dimanche 30 novembre 2008

COMME VOUS AVEZ OEUVRE POUR LE PECHE, OEUVREZ POUR LA JUSTICE


SAINT THÉOPHANE LE RECLUS

Homélie du 19 juin 1860. Quatrième Dimanche après la Pentecôte.

Comment exécuter le commandement de l'Apôtre « Comme vous avez œuvré pour le péché,
de même, œuvrez pour la justice. »

Comme le Seigneur est miséricordieux et indulgent ! Il a fait et Il fait encore tant de choses pour nous ! Et comme Il exige peu en retour ! Il nous a parés de Son image, Il a tout soumis sous nos pieds ; après notre chute, Il est venu parmi nous en personne, Il a souffert pour nous et, dans Sa Sainte Église, Il nous a offert les moyens d'être sauvés Il nous a guidés de toutes les façons possibles sur la voie de la justice, Il a promis le Royaume Éternel à ceux qui acceptent de se soumettre. Est-ce si peu ? Et qu'exige-t-Il de nous en retour ? Pas plus que ce que nous offrons de notre plein gré au péché destructeur lorsque nous nous livrons à lui. Comme vous l'avez entendu dans l'épître d'aujourd'hui, l'Apôtre Paul nous dit : « Je parle à la manière des hommes à cause de la faiblesse de votre chair. De même donc que vous avez livré vos membres comme esclaves à l'impureté et à l'iniquité, pour parvenir à l'iniquité, ainsi maintenant livrez vos membres comme esclaves à la justice pour parvenir à la sainteté » (Rom 6,19). C'est-à-dire, œuvrez pour le Seigneur avec un zèle au moins équivalent à celui que vous nourrissiez pour le péché.
Je ne pense pas que quiconque repousserait une si mince exigence ! Il se peut en revanche que le contenu de cette exigence ne soit pas clair pour tous : c'est ce que je me propose de préciser brièvement ici.
Voici ce que dit l'Apôtre Paul : de même que vous aviez livré vos membres comme esclaves à l'impureté, livrez maintenant vos membres comme esclaves à la justice. Les membres sont les membres du corps et les facultés de l'âme. Il suffira donc de les énumérer en précisant comment chacun peut œuvrer pour le Seigneur, à l'opposé de l'œuvre pour le péché, et comprendre ainsi ce que le Seigneur exige de nous.
Quels sont les membres du corps ? les organes des sens (la vue, l'ouïe, l'odorat, le toucher, le goût), ce qui permet le mouvement (les bras, les jambes et tout le corps ; le labeur et le repos), l'usage de la nourriture et de la boisson, la parole. L'âme possède les facultés suivantes : l'imagination et la mémoire, le bon sens et la raison, le désir d'entreprendre, les sensations et les jouissances et, au-dessus de tout cela, la force de l'esprit qui aspire à Dieu (voir Dieu, et se réjouir en Lui), puis, enfin la conscience.
Lorsque l'homme œuvre pour le péché, il œuvre avec tous ses membres ; s'il se tourne vers Dieu, il peut et doit œuvrer de même pour aller vers la justice. C'est dans la nature des choses. Là où est l'homme avec son cœur et sa raison, là est l'homme avec tout son être. Dans sa complexité, l'homme ressemble à une éponge qui absorbe l'eau dans laquelle elle est plongée : ou bien le poison corrupteur du péché, ou bien la justice vivifiante de Dieu.
Voyons comment tout cela a lieu.
Nous possédons les organes des sens. Quand l'homme œuvre pour le péché, il les dirige vers tout ce qui porte la marque du péché et nourrit ce dernier : les yeux scrutent avec volupté, les oreilles aiment entendre des paroles et des chants suaves, l'odorat cherche les parfums qui engendrent la convoitise. Il s'ensuit certains regards, la soif de sensations agréables, l'envie d'avoir la peau douce... Mais si l'homme se détourne du péché et s'asservit à la justice, alors l'œil s'abstient de regarder, l'oreille s’abstient d'écouter ce qui engendre la convoitise. Les sens se tournent vers ce qui est saint et salutaire : regarder les représentations des choses sacrées et écouter des chants pieux ; les sens se refrènent pour limiter autant que possible les impressions et les distractions, afin que l'âme ait davantage de liberté pour être seule avec elle-même et avec son Seigneur bien-aimé. C'est ainsi que les organes des sens s'asservissent à la justice.
Nous avons la faculté de nous mouvoir. Voyons comment l'homme l'utilise quand il œuvre pour le péché : il aime les promenades, les danses ou, pire encore, la paresse et la somnolence, la rapine et le pillage ; chez certains, le jour se transforme en nuit et la nuit en jour. Mais quand il œuvre pour la justice, l'homme s'oblige à marcher sur les seules voies de la justice, à mesurer son temps de sommeil et son temps de veille, son temps de travail ou de repos ; il réfléchit aux endroits où il doit se rendre et dans quel but il s'y rend. À la place des danses il choisit les métanies ; aux promenades désordonnées, il préfère fréquenter l'église, les asiles où règnent la pauvreté et la souffrance. Il habitue ses mains à travailler et à faire l'aumône. Il consacre à la prière une partie de son temps de sommeil...
Nous avons besoin de nourriture et de boisson. Celui qui œuvre pour le péché s'adonne à la gloutonnerie, à la gourmandise, aux festins, à l'ivrognerie. Au contraire, il faut aimer l'abstinence, la mesure dans la nourriture et la boisson ; il faut prendre ses repas en suivant l'ordo de l'Église.
Nous sommes doués de parole. Chez les pécheurs, les mots même deviennent des péchés. Ce sont des bavardages, des paroles vaines, des racontars, des rires, des plaisanteries, des réflexions caustiques et des blasphèmes. Celui qui décide dans son cœur de plaire au Seigneur accomplit avec fidélité le commandement : « Qu'il ne sorte de votre bouche aucune parole mauvaise ». Il sait combien de maux proviennent de la langue.
Ainsi, membre après membre, tout le corps s'asservit à la justice et devient, pour qui cherche le Seigneur, un instrument de salut. Les saints pères disent d'ailleurs avec justesse : « Asservis ton corps à ton âme et tu verras quel ami il est pour toi et quel collaborateur il devient ».
Pour plaire entièrement à Dieu, il faut également asservir à la justice les facultés de l'âme. Il faut brider l'imagination par la vigilance et la concentration : si elle aime à rêver, si elle se délecte d’images mauvaises, il faut, comme dit l'Apôtre, ceindre les reins des pensées. Il faut purifier et remplir de saints souvenirs la mémoire chargée de passions. La volonté, si souvent attirée par des suppositions mensongères, doit être soumise à l'enseignement de la Révélation, parée des connaissances de la Vérité, afin qu'elle pense et comprenne suivant la volonté du Seigneur. La volonté fantasque, asservie aux passions, doit se courber sous le joug des commandements, pour qu'elle puisse n'entreprendre que ce qui est conforme à la très sainte volonté de Dieu. Le cœur avide doit se détourner des beautés sensuelles et se forger un goût pour les choses saintes et célestes, afin d'être prêt à trouver ses délices dans les biens célestes.
Ainsi, faculté après faculté, l'âme entière se soumet à la justice. Celui qui œuvre dans ce sens travaille pour le Seigneur et devient un fidèle serviteur du commandement de l'Apôtre : asservir tous ses membres à la justice plutôt qu’à l'iniquité. Les paroles de l'Apôtre citées au début de ce discours deviennent ainsi limpides.
Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de développer davantage. Tout cela est assez clair pour que chaque conscience désireuse de plaire au Seigneur sache ce qui lui reste à faire. J'ajouterai simplement ceci : à quoi conduisent le péché et la justice ? Quel est le fruit porté par chacun ? L'Apôtre répond que le péché conduit à la mort, et la justice à la vie. Le péché tue et la justice vivifie. Avez-vous observé ce qui se passe quand on verse de l'acide sur un métal ? Comment il le ronge petit à petit, comment il le décompose puis le détruit totalement, lui qui est si dur en apparence, à telle enseigne que l'on devient incapable de dire ce qu'il était auparavant ? Le péché agit de la même façon sur notre être. Il décompose l'âme et le corps comme un poison qui s'infiltre dans les moindres recoins pour tuer. Comme le froid et l'air vicié qui pénètrent dans une serre et tuent chaque plante, chaque fleur, l'une après l'autre, le péché fait périr les facultés de l'âme l'une après l'autre, et les forces du corps tour à tour. Il semble qu'on ait trouvé assez de raisons pour fuir le péché.
À l'inverse, de même que la douceur et l'humidité printanières réaniment tout ce qui fut engourdi durant l'hiver, tout ce que le péché a mis à mort dans notre être se réveille quand l'esprit s'adresse à Dieu et consacre son temps à Lui plaire. Alors, le Soleil de Justice brille dans l'esprit, le souffle de l'amour divin réchauffe l'âme, la grâce vivifiante pénètre et rafraîchit chaque force de l'âme et du corps : Dieu est source de Vie. Celui qui s'en remet à Dieu devient un seul esprit avec le Seigneur, il boit en abondance à cette source intarissable le breuvage de vie. Une telle personne est seule prête pour la vie véritable. Chez les autres règne l'illusion de vivre, même si leur vie est pleine de rebondissements et présente de multiples facettes.
Seigneur ! Envoie Ta lumière et Ta vérité afin que nous puissions distinguer clairement la voie de la vie de celle de la mort, le bien du mal, le feu de l'eau. Devenant ainsi plus sages pour chercher le salut, fais que nous nous asservissions volontairement à la justice, libérés du péché. Fais que le péché ne règne plus dans nos corps meurtris, et que nous ne suivions plus ses convoitises. Amen.-*-*-*-*-*-*-

Aucun commentaire: