. Son entreprise réussit, les hommes rejetèrent l’obéissance à Dieu, et se soumirent à leur meurtrier. Ce nom de meurtrier lui fut donné par les Saintes Ecritures parce que l’homme, immédiatement privé de la grâce divine après la chute, mourut par son âme. Ce nouvel état ne lui permettait plus de séjourner dans le Paradis. Une fois précipité sur la terre, maudite à cause de son péché, il se soumit au diable et engendra d’autres hommes dont l’âme fut également mise à mort par le démon, et qui se soumirent eux aussi à lui. Le châtiment infligé aux hommes à travers Adam est terrible ! Mais le châtiment de l’ange déchu, son meurtrier, fut encore plus terrible ! En effet, l’homme conserva encore l’espoir du salut, car il avait été trompé, et avait réalisé son péché juste après l’avoir commis. En revanche le diable, ce criminel conscient et endurci, perdit tout espoir de salut. Le Seigneur dit au serpent : Puisque tu as fait cela, tu seras maudit entre tout le bétail et entre tous les animaux des champs, tu marcheras sur ton ventre et tu mangeras de la poussière tous les jours de ta vie. Je mettrai l’inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité et sa postérité. Celle-ci t’écrasera la tête et tu lui blesseras le talon(Gen.3,14-15).
La première partie de cette sentence abaisse le diable au degré de la gent animale, c’est-à-dire qu’elle le prive de toutes ces pensées élevées qui conduisent les créatures raisonnables à la connaissance de leur destination. Toutes les forces de son être sont désormais dirigées vers le mal et la réussite criminelle du siècle présent. La pensée de sa chute lui est étrangère, il s’enorgueillit de son état, se réjouit de ses crimes, en ajoute sans trêve de nouveaux aux anciens, ne recule devant aucun méfait, complote la perte des hommes, progresse dans le blasphème et dans son animosité envers Dieu. Et pire, il s’en vante et s’en enorgueillit. Toute l’assemblée des démons partage son état, le reconnaît comme souverain absolu, et renie Dieu, le Véritable Souverain.
La seconde partie de la sentence n’est pas moins terrible pour l’orgueilleux esprit des ténèbres. Alors qu’il rêvait d’être l’égal de Dieu, il s’entend dire que sa victoire sur l’homme n’est pas complète, que l’inimitié est mise entre lui et le Fils de la Femme, et que la postérité de cet homme qu’il méprise lui écrasera la tête. Dans ce combat, toutes les chances de victoire tournent donc en faveur de l’homme, même si le diable garde encore la possibilité de gagner une bataille en blessant le talon de son adversaire. Sur la terre, la vue des serpents nous rappelle concrètement la malédiction prononcée par Dieu à l’encontre de l’antique serpent. Le Nouveau Testament qualifie le diable d’antique serpent, pour le distinguer des serpents terrestres qui finissent par disparaître de la surface de la terre par la mort. Cet antique serpent existe en effet immuablement jusqu’à présent. Pour sa mort éternelle, il attend le deuxième avènement du Christ.
Depuis la chute d’Adam, l’activité spirituelle des hommes est intimement liée à celles des anges déchus et des anges de lumière. L’homme est l’objet de leur combat incessant. Il se trouve constamment placé, pour ainsi dire, entre l’espoir de salut véhiculé par les saints anges et une éventuelle perdition complotée par les anges déchus.
A l’époque vétérotestamentaire, les saints anges veillaient déjà sur l’humanité prédestinée à la Rédemption, et tout particulièrement sur les hommes qui détenaient la véritable connaissance de Dieu. L’Archange Gabriel s’était vu confier Israël, le peuple élu de Dieu, dont il était le prince (Cf. Dan.10,21). Gabriel combattit en particulier aux côtés du peuple d’Israël contre les perses, qui s’étaient soulevés contre le peuple élu sous l’instigation d’un prince des anges déchus. On voit bien ici le combat commencé dans le ciel se poursuivre sur la terre.
Le livre du juste Tobit nous montre quelque chose d’analogue. Il s’agit cette fois de l’Archange Raphaël, qui fut envoyé par Dieu auprès de la pieuse famille de Tobit pour la tirer de la pauvreté et du malheur. Alors que ces pieux israélites étaient captifs à Ninive, il leur apparut sous l’aspect d’un jeune homme dénommé Azarias. Par la suite, il accompagna Tobie, fils de Tobit, jusqu’à Ecbatane, capitale des Mèdes, où se trouvait son parent Ragouël. L’ange aida Tobie à récupérer l’argent que son père avait prêté à Gabaël l’israélite, puis organisa le mariage de Tobie avec la vertueuse Sarra, fille unique du riche et pieux Ragouël. Il faut préciser que Sarra et ses parents vivaient depuis longtemps dans une grande tristesse : sept fois la jeune fille avait été mariée, et sept fois le démon qui la poursuivait avait tué son époux le soir même des noces. Une telle situation était d’autant plus insupportable qu’au temps de l’Ancien Testament, la stérilité et le célibat étaient considérés comme un déshonneur (souvenons-nous que Dieu avait promis à la femme que sa postérité écraserait la tête du serpent, et que cette promesse ne s’était pas encore réalisée). C’est bien plus tard, avec le Dieu-Homme et la Mère de Dieu, que la virginité devint, pour les deux sexes, un état dépassant de beaucoup le mariage... Raphaël lia donc le démon et permit à Tobie de le chasser en Haute Egypte. Tobie et son père, ainsi comblés de bienfaits, voulurent rétribuer le jeune et vertueux Azarias, qui leur dévoila sa véritable identité. Nous rapportons ici une partie de leur entretien, pour illustrer de façon instructive l’aide apportée par les saints anges aux hommes pieux : Bénissez-le Seigneur, célébrez-Le devant tous les vivants pour le bien qu’Il vous a fait, leur dit Raphaël, le sage en Dieu. Bénissez et chantez Son Nom ! Faites connaître à tous les actes de Dieu comme ils le méritent, et ne vous lassez pas de Le remercier ! Il convient de garder les secrets du roi, mais il faut révéler et publier les oeuvres de Dieu. Remerciez-Le dignement ! Faites le bien, et le malheur ne vous atteindra pas ! Mieux vaut la prière alliée au jeûne et à l’aumône que la richesse et l’iniquité ! Il est préférable de faire l’aumône que d’accumuler son or. L’aumône sauve de la mort et purifie de tout péché. Ceux qui font l’aumône sont rassasiés de jours. Ceux qui pèchent et font le mal se font tort à eux-mêmes. Je vous dirai toute la vérité sans rien vous cacher : je vous ai déjà enseigné qu’il convient de garder le secret du roi, mais qu’il faut révéler dignement les oeuvres de Dieu. Apprenez donc que lorsque vous étiez en prière, toi et Sarra, c’était moi qui présentais et lisais vos suppliques devant la gloire de Dieu, et de même lorsque tu enterrais les morts. Quand tu n’as pas hésité à te lever et quitter la table pour aller ensevelir un mort, je fus envoyé pour éprouver ta foi, et Dieu m’envoya en même temps te guérir, toi et ta belle-fille Sarra. Je suis Raphaël, l’un des sept anges qui se tiennent toujours prêts à se présenter devant la gloire du Seigneur ! (Tob.12,6-21).
Le saint Apôtre Jude nous offre un autre témoignage : l’Archange Michel eut une conversation avec le diable au sujet du corps de Moïse. Lors de cette conversation, il n’osa pas porter contre lui de jugement ni lui adresser un reproche, mais il lui dit : que le Seigneur te réprime ! (Jude 9).
A travers ces paroles des Archanges Raphaël et Michel, on comprend que les anges de lumière, dans leur combat contre les anges des ténèbres, utilisent la même arme que les hommes contre leurs ennemis invisibles : Dieu. Les armes avec lesquelles nous combattons ne sont pas charnelles, mais elles sont puissantes par la vertu de Dieu (2Cor.10,4).
Tous les justes de l’Ancien Testament, indépendamment de leur époque, ont cru au concours des saints anges. Envoyant son esclave en Mésopotamie pour trouver une épouse digne de son fils Isaac, le saint Patriarche Abraham, père des croyants, déclara : Le Seigneur Dieu du ciel Qui m’a fait sortir de la maison de mon père et de ma patrie, Qui m’a parlé et a juré en disant « Je donnerai ce pays à ta postérité ! », Lui-même enverra Son ange devant toi ! (Gen.2,7). Aussi juste que son grand-père Abraham, le Patriarche Jacob, prophétisant et bénissant les deux fils de Joseph, déclara à son tour : Que l’ange qui m’a délivré de tout mal bénisse ces enfants ! (Gen.48,16). Plus tard, l’ange de Dieu se plaça entre les israélites et l’armée égyptienne, et les cacha d’elle (Ex.14,19). Voici, annonça le Seigneur au peuple israélite : J’envoie un ange devant toi pour te protéger en chemin ! (Ex.23,20). Et le Saint prophète David de chanter : l’ange du Seigneur établira son camp autour de ceux qui Le craignent et il les délivrera ! (Ps.33,8). David chante le combat des anges de lumière contre les anges des ténèbres qui s’efforcent de débaucher l’homme et de le perdre, lui soufflant des conseils iniques et mauvais, tellement pénibles pour l’âme : Qu’ils rougissent et soient confondus, ceux qui cherchent mon âme, qu’ils reviennent en arrière et soient couverts de honte ceux qui ruminent le mal contre moi ! Qu’ils soient comme la poussière que le vent emporte et que l’ange du Seigneur leur apporte la tribulation ! Que leur chemin soit ténébreux et glissant et que l’ange du Seigneur les poursuive ! (Ps.34,4-7).
Après la chute du premier homme, les saints anges n’eurent de cesse de compatir pour l’humanité souffrante, et de lui apporter leur aide. Les démons, au contraire, mirent tout en oeuvre depuis le début pour accentuer les effets de la chute, et pour nuire à chaque homme pieux en particulier, et à l’humanité en général. On peut d’ailleurs remarquer que tel était bien leur droit, car c’est volontairement que l’homme s’était soumis à eux. L’ennemi qui jadis séduisit Adam et le prit en son pouvoir, dit Saint Macaire le Grand, priva l’homme de son ancienne puissance et fut déclaré « prince de ce monde ». Mais au commencement, c’était l’homme que Dieu avait établi comme « prince de ce monde » et maître du monde visible. Depuis lors, le diable est donc nommé « prince de ce monde » hostile à Dieu qu’il nous est recommandé de rejeter. Le roi des ténèbres, prince de ce monde, captura l’homme qui s’était volontairement soumis à lui et s’était placé dans les rangs des adversaires de Dieu, revêtit et entoura son âme, dit Saint Macaire, des liens ténébreux de son pouvoir, exactement comme l’homme se revêt habituellement de ses habits. Il couvrit entièrement l’âme du péché, la souilla et se la soumit entièrement. Il captura absolument tout, l’esprit, les pensées, le corps et ses perceptions, le coeur et ses sentiments, soumettant tout à son pouvoir.
Bien qu’il eut précipité l’homme, cette nouvelle créature, dans un terrible malheur, le diable fut incapable de faire quoi que ce soit contre le Créateur Lui-même, car la Perfection ne peut en rien être soumise aux influences et bouleversements qui touchent la créature. Le diable resta donc ce qu’il avait toujours été, une créature entièrement soumise à son Créateur, Qui, dans son insondable providence, ne le détruisit pas. Il l’épargna, lui et la cohorte de ses complices, le laissa dans sa chute et continua jusqu’à aujourd’hui à le supporter.
Plus encore, le diable devint l’instrument du Créateur, même s’il croit dans sa cécité agir contre Lui. L’intention est mauvaise, mais le mal finit toujours par servir le bien. Le diable est devenu l’instrument qui éprouve l’homme : grâce à lui, ceux qui aiment Dieu sont séparés de ceux qui préfèrent le péché. Dieu donna jadis dans le Paradis le commandement de ne pas goûter à l’arbre de la connaissance du bien et du mal : ce commandement n’a pas été aboli ! Comme tous les commandements de Dieu, il est immuable. Jusqu’à aujourd’hui, il éprouve l’homme. Le diable poursuit sans relâche l’humanité et lui suggère constamment de goûter au fruit défendu, parfois avec violence, ayant obtenu le droit d’agir ainsi le jour où l’homme s’est soumis à lui. Il ne cesse de cultiver chez l’homme des pensées pécheresses et mondaines, allumant l’incendie des passions. Le chérubin déchu tient toujours dans sa main l’arme flamboyante, et l’arbre de vie (c’est-à-dire le bien qui n’est pas du tout entaché de mal) est inaccessible à l’homme, par un juste jugement de Dieu.
En outre, par ce juste jugement, les âmes des hommes qui vécurent avant la Rédemption quittaient leur corps et descendaient toutes en enfer, quelque fût leur vertu. Aucune d’elles ne pouvait traverser les espaces aériens, domaine des démons, pour accéder au Paradis. Les démons les saisissaient une par une comme un héritage légal, et les conduisaient en enfer.
Après l’expulsion du Paradis, nos ancêtres vécurent sur la terre (maudite à cause de leur crime), et très rapidement se développa une humanité hostile à Dieu, servante du diable. Les hommes justes comprenaient que la terre était un lieu d’exil. Ils y résidaient pour un laps de temps occupé à la reconquête de la bienheureuse éternité par le repentir. Mais ceux qui aimaient le péché vécurent sur la terre pour la jouissance, négligeant l’éternité, jusqu’à perdre même la juste connaissance de cette éternité. Il faut remarquer que cette connaissance faussée de l’éternité est justement le point de départ de l’asservissement au diable. Sachant que c’est là précisément qu’il allait trouver l’assise de sa puissance, le diable y consacra toute son énergie. Il soutint par l’orgueil tous les abus des hommes. Suivant les enseignements du diable et la pente de leur propre chute, les hommes transformèrent dans tous les domaines l’utile et le naturel en superflu et contre nature. Les forces devaient être soutenues par un juste usage de la nourriture, mais on inventa la gloutonnerie, l’ivrognerie, les festins coûteux, le faste des mets et des boissons. Et quelle gloire n’ont-ils pas acquise dans le monde aujourd’hui ! Au lieu de l’indispensable et légitime union des sexes pour perpétrer le genre humain, apparurent l’adultère et l’insatiable volupté, et le monde s’en glorifie ! Au lieu des vêtements destinés à couvrir la nudité, des demeures conçues pour se protéger des éléments, apparurent les palais grandioses et luxueux, les objets précieux, et le monde s’en glorifie ! Aveuglés par l’orgueil, les hommes devinrent des conquérants capables de passer au fil de l’épée des régions entières et de verser des torrents de sang, et le monde stupide, pétri de vanité, glorifie ces calamités ! En un mot, le monde fête son triomphe et célèbre sa cruelle perdition et son assujettissement au diable ! On a qualifié de « génies » les hommes qui se sont distingués dans cette « réussite » du monde : certains sont entrés en communication avec d’autres génies, les démons, et avec leur aide et leur inspiration, ont mené à terme leurs entreprises malheureuses. La jouissance des passions devint pour l’homme le sommet de la béatitude, et ils divinisèrent le péché et son chef, le diable. C’est ainsi qu’apparut le paganisme qui représenta chaque péché sous les traits d’une idole à qui on offrait l’adoration. Non content d’asservir secrètement les hommes par des pensées cachées, le prince de ce monde entra ouvertement en communication avec eux en prononçant des « prophéties » par l’intermédiaire des idoles, avec le concours de devins, de magiciens, et autres malfaiteurs déterminés. Le leurre était entretenu par les faux miracles et prophéties des démons. La victoire de l’ange des ténèbres paraissait vraiment totale.
Lorsque nos ancêtres furent chassés du Paradis, ils gardaient encore la véritable connaissance de Dieu et la transmirent à leur postérité. Ils vécurent sur la terre comme dans un lieu d’exil, ne thésaurisant que le seul repentir. Mais par la suite, tous les hommes furent petit à petit attirés par le monde. Le nombre des véritables adorateurs de Dieu diminua à l’extrême. La religion du peuple élu perdit de sa force, se limitant à l’accomplissement extérieur des rites et des traditions ancestrales, abandonnant les commandements de Dieu. La vision du véritable culte devenant erronée, le peuple élu des juifs devint le peuple des fils du diable, comme le Seigneur l’a dit Lui-même : Vous avez pour père le diable (Jn.8,44). Les juifs s’approprièrent les faux jugements du diable et se mirent à aimer le monde. Vous avez pour père le diable et vous voulez accomplir les désirs de votre père. Il était meurtrier dès le commencement et il ne se tient pas dans la vérité parce qu’il n’y a pas de vérité en lui. Lorsqu’il profère un mensonge, il parle de son propre fonds, car il est menteur et père du mensonge (Jn.8,44). Du temps de l’Ancien Testament, les adorateurs du vrai Dieu, ceux qui voulaient Lui être fidèle, rejetaient les pensées du diable et n’aimaient pas le monde. Ils passaient leur vie terrestre en se limitant à l’indispensable. David, dans son admirable inspiration, décrit tout cela : Seigneur, mon coeur ne s’est pas rempli d’orgueil et mes yeux ne se sont pas levés. Je n’ai pas pris un chemin de grandeurs ni de merveilles qui me dépassent (Ps.130,1). Avant d’être humilié, j’ai péché (Ps.118,67). J’ai été humilié à l’extrême (Ps.118,107). C’est bien pour moi que Tu m’aies humilié, pour que j’apprenne Tes jugements (Ps.118,71). Un coeur broyé et humilié, Dieu ne le méprise point (Ps.50,19). Les douleurs de la mort m’ont environné et les périls de l’enfer sont venus à moi, j’ai trouvé la tribulation et la douleur et j’ai invoqué le Nom du Seigneur (Ps.114,3-4). Mes ennemis parlent méchamment contre moi : quand va-t-il mourir ? Et quand périra son nom ? (Ps. 34,13). Toutes les nations m’ont entouré mais au Nom du Seigneur, je les ai repoussées ; elles m’ont environné comme des abeilles et elles ont brûlé comme le feu dans les épines mais au Nom du Seigneur je les ai repoussées. On m’a poussé et ébranlé pour m’abattre mais le Seigneur m’a secouru. Le Seigneur est ma force et mon chant et Il s’est fait mon salut (Ps.117,10-14). Eloignez-vous de moi, vous tous qui commettez l’iniquité, car le Seigneur a exaucé la voix de mes larmes. Le Seigneur a exaucé ma supplication, le Seigneur a accueilli ma prière (Ps.6,9-10). Rentre, ô mon âme, dans ton repos, car le Seigneur t’a comblée de biens, car Il a délivré mon âme de la mort, mes yeux des larmes, mes pieds de la chute. Je veux plaire au Seigneur dans la terre des vivants (Ps.114,7-9). Il est clair que le saint roi David ne se permettait ni luxe, ni jouissance mondaine, ni orgueilleuse présomption. Ayant compris le sens de la vie terrestre, il la passa dans le combat contre les pensées pécheresses et les entreprises démoniaques. Il s’arma contre elles avec l’humilité, les pleurs, le jeûne, les haillons, les longues prières ferventes, la foi dans le Rédempteur à venir. Son armement était pointé contre le diable qui écarte sans cesse le souvenir de Dieu. Notre ennemi s’efforce en permanence de transformer la terre, pays de notre exil, de nos pleurs et de notre repentir, en contrée de triomphes, de fêtes, de jouissances, de magnificence, de faste, afin que l’homme vaincu vive ici-bas dans l’allégresse des vainqueurs, renforçant ainsi sa défaite et sa captivité.
Au moment de la venue du Christ, le triomphe de l’ange des ténèbres sur l’humanité déchue semblait totalement consommé et sa domination bien assise. Dans sa cécité orgueilleuse, l’esprit déchu ne s’intéressait qu’à la réussite présente, oubliant de prêter attention à l’avenir qui l’attendait. Tel est l’état des malfaiteurs déterminés et endurcis : jouissant des méfaits accomplis, ils ne pensent pas aux châtiments qui les menacent. Tous les peuples de la terre étaient plongés dans une profonde méconnaissance de Dieu, ils adoraient l’ange déchu à travers le paganisme et la vie qui l’accompagne, et se sacrifiaient entièrement à lui. Un seul peuple, faible et peu nombreux, qui s’était vu confier la garde de la véritable connaissance de Dieu et son adoration, vivait encore dans un semblant de piété très affaiblie, lui substituant secrètement le service des passions pécheresses, du monde et du diable. Cette piété n’était en réalité qu’un masque couvrant l’impiété et la communion avec l’ange déchu, communion si profonde qu’elle déboucha sur l’accomplissement du déicide. Et c’est pourtant pendant cette période malheureuse de l’histoire de l’humanité, période de la domination péremptoire des démons, qu’apparut soudain sur la terre le Lignage de la Femme qui, selon le décret divin prononcé au Paradis après la chute des premiers hommes, devait écraser la tête de l’antique serpent.
Quant eut lieu le très grand mystère de l’Incarnation du Dieu-Verbe, les saints anges en furent tout de suite de pieux et ardents défenseurs. Tout d’abord l’Archange Gabriel annonça à Zacharie que lui naîtrait le Précurseur du Seigneur, Jean. Six mois après la conception de Saint Jean Baptiste, ce même Archange Gabriel annonça la bonne Nouvelle à la Toute-Sainte Vierge Marie. Quelle grande joie pour les hommes et les anges : la conception du Dieu-Homme par la Vierge pleine de grâce ! L’ange apparut en songe au juste Joseph, fiancé de la Mère de Dieu, pour lui annoncer la conception par l’Esprit Saint, et lui ordonner de donner au Fils qui allait naître le Nom de Jésus. Quand cette naissance ardemment attendue eut lieu à Bethléem, l’ange s’approcha de nuit des pieux et humbles bergers qui veillaient non loin de là sur leurs troupeaux et leur dit : Je vous annonce une Bonne Nouvelle, qui sera le sujet d’une grande joie pour tous les peuples : aujourd’hui, dans la ville de David, il vous est né un Sauveur Qui est le Christ et le Seigneur. Et voici à quel signe vous le reconnaîtrez : vous trouverez un enfant emmailloté et couché dans une crèche. Comme l’ange finissait de parler, une multitude de l’armée céleste apparut soudain, chantant les louanges de Dieu : Gloire à Dieu au plus haut des Cieux, et paix sur la terre, la Bienveillance est parmi les hommes ! Quelles paroles merveilleuses dans ce chant angélique ! (Luc2,8-14). Plus tard, l’ange ordonna à Joseph de fuir en Egypte avec l’Enfant-Dieu nouveau-né et Sa Mère, pour échapper aux intentions meurtrières d’Hérode. Ce fut encore lui qui ordonna le retour en Judée et l’installation à Nazareth, petite ville inconnue de Galilée (Mt.2,19-20). Pendant que le Seigneur et Fils de Dieu était présent sur la terre dans Sa chair, les anges de Dieu montaient et descendaient sans relâche pour Le servir (Jn.1,51).
C’est avec un terrible acharnement que l’ange déchu se dressa contre le Verbe Incarné. Le fait que Dieu ait assumé l’humanité fut un véritable et très grand triomphe du bien, et ce fut aussi un triomphe pour les hommes. Mais pour le diable orgueilleux qui méprisait l’humanité asservie et terrassée, l’union de la Divinité avec l’humanité fut un choc insupportable. Il s’arma personnellement contre le Dieu-Homme, et arma contre Lui ses instruments, les hommes qui lui étaient dévoués. Il osa se présenter devant le Seigneur et le tenter par la gourmandise, la vaine gloire et les biens temporels, et osa même exiger de Lui qu’Il l’adorât. Les exorcismes et grands miracles du Seigneur lui prouvèrent la réalité de l’Incarnation du Fils de Dieu, et les démons Le confessèrent ouvertement. Mais la méchanceté qui enténébrait totalement le diable le conduisit au méfait suprême. Il déversa son poison dans les coeurs des juifs que l’Esprit Saint avait appelés avec justesse assemblée de satan et leur enseigna à rejeter, persécuter et condamner à un honteux châtiment le Dieu-Homme. Au malheureux Judas, il apprit à trahir son Maître et Seigneur.
Après tout cela, satisfaction fut donnée à la justice de Dieu pour les péchés de l’humanité par la mort du Seigneur sur la Croix, et l’humanité fut ainsi rachetée de sa captivité au péché. Le pouvoir que l’ange déchu s’était acquis en poussant nos ancêtres à la transgression du commandement lui fut arraché. Maintenant a lieu le jugement de ce monde, maintenant le prince de ce monde sera jeté dehors. Et Moi, quand J’aurai été élevé de terre, J’attirerai tous les hommes à Moi ! Parlant ainsi, Il indiquait de quelle mort Il devait mourir (Jn.12,31-33). Et le prince de ce monde fut vraiment privé de sa domination...