vendredi 19 décembre 2008

MALHEUR.... AU LIEU PRIVE DE LUMIERE




( Trésor spirituel de Saint Tikhon de Zadonsk)


Malheur au lieu privé de lumière ! Les hommes y errent comme des aveugles, sans distinguer l'utile du nuisible; on y trébuche, on y tombe, on y rencontre toutes sortes de calamités, de maux et de nuisances. Malheur surtout aux âmes privées de la véritable Lumière, le Christ ! Elles n’abritent que les ténèbres, l'ombre de la mort, les malheurs, la misère et la perdition ! « Je suis la Lumière du monde, celui qui Me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie » (Jn.8,12). « Réveille-toi, toi qui dors, relève-toi d'entre les morts et le Christ t'éclairera »(Eph.5,14).
Malheur à la maison dont le maître n'est pas raisonnable ! Il y règne toute sorte de désordre ! Malheur surtout aux âmes que n'habite pas le Christ, tel un Maître de maison ! On y voit du trouble et du désordre, c'est le repaire de divers esprits méchants.
Malheur au navire qui n'a pas de bon timonier, car il est près du naufrage ! Malheur surtout à l'âme qui navigue sur l'océan de ce monde, sans avoir le Christ pour sage pilote, car elle aussi s'approche du naufrage! « Si quelqu'un n'a pas l'Esprit du Christ, il ne Lui appartient pas! »(Rom.8,9).
Malheur aux gens qui n'ont ni pain ni eau, car ils meurent de faim et de soif ! Malheur surtout aux âmes qui sont privées du pain de vie, Jésus-Christ, car elles dépériront et devront mourir. « Je suis le pain de vie...Le pain de Dieu, c'est celui qui descend du ciel et donne la vie au monde »(Jn.6). « Celui qui boira de l'eau que Je lui donnerai n'aura jamais soif, et l'eau que Je lui donnerai deviendra en lui une source qui jaillira jusque dans la vie éternelle »(Jn.4,14). Le corps est nourri par le pain et désaltéré par l'eau, sans eux il s'affaiblit et meurt. Le Christ est la véritable nourriture et la véritable boisson de l'âme, par lesquelles elle s'anime et vit. Sans cette nourriture et cette boisson, elle s'affaiblit et meurt.
Celui qui n'a pas l'Esprit du Christ n'a pas le Christ et la vie du Christ se manifeste chez celui en qui Il demeure. Avec cette vie apparaissent l'humilité, l'amour, la patience et la douceur. Le Christ ne peut pas demeurer dans l'homme sans que cela ne produise d'effet: infailliblement, naissent les oeuvres que le Christ désire. De la même façon, le soleil ne peut pas briller sans darder ses rayons, un poêle ne peut pas chauffer sans dégager de chaleur, un bon arbre ne peut pas pousser sans porter de doux fruits. Si le Christ, qui est la lumière de la vie, demeure en quelqu'un, Sa lumière apparaît aussi chez cette personne, les ténèbres sont chassées, et les oeuvres obscures ne se font pas jour. Si le Christ, qui est un feu purificateur, demeure en quelqu'un, cette personne diffuse la chaleur de l'amour et de la miséricorde. Si le Christ, qui est l'humble et très doux agneau de Dieu, demeure en quelqu'un, en cette personne naissent Son humilité, Sa douceur et Sa patience. Si le Christ, qui est l'arbre de vie, croît en quelqu'un, alors Il lui fait porter de doux fruits, car tel est l'arbre, tels sont les fruits.
Celui qui est uni au Christ comme un membre au corps, ou comme un sarment au cep, celui-là porte des fruits semblables à ceux du Christ. La présence du Christ dans l'homme ne peut pas être sans effet, elle s'exprime par des mouvements spirituels et par les actes qui leur correspondent. Chrétiens, tournons-nous donc de tout notre coeur vers le Christ, soupirons et pleurons devant Lui, repentons-nous avec un coeur broyé, prions-Le avec ferveur de venir vers les pécheurs que nous sommes, de demeurer en nous par la foi, et de Lui appartenir; demandons sans relâche, cherchons et frappons aux portes de Sa miséricorde, « jusqu'à ce que le Christ soit formé en nous » (Gal.4,19).

samedi 13 décembre 2008

DE LA CRAINTE DE DIEU ET DE L'AMOUR DE DIEU




Essai ascétique
de Saint Ignace Briantchaninov, Evêque du Caucase et de la Mer Noire


Dieu a instauré clairement et simplement le service que l'homme Lui doit. Cependant, nous sommes devenus si compliqués, si malins, si étrangers à l'intelligence spirituelle, que nous ne savons pas servir Dieu avec justesse et d'une façon qui Lui soit agréable, sans être guidés et instruits avec soin. Bien souvent, nous nous mettons à servir Dieu en nous opposant à Sa volonté, apportant à nos âmes bien plus de nuisance que de bien. C'est ainsi que certains, ayant lu dans la Sainte Ecriture que l'amour est la plus grande des vertus (1Cor.13,13), ou encore que Dieu est Amour (1Jn.4,8), s'efforcent de développer dans leur coeur un sentiment d'amour, de le mélanger à leurs prières, à leurs pensées sur Dieu, et à toutes leurs actions.
Dieu se détourne d'une telle impureté. Il exige l'amour de l'homme, mais un amour véritable, spirituel et saint, et non une rêverie charnelle souillée d'orgueil et de volupté. Seul un coeur purifié et sanctifié par la grâce divine peut aimer Dieu. Un tel amour est un don de Dieu, répandu par l'Esprit Saint dans les âmes de Ses véritables serviteurs (Rom.5,5). Bien au contraire, l'amour "naturel" au genre humain est détérioré par le péché, il a entièrement contaminé chaque homme. Il serait vain pour nous de tenter de servir Dieu ou de s'unir à Lui par un tel amour ! Dieu est saint et Il ne repose que sur les saints. Par ailleurs, Dieu est libre: l'homme ne peut L'accueillir si Dieu n'a pas la volonté de résider en lui, quand bien même l'homme ferait tous les efforts possibles dans ce sens, mettant en avant le fait qu'il a été créé dans le but que Dieu vienne habiter en lui, qu'il est le temple de Dieu (1Cor.3,16). Ce temple est dans un triste état d'abandon, il a besoin d'être renouvelé avant d'être consacré.
La tendance prématurée de développer en soi le sentiment d'amour pour Dieu est déjà un leurre. Elle écarte immédiatement l'homme du juste service de Dieu, l'introduit dans diverses erreurs, et conduit à la maladie, puis à la perdition de l'âme. Nous prouverons tout ceci en nous appuyant sur la Sainte Ecriture et sur les écrits des Pères. Nous montrerons que le cheminement vers le Christ commence et se termine par la crainte de Dieu. Nous établirons enfin que l'amour de Dieu est le bienheureux repos en Dieu que trouvent ceux qui ont mené à son terme le voyage invisible vers Lui.
On sait que l'Ancien Testament présente l'ombre de la vérité; les événements concernant l'homme extérieur sont des figures de l'homme intérieur du Nouveau Testament. Le Lévitique, par exemple, expose le terrible châtiment auquel furent soumis Nadab et Abihu, deux fils d'Aaron et sacrificateurs du peuple. « Ils prirent chacun un brasier, y mirent du feu et posèrent du parfum dessus. Ils apportèrent devant l'Eternel du feu étranger, ce qu'Il ne leur avait point ordonné. Alors le feu sortit de devant l'Eternel et les consuma; ils moururent devant l'Eternel » (Lev.10,1-2). Le feu étranger dans le brasier des sacrificateurs israélites représente l'amour de la nature déchue, devenu étranger à Dieu. Le châtiment des sacrificateurs téméraires figure la mise à mort de l'âme qui apporte avec impudence à Dieu une impure concupiscence. Une telle âme est frappée par la mort, elle périt dans le leurre et le feu des passions. Au contraire, le feu saint, qui seul est utilisé dans les offices divins, est une image de l'amour accordé par la grâce; il provient, non de la nature déchue, mais du tabernacle du Seigneur. « Quand le feu vient résider dans le coeur, il ressuscite la prière; et quand celle-ci se sera réveillée et sera montée au ciel, il se fera une descente du feu dans le cénacle de l'âme » (L'Echelle Sainte 28,48). « Voici, vous tous, qui allumez un feu (c'est-à-dire qui vous laissez guider dans votre vie), et qui êtes armés de torches, (de la nature déchue au lieu de les éteindre), allez au milieu de votre feu (dans le feu et les flammes de l'enfer) et de vos torches enflammées (par une injuste et criminelle action à l'intérieur de vous-mêmes) » (Isaïe 50,11).
Le Nouveau Testament enseigne la même chose dans la parabole du festin des noces. Celui qui s'est introduit au festin sans revêtir l'habit de noces, bien qu'ayant été appelé, a entendu le roi dire à ses serviteurs: « Liez-lui les pieds et les mains et jetez-le dans les ténèbres extérieures »(Mt.22,13). Lier les pieds et les mains signifie ôter toute possibilité de réussite spirituelle. C'est ce qui advient en effet à celui qui a pris une mauvaise direction, et qui, encore dans l'état de pécheur, se précipite vers l'amour qui unit à Dieu, sans se purifier par le repentir. La chute dans les ténèbres extérieures signifie ici la chute de l'esprit et du coeur dans l'erreur et le leurre de soi-même: dans cet état, chaque pensée, chaque sensation, est totalement enténébrée et hostile à Dieu. Les serviteurs auxquels un homme ainsi enténébré est livré sont les démons. Ces derniers, bien qu'animés d'une haine féroce contre Dieu, n'en demeurent pas moins Ses serviteurs, en raison de Sa sagesse et de Sa puissance illimitée; ils ne prennent possession que de ceux qui ont fait un mauvais usage de leur libre arbitre. Ceux qui ont emprunté une direction interdite par Dieu (par exemple les présomptueux et les désobéissants) tombent ainsi en leur pouvoir.
Le saint amour est exalté et glorifié par les Saintes Ecritures. L'Apôtre Paul, après avoir énuméré les dons du Saint Esprit, le don des miracles, de prophétie, de discernement des esprits et le don des langues, nous dit: « Aspirez aux dons les meilleurs, et je vais encore vous montrer une voie par excellence »(1Cor.12,31). Qui est-ce qui peut être supérieur au prophète, au thaumaturge, à celui qui parle des langues étrangères par don de l'Esprit Saint et non par simple apprentissage humain? Le grand Paul répond: « Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n'ai pas la charité, je suis un airain qui résonne ou une cymbale qui retentit. Et quand j'aurais le don de prophétie, la science de tous les mystères et toute la connaissance, quand j'aurais même toute la foi jusqu'à transporter des montagnes, si je n'ai pas la charité, je ne suis rien (...) La charité ne périt jamais. Les prophéties prendront fin, les langues cesseront, la connaissance disparaîtra. Car nous connaissons en partie et nous prophétisons en partie, mais quand ce qui est parfait sera venu, ce qui est partiel disparaîtra »(1Cor.13,1-3,8-10). Le seul véritable indice qui atteste que l'Esprit Saint nous a accordé de parvenir à l'amour, c'est Sa présence même en nous. Que celui qui n'est pas devenu le temple de l'Esprit Saint ne se leurre pas, il ne peut pas être la demeure de l'amour, il lui est même étranger. L'amour se répand dans le coeur en même temps que l'Esprit Saint, dont il est la caractéristique. « Celui qui acquiert l'amour, celui-là en même temps, revêt Dieu Lui-Même » (Saint Isaac le Syrien).
Il se peut qu'à cela l'on rétorque: « Nous sommes chrétiens, nous sommes renouvelés par le saint baptême qui guérit tous les maux de la nature déchue, qui renouvelle l'image et la ressemblance à Dieu dans leur beauté première, qui implante en nous l'Esprit Saint et l'amour, en même temps qu'il supprime toute détérioration ». Certes ! Cependant la grâce du renouvellement et de la régénération accordée par le saint baptême a besoin d'être entretenue par une vie selon les commandements évangéliques. Le Seigneur a d'ailleurs dit: « Si vous gardez Mes commandements, vous demeurerez dans Mon amour. Demeurez en Moi et Je demeurerai en vous. Comme le sarment ne peut de lui-même porter du fruit s'il ne demeure attaché au cep, ainsi vous ne le pouvez non plus si vous ne demeurez en Moi... Si quelqu'un ne demeure pas en Moi, il est jeté dehors comme le sarment et il sèche; puis on ramasse les sarments et on les jette dans le feu et ils brûlent »(Jn.15). Celui qui ne retient pas ce qu'il a acquis par le saint baptême en menant une vie selon les commandements perdra son acquis. « La gloire ineffable et effrayante accordée par le saint baptême demeure en nous un ou deux jours; ensuite nous l'éloignons en amenant sur elle la tempête des soucis de la vie, voilant ses rayons sous des nuages épais » (Saint Jean Chrysostome). Régénérés par le saint baptême, nous nous mettons à nouveau à mort par une vie selon la chair, une vie pour le péché, les jouissances et les acquisitions terrestres. « Nous ne sommes pas redevables à la chair pour vivre selon la chair. Ceux qui vivent selon la chair ne sauraient plaire à Dieu. L'affection pour la chair, c'est la mort »(Rom.8). La grâce du baptême reste ainsi sans effet, comme un soleil lumineux voilé par des nuages, comme un précieux talent enfoui dans la terre. Le péché commence à agir en nous avec toute sa force, et peut-être encore davantage qu'avant le baptême, selon ce que nous lui concédons. Mais, jusqu'à notre mort, le trésor spirituel qui nous a été donné ne nous est pas repris, et nous pouvons, par le repentir, lui redonner toute la force de sa gloire.
Se repentir de notre vie de péché, regretter nos péchés volontaires et involontaires, combattre nos habitudes pécheresses, s'efforcer de les vaincre, s'attrister d'avoir été vaincus contre notre gré, faire notre possible pour accomplir tous les commandements évangéliques, voilà notre destin. Il nous appartient d'obtenir le pardon de Dieu, de nous réconcilier avec Lui, d'effacer l'infidélité par la fidélité, de haïr le péché au lieu de l'aimer. Le saint amour est l'héritage de ceux qui se sont réconciliés. Ce n'est pas tant nous qui le cherchons, que Dieu qui cherche à nous rendre capables de le recevoir, puis à nous le donner.
Après avoir dénoncé le leurre de celui qui, par présomption et cécité spirituelle, est satisfait de lui-même, après l'avoir appelé à un repentir fervent, le Seigneur lui adresse les promesses et la consolation suivante: « Voici, Je me tiens à la porte et Je frappe. Si quelqu'un entend Ma voix et ouvre la porte, J'entrerai chez lui, Je souperai avec lui et lui avec Moi. Celui qui vaincra, Je le ferai asseoir avec Moi sur Mon trône, comme Moi J'ai vaincu et Me suis assis avec Mon Père sur Son trône »(Apoc.3,20-21). Voici ce que dit le saint Amour. Le sentiment d'amour que s'attribue le pécheur qui ne cesse de se noyer dans ses péchés, sentiment qu'il s'attribue orgueilleusement en opposition avec la nature, n'est rien d’autre qu'un jeu de sentiments, mensonger et forcé, création irresponsable de la rêverie et de la présomption. « Quiconque pèche ne L'a pas vu et ne L'a pas connu »(1Jn.3,6), Lui qui est Amour.
Tournons-nous vers les habitants des déserts, des cavernes, des antres de la terre, vers ceux dont le monde n'était pas digne, les saints moines qui pratiquaient la science des sciences apportée du ciel par le Seigneur. Cette science n'est autre que la connaissance de Dieu, et par l'intermédiaire de cette connaissance authentique acquise par l'expérience, la connaissance de l'homme. Les sages de ce monde ont oeuvré et oeuvrent encore en vain pour acquérir cette connaissance, s'appuyant sur leur propre intelligence enténébrée par la chute. Car ici, c'est la lumière du Christ qui est nécessaire ! C'est uniquement dans cette lumière que l'homme peut voir Dieu et se voir lui-même. Illuminés par cette lumière, les saints ermites oeuvrent dans le champ de leur coeur et y trouvent la perle de grand prix: l'amour de Dieu. Dans leurs écrits divinement inspirés, ils nous mettent en garde contre les malheurs qui suivent habituellement une recherche prématurée de l'amour. Parmi eux, Saint Isaac le Syrien exprime ceci avec une clarté toute particulière. Citons quelques extraits de son témoignage si utile pour l'âme.
« Le très-sage Seigneur a bien voulu que nous mangions notre pain spirituel à la sueur de notre front. Il a instauré ceci, non par méchanceté, mais pour que nous ne subissions pas une indigestion qui nous conduise au trépas. Chaque vertu est la mère de celle qui la suit. Si tu laisses de côté la mère qui donne naissance aux vertus, et te précipites pour chercher les filles avant d'avoir acquis la mère, ces dernières deviendront des vipères pour ton âme. Si alors tu ne les rejettes pas loin de toi, tu mourras sans tarder. L'intelligence spirituelle naît naturellement de la pratique des vertus. L'une et l'autre sont précédées par la crainte et l'amour. Quiconque affirme sans vergogne que l'on peut acquérir ce qui suit sans s'exercer auparavant à ce qui précède a posé, sans doute possible, la première pierre de la perte de son âme. C'est le Seigneur Qui a instauré une telle voie que le dernier naisse du premier. »
Saint Isaac adresse à Saint Syméon le Thaumaturge la réponse suivante: « Tu as écrit dans ta lettre que ton âme aspire à aimer Dieu, mais que tu n'y es pas parvenu, en dépit de ton grand désir. Tu ajoutes à cela que tu désires mener la vie d'un anachorète dans le désert, que ton coeur a commencé à se purifier, et que le souvenir de Dieu enflamme ton coeur qui s'embrase. Si cela est vrai, c'est une grande chose. Je préférerais néanmoins que tu n'eusses pas écrit ceci car il n'y a aucun ordre là-dedans. Si tu as écrit ceci dans le but de poser une question, alors il faut la formuler dans un ordre différent. Comment celui qui dit que son âme n'a pas encore d'audace dans la prière, parce qu'elle n'a pas encore vaincu les passions, peut-il aspirer à aimer Dieu ? Si ton âme n'a pas encore vaincu les passions, un amour divin ne peut en aucune façon s'y éveiller, qui te ferait mystérieusement cheminer vers la vie érémitique. Or, tu dis bien que ton âme n'a pas encore vaincu les passions mais qu'elle aspire à aimer Dieu: il n'y a aucun ordre là-dedans. Je ne sais pas quoi dire à celui qui n'a pas encore vaincu les passions mais qui aspire à aimer Dieu. Tu peux rétorquer que tu n'as pas dis j'aspire, mais je voudrais L'aimer. Ceci n’a pas de sens non plus, si l'âme n'a pas atteint la pureté. Toutefois, si tu veux seulement dire des chose ordinaires, alors tu n'es pas le seul à en dire, chacun dit qu'il désire aimer Dieu, qu'il soit chrétien ou hérétique. Ce sont des paroles que tous prononcent communément. Mais quand de telles paroles sont prononcées, la langue bouge sans que l'âme ne sente ce qui est dit. De nombreux malades ne savent même pas qu'ils le sont. La maladie de l'âme, c'est la méchanceté, et le leurre, c'est la perte de la vérité. De nombreuses personnes contaminées par ces maux proclament leur bonne santé et reçoivent même des louanges. Si l'âme ne guérit pas de sa méchanceté, si elle ne recouvre pas la santé naturelle avec laquelle elle a été créée, si l'Esprit ne la guérit pas, alors il est impossible à l'homme de désirer quelque chose de surnaturel, car le surnaturel est le propre de l'Esprit. Aussi longtemps que l'âme se trouve dans la maladie des passions, elle est incapable de sentir ce qui est spirituel et donc de le désirer, mais désire uniquement en lisant ou en entendant les Ecritures.
L'action de la croix est double, car notre nature est double. Elle consiste d'un côté à supporter les afflictions du corps avec la force intérieure du zèle, et c'est ceci qui, à proprement parler, est appelé action. Et d'un autre côté, il s'agit d'un subtil effort de l'esprit, d'une pensée tournée sans relâche vers Dieu dans la prière: ceci s’accomplit par la force de la volonté et s'appelle vision. L'action purifie la partie passionnelle de l'âme par la ferveur, alors que la vision purifie la partie mentale de l'âme par l'amour et le désir. Celui qui, attiré par la douceur, pour ne pas dire par paresse, passe à la vision, sans avoir été parfaitement éduqué par l'action, celui-là sera livré à la colère pour avoir eu l'audace de rêver à la gloire de la croix sans avoir au préalable mis à mort ses membres terrestres (Col.3,5), c'est-à-dire sans avoir guéri la maladie des pensées par une pratique patiente du déshonneur de la croix. C'est ce que signifient les paroles des saints vieillards: si l'intellect veut monter sur la croix avant que les sens n'aient été guéris de leur infirmité, il sera atteint par la colère de Dieu. La montée sur la croix attire la colère lorsqu'elle est mue, non par la patience dans les afflictions et le crucifiement de la chair, mais par le désir de la vision, qui ne trouve sa place qu'après la guérison de l'âme. L'esprit d'une telle personne est souillé par des passions honteuses et tend aux rêveries et aux pensées présomptueuses. La voie lui est fermée parce que l'intellect n'a pas été purifié par les tribulations, les désirs charnels n'ont pas été soumis. Après la lecture ou l'audition des Ecritures, l'aveugle s'est jeté tête baissée dans les ténèbres. Et pourtant, même ceux qui ont une vue saine, qui sont pleins de lumière, qui ont trouvé des guides couverts par la grâce, ceux-là sont jour et nuit dans le malheur, les yeux pleins de larmes; en raison des dangers du voyage, ils peinent jour et nuit dans la prière et les larmes. Et tout ceci à cause des précipices terribles qui les entourent, des vérités mêlées à de fantomatiques images mensongères. Comme disent les pères, ce qui est de Dieu vient de lui-même sans que tu ne t'y attendes. C'est ainsi, à condition que le lieu soit pur et exempt de souillures. »
Celui qui s'approche de Dieu avec la volonté de Le servir, doit se laisser guider par la crainte de Dieu. Et d'où provient-il, ce saint sentiment de crainte, de profonde piété envers Dieu? D'une part de la grandeur incommensurable de l'Être Divin, d'autre part de notre médiocrité, de notre faiblesse, de notre état de pécheur. La crainte nous est prescrite par la Sainte Ecriture. Celle-ci a remplacé petit à petit chez l’homme la loi naturelle de la conscience qui s'enténébrait, nous parlant de façon confuse et souvent fausse. Par la suite, avec l'Evangile, Elle a totalement remplacé la conscience des hommes. « Servez le Seigneur dans la crainte et réjouissez vous en Lui avec tremblement »(Ps.2,11). Et à ceux qui obéissent aux prescriptions de l'Esprit Saint, Elle dit: « Venez mes fils, écoutez-moi, je vous enseignerai la crainte du Seigneur »(Ps.33,12). Elle promet de surcroît d'accorder la crainte de Dieu à ceux qui ont véritablement l'intention de l'acquérir: « Je mettrai la crainte dans leur coeur afin qu'ils ne s'éloignent pas de Moi » (Jér.32,40). Le commencement de la grande science (la connaissance de Dieu par la pratique), c'est la crainte de Dieu. La Sainte Ecriture appelle cette science, sagesse : « Le commencement de la sagesse est la crainte du Seigneur; ils ont une intelligence juste, ceux qui la gardent, Sa louange demeure dans les siècles des siècles »(Ps.110,10). « La crainte du Seigneur est le commencement de la science »(Prov.1,7). « Le couronnement de la sagesse, c'est la crainte du Seigneur, elle fait fleurir bien-être et santé. La crainte du Seigneur est gloire et fierté, gaieté et couronne d'allégresse. La crainte du Seigneur est un don du Seigneur et elle installe sur les voies de l'amour »(Sirah). Par la crainte du Seigneur, nous apprenons à nous détourner du péché. « La crainte du Seigneur est une source de vie pour détourner des pièges de la mort. La crainte du Seigneur, c'est la haine du mal, alors que l'arrogance et l'orgueil sont les voies du mal »(Prov.). « Qu'il y ait toujours la crainte du Seigneur »(Prov.23,17). Par la crainte du Seigneur, nous sommes instruits sur la voie des commandements de Dieu : « Bienheureux l'homme qui craint le Seigneur, qui applique toute sa volonté à Ses préceptes. Sa descendance sera puissante sur la terre, la lignée des hommes droits sera bénie »(Ps.3,1-2). « Bienheureux tous ceux qui craignent le Seigneur et marchent dans Ses voies »(Ps.127,1). « L'ange du Seigneur établira son camp autour de ceux qui Le craignent et il les délivrera. Craignez le Seigneur, vous Ses saints, car rien ne manque à ceux qui Le craignent »(Ps.33,8-10).
C'est donc en vain que ceux qui sont pleins de présomption et d'illusion sur eux-mêmes dédaignent la crainte du Seigneur, la destinant avec mépris aux esclaves. En effet, Dieu Lui-même nous appelle à la crainte, Il annonce qu'Il en sera Lui-même le Maître, qu'Il nous en fera le don spirituel. Ce n'est donc pas un avilissement pour l'homme, cette créature insignifiante, déchue, rejetée, perdue par son inimitié envers Dieu, que de quitter cet état d'inimitié et de perdition pour assumer la servitude et le salut. Cet esclavage est en lui-même un grand gain et une grande liberté ! La crainte a valeur de loi, elle est absolument indispensable. Elle purifie l'homme et le prépare à l'amour: nous devenons esclaves afin de devenir fils. Au fur et à mesure de notre purification par le repentir, nous commençons à sentir la présence de Dieu. L'expérience dévoile la grandeur de la crainte de Dieu: comme nous devons la désirer ! Souvent, par son intervention, l'esprit assombrit ses yeux, cesse de prononcer des paroles, de multiplier les pensées; par un silence supérieur aux paroles, il exprime la connaissance de sa médiocrité, et une prière indicible naît de cette connaissance. Saint Isaac le Syrien décrit merveilleusement cet état: « Lorsque l'humble s'approche de la prière, ou bien en est rendu digne, il n'ose même pas prier Dieu et demander quoi que ce soit. Il ne sait pas dans quel but prier; toutes ses pensées se taisent, en attendant la miséricorde et la volonté que la Majesté qu'il adore exprimera à son sujet. Sa face est baissée jusqu'à terre, tandis que la vision intérieure de son coeur s'élève jusqu'aux portes hautes du Saint des Saints ( Là siège Celui qui demeure dans les ténèbres qui assombrissent les yeux des séraphins, Celui dont la beauté incite les légions angéliques à former un choeur qui impose le silence à tous ses membres ). Son audace dans la prière ne va que jusqu'aux paroles suivantes: Seigneur, qu'il en soit avec moi selon Ta volonté ! ». La crainte de Dieu est un don de Dieu. Comme tous les dons, elle est le fruit de la prière. Le saint prophète David désirait être digne de ce don, et c'est pourquoi il suppliait Dieu: « Cloue ma chair par Ta crainte, car j'ai craint à cause de Tes préceptes », c'est-à-dire, à cause de mes désirs charnels. La crainte de Dieu est un des sept dons de l'Esprit Saint, que le prophète énumère ainsi: « L'esprit de sagesse et d'intelligence, l'esprit de conseil et de force, l'esprit de connaissance et de piété, l'esprit de la crainte de Dieu »(Is.11,2).
Notre Seigneur Jésus-Christ, en venant sur la terre, apporte aux hommes la paix et la bienveillance de Dieu, et devient le Père du siècle à venir, la racine d'un peuple saint en quête de salut. Il appelle Ses enfants à une union d'amour avec Lui, et propose la crainte comme un des remèdes destinés à guérir la détérioration de notre nature. Pour ce faire, il menace de la géhenne de feu celui qui cède aux accès de colère ou de haine, Il menace de prison celui qui foule au pied sa conscience, Il menace des souffrances éternelles celui qui est séduit par des convoitises impures (Mt.5;22,25-26). Il annonce à celui qui ne pardonne pas les péchés de son prochain de tout son coeur que ses propres péchés ne seront pas non plus pardonnés (Mt.6,15). Il rappelle au cupide ou au voluptueux que la mort peut le saisir au moment où il ne s'y attend pas (Luc12,16-20). L'exploit du martyr est grand, il est inspiré et nourri par l'amour. Mais le Sauveur du monde a incité les martyrs au courage et soutenu leur exploit par la crainte: « Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et qui, après cela, ne peuvent rien faire de plus. Craignez celui qui, après avoir tué, a le pouvoir de jeter dans la géhenne; oui, Je vous le dis, c'est lui que vous devez craindre »(Luc12,4-5). De façon générale, le Seigneur commanda à ses disciples une crainte salutaire de Dieu, entretenue par une vigilance permanente sur eux-mêmes. « Que vos reins soient ceints et vos lampes allumées. Et vous, soyez semblables à des hommes qui attendent que leur maître revienne des noces afin de lui ouvrir dès qu'il arrivera et frappera. Bienheureux ces serviteurs que le maître, à son arrivée, trouvera en train de veiller » (Luc12,35-37). « Je le dis à tous: veillez » (Mt.13,17).
Le deuxième avènement du Seigneur, ainsi que le juste et terrible jugement des peuples, nous frappent par leur aspect grandiose. Un tableau extraordinaire s'impose à nous dans sa simplicité et sa clarté peu commune. Devant ce spectacle, le coeur est saisi par la crainte. On peut s'imaginer dans quel état se trouve l'âme qui contemple une telle scène par les paroles de Job: « Un frisson d'épouvante me saisit et remplit tous mes os d'effroi. Un souffle passa sur ma face, hérissa le poil de ma chair »(Job4,14-15). Au moment du jugement, la terre, ce pays de l'exil et de la malédiction, s'embrasera, et le ciel disparaîtra comme un livre qu'on roule (Apo.6,14; 2Pierre 3,10). Les morts de tous les temps et de tous les peuples, réveillés par la trompette vivifiante de la parole de Dieu, se lèveront des sépulcres pour composer une assemblée infinie et incommensurable (1Thes.4,16; Jn.5,28 ). Les armées et les puissances angéliques prendront part à ce terrible spectacle pour y accomplir leur service. Les anges déchus se présenteront au jugement, le Fils de Dieu siégera sur le trône de gloire, une gloire à la grandeur terrible. Toutes les créatures raisonnables trembleront de crainte en voyant leur Créateur, qui les avait jadis appelées du néant à l'existence par Sa toute-puissance. Elles se tiendront devant le Verbe qui peut tout. Elles se tiendront devant la Vie en dehors de laquelle il ne peut exister d'autre vie. Les Pères ont dit très justement qu'en ces moments terribles, toutes les créatures seraient anéanties si elles n'étaient soutenues par la toute-puissance de Dieu (Cf. Saint Nil de la Sora).
Voyant face à face la Vérité parfaite, les justes n'attribueront aucune valeur à leur vérité, et les pécheurs se condamneront pour avoir cherché la justification dans leur intelligence contraire à celle de l'Evangile. Le destin de chacun sera fixé pour l'éternité. Le divin Apôtre avoue lui-même ne pas pouvoir se justifier devant ce jugement, même s'il ne se trouve aucun péché, car son juge, c'est Dieu (1Cor.4,4). Les saints, au cours de leur séjour terrestre, ont coutume de se présenter fréquemment en pensée, dans une pieuse réflexion, devant le terrible tribunal du Christ. Ils se gardent du désespoir qu'éprouvent ceux qui sombrent dans la perdition par une crainte opportune et salutaire, ils se condamnent eux-mêmes pour obtenir leur justification, ils pleurent pour détourner les pleurs. Frères, le souvenir fréquent du deuxième avènement du Christ nous est nécessaire, il nous est même indispensable, à nous les infirmes et les pécheurs. Un tel souvenir est une préparation des plus sûres. Le jugement qui nous attend tous après la résurrection générale est terrible, mais celui qui attend chacun d'entre nous après sa mort l'est aussi. Les effets d'un tel jugement sont dignes d’être jalousés ou bien d’être craints comme un grand malheur. Si les jugements terrestres qui ne concernent que le terrestre et le corruptible parviennent tant à nous préoccuper, que devrions nous dire du jugement de Dieu? Dans quel but le Seigneur nous aurait-Il prévenu aussi clairement, si ce n'est pour susciter en nous une crainte salutaire, qui peut nous préserver de l'insouciance d'une vie pécheresse engendrant notre perte? Le saint ascète Elie, ermite et hésychaste dans le désert de la Thébaïde égyptienne, disait: « Je crains trois moments: le moment où l'âme quitte le corps, le moment du jugement de Dieu, et le moment de la sentence que Dieu prononcera sur moi »(Paterikon).
Est-il nécessaire de rappeler que l'enseignement des Pères de l'Eglise orthodoxe concernant la crainte de Dieu est conforme à celui de la Sainte Ecriture, puisqu’elle en est la source, et que tous deux proviennent de l'Esprit Saint ? « La crainte de Dieu est le commencement de la vertu. On affirme qu'elle est la mère de la foi, et qu'elle est semée dans le coeur lorsque l'esprit s'éloigne des soucis du monde, pour rassembler ses pensées errant dans la dispersion afin de les conduire dans l'étude permanente du renouvellement futur. Ingénie-toi à fonder ton voyage sur la crainte de Dieu, et en peu de jours, tu te trouveras aux portes du Royaume, sans passer par une longue route »(Isaac le Syrien).
Dans les instructions de Saint Pimène le Grand, nous lisons: « Nous avons besoin d'humilité et de crainte de Dieu autant que de respirer. Les trois principales caractéristiques du moine sont: craindre Dieu, prier Dieu et faire du bien au prochain. Lorsque la fumée chasse les abeilles de la ruche, alors on prélève le fruit de leur doux labeur; c'est de la même façon que la jouissance charnelle chasse de l'âme la crainte de Dieu et détruit toute bonne oeuvre. Le commencement et la fin du chemin spirituel, c'est la crainte de Dieu ». L'Ecriture dit: « le commencement de la sagesse est la crainte du Seigneur » (Ps.110,10); et ailleurs, lorsqu'Abraham installa un autel, le Seigneur lui dit: « Je sais maintenant que tu crains Dieu » (Gen.22,12). Comme un frère interrogeait Abba Pimène pour savoir qui était l'auteur des paroles: « je fais partie de tous ceux qui Te craignent »(Ps.118,63), il répondit que c'est l'Esprit Saint Lui-même qui parle. Il rapportait également l'opinion de Saint Antoine le Grand qui estimait qu'Abba Pambo devint la demeure de l'Esprit Saint grâce à la crainte du Seigneur.
Saint Jean Cassien dit: « Le commencement de notre salut, c'est la crainte du Seigneur. Elle procure le commencement de la conversion, la purification des passions, et la garde des vertus pour ceux qui sont instruits dans la voie de la perfection. Lorsqu'elle pénètre dans le coeur de l'homme, elle fait naître en lui le mépris pour tout ce qui est matériel, l'oubli des parents et la haine du monde lui-même. » Et commentant le commandement du Seigneur: « Qui ne prend pas sa croix pour Me suivre n'est pas digne de Moi », Saint Jean Cassien nous dit: « Notre croix, c'est la crainte du Seigneur. De même que le crucifié n'a plus la possibilité de se retourner ou de se mouvoir selon son désir, nous aussi, nous devons diriger notre volonté et nos désirs, non pas vers les choses agréables ou réjouissantes du moment, mais vers ce qui est conforme à la loi du Seigneur, à Ses ordonnances. Celui qui est cloué au bois n'admire plus ce qui est présent, ne pense plus à ses passions, n'est pas distrait par les préoccupations du lendemain, n'a plus le désir d'acquérir des biens, ne brûle pas d'orgueil ou de querelle, ne s'afflige pas des déshonneurs présents et oublie les déshonneurs du passé, mais se considère comme mort à tout point de vue même s'il respire encore, et dirige son regard vers le lieu où il ne doute pas qu'il sera transféré. De la même façon, nous devons être crucifiés à tout cela par la crainte du Seigneur, c'est-à-dire que nous devons être morts aux passions charnelles et aussi à leurs causes, et avoir les yeux de l'âme dirigés perpétuellement vers le lieu où nous devons espérer être transférés. C'est ainsi que nous pourrons recevoir la mise à mort de tous nos désirs et attachements charnels ». On voit facilement que le crucifiement sur la croix de la crainte de Dieu que Saint Jean Cassien décrit ici n'est autre que l'action évoquée par Isaac le Syrien, et consiste, comme dit l'Apôtre, à « crucifier la chair avec ses passions et ses convoitises »(Gal.5,24): c'est là la première partie du chemin spirituel qui mène le chrétien vers la perfection à laquelle il est destiné.
Les Saintes Ecritures, qui nous enseignent que « la crainte de Dieu est pure, elle demeure dans les siècles des siècles »(Ps.18,10), disent aussi que « la crainte n'est pas dans l'amour, mais l'amour parfait bannit la crainte »(1Jn.4,18): en effet, la crainte suppose un châtiment et celui qui craint n'est pas parfait en amour. Cette contradiction apparente est commentée ainsi par les saints Pères: « Il y a deux craintes, l'une initiale, l'autre parfaite; la première étant celle des débutants dans la piété, pourrait-on dire, l'autre, celle des saints parvenus à la perfection et au sommet du saint amour. Quelqu'un, par exemple, fait la volonté de Dieu par crainte des châtiments: c'est encore un débutant, comme nous le disions, il ne fait pas le bien pour lui-même, mais par crainte des coups. Un autre accomplit la volonté de Dieu parce qu'il aime Dieu Lui-même et qu'il aime tout spécialement Lui être agréable. Celui-là sait ce qu'est le bien, il connaît ce que c'est d'être avec Dieu. Voilà celui qui possède l'amour véritable, l'amour parfait comme dit Saint Jean, et cet amour le porte à la crainte parfaite. Car il craint et il garde la volonté de Dieu, non plus à cause des coups, ni pour éviter le châtiment, mais parce qu'ayant goûté la douceur d'être avec Dieu, comme nous l'avons dit, il redoute de la perdre, il redoute d'en être privé. Cette crainte parfaite, née de l'amour, bannit la crainte initiale »( Saint Dorothée de Gaza, instruction IV). La grandeur même de Dieu incite à une sainte et pieuse crainte les créatures raisonnables, qui, en raison de leur pureté et de leur sainteté, ont été dignes de se tenir près de Dieu. « Dieu est glorifié dans le conseil des saints; Il est grand et terrible, plus que tous ceux qui L'entourent »(Ps.88,8). Est-il possible que notre état de pécheur nous prive d'aimer Dieu ? Non ! Nous parviendrons à L'aimer, mais à L’aimer comme Il nous a commandé de le faire. Aimons-Le de toutes nos forces, tendons vers le saint amour, mais par la voie que Dieu Lui-même nous a indiquée. Ne nous livrons pas au charme malin et trompeur de la présomption ! N'entretenons pas dans nos coeur la flamme de la volupté et de la vanité, qui sont abominables pour Dieu et tellement pernicieuses pour nous ! Dieu commande de L'aimer de la façon suivante: « Demeurez dans Mon amour; si vous gardez Mes commandements, vous demeurerez dans Mon amour, de même que J'ai gardé les commandements de Mon Père et que Je demeure dans Son amour »(Jn.15,9-10). Le Fils de Dieu Lui-même a donné Lui-même par Son incarnation l'exemple de cette vie et de cet exploit, s'étant « humilié Lui-même en se rendant obéissant jusqu'à la mort, même jusqu'à la mort sur la Croix »(Phil.2,1). Rejetons l'orgueil qui nous attribue des qualités, embrassons l'humilité qui nous dévoile notre chute et notre état de pécheur. Prouvons notre amour au Christ en Lui obéissant. Prouvons notre amour au Père en obéissant au Fils, qui « ne nous a point parlé de Lui-même », mais nous a annoncé ce que le Père Lui « a prescrit » d'annoncer, et dont « le commandement est vie éternelle »(Jn.12,49-50). Le Seigneur a dit: « Celui qui a Mes commandements et qui les garde, c'est celui qui M'aime...Si quelqu'un M'aime, Il gardera Ma parole...Celui qui ne M'aime point ne garde pas Mes paroles »(Jn.14). L'accomplissement des commandements du Sauveur, c'est le seul indice du fait qu'Il accepte notre amour pour Dieu. « Pour cette raison, tous ceux qui ont été agréables à Dieu l'ont été en abandonnant leur vérité détériorée par la chute, et en cherchant la vérité de Dieu exposée dans les commandements de l'Evangile. Ils ont trouvé dans la Vérité divine l'amour caché à la nature déchue. Comme Il avait commandé beaucoup de choses concernant l'amour, le Seigneur ordonna de chercher d'abord la vérité de Dieu, sachant qu'elle est la mère de l'amour »(Saint Macaire le Grand). Si nous voulons trouver l'amour de Dieu, aimons les commandements évangéliques; vendons nos désirs et nos attachements; achetons au prix du renoncement à nous-mêmes le champ de notre coeur afin qu'il puisse nous appartenir; labourons-le avec la charrue des commandements, et découvrons-y le trésor céleste qui s'y cache, l'amour (Mt.13,44).
Qu'est-ce qui nous attend dans ce champ ? Ce sont les maux et le labeur, l'ennemi qui ne se laissera pas vaincre facilement, et le péché qui vit en nous et qui ne demande qu'à réagir. Le péché vit dans le corps, dans le coeur et dans l'esprit. Une grande ascèse est nécessaire pour décider l'intellect orgueilleux et aveugle à obéir aux commandements du Christ. Lorsqu'il se sera soumis au Christ, une autre ascèse commencera: il faudra contraindre notre coeur obstiné et détérioré à se soumettre à l'enseignement du Christ auquel il est hostile. Enfin, si l'esprit et le coeur parviennent à obéir au Christ, il restera à soumettre le corps corruptible, qui a également une vocation céleste. Chaque pas de ce combat invisible est un exploit chargé de souffrance, trempé de la sueur de la violence que nous exerçons sur nous-mêmes. Tantôt nous vainquons, tantôt nous sommes vaincus; tantôt apparaît l'espoir de la fin de la captivité, tantôt nous comprenons que nos chaînes sont solides, et que les moyens que nous avons employés ne sont pas parvenus à les affaiblir. Nous sommes jetés par terre par notre infirmité naturelle ou par celle que nous nous imposons, par l'enténébrement que notre vie passée dans le désordre du coeur, dans les habitudes vicieuses, dans les jouissances bestiales et dans les désirs, a jeté sur notre intelligence. Nous sommes attaqués par les esprits déchus qui désirent nous maintenir captifs. Telle est la voie étroite, pénible et couverte d'épines, ponctuée de prières baignées de larmes, de repentir et d'humilité, d'obéissance aux commandements évangéliques, qui conduit le pécheur par la crainte de Dieu vers la réconciliation avec le Seigneur.
L'union de la crainte de Dieu avec l'amour pour Dieu a été admirablement décrite par les Pères pneumatophores que sont Isaac le Syrien et Syméon le Nouveau Théologien. Nous ornerons notre misérable homélie de leurs paroles magnifiques. « Le repentir est donné aux hommes comme une grâce. Il est notre deuxième naissance à Dieu. Nous attendons que le repentir nous apporte ce que la foi nous avait donné en gage. Le repentir est la porte de la miséricorde ouverte à ceux qui le cherchent avec insistance. Nous pénétrons dans la miséricorde de Dieu par cette porte, et il n'y a pas de miséricorde possible sans lui, car tous ont péché et sont gratuitement justifiés par grâce (Rom.4,23-24). Le repentir, c'est la deuxième grâce qui naît dans le coeur par la foi et la crainte. La crainte, c'est le bâton du père qui nous dirige tant que nous n’avons pas atteint le paradis spirituel, et qui nous quitte lorsque nous y parvenons. Le paradis, c'est le divin amour qui renferme toute la richesse des béatitudes, le lieu où le bienheureux Paul fut nourri d'une nourriture surnaturelle. Ayant goûté à l'arbre de vie, il s'écria: « l'oeil n'a point vu, l'oreille n'a point entendu et ne sont pas montées au coeur de l'homme ces choses que Dieu a préparées pour ceux qui L'aiment » (1Cor.2,9). Les embûches du diable empêchèrent jadis Adam de goûter à cet arbre. L'arbre de vie, c'est l'amour de Dieu: Adam en fut séparé, et la joie le quitta, pour laisser la place au labeur et aux épines. Ceux qui sont privés de cet amour, même si leur chemin est droit, mangent à la sueur de leur front le pain que le premier homme reçut l'ordre de manger, après sa chute. Tant que nous n'avons pas acquis l'amour, notre activité terrestre se passe dans les épines: c'est là que nous semons et que nous fauchons. Même si notre semence est la semence de vérité, les épines nous blessent à tout instant, et quand bien même nous oeuvrons pour la vérité, nous vivons à la sueur de notre front. Mais lorsque nous aurons acquis l'amour, nous nous nourrirons du pain céleste, et nous serons affermis sans oeuvres ni labeur. Le Christ est « le pain qui est descendu du ciel et qui donne la vie au monde » (Jn.6). C'est la nourriture des anges. Celui qui a acquis l’amour mange le Christ à chaque heure de chaque jour. « Celui qui mange de ce pain que Je donnerai vivra éternellement » (Jn.6). Bienheureux celui qui mange de ce pain de l'amour qu'est le Christ. Le fait que celui qui se nourrit d'amour se nourrit du Christ est clair dans le témoignage de Saint Jean: « Dieu est amour »(Jn.4,8). Celui qui vit dans l'amour vit donc dans la vie qui jaillit de Dieu et, même s'il vit dans le monde, il respire déjà l'air de la résurrection. C'est de cet air que jouiront les justes après la résurrection. L'amour est ce royaume dont le Christ a promis aux disciples la jouissance mystérieuse. Quand Il dit « que vous mangiez et que vous buviez à ma table dans Mon royaume »(Luc22,30), Il ne parle pas d'autre chose que de l'amour. Cet amour suffit à l'homme pour remplacer toute nourriture et toute boisson. Il est « le vin qui réjouit le coeur de l'homme » (Ps.103,15). Bienheureux celui qui boit ce vin. Des intempérants en ont bu qui sont devenus pieux, et des pécheurs qui ont vu disparaître leur pierre d'achoppement, et des ivrognes qui sont devenus sobres, et des riches qui ont désiré la pauvreté, et des misérables qui ont trouvé des vêtements, et des malades qui sont devenus forts, et des ignorants qui sont devenus sages.
De même qu'il est impossible de franchir un océan sans navire, personne ne peut atteindre l'amour sans la crainte. Nous ne pourrons traverser la mer nauséabonde qui nous sépare du paradis que sur le navire du repentir, qui a la crainte pour timonier. Sans ce timonier qui nous permet de franchir la mer du monde pour nous diriger vers Dieu, nous courons à la noyade. Le repentir est le navire, la crainte son timonier, et l'amour est le port divin. La crainte nous conduit vers le port divin, vers cet amour que recherchent tous ceux qui sont « fatigués et chargés » par le repentir (Mt.11,28). Si nous avons atteint l'amour, nous avons atteint Dieu, nous avons terminé le voyage, nous avons touché l'île où sont le Père, le Fils et le Saint Esprit ».
Le titre de la deuxième homélie du livre de Saint Syméon, écrit en vers, résume tout notre discours, et c'est pourquoi nous le citerons en tête: « De la crainte naît l'amour, et c'est par l'amour même qu'est déracinée la crainte; alors ne demeure dans l'âme que l'amour seul, qui est l'Esprit Divin et Saint ». Saint Syméon commence alors ainsi son homélie: « Comment pourrai-je chanter, glorifier et louer dignement mon Dieu qui a pardonné mes nombreux péchés? Comment pourrai-je regarder vers le ciel? Comment ouvrirai-je mes yeux? Comment ouvrirai-je ma bouche? Père! Comment pourrai-je remuer les lèvres? Comment pourrai-je lever les bras vers les hauteurs célestes? Quelles paroles pourrai-je inventer? Quels mots apporterai-je? Comment oserai-je même commencer à parler? Comment pourrai-je demander le pardon de mes fautes innombrables, de mes nombreuses transgressions? En vérité, j'ai commis des actes qui ne méritent aucun pardon. Sauveur, Tu sais ce que je dis! J'ai outrepassé ma nature, j'ai commis des actes contraires à la nature, je me suis montré pire que les bêtes, que les animaux marins, et que ceux qui vivent sur la terre, pire que les reptiles et les bêtes sauvages, j'ai transgressé les commandements plus que la nature animale, j'ai souillé mon corps et déshonoré mon âme. Comment me présenter devant Toi? Comment Te regarderai-je? Comment pourrai-je me tenir, moi misérable, devant Ta face? Comment ne fuirai-je pas Ta gloire, la lumière resplendissante de Ton Esprit Saint? Comment n'irai-je pas seul dans les ténèbres, moi qui ai commis les oeuvres des ténèbres? Je serai exclus de la multitude des saints! Comment pourrai-je supporter Ta voix qui me renverra dans les ténèbres? Chargé dès ici-bas de la condamnation de mes actes, je suis empli d'angoisse et je tremble. Envahi par la crainte et la terreur, je crie vers Toi mon Sauveur. Je sais que personne n'a péché devant Toi comme je l'ai fait, ni n'a commis les actes que j'ai commis, moi le misérable! J'ai même causé la perdition d'autres personnes. Mais je sais aussi une chose, j'en suis assuré, Ö mon Dieu: ni l'importance de mes péchés, ni leur multitude, ni l'impureté de mes actes ne pourra dépasser Ta grande miséricorde, ni Ton indicible amour des hommes, lesquels engloutissent toute intelligence lorsque Tu les déverses en abondance sur les pécheurs qui se repentent avec chaleur. Tu les purifies, Tu les instruis, Tu les fais communier à Ta lumière, Tu les fais entièrement participer à Ta divinité. Tu t'entretiens avec eux comme Tes vrais amis de choses merveilleuses pour les anges et pour les pensées humaines. Ô, immense bonté! Ô, amour ineffable! C'est pour cela que je me prosterne et crie vers Toi! Reçois-moi,Ô miséricordieux, comme tu as accueilli les adultères qui s'approchaient de Toi, reçois-moi qui me repens de toute mon âme! Considère que les quelques gouttes qui coulent de mes yeux sont des sources de larmes intarissables, et lave mon âme avec elles! Lave aussi avec elles la souillure de mon corps engendrée par les passions, et lave mon coeur de toute malignité, car il est le lieu, la racine et la source de tous mes péchés! Le malin semeur y a jeté la malignité. Il sème partout où il se trouve, faisant croître de nombreux rejets de méchanceté et de malignité. Arrache les racines en profondeur, Ô mon Christ, et purifie le champ de mon âme et de mon coeur ! Ô miséricordieux ! Plante la crainte ! Rends-la digne de s'enraciner et de pousser de façon satisfaisante par l'accomplissement de Tes commandements, afin qu'elle grandisse et augmente le ruisseau de mes larmes ! Avec ces dernières, elle grandira et s'élèvera, faisant croître en même temps l'humilité. Toutes les passions reculent devant l'humilité, et, avec elles, l'armée des démons. Toutes les vertus sont ses suivantes, elles l'entourent comme une reine, qui règne sur ses amies et sa cour. Lorsqu'elles se rassemblent et s'unissent les unes aux autres, alors la crainte pousse au milieu d'elles, comme un arbre près d'une source, développant petit à petit une fleur étrange. Qu'y a-t-il là d'étrange ? Toute plante fait croître par sa nature même des fleurs qui lui correspondent en propre, avec la semence qu'elle contient. Cependant Ta crainte produit une fleur étrange, car elle est étrangère à la nature qui l'a engendrée. Ta crainte est en effet emplie d'afflictions, et elle contraint ceux qui l'ont acquise à s'affliger en permanence, tels des serviteurs qui méritent d'être durement châtiés, qui attendent en permanence d'être fauchés par la mort, qui voient la faucille mortelle sans connaître l'heure fatale, qui n'ont ni l'espérance ni l'assurance d'un pardon total, qui tremblent face à l'avenir, car ils ignorent la sentence qui sera prononcée lors de Ton jugement, Ô mon Dieu. La fleur produite par la crainte a un aspect ineffable. On la voit fleurir, et aussitôt elle disparaît, ce qui est contraire à l'ordre des choses, dépasse la nature, et même, est supérieur à la nature. Toutefois, comme cette fleur est magnifique, au-dessus de toute parole ! Mon esprit est ravi lorsqu'il en a la vision, il oublie alors tout ce que la crainte lui avait fait connaître, mais tout ce ravissement disparaît rapidement et l'arbre de la crainte reste à nouveau sans fleur. Je m'afflige, je soupire, et je crie vers Toi avec force ! La fleur apparaît à nouveau sur les branches de l'arbre ! Ô mon Christ ! Mon regard se tend tout en entier vers la fleur et je ne vois plus l'arbre ! Avec le temps, la fleur apparaît plus souvent et, attirant mon désir tout entier vers elle, donne naissance au fruit de l'amour. Mais ce fruit ne souffre pas de demeurer sur l'arbre de la crainte. Et d'ailleurs, lorsqu'il est parvenu à maturité, on ne voit plus que lui seul, l'arbre est devenu invisible. L'amour n'a rien à faire avec la crainte, et pourtant, l'âme ne peut produire de fruit sans la crainte. C'est en vérité un miracle qui dépasse toute parole et toute pensée ! L'arbre fleurit avec difficulté et finit par donner naissance à un fruit: le fruit déracine alors l'arbre tout entier et reste seul ! Comment un fruit peut-il exister sans son arbre ? Je ne peux en aucune façon l'expliquer. Pourtant il est là, il existe bel et bien, et sans la crainte qui lui a donné naissance. Cet amour est une allégresse des plus grandes, il emplit de joie et de jouissance celui qui l'a acquis; il le sort du monde par une perception spirituelle, ce dont la crainte est incapable. Comment pourrait-elle, en effet, elle qui évolue dans le monde visible et sensible, sortir du monde celui qui l'a acquise, et l'unir à l'invisible par une perception spirituelle ? En vérité, elle ne le peut aucunement. En revanche, la fleur et le fruit de la crainte ne sont pas de ce monde. Mais comment, dis-moi, l'amour peut-il sortir quelqu'un de ce monde ? C'est précisément ce que j'eusse voulu comprendre, mais la chose est inexplicable, car l'Amour n'est autre que l'Esprit Divin. »
Comment le changement se produit-il dans le coeur ? Comment le passage inconcevable de la crainte à l'amour s'accomplit-il ? Proposons la réponse issue de la sainte expérience, la réponse des saints. Citons les paroles que notre contemporain et compatriote Georges, reclus du monastère de Zadonsk, cet homme parvenu au sommet de la perfection chrétienne, cet ornement glorieux du monachisme des derniers temps, a prononcées à l'intention d'un proche au cours d'un entretien instructif: « Je voudrais dire quelques mots sur la nature de l'amour. C'est le plus subtil des feux, il est plus léger que tout esprit, il surpasse toute intelligence. Ces énergies sont rapides et merveilleuses, elles sont saintes et se déversent dans l'âme par la volonté de l'Esprit Saint omniprésent. A peine touche-t-il le coeur que toute pensée ou tout sentiment trouble se transforme immédiatement en calme, en joie, en humilité, en douceur qui surpasse tout. Je me suis déjà ouvert à vous de bien des choses qui me concernent intimement, et j'ai l'intention de continuer. J'ai passé ici, dans la solitude, six ans il me semble, lorsque le Seigneur a bien voulu conduire mon coeur dans une contrition totale. Je pensais alors être perdu, j'estimais que la colère de Dieu brûlerait mon âme pécheresse, angoissée et négligente. Je m'affaiblissais fortement, je respirais avec peine, mais dans mon coeur, je répétais constamment: Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi, pécheur ! Soudain, en un instant, toute ma faiblesse disparut, et le feu d'un amour pur toucha mon coeur. Je fus rempli entièrement de force, d'un sentiment agréable de joie ineffable, je me retrouvais dans un tel ravissement que je désirais même le martyre, le tourment, l'outrage. Je désirais tout ceci pour pouvoir garder en moi le doux feu de l'amour de tous. Cet amour était si doux qu'il n'y a ni amertume, ni offense qu'il n'aurait transformée en douceur. Plus on jette de bois dans le feu, plus il est fort. Les tribulations et les peines que nous occasionnent les hommes agissent de la même façon. Plus les attaques sont nombreuses et plus le coeur s'enflamme du saint amour. Quelle liberté, quelle lumière ! Il n'y pas de mots pour les décrire. Je me serais réjoui si on m'avait ôté les yeux pour m'empêcher de voir les vanités de ce monde. Je me serais réjoui si on m'avait saisi comme un criminel et si on m'avait emmuré afin que je n'entende plus la voix des hommes, que je ne voie plus leur ombre même ». « L'amour, dit Saint Isaac le Syrien, ne connaît pas la pudeur, c'est pourquoi il ne sait pas imprimer aux membres l'aspect de la décence. De par sa nature, il rejette la pudeur et fait oublier la mesure. Bienheureux celui qui t'a trouvé, toi le havre de la joie infinie ! ».
Ce qui est de Dieu vient de lui-même, lorsque nous ne l'attendons pas, et n'espérons pas le recevoir. Mais pour que la bienveillance de Dieu s'approche de nous, il nous faut nous purifier par le repentir. Tous les commandements de Dieu sont compris dans le repentir. Le repentir introduit chez le chrétien la crainte de Dieu, puis, par la suite, l'amour divin.
Que Jean, le disciple vierge et théologien que Jésus aimait (Jn.21,20) soit couché sur Sa poitrine, et que se joignent à lui les autres saints, les favoris du saint amour ! Là n'est pas notre place. Notre place est dans la foule des lépreux, des paralytiques, des aveugles, des sourds, des muets, des possédés. Nous appartenons à cette foule à cause de l'état de nos âmes, et c'est en son sein que nous nous approchons de notre Sauveur. C'est en son sein que nous installe notre Mère, la Sainte Eglise, mettant dans nos bouches les paroles contrites de l'Acathiste au Très-Doux Jésus, qui expriment pleinement la reconnaissance de notre état de pécheurs. Notre Mère l'Eglise nous montre notre situation, précisément pour nous assurer l'obtention de la miséricorde. Le Seigneur a fait de nous des fils adoptifs par le baptême, mais nous avons rompus la sainte union avec Lui en transgressant Ses commandements, par notre union adultère à l'abominable péché. « Chefs de Sodome...peuple de Gomorrhe » (Is.1,10), c'est en ces termes que le Seigneur qualifie le peuple après sa chute dans l'iniquité, ce même peuple dont Il avait auparavant annoncé: « C'est la portion du Seigneur, c'est Son peuple, Jacob est la part de Son héritage » (Dt.32,9).
Le fils prodigue, après avoir dilapidé à l'étranger le bien de son père, après avoir subi des malheurs indicibles, se mit à réfléchir à l'opportunité d'un retour chez son père. Lors de cette réflexion, il contempla sa situation des plus malheureuses et la grande fortune de son père, et se représenta la façon d'agir la plus raisonnable: « Je me lèverai, j'irai chez mon père et je lui dirai: mon père, j'ai péché contre le ciel et contre toi, je ne suis pas digne d'être appelé ton fils, traite-moi comme un de tes mercenaires »(Luc15,18-19). Et nous qui avons perdu dans de vaines occupations et dans le péché la beauté de fils adoptifs que le Père Céleste nous avait octroyée, lorsque nous déciderons de nous tourner vers Lui, nous devrons nous approcher du trône de Sa gloire et de Sa grandeur avec une humilité profonde, avec crainte et grande piété. Notre premier acte devra être de reconnaître et de confesser nos péchés, d'abandonner notre vie de pécheur, et d'entrer dans la vie des commandements évangéliques. Le sentiment de repentir devra être l'âme de nos prières et de nos pieux exploits. Nous devrons être pleinement convaincus d'être indignes de l'amour, indignes du nom de fils et de filles de Dieu. Le fils prodigue demande à être traité comme l'un des mercenaires de son père, qui peinent sur le champ du repentir sous l'oeil d'un gardien terrible, la crainte. Ne recherchons pas ce dont l'acquisition ne dépend pas de nous, ce pour quoi nous ne sommes pas encore mûrs. Tant que nous sommes asservis, tant que le péché et les esprits déchus nous dominent, confessons avec le centurion raisonnable de l'Evangile: « Seigneur, je ne mérite pas que Tu entres sous mon toit, mais dis seulement un mot et mon enfant sera guéri »(Mt.8,8). Tu es entièrement pur et entièrement saint, Tu ne reposes que sur les purs et sur les saints, mais moi, qui suis souillé, je ne suis pas digne que Tu entres sous mon toit.
« Je pense que, comme le fils ne doute pas de son père et ne s'adresse pas à lui en lui disant: apprends-moi l'art, ou, donne-moi ceci ou cela, de même le moine ne doit pas raisonner et demander à Dieu: donne-moi ceci ou cela. Il sait que Dieu y pourvoit plus qu'un père ne se préoccupe de son fils. En conséquence, nous devons parvenir à la patience, pleurer sur les causes de nos péchés involontaires commis en pensées ou en actes, et dire d'un coeur contrit avec le publicain: Ô Dieu, aie pitié de moi qui suis pécheur. Le fils du roi, s'il tombe malade, ne dit pas à son père: fais-moi roi, mais se préoccupe de sa maladie, et, après sa guérison, le royaume de son père devient sien de lui-même. De la même façon, le pécheur repentant, lorsqu'il a reçu la guérison de son âme, entre avec son Père dans le pays d'une nature pure et règne dans la gloire de son Père »(Isaac le Syrien). Amen.





vendredi 12 décembre 2008

HISTOIRE DE L'ICÔNE DE TIKHVIN


HISTOIRE DE L' ICÔNE DE LA MERE DE DIEU
DITE " TIKHVINSKAÏA "


Selon la tradition de l'Eglise, l'icône de la Mère de Dieu « Tikhvinskaïa » était déjà vénérée dans l’antiquité. Au Vème siècle, l'impératrice Eudoxie l'amena de Jérusalem à Constantinople, dans la célèbre église des Blachernes qui avait été spécialement érigée à cette occasion.
Pendant la période iconoclaste, l'icône fut cachée dans le monastère du Pantocrator, et par la suite réinstallée dans l'église des Blachernes, quand l'orthodoxie triompha.
En 1383, sous le règne de Jean Paléologue, l'icône disparut subitement de Constantinople. Elle réapparut peu de temps après aux environs de Novgorod: au milieu d'une lumière céleste, elle volait au-dessus du lac Ladoga. Des pêcheurs des environs furent témoins du miracle. Frappés de cette vision, la crainte les saisit, et ils se hâtèrent d'aller raconter l'apparition miraculeuse aux villageois de la région.
Quelque temps plus tard, des marchands de Novgorod arrivèrent à Constantinople. Ils furent reçus par le Patriarche en personne. Celui-ci semblait visiblement assombri par quelque souci.
-Quelle est cette peine, très saint père ? demandèrent les marchands.
-Je suis affligé, mes bien-aimés, parce que l'icône de la Mère de Dieu nous a quittés. Nous ne savons pas où elle se trouve. N'auriez-vous pas entendu quelque chose à ce sujet en Russie ?
Les marchands racontèrent alors l'apparition d'une sainte icône près de Novgorod. D'après la description qu'ils en firent, le Patriarche reconnut l'icône qui avait quitté Constantinople.
-Cette icône s'est éloignée de nous à plusieurs reprises, mais à chaque fois, elle est revenue. Mais aujourd'hui, à cause de notre orgueil, elle nous a quittés pour toujours !
-Sommes-nous donc dignes d'une telle sainteté ? s'écria l'un des marchands.
-Bien sûr que non ! La Reine des Cieux est venue chez nous par simple condescendance ! dit un autre.
Après être apparue en divers endroits sur les terres de Novgorod, la sainte icône s'arrêta près de la ville de Tikhvine. Elle flottait dans l'air. La nouvelle se propagea dans la ville à la vitesse de l'éclair, et les habitants glorifièrent la Toute-Sainte Vierge avec une piété très profonde. Peu de temps après, l'icône se posa sur le sol.
Les artisans de la ville entreprirent sur le champ la construction d'une chapelle. Le soir même, ils en avaient terminé la majeure partie; ils cessèrent le travail, laissant les matériaux sur les lieux, avec l'intention d'achever l'ouvrage le lendemain. C'est alors que pendant la nuit, une force invisible souleva l'icône et son abri, et les transportèrent sur l'autre rive de la rivière Tikhvinskaïa. C'est donc en ce lieu qu'on décida au matin de finir les travaux.
On rapporta l'apparition de l'icône miraculeuse au prince de Moscou Dimitri Ivanovitch, ainsi qu'à l'archevêque de Novgorod Alexis. Ce dernier bénit la construction d'une église consacrée à la Dormition de la Toute-Sainte Mère de Dieu, dans laquelle on installa l'icône. Quelques années plus tard l'église brûla, mais l'icône fut retrouvée intacte. On construisit une autre église qui brûla à son tour, l'icône restant toujours indemne. Avec le temps, on décida de remplacer l'église en bois par une église en pierre.
On fonda bientôt un monastère où affluait une multitude de pèlerins. Tous priaient avec une profonde piété devant l'objet saint du monastère, l'icône de la Toute-Sainte mère de Dieu. Par Son icône de Tikhvine et par les nombreuses copies qu'on en fit, la Souveraine Céleste dispensait aux gens Son aide miraculeuse.
En 1596, des pêcheurs partirent sur la mer blanche. Une copie de la sainte icône se trouvait à bord. Soudain, une terrible tempête se leva, qui brisa le mât, balaya le bateau, précipita le chargement à la mer, et finit au bout d’une semaine par rejeter les pêcheurs sur une île déserte. Les pauvres hommes prièrent avec humilité devant l'icône, implorant la Mère de Dieu de les sauver, en s'engageant à venir dans Son saint monastère pour La remercier. La Mère de Dieu apparut alors à Grégoire, l'un d'entre eux, pendant son sommeil, et lui dit: « Aucun d'entre vous ne périra, même si vous avez à rester sur cette île de nombreux jours. Vous vous nourrirez de cette herbe. Par la patience, vous sauverez vos âmes ». En s'éveillant, Grégoire raconta son rêve à ses amis. L'herbe qu'ils trouvèrent là s'avéra comestible, et fut pour eux comme la manne céleste. Vingt jours plus tard, un navire de passage recueillit à son bord les pêcheurs naufragés. L'un d'eux avait emporté une poignée de la fameuse herbe, qui fut tout de suite amère et impropre à la consommation... De retour sur la terre ferme, les rescapés s'empressèrent de se rendre au monastère de Tikhvine, où ils firent célébrer un office d'action de grâce.
En 1613, par la permission de Dieu, les armées suédoises pénétrèrent sur le sol russe et s'emparèrent de Novgorod. Les habitants de la région coururent se réfugier au monastère de Tikhvine. Les champs furent dévastés, le bétail dispersé, et le monastère encerclé par l'ennemi. Les moines et les réfugiés se préparaient à affronter un long siège. Mais plus qu'en leurs propres forces, ils comptaient sur l'aide et la protection de la Reine des Cieux. On célébrait des offices en permanence devant Sa sainte icône. Les assauts des suédois se succédaient sans succès. Une nuit, la Toute-Sainte Vierge apparut à une femme du nom de Marie, qui avait peu de temps auparavant recouvré la vue devant l'icône.
-Dis aux défenseurs que l'ennemi n'entrera pas dans le monastère. Prends Mon icône, et faites une procession sur les remparts du monastère !
Les moines agirent selon les paroles de la Reine des Cieux, ce qui eut pour effet de semer la panique dans les rangs des suédois qui s'enfuirent en s'écrasant les uns les autres.
Pendant la guerre de 1812, l'icône fut empruntée au monastère par la milice populaire et aida à combattre et chasser l'ennemi. Elle fut ensuite rendue au monastère.
Dans les années 1855-1856, durant la guerre de Crimée, la sainte icône fut à nouveau empruntée pour soutenir le moral des troupes russes.
A la fin du XIXème siècle, un nouveau miracle eut lieu à Saint Petersbourg. Une jeune fille nommée Catherine Levestam souffrait depuis de longues années d'une maladie rare et pénible. Elle se tordait d'un côté et de l'autre, une force invisible la projetait dans l'air, elle vomissait au moindre son ou au moindre attouchement, ses souffrances étaient intolérables, et rien ne parvenait à la guérir. Ses jours étaient comptés. La Mère de Dieu lui apparut pendant son sommeil en lui disant: « Va à la cathédrale Saint Isaac. Là se trouve une copie de Mon icône de Tikhvine. Si tu la vénères, tu seras guérie ». Les paroles étaient si convaincantes que Catherine, toute protestante qu'elle était, décida de se rendre dans cette église orthodoxe. Elle fit le trajet en calèche, pénétra dans l'église, et, dès qu'elle aperçut l'icône de la Mère de Dieu, s'écria: « C'est elle ! » . On la déposa sur le sol et, quand elle put tenir debout sans aide, elle s'approcha de l'icône et l'embrassa. La guérison fut instantanée.La sainte icône Tikhvinskaïa est du type Hodiguitria; elle se distingue par la plante retournée du pied droit de l'Enfant. L'icône originelle se trouve actuellement aux Etats unis d'Amérique.

mercredi 10 décembre 2008

LES PLEURS


(Trésor spirituel de saint Tikhon de Zadonsk)

Dans ce monde, les gens pleurent sans cesse : ils naissent en pleurant, ils vivent en pleurant, ils meurent en pleurant.
Les hommes pleurent parce qu’ils vivent dans ce monde, et que ce monde est la vallée des larmes. Mille raisons poussent les hommes à pleurer, chacun dispose des siennes. Pleure donc toi aussi, chrétien ! Pleure, car tu vis dans la vallée des larmes ; tu as, toi aussi, maintes raisons pour pleurer. Pleure quand il est encore temps, quand tes pleurs te sont encore utiles. Pleure maintenant, pour ne pas pleurer éternellement. Pleure pour être consolé : « Bienheureux les affligés, car ils seront consolés » (Matt. 5, 4).
Les gens pleurent car ils sont malheureux. Pleure donc toi aussi, chrétien, car tu es un pécheur, tu as péché devant ton Seigneur, et le péché est un grand malheur.
Les gens pleurent car leur corps n’est pas en parfaite santé. Pleure donc toi aussi car ton âme n’est pas en meilleure santé. Ils pleurent car ils sont infirmes et malades. Pleure toi aussi, car tu as une âme infirme, malade et faible, à cause de l’orgueil, de l’envie, de la colère, de l’impureté, de la luxure, de l’amour pour la gloire, pour l’argent. Pleure car ton âme est emplie de maladies douloureuses, de passions et de convoitises. « Soigne-moi, Seigneur, et je serai guéri » (Jér. 17, 14), car Tu es mon Dieu et mon Sauveur !
Les gens pleurent car ils ont perdu leurs richesses. Pleure donc toi aussi, chrétien, car tu as dilapidé la richesse qui t’a été donné dans le saint baptême par ton Père Céleste. Les gens pleurent car ils sont pauvres et indigents. Pleure toi aussi, car tu es indigent et nécessiteux, pauvre et misérable. L’insupportable indigence est un péché. « Incline, Seigneur, Ton oreille et exauce-moi, car je suis pauvre et indigent » (Ps. 85, 1). Les gens pleurent car ils n’ont pas de quoi boire ni se nourrir. Pleure toi aussi, car ton âme meurt de faim, elle meurt car tu la prives de la parole de Dieu, et c’est une faim très grande et très pénible que de n’entendre pas la parole de Dieu. Les gens pleurent car ils sont nus, sans avoir rien pour se couvrir. Pleure toi aussi, car ton âme est nue : le pêché l’a dévêtue. La nudité du corps est honteuse, mais la nudité de l’âme l’est bien plus encore. Les hommes voient la nudité du corps, mais celle de l’âme est vue de Dieu et de Ses saints anges. « Heureux celui qui veille et qui garde ses vêtements, afin qu’il ne marche pas nu et qu’on ne voie pas sa honte » (Apoc. 16, 15). Celui qui ne veille pas et qui ne garde pas ses vêtements, celui-là est misérable et pauvre, car il marche nu et offre sa honte aux yeux de tous. « Donne-moi un vêtement clair, Toi qui es revêtu de lumière comme d’une robe, Christ mon Dieu, Très-Miséricordieux ! ».
Les gens pleurent quand ils tombent et se font mal. Pleure toi aussi, chrétien, quand tu tombes dans le péché et que ton âme s’abîme et s’affaiblit : le péché est une chute pénible et cruelle. Il vaut mieux chuter lourdement avec son corps qu’avec son âme. « Celui qui croit être debout, qu’il prenne garde de tomber » (I Cor. 10, 12).
Les gens pleurent leurs parents morts, leurs frères, leurs proches et leurs amis. Pleure toi aussi, chrétien, pleure ton âme qui est morte, comme Marthe et Marie pleuraient Lazare (Jean 11, 31-33). Que le Père Céleste te le dise aussi : « Mon fils que voici était mort et il est revenu à la vie ; il était perdu et il est retrouvé » (Luc 15, 24). Ô Jésus qui ressuscites les morts ! Ressuscite mon âme mise à mort par le péché, comme Tu as ressuscité le fils de la veuve (Luc 7, 12-15).
Les gens pleurent car ils doivent supporter les offenses et les violences de leurs ennemis. Pleure donc, toi aussi, devant Dieu à cause des ennemis de ton âme qui s’efforcent de te voler le salut éternel. Ces ennemis, ce sont le diable et ses anges mauvais. « Fais justice, Seigneur, de ceux qui me traitent injustement, combats ceux qui me combattent ; prends Tes armes et Ton bouclier et lève-Toi pour me secourir, tire Ton épée et ferme le passage à ceux qui me poursuivent, dis à mon âme : " Je suis ton salut " » (Ps. 34, 1-3).
Les gens pleurent quand ils sont appelés et conduits devant le tribunal, car ils craignent la honte et la condamnation. Pleure toi aussi, chrétien, car toi aussi, tu seras appelé au jugement. Mais ce ne sera pas le jugement des hommes, ce sera celui de Dieu, où le Juge n’exige nul témoin, car Lui-même connaît tous nos actes, nos paroles et nos pensées. Pleure dès maintenant, pleure tant que tu n’as pas été appelé. Pleure pour que le Juge soit attendri par tes larmes. Pleure pour n’être pas condamné ni jeté dans les ténèbres extérieures « où il y aura des pleurs et des grincements de dents » (Matt. 25, 30). « N’entre pas en jugement avec Ton serviteur, car nul vivant ne sera trouvé juste devant Toi » (Ps. 142, 2).
Les gens pleurent car ils ont contracté beaucoup de dettes, et comme ils ne peuvent pas payer, ils craignent d’être jetés en prison. Pleure toi aussi, chrétien, car tu t’es lourdement endetté par tes péchés auprès du Roi céleste, sans rien pouvoir payer. Pleure, attendris-le par tes larmes, afin qu’Il remette ta dette et que tu ne sois pas jeté dans la prison éternelle. « Père remets-nous nos dettes » (Matt. 6, 12).
Les gens qui croupissent en prison pleurent car ils ne voient pas la lumière. Pleure toi aussi, chrétien, car ton âme, couverte par les ténèbres des passions, ne voit pas la lumière divine. « Fais sortir de prison mon âme, pour que je confesse Ton nom » (Ps. 141, 8). Les gens entravés par les liens et les fers, pleurent car ils ne peuvent être libres. Pleure toi aussi, chrétien, car ton âme est entravée par les péchés et n’a plus aucune liberté. « Si le fils vous affranchit, vous serez réellement libres » (Jean 8, 36). Ô Jésus, libérateur de nos âmes emprisonnées ! Brise nos chaînes afin que nous T’apportions en sacrifice la louange.
Les gens pleurent car ils doivent supporter les coups et les blessures. Pleure toi aussi, chrétien, car ta mauvaise conscience blesse et fait souffrir ton âme bien plus qu’un bourreau. « Aie pitié de moi, ô Dieu, selon Ta grande miséricorde et dans Ton immense compassion efface mon péché » (Ps. 50, 3).
Les gens pleurent quand ils vivent sur une terre étrangère, loin de leurs maisons, loin de leur patrie aimée. Les Hébreux, captifs de Babylone, pleuraient ainsi : « Au bord des fleuves de Babylone, nous étions assis et nous pleurions au souvenir de Sion » (Ps. 136, 1). Pleure toi aussi, chrétien, car tu vis dans ce monde comme sur une terre étrangère, sans voir ta patrie céleste, et la sublime Jérusalem. « Malheur à moi, car mon exil s’est prolongé » (Ps. 119, 5). Pleure toi aussi, mon âme, afin d’être consolée ici et là-bas. « Qui changera ma tête en fontaine et mes yeux en source de larmes, que je pleure jour et nuit » (Jér. 9, 1 ; 8, 23). « Exauce ma prière et ma supplication, Seigneur, prête l’oreille à mes larmes. Ne garde pas le silence, car je suis un étranger chez Toi, un pèlerin ainsi que tous mes pères. Épargne-moi, afin que je trouve le lieu du rafraîchissement, avant que je ne m’en aille et ne sois plus (Ps. 38, 13-15). « Venez, adorons et prosternons-nous devant Lui et pleurons devant le Seigneur qui nous a faits. Car il est notre Dieu et nous sommes le peuple de Son pâturage et les brebis de Sa main » (Ps. 94, 6-7). « Exauce-nous, Dieu notre Sauveur, espoir des extrémités de la terre et de ceux qui sont au loin sur la mer ! » (Ps. 64, 6).
« Nous avons commis le péché, l’iniquité, l’injustice devant Toi, nous n’avons pas gardé ni mis en pratique Tes commandements : ne nous rejette pas jusqu’à la fin. »

mardi 9 décembre 2008

SUR LA PENITENCE


(Saint Éphrem le Syrien)

Frères, veillons à ce qu’aucun de nous ne puisse dire : « Parce que j’ai beaucoup péché, mes fautes ne me seront pas remises ». Ce langage, dans la bouche d’un chrétien, prouve qu’il ignore que Dieu est le Dieu de ceux qui se repentent, qu’Il vient pour punir ceux qui vivent dans le mal, et qu’Il a dit : « Il y a grande joie dans le ciel pour un seul pécheur qui fait pénitence », et ailleurs : « Je suis venu pour appeler non les justes, mais les pécheurs à la pénitence ». Et la véritable pénitence consiste à s’abstenir du péché, à le haïr, selon cette parole du prophète : « J’ai haï l’iniquité, et je l’ai eue en abomination » ; et encore : « J’ai juré, j’ai résolu fortement de garder les jugements de Ta justice ».C’est alors que Dieu accueille avec joie celui qui vient à Lui.
Que personne ne dise dans son fol orgueil : « Je n’ai point péché ! ». Parler ainsi, c’est être aveugle, c’est vouloir se tromper soi-même, c’est ne pas savoir comment le démon, tel un larron adroit, se glisse dans nos paroles, dans nos œuvres, entend par nos oreilles, voit par nos yeux, touche par nos mains et inspire nos pensées. Qui donc osera dire que son cœur est pur, et que ses sens ne l’ont pas égaré ? Nul n’est sans péché, nul n’est sans souillure, nul parmi les hommes n’est tout à fait innocent, si ce n’est pourtant Celui qui, de riche qu’Il était, s’est fait pauvre pour nous. Oui, Celui-là seul est sans péché qui est venu délier les péchés du monde, qui veut sauver tous les hommes, et qui ne veut pas la mort du pécheur ; Il aime les hommes, son cœur est un trésor de miséricorde ; Il est bon, propice, tout-puissant, rédempteur des hommes, père des orphelins, juge des veuves, le Dieu de ceux qui font pénitence ; le médecin des âmes et des corps, l’espérance des affligés, le port de ceux qui sont battus par la tempête, l’appui des infortunés que tous ont abandonnés, la voie de la vie enfin, qui nous appelle tous à la pénitence, et qui ne rejette pas les pécheurs repentants. Réfugions-nous dans Ses bras ; c’est en Lui que nous trouverons notre salut.
Ne désespérons pas de notre salut, mes frères ; avons-nous péché ? Faisons pénitence. Avons-nous péché mille fois ? Que mille fois aussi le repentir pénètre dans nos âmes. Toute bonne œuvre est agréable à Dieu ; mais c’est surtout un cœur repentant qu’Il aime : Il va tout entier à lui, Il lui tend une main secourable, Il l’appelle en disant : « Venez à Moi, vous tous qui êtes dans la peine » ; Je ne rejetterai point le pécheur qui vient à Moi ; « Venez à Moi, vous tous qui êtes chargés, Je vous soulagerai », dans la cité éternelle. C’est là que mes saints se reposent dans une douce joie. Venez boire à cette coupe de félicité inépuisable, dont les charmes ne peuvent se comparer à rien, que le langage est impuissant à expliquer ; venez vous rassasier des biens « après lesquels soupirent les anges » et l’assemblée des justes. Le sein d’Abraham s’ouvre à tous ceux qui, comme le pauvre Lazare, ont gémi dans les douleurs ; là sont étalés mes riches trésors ; là s’élève la Jérusalem céleste, heureuse patrie des premiers-nés de Mon Père ; là vous offre un abri la douce région des cœurs pacifiques : « Venez tous à Moi, et Je vous soulagerai » ; dans ces lieux charmants tout est repos et liberté, tout s’éclaire de la lumière de Dieu, il n’y a point d’esclave, point de tyran, point de péché, point de remords ; tout y brille d’un pur éclat, tout y est inondé d’ineffables délices. « Bienheureux ceux qui pleurent ». Laissez donc couler vos larmes, soyez repentants, convertissez-vous à Moi, et J’effacerai la trace de vos maux ; alors plus de chagrin, plus de pleurs amers, plus de soucis cuisants, plus de dévorantes inquiétudes, plus de plaintes. Convertissez-vous, fils des hommes ; et Je vous rendrai la tranquillité, Je ne ferai point de distinction entre l’homme et la femme ; le double empire du démon et de la mort sera détruit. Vous n’aurez plus de jeûnes à pratiquer, plus de tristesse pour vous percer le cœur, plus de haine jalouse et d’ardente rivalité ; mais partout et toujours, la joie, la paix, le repos et le bonheur. Convertissez-vous, et Je ferai couler pour vous des sources d’eau vive, J’étendrai sous vos pas les frais tapis de gazon, de Mes mains divines Je cultiverai la vigne de chacun de vous ; venez dans la contrée où habitent les cœurs humbles et doux ; c’est Moi qui suis la vraie vigne dont mon Père est le vigneron. « Venez, vous tous qui êtes fatigués et courbés sous le joug, venez, et Je vous soulagerai. » Avec Moi est la vie, pure, inaltérable ; avec Moi tous les plaisirs vous attendent. Venez, il n’y a près de Moi rien que d’aimable, rien que du bonheur, rien que d’éternel ; avec Moi est la lumière, inextinguible, et Mon soleil ne s’éclipse jamais. « Prenez mon joug sur vous, et apprenez de Moi que Je suis doux et humble de cœur et vous trouverez le repos de vos âmes. » Ici se font entendre les sons joyeux des instruments de fête ; ici vous sont découverts enfin les trésors cachés de la sagesse et de la science ; venez tous à Moi, et Je vous soulagerai ; c’est ici que vous attendent une grande récompense, une joie incomparable, une félicité immuable, des concerts de louange sans fin, de perpétuelles actions de grâce, des entretiens dont Dieu seul est l’objet, un Royaume éternel, des richesses infinies, des siècles qui vont se déroulant sans cesse, un abîme de miséricorde, une mer de propitiation, tout ce qu’enfin ne saurait expliquer la parole imparfaite de l’homme, et dont on ne peut vous offrir qu’une image enveloppée d’un voile épais. Venez, et vous verrez près de Moi, les légions innombrables des anges, des premiers-nés, les trônes des Apôtres, les sièges des prophètes, les sceptres des patriarches, les couronnes des martyrs et le triomphe des justes. Ici tout reçoit le prix qu’il a su mériter ; ici chacun a un séjour tout préparé. Venez, vous tous qui avez faim et qui avez soif de la justice, Je vous rassasierai des biens que vous avez désirés et « que l’œil n’a point vus, que l’oreille n’a point entendus et qui ne sont jamais montés au cœur de l’homme ». C’est là que je les tiens en dépôt pour ceux qui ont déserté la voie du mal, pour les hommes miséricordieux, pour les pauvres d’esprit, pour ceux qui versent les larmes de la pénitence, pour les pacifiques, pour tous ceux qui ont souffert à cause de Moi la persécution et qui ont été en butte à la calomnie, à l’amère dérision.
Venez à Moi, vous tous qu’un poids pesant accable ; rejetez loin de vous le fardeau de vos péchés ; quiconque se réfugie dans Mes bras est soulagé. Renoncez donc à vos funestes pratiques, oubliez les artifices que vous a enseignés le démon, pour ne vous souvenir que des pieuses leçons que Je vous ai données. En s’approchant de Moi, les mages renoncèrent à leur art imposteur, et reçurent en retour la connaissance de Dieu. Les publicains ont abandonné leur comptoir pour Me suivre, et ils se sont rassemblés en Mon Nom. Les persécuteurs ont été désarmés, les bourreaux sont devenus victimes sans se plaindre. Les femmes débauchées ont déserté leurs immondes plaisirs pour embrasser une vie de continence. Le fer est tombé des mains de l’assassin, son cœur s’est rempli de foi, et, renonçant à son infâme métier, il s’est acquis une place dans le paradis. Venez donc à Moi, parce que « Je ne rejetterai point celui qui Me tendra les bras ».
Vous avez entendu, mes chers frères, les grandes et belles promesses, les douces paroles du Sauveur de nos âmes. Quel père fut jamais plus tendre ! Quel meilleur médecin ! Venez donc, adorons-Le, tombons à Ses pieds et faisons l’aveu de nos fautes. Gloire à Sa bonté ! Gloire à Sa patience, à Sa générosité, à Son indulgence ! Gloire au Dieu miséricordieux ! Gloire à Son règne éternel ! Gloire, honneur et adoration à Son Nom dans tous les siècles ! Amen.
Je vous le dis, mes frères, je ne cesserai pas de le répéter ; ne nous laissons point entraîner à la paresse, à la crainte ; ne cessons pas de crier vers Lui nuit et jour, ni de pleurer. Car Il est plein de miséricorde, Sa parole est sincère, et Sa vengeance sera désarmée en faveur de ceux qui s’adressent à Lui pendant le jour, où quand vient la nuit ; Il est le Dieu des cœurs pénitents, Père, Fils et Saint Esprit. À Lui gloire et puissance dans les siècles des siècles. Amen.

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lundi 8 décembre 2008

BIENHEUREUX L'HOMME


Exégèse spirituelle du premier psaume de David.
par saint Ignace Briantchaninov

Il chante, le chanteur divinement inspiré. Il fait vibrer les cordes sonores.
Tant que les bruits du monde m'assourdissaient, je ne pouvais l'entendre. Mais reclus à présent dans le silence et la solitude, je lui suis davantage attentif, et je commence de mieux comprendre son chant. Voici que naît en moi une faculté nouvelle, celle de l'écouter et de le comprendre. Dans les sons qu'il produit, je discerne un sentiment tout neuf, et dans ses paroles, un sens nouveau, étonnant comme la Sagesse de Dieu.
Saül ! Apaise ta colère ! Que de toi s’éloigne l’esprit malin..., chante le saint roi David, faisant sonner son psaltérion.
Saül, c’est mon esprit tourmenté, ballotté par les pensées que lui souffle le prince de ce monde. Mon esprit a été établi par Dieu comme roi et maître de l’âme et du corps, lors de l’institution du royaume d’Israël, lors de la création puis de la rédemption de l’homme. En désobéissant à Dieu, en transgressant Ses commandements, en bravant l’union établie avec Lui, il s’est privé de la grâce et de la dignité. Les forces de l’âme et du corps ne lui sont plus soumises. Il est sous l’influence de l’esprit malin.
Le saint roi David chante, il annonce les paroles du ciel. Les notes de son psaltérion sont des notes célestes. Il chante la béatitude de l’homme.
Frères, écoutons l’enseignement de Dieu que nous révèle le chant divin. Écoutons les paroles et les sons avec lesquels le ciel nous parle et tonne vers nous.
Ô, vous qui cherchez le bonheur, vous qui convoitez le plaisir, altérés de jouissance, venez, écoutez donc le chant sacré, écoutez l’enseignement salutaire ! Jusques à quand vaguerez-vous, cheminant par les plaines et les montagnes, par les déserts et les forêts impénétrables ? Jusques à quand votre incessant et inutile labeur vous fera-t-il souffrir, sans jamais donner aucun fruit, ni conduire à aucune acquisition durable ? Prêtez une oreille docile, écoutez donc comment parle l’Esprit Saint, par la bouche de David, de la béatitude humaine que désirent tous les hommes !
Que tout se taise autour de moi ! Que toutes mes pensées s’apaisent ! Que mon cœur fasse silence ! Que seule agisse en moi une pieuse attention ! Puisse mon âme se pénétrer ainsi de saintes pensées !
David fut roi, mais il ne dit pas que le trône des rois est le siège de la béatitude humaine.
David fut un chef militaire et un héros. Tout au long de sa vie, il mena de sanglants combats contre toutes sortes d’adversaires. Combien nombreuses furent les batailles qu’il livra et les victoires qu’il remporta ! Il repoussa les limites de son royaume depuis le Jourdain jusqu’aux rives de l’Euphrate. Pourtant, il ne dit pas que la béatitude de l’homme réside dans la gloire du vainqueur ni dans celle du conquérant.
Par la force de l’épée, David acquit d’innombrables richesses. L’or s’amoncelait dans ses caves comme si c’eût été du cuivre, et l’on y jetait de l’argent comme s’il se fût agi de fonte. David, pourtant, ne dit pas que la béatitude de l’homme se trouve dans la richesse.
David jouissait de toutes les consolations terrestres ; il ne voyait pourtant dans aucune d’elle la béatitude de l’homme.
Adolescent, David menait en pâture le troupeau de son père Jessé. Un jour, sur l’ordre de Dieu, le prophète Samuel se rendit auprès de lui et l’oignit d’huile sainte ; d’un pauvre berger, il en fit le roi du peuple d’Israël. Pourtant, l’instant de son onction royale, David ne l’appelle point instant de béatitude.
David passa son enfance dans un désert sauvage. Son corps s’endurcit et se fortifia, en sorte qu’à mains nues, il était capable d’étrangler ours et lion. Et son âme se remplit peu à peu de l’inspiration céleste. Les mains qui savaient terrasser le lion et l’ours fabriquèrent un psaltérion. Lorsqu’elles effleuraient les boyaux tendus et accordés par l’action de l’Esprit, des sons harmonieux s’en échappaient, suaves et spirituels. Ses sons s’en furent au loin, ils se répandirent à travers les siècles, repris par des voix innombrables, glorifiant le nom de David dans toutes les parties de la terre, pour tout le temps que dure la vie chrétienne en ce monde. Cette vie dans le désert, si remplie d’admirables exploits, d’inspirations étonnantes, David ne l’appelle pas non plus béatitude de l’homme.
« Bienheureux l’homme », chante-t-il, où qu’il se trouve, quelle que soit sa condition, quel que soit son rang, pourvu qu’il « ne s’en soit pas allé au conseil des impies, qu’il ne se soit pas arrêté dans la voie des pécheurs et qu’il n’ait pas siégé parmi ceux qui propagent le mal » (Ps. 1, 1).
Bienheureux l’homme qui se garde du péché, qui le repousse loin de lui sous quelque forme qu’il lui apparaisse : que ce soit par un acte inique, par une pensée suggérant l’iniquité, par des sentiments conduisant aux plaisirs, à l’enivrement inique.
Qu’une femme faible écarte avec courage le péché, elle est aussi l’homme bienheureux que chante David.
Ceux qui participent à cette béatitude ont atteint l’âge viril selon le Christ, ce sont ceux qui résistent au péché, fussent-ils seulement des adolescents ou des enfants. Le jugement de Dieu est impartial.
« Bienheureux l’homme qui se complaît dans la loi du Seigneur » (Ps. 1, 2), bienheureux le cœur qui a mûri dans la connaissance de Sa volonté, qui a vu combien le Seigneur est doux (Ps. 33, 9), qui a acquis cette connaissance en goûtant aux commandements du Seigneur, qui a uni sa volonté à celle du Seigneur. Bienheureux le cœur embrasé par la ferveur divine ! Bienheureux le cœur qui brûle du désir inassouvi d’accomplir la volonté de Dieu ! Bienheureux le cœur qui souffre à l’extrême pour l’amour de Dieu ! Un tel cœur, c’est le lieu, la demeure, la salle de noces, le trône de la béatitude !
Depuis l’aube, l’aigle est perché au sommet d’un grand rocher, ses yeux perçants sont à l’affût. Puis il s’essore dans le ciel bleu, plane au-dessus des mondes, ses larges ailes tout éployées, guettant sa proie. Lorsqu’il l’aperçoit, il fond sur elle avec la vitesse de l’éclair, l’emporte entre ses serres et disparaît. Il nourrit sa portée, et guette de nouveau, perché sur son rocher ou planant dans l’azur. Ainsi se comporte un cœur blessé par l’amour pour les commandements de Dieu ! C’est dans cet amour que réside la béatitude. Les commandements ne sont pas seulement sources d’effort, ils révèlent aussi l’intelligence spirituelle. « Grâce à Tes commandements, j’ai eu l’intelligence », dit le Prophète. « De tout mon cœur, je T’ai cherché... J’ai couru dans la voie de Tes commandements, quand Tu as dilaté mon cœur... Je méditais Tes commandements que j’ai grandement aimés... Mieux vaut pour moi la loi de Ta bouche, que des monceaux d’or et d’argent... J’ai aimé Tes commandements plus que l’or et la topaze... Dans mon cœur, j’ai caché Tes paroles, pour ne pas pécher contre Toi... J’exulterai à cause de Tes paroles, comme celui qui a trouvé de riches dépouilles... Incline mon cœur vers Tes témoignages, et non vers la convoitise...Conduis-moi sur le chemin de Tes commandements, car je veux le suivre... » (Ps. 118, 104, 127 et 162).
Le soleil se lève, chacun se presse vers ses occupations, suivant son but, ses intentions. Comme l’âme réside dans le corps, il y a une intention et un but en chaque occupation humaine. L’un travaille, tout occupé à trouver des trésors bien périssables ; l’autre cherche à se procurer d’abondantes jouissances ; l’un convoite la vaine gloire terrestre ; un autre encore croit que ses actions doivent servir le bien de l’État et de la société. Mais le favori du Seigneur n’a d’autre but que de plaire à Dieu, quelles que soient ses occupations, quelles que soient ses œuvres. Le monde devient pour lui le livre des commandements du Seigneur. Il lit ce livre en actes, par sa conduite, par sa vie. Plus son cœur lit ce livre, plus l’intelligence spirituelle pénètre en lui, et plus il montre de ferveur pour suivre les chemins de la piété et de la vertu. Il acquiert les ailes flamboyantes de la foi, il commence à juguler toute crainte de l’ennemi, il se permet de franchir tous les abîmes, il trouve l’audace nécessaire pour accomplir de bonnes entreprises. Bienheureux un tel cœur ! Il est en vérité cet homme bienheureux que chante le psaume.
La nuit tombe avec ses ombres, sa lumière diffuse dispensée par les astres nocturnes. Elle rassemble les hommes qui vivent à la surface de la terre, sous leurs tentes, dans leurs abris. Là se trouve l’ennui et le vide de l’âme : on essaie alors d’étouffer sa souffrance par de folles distractions, par l’oisiveté, ou par la bruyante dépravation des mœurs. Alors, l’intellect, le cœur et le corps, ces vases du temple de Dieu, sont utilisés par Balthasar à des fins criminelles. L’esclave des soucis terrestres, des soucis passagers de cette vie, à peine délivré de ses préoccupations journalières, se prépare dans le calme de la nuit de nouveaux soucis pour la journée suivante. Toutes ses journées, toutes ses nuits, sa vie tout entière, sont un sacrifice à l’agitation et à la putréfaction... Une humble veilleuse est allumée devant les saintes icônes, elle diffuse une douce lumière là où se couche le juste. Lui, il vit avec son unique préoccupation qui le consume. Il apporte sur sa couche le souvenir de ses activités accomplies pendant le jour, il les compare avec les Tables, où furent gravées la volonté de Dieu révélée aux hommes, avec les Écritures : il voit toutes ses imperfections, dans ses actions, dans ses pensées, dans les mouvements de son cœur. Il les soigne par le repentir, il les lave par ses larmes, demandant au Ciel des forces nouvelles, une lumière neuve pour renouveler et augmenter ses forces. Une lumière pleine de grâces, une force surnaturelle descend de Dieu vers l’âme, conduisant l’homme à la prière, dans un sentiment douloureux de sa faiblesse, de sa misère, et de la facilité avec laquelle il chute sans cesse. Ainsi, « le jour au jour proclame la parole, et la nuit à la nuit en transmet la connaissance » (Ps. 18, 3). La vie est faite alors de réussites incessantes, d’acquisitions continuelles, éternelles. Celui qui vit ainsi est l’homme bienheureux.
Il sera, cet homme, « comme l’arbre planté près des eaux courantes » (Ps. 1, 3), qui ne craint ni les rayons du soleil, ni la sécheresse ; ses racines sont toujours irriguées, elles n’attendent pas la pluie, elles ne souffrent jamais du manque de nourriture, à cause duquel les arbres qui poussent dans des endroits montagneux et arides sont souvent malades, se dessèchent et meurent.
L’homme pourtant disposé à la piété, mais qui mène une vie dissipée, et qui n’étudie qu’avec parcimonie et superficiellement la Loi du Seigneur, est semblable à cet arbre qui croît, perdu sur les hauteurs, là où les vents et le soleil ont libre cours, qui boit de temps en temps la pluie du ciel, ou que la rosée céleste rafraîchit par à-coups. Quelquefois, c’est la rosée de l’attendrissement qui lui donne quelque fraîcheur, d’autres fois encore, la pluie vivifiante des larmes du repentir inonde son âme desséchée. À d’autres moments, son esprit et son cœur s’animent d’un élan vers Dieu, mais cet état n’est pas ni ne peut être constant. Il n’est pas même continuel. Les pensées et les perceptions religieuses, qui ne s’enracinent pas dans une connaissance totale et claire de la volonté de Dieu, n’ont aucune précision, aucun fondement, et sont pour cette raison, sans force et sans vie.
Celui qui, jour et nuit, étudie les lois du Seigneur, celui-là est semblable à un arbre planté près des eaux courantes. Une eau fraîche abreuve ses racines. L’esprit et le cœur de l’homme (ses racines) sont tournés sans cesse vers les lois du Seigneur, pour lui tourbillonnent indéfiniment les torrents de la vie éternelle, si purs et si puissants. Ces eaux, cette force, cette vie, c’est l’Esprit Saint qui demeure dans les commandements de l’Évangile. Celui qui s’adonne sans faillir aux Écritures, qui les étudie avec humilité, qui demande à Dieu, dans la prière, de lui en accorder la juste compréhension, celui qui dirige toutes ses actions, tous les mouvements secrets de son âme selon les commandements de l’Évangile, celui-là s’unira infailliblement à l’Esprit Saint qui repose en eux. L’Esprit Saint dit Lui-même : « Je fais partie de tous ceux qui Te craignent et qui gardent Tes commandements » (Ps.118, 63).
L’étude des lois du Seigneur requiert de la patience. Elle est le salut de ton âme : « Par votre persévérance », ordonne le Seigneur, « vous sauverez vos âmes » (Luc 21, 19). Telle est bien la science des sciences ! Telle est la science céleste, la science transmise à l’homme par Dieu ! Ses voies sont tout à fait différentes des voies qu’empruntent ordinairement les sciences terrestres et humaines, conçues par notre seule intelligence déchue, par notre état consécutif à la chute. Les sciences humaines s’enorgueillissent, elles enflent l’intellect, amplifient l’ego humain. La science de Dieu se révèle à l’âme qui s’y est disposée, préparée, par le renoncement à soi, qui, à cause de son humilité, abandonne toute indépendance. Telle un miroir, elle n’a aucune image propre et peut, pour cette raison, recevoir et refléter les traits divins. La science divine, c’est la Sagesse de Dieu, c’est le Verbe de Dieu. « La Sagesse élève des enfants et prend soin de ceux qui la cherchent. Celui qui l’aime, aime la vie, ceux qui la cherchent dès le matin seront remplis de joie, celui qui la possède héritera la gloire ; où qu’il porte ses pas, le Seigneur la bénit ; ceux qui la servent rendent un culte au Saint, et ceux qui l’aiment sont aimés du Seigneur; celui qui l’écoute juge les nations ; celui qui s’y applique habite en sécurité » (Sirah 4, 11-15). Voilà la science divine ! Voilà la sagesse de Dieu ! Elle est révélation de Dieu. Dieu habite en elle. On y accède par l’humilité, par le renoncement à son intelligence, car elle est inaccessible à l’intelligence humaine, qui l’a rejetée et reconnue pour insensée. Et lui, son téméraire et orgueilleux ennemi, par manière de blasphème, il la tient pour folie, il s’en scandalise parce qu’elle est apparue aux hommes sur la croix et que de là, elle les illumine. On y accède aussi par l’abnégation, par son propre crucifiement, par la foi. Le fils de Sirah dit encore : « S’il se confie en elle, il l’aura en partage » (Sirah).
La véritable foi, celle qui est agréable à Dieu, en laquelle il n’y a ni ruse ni tromperie, consiste en l’accomplissement des commandements de l’Évangile, en leur implantation permanente et sans relâche dans l’âme, en un combat contre sa raison, contre les sensations impies, les mouvements du cœur et du corps. La raison de l’homme déchu, son corps et son cœur sont hostiles à la Loi du Seigneur. La raison de l’homme déchu n’accepte pas la raison de Dieu, le cœur déchu résiste à la volonté de Dieu. Le corps lui-même, devenu corruptible, s’est forgé, dans la chute, une volonté propre ; et cette volonté lui a transmis abondamment la fatale connaissance du bien et du mal. La voie qui conduit à la sagesse de Dieu est si étroite et si pleine d’afflictions ! C’est la sainte foi qui nous presse d’avancer, foulant et brisant la résistance de la raison, celle du cœur et du corps déchus. Il faut être patient et ferme et constant. « Par votre persévérance vous sauverez vos âmes ». Qui veut récolter des fruits spirituels, que celui-là mène avec patience, jusqu’à son terme, une longue guerre contre le péché, jalonnée de révoltes et de malheurs. Pour voir le fruit de l’Esprit grandir sur l’arbre de son âme, il faut le choyer avec une grande patience et beaucoup de courage.
Écoutons donc encore ce que dit le très-sage : « La Sagesse peut le conduire d’abord par un chemin sinueux, faisant venir sur son élève, crainte et tremblement, le tourmenter par sa discipline jusqu’à ce qu’elle puisse lui faire confiance, l’éprouver par ses exigences, puis elle revient vers lui sur le droit chemin et le réjouit, et lui découvre ses secrets » (Sirah 4, 17-18).
Passent les jours, les mois et les années, et voici qu’arrive le temps connu de Dieu, Celui qui « a fixé le temps et les moments de sa propre autorité » (Act. 1,7). L’arbre planté près des eaux courantes porte son fruit. Ce fruit, c’est la communion vivifiante avec l’Esprit saint, que le Fils de Dieu a promise à tous ceux qui croient en Lui en vérité. C’est un beau fruit, un fruit divin, que ce fruit de l’Esprit ! Il transforme l’homme tout entier. Les Saintes Écritures passent du Livre jusque dans l’âme ; la Parole de Dieu, Sa volonté, le Verbe et l’esprit sont inscrits par un doigt invisible sur les tables de l’intellect et du cœur. La promesse du Fils de l’Homme s’accomplit en lui : « Des fleuves d’eau vive couleront de son sein ». Le Seigneur parle ainsi de l’Esprit que doivent recevoir ceux qui croient en Lui. C’est ainsi que la Sagesse et le Théologie qu’elle dispense se sont exprimées par la bouche du disciple bien-aimé. « Le feuillage d’un tel arbre ne tombe jamais » (Ps. 1, 3). Selon l’enseignement des Pères, les exploits corporels constituent ce feuillage, et ils reçoivent leur récompense, l’incorruptibilité et la vie, après le renouveau, la renaissance de l’âme accomplie par l’Esprit Saint. La volonté d’un tel homme est unie en tout avec la volonté de Dieu. C’est pourquoi Dieu l’aide dans toutes ses entreprises et c’est ainsi que « tout ce qu’il fait réussira »(Ps.1, 3).
Mais l’image qu’offre les impies est tout autre. Le roi David ne les compare pas aux arbres ou à quelque autre chose marquée du signe de la vie. Il les compare bien autrement : « Rien de tel pour les impies, rien de tel, ils seront comme la poussière que le vent emporte de la surface de la terre » (Ps. 1, 4). Impies ! Vous êtes la poussière privée de vie que disperse le tourbillon de l’agitation du monde, tournoyant dans l’air et formant un nuage épais qui cache le soleil et toute la nature.
Ne regarde pas ce nuage ! N’accorde aucune foi aux illusions que créent tes yeux, car, quelquefois, la plus insignifiante des poussières se transforme faussement pour eux en nuage. Ferme-les un instant et le nuage de poussière s’envolera, soufflé par un tourbillon puissant, sans que ta vue n’en soit blessée. Dans un instant, tu rouvriras les yeux et tu chercheras trace de ce nuage, mais il n’y aura plus aucun signe de son existence.
David continue de clamer dans son chant terrible la terrifiante et fatale décision réservée aux impies : « C’est pourquoi les impies ne se relèveront pas au jugement, ni les pécheurs dans l’assemblée des justes » (Ps. 1, 5). Les impies ne participeront pas à la première résurrection que Saint Jean décrit dans son Apocalypse (Apoc., 20), cette résurrection spirituelle qui touche l’âme et la renouvelle pour la vie éternelle, dès ici-bas, sous l’action de l’Esprit Saint qui accomplit tout. L’âme ressuscite, elle se ranime pour la vie en Dieu ! L’Esprit et le cœur s’illuminent, ils communient à l’intelligence spirituelle. Selon la définition des saints Pères, l’intelligence spirituelle, c’est le sentiment de la vie éternelle (Saint Isaac le Syrien, Discours 38). C’est aussi le signe de la résurrection. Au contraire, le raisonnement charnel est la mort invisible de l’âme (Rom. 8, 6). L’intelligence spirituelle, c’est l’action de l’Esprit saint. Elle voit le péché, elle voit son âme et celle des autres, les passions en elle et dans les autres, les filets que tend le prince de ce monde, elle abandonne toute pensée qui s’élève contre la raison du Christ, repousse loin de soi tous les péchés. L’intelligence spirituelle, c’est le royaume, la lumière de l’Esprit Saint dans l’intellect et dans le cœur. Les impies ne se relèveront pas pour ce discernement spirituel, qui ne revient en héritage qu’à l’assemblée des justes. Il est inaccessible et incompréhensible aux pécheurs et aux impies. Il est la vision de Dieu ; or, les cœurs purs seuls verront Dieu (Matt. 5, 8).
La voie des impies est exécrable à Dieu, elle lui est à ce point étrangère et abominable, que Dieu s’en détourne, comme le disent les Écritures. Au contraire, la voie de la vérité est tellement agréable à Dieu, que l’Écriture dit d’elle : « le Seigneur connaît la voie des justes » (Ps. 1, 6). Lui seul connaît, en effet, cette voie. Bienheureuse es tu, cette voie qui conduis vers Dieu, toi qui es cachée en Dieu éternel ! Ton commencement, c’est Dieu et ta fin, c’est Dieu encore. Tu es éternelle, comme Dieu est éternel.
La voie des impies a un triste terme : elle mène au bord d’un sombre et profond abîme, dépôt d’une mort éternelle. À jamais, la voie des impies conduit à la perdition, dans cet abîme terrible où périssent tous ceux qui l’ont empruntée.
« Le Seigneur connaît la voie des justes, mais la voie des impies va à la perdition » (Ps. 1, 6). Bienheureux l’homme qui ne s’en est pas allé au conseil des impies qui ne s’est pas laissé séduire par leur façon de penser, par leurs règles morales et leur conduite, « mais qui se complaît dans la loi du Seigneur ». Voici ce que chantait l’admirable et céleste chanteur. Et l’ermite écoutait ce saint chant divinement inspiré.